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II

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Ce livre s'attaque au cœur même du socialisme dogmatique. Celui-ci est le produit d'une volonté portant sur les choses matérielles; sa doctrine centrale est celle qui préconise le partage des biens terrestres, et son but consiste à édifier une certaine organisation économico-étatique. S'il cherche aujourd'hui à s'incorporer et à s'assimiler des idéaux empruntés à d'autres conceptions du monde, il n'en est pas moins vrai qu'il n'est pas un produit de l'esprit même qui anime ces idéaux; il n'a pas besoin de ceux-ci, qui risquent même de le troubler, car son chemin s'étend de la terre à la terre, sa foi la plus profonde a pour objet la révolte, sa force la plus grande consiste dans une haine commune, et son dernier espoir est celui du bien-être matériel.

Ceux qui l'ont fondé croyaient à l'infaillibilité de la science. Plus que cela: ils croyaient que la science possède une force rationnelle; ils croyaient à l'existence d'inéluctables lois matérielles régissant l'humanité et à la possibilité d'un bonheur terrestre mécanique.

Mais, aujourd'hui, la science elle-même commence à se rendre compte que son tissu le plus parfait n'est pour la volonté humaine que ce qu'une bonne carte est pour un voyageur: ici une chaîne de montagnes, là un fleuve, plus loin une ville et, plus loin encore, une mer; si je tourne à droite, j'arrive à tel point; si je tourne à gauche, j'aboutis à tel autre point; ce chemin-ci est plus court, cet autre plus plat; ici règne l'abondance, là on respire l'air des montagnes; ici on est en pays primitif, là en pays civilisé. Mais une carte ne peut m'indiquer le chemin qui m'est prescrit, celui vers lequel m'attirent mon cœur et mon devoir. La science pèse et mesure, décrit et explique, mais elle est incapable d'apprécier autrement que d'après des critères conventionnels. Or, sans appréciation et sans choix, il est impossible de poser des fins, et toute activité rationnelle étant orientée vers des fins et des pôles, il s'ensuit de nouveau que c'est le cœur qui, en dernier lieu, décide du devenir humain.

Dans le déroulement fatal que la conception matérialiste de l'histoire assigne au devenir cosmique, il n'y a pas place pour la volonté du cœur; et lorsque la succession probable, présumée, des valeurs humaines subit une modification, comme ce fut toujours le cas, le mécanisme aveugle, qui exerce son action sans arrêt, met la volonté humaine en conflit avec elle-même.

Poser des fins s'appelle croire. Mais la vraie foi n'est pas celle qui naît d'une inversion de désirs provoquée par une nécessité passagère et qui, une fois née, adopte à l'égard de ce qui existe une attitude de négation et transforme l'ordre cosmique en un expédient. La vraie foi a sa source dans la force créatrice du cœur, dans l'imagination nourrie par l'amour; elle crée une certaine conviction d'où les événements découlent sans aucune intervention de la volonté. Jamais les convictions ne sont suggérées par les institutions, et le socialisme, qui ne lutte que pour des institutions, reste une doctrine politique. Il a beau critiquer, supprimer des anomalies, conquérir des droits: il ne réussira jamais à transformer la vie terrestre, car seule la conception du monde, la foi, l'idée transcendante possèdent la force nécessaire pour opérer cette transformation.

Mais si l'insuffisance du socialisme est évidente, il ne s'ensuit pas que ceux-là doivent s'en réjouir qui le combattent par attachement commode à ce qui existe, par crainte de sacrifices, par paresse du cœur.

Les sacrifices qu'exigent les temps nouveaux sont plus durs, les services qu'ils réclament sont plus pénibles et la récompense extérieure qu'ils promettent est moindre que dans le domaine social proprement dit. Ils exigent, en effet, plus que le renoncement aux biens matériels: le renoncement à nos vanités les plus chères, à nos faiblesses, vices et passions, et cela au profit de sentiments et d'actions que nous vantons en théorie, mais que nous méprisons dans la pratique, au profit de la conviction que ce n'est pas le bonheur qui est le but de notre existence, mais l'accomplissement d'une tâche, que ce n'est pas pour nous que nous vivons, mais pour remplir les commandements de Dieu.

Et, cependant, l'humanité finira par s'engager dans cette voie, non parce qu'elle le doit, mais parce qu'elle le voudra, parce que l'évidence de la foi rendra tout retour en arrière impossible, parce qu'elle se sentira envahie par le bonheur du vouloir divin. Elle sera en butte à l'hostilité, aux railleries, aux persécutions; aucune épreuve ne lui sera épargnée, pas même la malédiction de ceux dont elle prépare la rédemption et qui lui réservent des châtiments pour le tort qu'elle leur cause. L'ingratitude bénira son chemin, des tourments l'accableront à chaque pas, mais, humblement orgueilleuse, elle se réjouira de chaque pas douloureux qui la rapprochera de la lumière.

Ce ne seront ni la crainte ni l'espérance qui la pousseront à agir ainsi, car ni l'une ni l'autre ne sont de véritables mobiles d'action, et l'on peut en dire autant de la recherche rationnelle de l'équilibre mécanique, de la bonté et même de la justice. Les vrais mobiles d'action, les seuls capables de nous décider à accomplir de grandes choses, sont la foi inspirée par l'amour, la profonde nécessité et la volonté divine.

Où va le monde?

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