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CHAPITRE I
ОглавлениеInvocation.
Au commencement, le Seigneur des créatures[4] donna aux hommes et aux femmes, dans cent mille chapitres, les règles à suivre pour leur existence, en ce qui concerne:
Le Dharma ou devoir religieux[5];
L'Artha ou la richesse;
Le Kama ou l'amour.
La durée de la vie humaine, quand elle n'est point abrégée par des accidents, est d'un siècle.
On doit la partager entre le Dharma, l'Artha et le Kama, de telle sorte qu'ils n'empiètent point l'un sur l'autre; l'enfance doit être consacrée à l'étude; la jeunesse et l'âge mûr, à l'Artha et au Kama; la vieillesse, au Dharma qui procure à l'homme la délivrance finale, c'est-à-dire la fin des transmigrations.
[Note 4: Le Seigneur des créatures est une qualification souvent donnée à Siva. Vatsyayana était donc Sivaïste comme tous les brahmes de son temps.]
[Note 5: Pour les Brahmes, le Dharma est le rite religieux, le sacrifice, l'offrande, le culte, l'obéissance à la coutume. Pour les Bouddhistes, c'est la règle morale, le devoir philosophique.]
Le Dharma est l'accomplissement de certains actes, comme les sacrifices qu'on omet parce qu'on n'en aperçoit pas le résultat dans ce monde, et l'abstention de certains autres, comme de manger de la viande, que l'on accomplit parce qu'on en éprouve un bon effet.
L'Artha comprend l'industrie, l'agriculture, le commerce, les relations sociales et de famille; c'est l'économie politique que doivent apprendre les fonctionnaires et les négociants.
Le Kama est la jouissance, au moyen des cinq sens; il est enseigné par le Kama Soutra et la pratique.
Quand le Dharma, l'Artha et le Kama se présentent en concurrence, le Dharma est généralement préféré à l'Artha et l'Artha au Kama. Mais pour le roi, l'Artha occupe le premier rang, parce qu'il assure les moyens de subsistance.
Toute une école, très nombreuse, fait passer l'Artha avant tout, parce que, avant tout, il faut assurer les besoins de la vie.
En pratique, toutes les classes qui vivent de leur travail, et tous les hommes qui convoitent la richesse, suivent le sentiment de cette école.
Les Lokayatikas prétendent qu'il n'y a pas lieu d'observer le Dharma, parce qu'il n'a en vue que la vie future dans laquelle on ignore s'il portera ou non son fruit.
Selon eux, c'est sottise que de remettre en d'autres mains ce que l'on tient. En outre, il vaut mieux avoir un pigeon aujourd'hui qu'un coq de paon demain, et une pièce de cuivre que l'on donne vaut mieux qu'une pièce d'or que l'on promet.»
Réponse à l'objection:
«1° Le livre saint qui prescrit les pratiques du Dharma ne laisse place à aucun doute.
2° Nous voyons par expérience que les sacrifices offerts pour obtenir la destruction de nos ennemis ou la chute de la pluie portent leur fruit.
3° Le soleil, la lune, les étoiles et les autres corps célestes paraissent travailler avec intérêt pour le bien du monde.
4° Le monde ne se maintient que par l'observance des règles concernant les quatre castes et les quatre périodes de la vie.
5° On sème dans l'espérance de récolter.»
On ne doit point sacrifier le Kama à l'Artha parce que le plaisir est aussi nécessaire que la nourriture. Modéré et prudent, il s'associe au Dharma et à l'Artha. Celui qui pratique les trois est heureux dans cette vie et dans la vie future. Tout acte qui se lie à la fois aux trois ou seulement à deux ou même à un seul des trois peut être accompli. Tout acte qui, pour satisfaire l'un des trois, sacrifie les deux autres, doit être évité (par exemple, un homme qui se ruine par la dévotion ou le libertinage est insensé et coupable)[6].
[Note 6: Au temps de Vatsyayana, la philosophie Sankia et le Bouddhisme avaient complètement discrédité, au moins dans les hautes castes, les pratiques du Dharma brahmanique; ce n'était plus guère qu'une superstition populaire. On s'en aperçoit à la pauvreté des arguments que Vatsyayana oppose aux Lokayatikas.
On voit que le Dharma, I'Artha et le Kama avaient chacun des partisans exclusifs dont les préférences dépendaient de leur situation: quelques-uns choisissaient seulement deux de ces trois termes. Barthriari dit (Amour, stance 53): «Les hommes ont à choisir ici-bas entre deux cultes: celui des belles qui n'aspirent qu'à jeux et plaisirs toujours renouvelés, ou celui qu'on rend dans la forêt à l'Etre absolu.»]
Une partie des cent mille commandements, particulièrement ceux qui se rapportent au Dharma, forment la loi de Svayambha. Ceux relatifs à l'Artha ont été compilés par Brihaspati, et ceux qui concernent le Kama ou l'amour ont été exposés dans mille chapitres par Nandi, de la secte de Mahadéva ou Civa[7].
[Note 7: Vatsyayana, on le voit par les mots en italique, prétend qu'il se borne à reproduire des préceptes édictés par la divinité depuis l'origine des choses et par conséquent obligatoires.]
Les Kama Shastras (codes de l'amour) de Nandi furent successivement abrégés par divers auteurs, puis répartis entre six traités composés par des auteurs différents, dont l'un, Dattaka, écrivit le sien à la requête des femmes publiques de Patalipoutra; c'est le Shastra ou Catéchisme des courtisanes[8].
[Note 8: De même que le Shastra des courtisanes de l'Inde a été écrit à leur requête, le 3e livre de l'Art d'aimer a été composé par Ovide, à la demande des femmes galantes de Rome: «Voici que les jeunes beautés, à leur tour, me prient de leur donner des leçons. Je vais apprendre aux femmes comment elles se feront aimer. L'homme trompe souvent, la femme est bien moins trompeuse. La déesse de Cythère m'a apparu et m'a dit: «Qu'ont donc fait les malheureuses femmes pour être livrées sans défense comme de faibles troupeaux à des hommes bien armés. Deux chants de tes poésies ont rendu ceux-ci habiles aux combats de l'amour. Il faut aussi que tu donnes des leçons à l'autre sexe. Tes belles écolières, comme leurs jeunes amants, inscriront sur leurs trophées: «Ovide fut notre maître.»]
Après avoir lu et médité les écrits de Babhravya et d'autres auteurs anciens, et avoir étudié les motifs des règles qu'ils ont tracées, Vatsyayana, pendant qu'il était étudiant en religion (comme en Europe étudiant en théologie), entièrement livré à la contemplation de la divinité, a composé le Kama-Sutra, résumé des six Shastra susdits, conformément aux préceptes du saint Livre, pour le bien du monde. Cet écrit n'est point destiné uniquement à servir nos désirs charnels. Celui qui possède les principes de la science du Kama et qui, en même temps, observe le Dharma et l'Artha, est sûr de maîtriser ses sens.