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AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR

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Depuis que cet ouvrage a été traduit, Walther Rathenau est mort, assassiné en pleine activité, payant ainsi de sa vie l'audace de ses idées et sa volonté persévérante d'en poursuivre la réalisation dans le cadre de la République allemande.

«Dis-moi quels sont tes ennemis, et je te dirai qui tu es», pourrait-on, à son propos, paraphraser l'adage bien connu. Or, si, pendant sa vie, il était parfois permis de se demander quel était le fond de sa pensée et quelles étaient ses véritables intentions, le geste homicide, accompli par ordre par quelques sicaires réactionnaires, ne laisse plus le moindre doute à cet égard.

Ce geste a classé Rathenau parmi les adversaires les plus décidés de l'ancien régime, parmi les hommes les plus convaincus que ce sont les fautes de ce régime qui ont surtout contribué à plonger l'Allemagne et, avec elle, l'Europe entière dans le chaos et le désordre qui, si on n'y porte immédiatement remède, menacent d'engendrer de nouveaux cataclysmes dont les conséquences seront encore plus terribles.

L'Allemagne, d'après Rathenau, dans l'état où l'a laissée la guerre et qui n'était à son avis qu'une conséquence logique de son état d'avant-guerre, avait besoin d'être reconstruite de fond en comble, mais, dans son esprit, la reconstruction de l'Allemagne ne pouvait se faire qu'en fonction de la reconstruction générale de l'Europe, et même du monde entier, la guerre ayant montré que, sous des dehors en apparence différents, tous les pays, toutes les nations souffraient des mêmes maux, présentaient les mêmes vices et les mêmes faiblesses.

Avant la guerre, les Allemands étaient fiers de ce qu'ils appelaient leur «esprit d'organisation» et considéraient avec mépris les autres peuples, les peuples latins et slaves en particulier, qui, eux, «n'auraient pas encore dépassé la phase de l'individualisme». Ceux-ci, à leur tour, objectaient aux Allemands que leur fameuse organisation n'était qu'une organisation de caserne, une organisation fondée sur la soumission passive et aveugle, et vantaient les mérites de l'initiative individuelle et de l'esprit d'improvisation.

La guerre est venue révéler aux uns et aux autres qu'ils avaient également tort et raison à la fois. Elle a montré, d'une part, que dans la complication de la vie moderne l'initiative individuelle et l'esprit d'improvisation ne peuvent engendrer que le gâchis et le désordre et, d'autre part, que l'organisation à l'allemande n'était «qu'une organisation de surface, reposant sur une hiérarchie de classes, voire de castes, qui n'excluait ni l'arbitraire, ni la plus profonde méconnaissance des intérêts de la collectivité et de ceux des générations futures».

Le mérite de Rathenau consiste à n'avoir pas attendu la fin, ni même l'explosion, de la guerre, pour apercevoir les vices et les mensonges de l'organisation allemande, pour déclarer qu'entre cette soi-disant «organisation» et l'absence d'organisation dans les autres pays il n'y avait guère de différence, que l'une et l'autre étaient également dangereuses pour la paix du monde, également pernicieuses pour le patrimoine spirituel de l'humanité, parce que l'une et l'autre se trouvaient au service de la même cause: le capitalisme, dans sa forme la plus évoluée et, en même temps, la plus inhumaine, à laquelle Rathenau lui-même a donné le nom de «mécanisation».

Dès 1910, c'est-à-dire à une époque où, selon sa propre expression, sa voix «se perdait encore dans le bruit des affaires et des jouissances», il avait commencé à exposer ses idées, fruit d'une profonde méditation et d'une analyse objective et impartiale des faits. Grand bourgeois, doué d'une vaste culture, placé à la tête d'une des plus grandes affaires de son pays (l'Allgemeine Elektrizitaets-Gesellschaft), à la fois homme de pensée et d'action, Rathenau se trouvait dans une situation exceptionnellement favorable pour juger à sa valeur le système capitaliste, pour en reconnaître les avantages et les mérites et en dénoncer les excès et les périls, pour indiquer enfin ou, tout au moins, pour rechercher les moyens susceptibles d'augmenter ceux-là, de conjurer, sinon de supprimer totalement, ceux-ci.

Tout en soumettant le capitalisme à une critique pénétrante, tout en en faisant ressortir sans ménagements tous les vices et tous les abus, tout en montrant que, s'il est une source de richesses et de jouissances pour quelques-uns, il est une cause d'esclavage et de misère héréditaires pour le plus grand nombre, Rathenau n'a donné son adhésion à aucune doctrine économique et sociale définie, à la doctrine socialiste moins qu'à toute autre. À ses yeux, le capitalisme est une phase nécessaire dans l'évolution de l'humanité, et il subsistera tant qu'il restera encore un seul coin de la planète inexploré, une seule force de la nature indomptée et inutilisée. Le capitalisme est le seul système pouvant et devant permettre à l'homme d'affirmer sa maîtrise de plus en plus grande sur les forces aveugles de la nature. C'est pourquoi il est, dans son essence même, un système foncièrement humain. Mais s'il affecte les formes inhumaines que nous lui connaissons; si, au lieu d'être un facteur de solidarité entre les peuples, il les oppose les uns aux autres dans une hostilité permanente; si, au lieu d'étendre ses bienfaits à tous les fils d'un même peuple, il crée non seulement des classes, mais de véritables castes ennemies, incapables de se comprendre les unes les autres, cela tient, encore une fois, non au capitalisme comme tel, mais à la fausse direction que des générations successives lui ont imprimé, en considérant comme un but ce qui n'était qu'un moyen. Oui, le capitalisme n'est qu'un moyen destiné à affranchir l'homme de la fatalité naturelle et sociale, à mettre à la disposition de chacun une quantité de biens suffisante pour lui assurer une vie humaine, au sens le plus large et le plus profond du mot.

Au lieu de cela, que voyons-nous? Des millions d'hommes manquant du plus nécessaire, au milieu de la production la plus intense et la plus effrénée, des millions et encore des millions d'hommes voués à un travail d'esclaves qui ne suffit même pas toujours à leur assurer leur pain quotidien, à côté de quelques milliers d'individus monopolisant tous les biens de la terre. Nous voyons la répartition des matières premières, la production d'objets fabriqués et manufacturés s'effectuer au hasard, selon les caprices ou les faux calculs des dirigeants de l'industrie qui ne tiennent aucun compte des besoins essentiels et véritables du pays et s'appliquent, au contraire, par la fabrication d'objets et d'articles toujours nouveaux, ne répondant le plus souvent à aucune utilité, à provoquer des besoins artificiels, à favoriser la passion du faux luxe, à satisfaire le mauvais goût par la camelote et l'article de bazar. Gâchis, désordre, gaspillage de forces et de richesses: voilà ce qui caractérise le capitalisme contemporain qui, pour se maintenir, n'a trouvé rien de mieux que de créer dans chaque pays, au sein de chaque nation, deux castes, deux peuples, le peuple des riches et le peuple des pauvres, séparés par un fossé infranchissable, mais tous deux également attachés au côté purement matériel de la vie, également «mécanisés».

Nous engageons le lecteur à lire attentivement les pages âpres et mordantes que Rathenau consacre à la critique du capitalisme moderne. C'est un réquisitoire impitoyable, d'autant plus impressionnant qu'on ne le sent inspiré par aucune haine ou passion de parti.

Les solutions pratiques préconisées par Rathenau comme remède à l'état de choses qu'il vient d'analyser se résument en un seul mot: «organisation»; organisation de la répartition des matières premières, organisation de la production, organisation de la consommation, au sein de ce qu'il appelle l'«État populaire», dont il cherche à ébaucher la forme. Cette partie positive de l'ouvrage est beaucoup plus vague que sa partie négative, et il ne pouvait d'ailleurs en être autrement, car Rathenau n'était rien moins que doctrinaire et ne se vantait pas de posséder la panacée infaillible, propre à transformer du jour au lendemain notre pauvre monde malade en un séjour paradisiaque. Il a saisi la première occasion qui lui fut offerte de se mettre en contact avec la vie réelle, d'intervenir activement dans les affaires de son pays, et il est à présumer que si la mort n'était pas venue mettre fin brutalement à cette activité à peine commencée, l'expérience acquise lui aurait permis de préciser ses idées sur ce que devait être cette nouvelle Allemagne, moralement et socialement régénérée, qu'il rêvait comme faisant partie d'une Europe solidaire, pacifique et heureuse.

S. J.

Où va le monde?

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