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LES PAPILLONS DE NUIT

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IL EST ASSEZ BANAL, ET JE N’Y VEUX PAS du tout contredire, de remarquer que le temps passe, et qu’il passe vite. Nous le savons, mais cette vieille vérité ne laisse pourtant pas de nous prendre, en quelque manière, à la gorge, si nous la considérons du moins assez attentivement. Quoiqu’elle soit très antique, elle n’a rien perdu de sa vigueur, et pour nous inciter à des rêveries mélancoliques, elle n’a point à prendre la peine de nous montrer dans l’ombre aucune arme, quand il lui suffit, tous les ans, de nous présenter ce miroir dont je vous parlais tout à l’heure.

Mon oncle, jadis, fredonnait quelquefois une manière de chanson qui me semblait assez vaine, et j’étais trop jeune pour y démêler, parmi d’autres mots, quelques paroles de Ronsard. J’en sais encore le refrain:

Tout ici-bas nous fait la guerre.

Où sont les jours dont on rêva!

Le temps s’en va, le temps s’en va;

Mais, hélas! il ne revient guère...

Je ne savais alors que les heures s’en allassent ni qu’elles s’en allaient, ou je jugeais du moins que, c’était chose toute naturelle et je veux dire la moins émouvante du monde. Il vient un âge où l’on s’aperçoit que c’est aux événements les plus ordinaires que l’on trouve les plus fortes raisons de s’émouvoir; mais à quoi bon le remarquer, quand nous savions déjà sans doute que les grandes personnes et les enfants n’ont point accoutumé de conduire les mêmes raisonnements; et je voudrais seulement me souvenir qu’en ces temps anciens, par les chaudes soirées, tandis que les fenêtres ouvertes nous laissaient voir le clair de lune sur les feuillages doucement remués, les papillons entraient, tournaient autour de la lampe et se posaient sur la table où je venais de dévorer mon dessert.

Mon oncle allumait sa grande pipe et du bout du tuyau, qui parfois fumait doucement, me montrait tour à tour ces bêtes ailées et silencieuses qui me semblaient toutes pleines de mystère, pour ce que je ne les rencontrais jamais dans la journée. Il me venait en l’esprit qu’elles pouvaient le soir descendre de la lune, pour y remonter avant l’aube. Elles avaient, comme cet astre, des couleurs d’argent et d’or, mais qui ne brillaient presque pas, et je pensais que la lune, si elle n’était éclairée que par notre lampe, dans quelque songe où le soleil eût été mort, ne montrerait pas beaucoup plus d’éclat. Mais cette rêverie me semblait si peu sûre que j’en vins, à penser que ces papillons, dont les ailes étaient comme éteintes, qui ne paraissaient ni rouges ni bleus, comme sont leurs frères du jour, et qui me semblaient si tristes et comme usés, ne palpitaient plus que d’une seconde vie incertaine et que je contemplais sur la nappe les papillons de jadis ou de naguère... Ils étaient morts et, chassés du monde qu’échauffe le soleil, ils venaient douloureusement goûter à notre lampe l’illusion de vivre encore et l’ivresse des lumineux souvenirs, et je suppliais mon oncle, quand on m’envoyait au lit, qu’il laissât jusqu’au matin la lampe allumée; mais, quoiqu’il n’eût un cœur de loup ni de rocher, je crois qu’il la soufflait en allant se coucher.

Que ces temps déjà sont lointains! Et voici, ce soir, cette heure qui me semblait autrefois si tardive et qu’alors je ne connaissais point, où mon oncle enfin décidait qu’il avait assez lu et qu’encore qu’il n’en sentît point la moindre envie, le moment lui semblait venu de s’endormir.

Par ma fenêtre, je contemple le paysage nocturne et confus où la seule voix que j’entende vraiment est celle de la fontaine voisine, inlassable et mystérieuse et monotone, qui murmurait devant que je fusse né et qui fera rêver encore les enfants de mes arrière-neveux.

Sur les prés et les bois...

Sur les prés et les bois, cette lune incertaine,

La veux-tu contempler jusqu’au petit matin,

Au murmure d’une fontaine

Où coule et rêve ton destin?

Aux flots des souvenirs, c’est en vain que tu plonges;

C’est une trop profonde et redoutable mer.

Ferme cette fenêtre où tu formes des songes,

Sans qu’il en soit un seul qui ne te semble amer.

N’es-tu dans cette chambre où ta lointaine enfance

S’éveillait en riant aux cris de mille oiseaux,

Et ne voudras-tu pas sur de légers roseaux

Jouer un air qui se balance

Et qui sache enivrer le nocturne silence?

La lune berce au mur l’ombre des blancs rameaux;

Ta lampe est allumée et, dans la nuit d’automne,

Quelle est cette musique et le bruit de ces mots

Où ta mélancolie aux larmes s’abandonne?

–Un papillon gris, un papillon brun

Se sont tous les deux posés sur ma glace.

Encore un beau soir, si triste... Encore un...

Que n’es-tu tortue! En ta carapace,

Toi, de tout blessé, de tout offensé,

Quel songe sans fin dans l’ombre tressé!...

Mais d’être si seul n’as-tu l’âme lasse?

Que les jours sont longs! Comme le temps passe!

Comme il a passé!

Le songe qui s’égare aux secrètes années

Ne foule dans la nuit que guirlandes fanées.

Où sont de mes printemps les escaliers fleuris

Et les papillons bruns et les papillons gris,

Qu’à peine je voyais, s’ils venaient dans ma chambre,

Où mes illusions me gardaient de l’ennui?

Brun et gris, c’est hier à côté d’aujourd’hui.

Comme avril aux destins est proche de septembre!

J’avais des cheveux bruns quand je vins à Paris;

Je ne sais plus comment ils sont devenus gris,

Et le temps est passé de grimper aux échelles,

A l’heure de la lune et des chauves-souris,

Pour sauter à pieds joints sur le balcon des belles.

Beaux papillons de nuit, qui près de moi dormez,

Sans remuer le bout d’une aile,

Tandis que je me perds en ces jardins fermés,

Où meurent les rosiers dans une ombre éternelle,

Avec les rossignols que la vie a plumés,

N’est-ce quelque faiblesse où notre esprit s’étonne,

Au lieu d’improviser de gaillardes chansons,

Quand le temps est venu de peser les moissons

Dont nos jours ont comblé les greniers de l’automne?

Le poème des griffons

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