Читать книгу LA ROUTE DES HIPPIES - TOME 1 - Wolfgang Bendick - Страница 7
1.4. ACCIDENT HYPOTHETIQUE MAXIMAL
ОглавлениеVoici que surgit un chantier : On ne peut pas dire qu’il ne se passe rien sur les routes ! J’avais bien remarqué déjà de loin les nuages noirs et je pensais pouvoir passer sans encombre, mais voilà, je me retrouve tout à coup surpris par une averse, et je n’ai même pas le temps d’enfiler mes vêtements de pluie ! Je ne vois rien à travers les lunettes embuées que je relève sur le casque. J’essaye de protéger mes yeux avec une main, mais j’ai besoin des deux pour tenir le guidon ! Je tourne la tête un peu de côté pour ne pas recevoir les gouttes d’eau en plein dans les yeux qui me picotent comme des grains de sable, et je sens l’eau me remonter le long des manches et redescendre depuis la nuque le long du dos. Mes bottes de cuir sont déjà depuis longtemps pleines à ras bord, et tous les véhicules en sens inverse me couvrent d’une flaque de boue. Les nids de poule remplis d’eau sont invisibles, je les ressens d’autant plus jusque dans les bras. S’arrêter sur le bord du talus détrempé ? Les voitures me déverseraient un torrent d’eau et seraient prêtes à me rouler dessus. Peut-être vais-je bientôt trouver un endroit propice, mais s’arrêter est plus facile que redémarrer…
Avec toute cette eau, j’étais convaincu que l’allumage et la dynamo étaient touchés. Je me dis que tant que le moteur tournait et était chaud, je continuerais, je n’avais pas besoin de le couper, il le ferait de lui-même. En plus j’étais mouillé de la tête aux pieds, avec pour désagrément supplémentaire le fait que l’eau avait trouvé à présent le chemin de mon dos et s’infiltrait le long de mes fesses… Je pilotais mon sous-marin à travers la gadoue et l’écume. Les yeux en feu, ma seule consolation était d’arriver à poursuivre ma route.
A peine m’étais-je habitué à cet univers aquatique que le mauvais temps cessa soudain, aussi vite qu’il était arrivé. Un soleil éblouissant perçait l’horizon et chassait les nuages menaçants vers le nord. Je préférais continuer encore un moment sur la route toute fumante, pour bien faire sécher le moteur de l’extérieur et surtout de l’intérieur. Une eau mi brunâtre, mi jaunâtre, se répandait dans les cuvettes en direction de la vallée, creusant dans sa course folle rigoles et fossés. Etait-ce mon imagination, ou bien la nature commençait-elle de toute part à reverdir ? Un chemin de campagne adossé à une colline bifurquait sur la droite et empruntait une étroite vallée. Je coupai les gaz, bifurquai, et le suivis sur quelques centaines de mètres. Il était recouvert de cailloux et portait mon attelage, et à la sortie d’un virage apparut un bosquet ainsi qu’une petite prairie verdoyante au milieu d’éboulis couleur ocre. C’était l’endroit rêvé ! Il ne me restait plus qu’à positionner la moto dans le sens de la pente, couper le contact et mettre pied à terre. Mais ce fut plus vite dit que fait, mon corps tout engourdi ayant le plus grand mal à descendre de la selle, et mes doigts peinant à trouver la fermeture éclair de ma veste ! Comme tétanisé et dépourvu de toute sensation, je me hasardai en titubant à faire quelques pas, tel un chevalier dans son armure, sautillant et remuant les bras comme un moulin à vent. Au bout de dix minutes laborieuses, je parvins à enlever mes bottes qui me collaient aux pieds comme des ventouses, après avoir au préalable coincé le talon entre le cadre de la moto et le side-car. Après ça, mes mains avaient retrouvé assez d’agilité pour ouvrir la fermeture éclair de la veste. Le pantalon collait à mes jambes, je n’arrivais pas avec mes doigts gourds à sentir le contact des boutons de ma chemise dont certains s’étaient détachés. Pour finir je me retrouvai entièrement nu !
J’ouvris le side-car qui était aussi trempé que mes affaires dans mon sac de marine, me frottai avec une serviette à moitié sèche pour me masser la peau qui était comme bouffie, en ayant la sensation d’être une espèce d’eunuque après un bain dans l’eau glacée ! Le soleil raviva soudain tous mes sens et me procura une chaleur bienfaisante sur la peau, tandis que quelques oiseaux gazouillaient alentour et que le parfum de la terre humide s’élevait de toute part. Avec un léger crépitement le moteur refroidit, je posai mon poncho de l’armée par terre, recouvert de mon sac de couchage légèrement humide, et me laissai tomber à terre, épuisé, tout nu et secoué encore par le long trajet.
L’humidité de ma peau qui commençait à se raffermir était largement aspirée par le soleil dont la chaleur pénétrait de plus en plus maintenant mon corps endolori, lui conférant une nouvelle force comme le ferait un chargeur sur une batterie. La chaleur revenant, je tendis une corde entre les arbres pour y suspendre tout mon linge humide. Comme elle était trop courte, je la rallongeai avec le câble de remorquage sur lequel je suspendis le reste des vêtements. Je posai les bottes sur les rétroviseurs et le sac de couchage sur les branches d’un arbre, et au moyen de chaussettes trouées, j’écopai l’eau du side-car. Comme la faim et la soif commençaient à m’envahir, je me fis réchauffer sur le réchaud une grande casserole de thé et une autre de soupe et ouvris avec mon couteau finlandais une boîte de corned-beef de mes réserves militaires, accompagnée « de disques d’embrayage », ces tranches de pain complet que nous appelions ainsi et que je m’empressai d’avaler goulument avec les deux mains à la fois. Quel délice ! J’allai m’allonger à l’ombre mais en maillot de bain, en espérant qu’un jeune éphèbe errant ne me prenne pas pour Daphné dans mon sommeil !
J’étais en Macédoine, entouré de nymphes vêtues de voiles transparents, m’effleurant comme le souffle du vent dans une danse suggestive, sous l’égide d’une jeune fille blonde, image qui ne m’était pas étrangère, tout ça pour finir en fait par une simple rasade de schnaps ! « Approche, Prince des Chemins de l’Aventure, attrape-nous ! Celle que tu saisiras sera tienne ! » J’aurais aimé que ce soit celle qui les guide et m’a ensorcelé de son regard, pouvoir bondir à sa poursuite et la rattraper. Et la voilà qui prenait la fuite en s’écriant : « A dans un an et demi ! » Je sortis lentement de mon rêve pour retourner à la dure réalité de l’obscurité profonde et de la fraicheur de la nuit dans le bruissement des feuilles et le balancement des branches d’arbre. Je me sentais paralysé par le froid. Les événements reprirent lentement leur cours normal, et en quelque sorte tout était bien qui finissait bien ! A présent mes yeux en quête des nymphes cherchaient à pénétrer l’obscurité, et à la vue de la splendide voûte céleste qui m’enveloppait, je rampai dans mon sac de couchage. « Dire que je suis là quelque part au milieu de nulle part ! » pensais-je alors. Alors qu’une étoile filante dessinait sa longue trajectoire à travers les cieux, le vœu d’une nymphe à mes côtés me parcourut l’esprit et je m’endormis.
Le lendemain matin la routine reprend ses droits : A dix heures, le linge humide de la rosée du matin est à nouveau sec, et je cherche du regard les nymphes pour les remercier, mais elles doivent apparemment se livrer ailleurs à leurs divertissements…Comme je trouve que le starter du kick a trop de jeu, je lui fais faire lentement un quart de tour environ, jusqu’à ce que je sente une résistance, puis retour en arrière et pour finir plein pot. Le résultat ne se fait pas attendre ! Et voilà, à présent direction le sud ensoleillé ! Par endroits la route est recouverte de boue ou de graviers qui bouchent les fossés. La ville de Skopje est toute proche. Il y a quelques années cette ville avait été quasiment rasée par un tremblement de terre meurtrier. Elle est à nouveau reconstruite plus grande et plus haute qu’auparavant, trônant fièrement sur une colline avec ses façades scintillantes sous la lumière du soleil. C’est de ce coin de terre qu’étaient originaires Alexandre le Grand et Mère Térésa, la Sainte de Calcutta. Sur une des collines se dresse menaçante une forteresse aux tours anguleuses, tandis que des minarets et des clochers surplombent la vieille ville. Par chance un large périphérique avec une légère déclivité ascendante entoure la ville. Je l’emprunte, ce qui me permet d’avoir un regard d’ensemble sur les environs. Les prairies et les champs verdoyants au-dessous dans la plaine sont entrecoupés par la rivière Vardar, alors que plus haut les flancs des collines plutôt secs ne sont fréquentés que par des troupeaux itinérants. Les averses de la veille ont modifié le paysage à présent recouvert d’un voile de verdure aux effluves de printemps. Depuis les hauteurs mon regard plonge un peu plus vers le sud, avec en arrière-plan la Grèce qui m’attend aujourd’hui peut-être ? Toujours est-il qu’il serait mieux de faire étape pour la nuit un peu avant ou après la frontière, en tout cas pas à la frontière même. Les gens dans les villages frontaliers sont grisâtres, à l’image des frontières et de leurs maisons où chacun vaque à son business ou à d’autres affaires plus ou moins obscures.
Face à moi s’étend tel un livre d’images grand ouvert la Macédoine, ancienne patrie d’une des cultures les plus florissantes dont le mode de pensée fut le socle de notre démocratie, le point de départ du plus grand empire mondial, et une contrée digne d’un voyage à elle seule. Néanmoins ma destination finale est l’Asie, afin de mettre un peu de distance entre moi et ma patrie, à l’instar d’une fusée qui doit d’abord vaincre l’attraction terrestre avant de voler librement dans l’espace…
Je me délecte à donner libre cours à de telles pensées, lorsque soudain se produit une secousse : la roue arrière se bloque avant de se libérer, puis le moteur fait un bruit de broyeur qui se transforme en un battement sonore. Rapidement je débraye, j’enlève la vitesse et laisse l’attelage rouler le plus loin possible de la route, en direction du talus où il finit par s’arrêter de lui-même. J’ôte la clef de contact, mais le moteur a déjà cessé de tourner. Je me mets à paniquer en voyant derrière moi s’élever un nuage d’huile qui répand une odeur pour le moins peu engageante, laissant présager de plus graves dommages. Est-ce là la fin du voyage ? Pas question ! Même si je dois continuer à pied ! Dois-je réparer ? Je remets la décision à demain. En attendant, les mains tremblantes, je bourre ma pipe et l’allume, laissant s’échapper en même temps fumée et mauvaise humeur, assis sur mon mammouth inerte et le regard errant à la ronde. Je me dis que j’ai de la chance que mon mammouth ait rendu l’âme sur le contrefort d’une colline et qu’en fin de compte je l’ai bien dressé ! Un peu en contrebas je reconnais quelques caravanes, tentes et voitures, et non loin de là une maison en pierres, ce qui me laisse penser qu’il s’agit d’un camping. Je pousse un peu mon side-car, saute dessus et le laisse rouler, avant de bifurquer peu après sur un chemin d’accès qui m’amène en quelques minutes sur une place. Ouf !
A peine suis-je descendu de la moto que je suis entouré d’une meute d’enfants qui dorénavant seront partout dans les mois à venir mon premier comité d’accueil ! Ce sont ensuite les premiers adultes qui sortent de l’ombre, tous le teint basané, de grosses bagues reluisantes au bout des doigts, certains arborant même des dents en or. Le destin m’a conduit dans un campement de tsiganes, ce qui parait somme toute logique puisque je fais partie moi aussi en quelque sorte des gens du voyage. Des questions fusent de toute part, ne trouvant pour seule réponse de ma part que : « Moi pas comprendre, moi Allemand ! ». C’est alors que d’un geste de la main le chef appelle un garçon d’environ 18 ans prénommé Januz ou quelque chose comme ça, qui parle un peu allemand et me demande de l’appeler par son prénom allemand Hans. Je lui explique ma situation et lui demande s’il m’est possible de rester ici quelques jours, le temps de la réparation et contre un défraiement, cela va de soi. Tandis qu’il se tourne vers les autres pour leur expliquer fièrement et à grand renfort de gestes mon problème, que les enfants autour de lui sont tout à l’écoute de son récit et que les femmes papotent par derrière, la main devant la bouche pour éviter que je ne lise leurs paroles sur leurs lèvres et que je ne découvre leurs dents abimées recouvertes d’or, une brève discussion s’engage entre les hommes.
Un homme à la barbe de plusieurs jours et de stature imposante s’avance alors en arborant son dentier en or et me serre la main, tout en me tapotant sur l’épaule. « Okay ! » dit-il en tentant de m’attirer de côté, alors qu’il est hors de question que j’abandonne le side-car au milieu des enfants inquisiteurs, craignant que quelque chose ne disparaisse ! J’ai en effet grandi dans un pays où les tsiganes sont suspectés de tous les méfaits, voire même de voler les enfants pour les vendre ! Je demande à mon jeune traducteur où je peux poser ma tente, suite à quoi il me montre un emplacement plat un peu à l’écart de leur campement, ce qui me laisse présager leur méfiance à mon égard. Tandis que je grimpe sur mon side-car, une horde d’enfants se mettent à me pousser à grand renfort de cris de joie, formant autour de moi un cercle étroit qui me laisse peu de place pour avancer. Je redescends de ma moto, pose des pierres devant et derrière les roues, sous le regard inquisiteur des adultes à l’arrière-plan.
A la suite de ma requête auprès de Hans, les enfants s’éloignent un peu et me laissent la place de déballer mes affaires et de monter la tente, puis disparaissent en un éclair. Il aura suffi d’un mot et d’un geste de la main du chef pour qu’ils obtempèrent. Quant à moi, prudence, pas question d’offenser qui que ce soit par mégarde, je vois bien peu à peu qu’ils ont un code de conduite différent du mien. Seuls les adultes restent à proximité et m’observent assis dans l’ombre pendant que je décharge mes affaires et monte la tente. Ils ont bien compris que je suis inoffensif. Seul Hans qui veut voir tout ce que j’ai, peut-être dans l’espoir que je lui offre quelque chose, reste collé à mes basques. Le chef en face me fait comprendre d’une voix tonitruante que je peux et dois même diner avec eux pour ne pas vexer sa famille, et malgré mes velléités de refus, je finis par accepter, ce qui va après tout m’épargner une séance de cuisine !
Au fur et à mesure que des véhicules entrent dans le campement, les conducteurs dévisagent le nouveau venu que je suis. Hans, tout à sa fierté d’être aujourd’hui le héros de la situation, explique à ses oncles et tantes de quelle planète je viens et pourquoi j’ai atterri ici, ce qui me donne un peu d’air pour respirer et me permet de cacher dans la tente à leur insu quelques objets, comme la radio et des appareils photo que je ne souhaite pas qu’ils voient. Mais le voilà déjà de nouveau à mes côtés, en train de m’expliquer que ses oncles et tantes sont rentrés du travail, qu’ils réparent tout si besoin et font commerce de tout. Des coffres des voitures ils extraient alors légumes, pain, bouteilles, tout le nécessaire de la maison, et même quelques sacs qui s’agitent au moment où ils les posent par terre, et d’où une des femmes extirpe quelques poulets en colère. Deux s’échappent en piaillant, courant en tous sens dans le camp et poursuivis par la meute des enfants qui font de même, le tout sous un nuage de plumes. Ils s’enfuient du campement et sont rattrapés par les chiens, et avant d’être exterminés par eux une femme les chasse d’un coup de pied en guise de récompense. Ceux-ci semblent être habitués à ce genre de traitement et savoir que quelque chose de leur butin leur reviendra plus tard.
A cause de ce brouhaha dans le camp, je n’arrive pas à fixer mes pensées. A en juger par la situation c’est l’heure de la pause, et la leçon du jour est que durant tout voyage il ne s’agit pas de prévoir à l’avance, mais d’envisager un tel dénouement qui aurait pu d’ailleurs être pire. Cela aurait pu ainsi être le cas, lorsque récemment dans un virage imprévisible un poids lourd en train d’en doubler un autre se retrouva soudain en face de moi. Je ne sais même pas comment j’ai réussi à faire un écart qui m’a certes permis d’éviter le choc, mais m’a presque fait dévaler le talus et ramené sur l’asphalte après un bref dérapage sur le gravier. Dans ce genre de voyage il faut se faire à l’idée que l’on n’est guère maître des événements du quotidien, et que si on veut l’être il faut rester chez soi, en évitant de penser que la plupart des gens meurent dans leur lit, en tout cas ceux qui en ont un… A mon retour si les copains me demandaient comment ça s’est passé, le pire qui pourrait m’arriver serait d’avoir à dire : « Super, comme sur des roulettes ! », car l’aventure en fait ne commence que quand les choses vont de travers. Ces pensées me redonnèrent le moral, et pour ce qui est de la moto il serait toujours temps de décider demain, car aujourd’hui il y avait un repas de fête prévu avec les tziganes !
La nuit commençait à tomber, j’avais aménagé ma tente, ça sentait bon les oignons de printemps, des rires parvenaient jusqu’à moi depuis l’extrémité du camp où femmes et jeunes filles étaient occupées à cuisiner. J’étais sûr qu’elles parlaient de moi et me prenaient peut-être en tant que mari pour une célibataire timide. Le campement se trouvait dans une petite cuvette agrémentée en son centre du mur circulaire d’une fontaine asséchée, utilisée comme container à déchets. Dans la maison en pierres dont je ne pouvais dire si elle avait déjà été habitée ou inoccupée de tous temps, il y avait un robinet qui servait à se laver et à prendre de l’eau, les buissons alentour faisant office de toilettes. « Attention aux serpents ! » me dit Hans. Les caravanes et les tentes disposées en cercle et qui bénéficiaient tout autour d’un emplacement réservé à leurs occupants et leurs voitures étaient en bon état, tout comme les véhicules. Je crois que les grands repas en commun faisaient exception. Les femmes portaient des habits plutôt traditionnels avec des châles de toutes les couleurs autour du cou et des épaules, les hommes étaient vêtus pour la plupart de costumes, quant aux enfants c’étaient eux qui avaient le moins d’exigences, surtout pour ce qui est des chaussures. Non loin du puits couvait depuis déjà le crépuscule naissant un feu alimenté par des palettes et des caisses de bois, diffusant une chaleur suffisante pour faire cuire dans de grandes marmites posées sur des cailloux les aliments préparés. On m’appela et j’avais déjà remarqué qu’une forte hiérarchie régnait au sein du groupe, confirmée par une réaction immédiate aux appels des plus âgés, afin d’éviter que la situation ne dégénère en cris et insultes.
Tandis que les femmes étaient occupées aux préparatifs du repas, les jeunes enfants à proximité et avides de quelques gourmandises recevaient le plus souvent de petites tâches à accomplir, les plus grands quant à eux se pressant auprès des adultes pour percevoir quelque chose de leur conversation, avant d’être rappelés à l’ordre et repoussés par un cri ou un geste de la main. Le système me semblait très régulé, avec à sa tête le grand-père de Hans qui prenait peu part au déroulement des événements, mais semblait par contre être la personne la plus respectée du clan. Comme ils étaient tous apparentés, je n’ai jamais su vraiment si celui qui m’avait donné au départ l’autorisation de monter ma tente et paraissait être le régisseur en chef était son fils et le père ou l’oncle de Hans. J’appris bientôt que certains venaient de l’extérieur et s’étaient mariés avec des membres du clan, ce qui s’avérait important pour la répartition des rôles. Hans avait beaucoup de frères et de sœurs, des plus âgés qui avaient déjà des enfants, et des plus jeunes, encore enfants. Il me montra du doigt un oncle et une cousine, enfin du moins me semblait-il, car ils étaient trop nombreux. Quarante ? Cinquante ? Il y avait toujours du mouvement, certains arrivaient, d’autres partaient. « Il y a beaucoup de travail dans la région ! » m’expliqua mon traducteur.
Ensuite nous nous assîmes autour du feu, plus ou moins en petits groupes, sur des chaises de camping ou en bois dont la cannelure était pour certaines défectueuses, d’autres toutes neuves, ce qui me fit en déduire qu’ils les réparaient aussi. Le repas fut copieux et sentait si bon qu’il avait aiguisé mon appétit, bien que j’aie observé les préparatifs d’un regard un peu critique, comme le tout était préparé au sol et avec les moyens les plus rudimentaires. Il était évident que le chef et les anciens devaient être servis en premier. On me passa une assiette remplie à ras bord que je disposai sur mes genoux, et je mangeai avec les mains pour faire comme les autres. « C’est bon ? » s’exclama le chef depuis l’autre bout de la table, arborant ses deux rangées de dents en or étincelantes à la lueur du feu. « Super bon ! » rétorquai-je, en faisant avec la main libre le signe des plongeurs quand tout est ok, pour m’assurer qu’il m’avait bien compris. J’étais même convaincu qu’il comprenait l’allemand !
Dans un rire bruyant il me tendit la cuisse de poulet qu’il était en train de ronger et que je m’apprêtais à refuser, lorsque Hans assis à mes côtés me chuchota en me poussant du pied : « Mange ! Sinon, il va le prendre pour une offense ! », ce qui me remémora une blague : c’est une fille qui demande à sa copine : « Qu’y-a-t-il aujourd’hui au menu ? ». Cette dernière lui répond : « De la langue de bœuf ! ». La première réplique alors : « igitt ! je n’aime pas ça ! ». « Ah bon ! Pourquoi donc ? », rétorque sa copine. « Je ne mange pas ce que les autres ont déjà eu dans la bouche ! »
Quant à Hans, si je ne l’avais pas toujours eu à mes côtés, mon séjour n’aurait certes pas été aussi agréable, mais par contre très certainement plus problématique. Avait-il reçu pour mission de faire office pour moi de surveillant, sous prétexte que les tsiganes traitent les autres avec autant de défiance que nous ne le faisons à leur égard, ou bien agissait-il ainsi parce qu’il parlait allemand, ce qui lui conférait de l’importance ? Devant un verre de bière et de vin et au rythme des chants et des danses, deux hommes jouèrent de la guitare. Hans me murmura à l’oreille : « Ne danse pas, même si une fille t’y invite, ça peut te jouer de mauvais tours, à toi et à elle aussi ! » Il n’eut pas besoin de me le dire deux fois, car je n’étais pas de toute façon un bon ours de cirque. A cet instant je songeais à Manon, ma nymphe, en tâtonnant autour de mon cou pour vérifier si son bandeau de cuir était bien toujours là…
Je me réveillai tard comme tout le monde. Beaucoup de voitures étaient déjà parties, ce qui me laissait supposer qu’il y avait des lève-tôt dans le camp. Les chiens avaient enlevé les dernières traces du repas de fête de la veille et des poulets. Il pouvait bien se présenter qui voulait… Si un chien osait approcher trop près, il était chassé d’un coup de pied. Quant aux enfants, il suffisait la plupart du temps de lever le ton ou de faire un geste de la main. Contrairement à ce qu’il soutenait, il m’était difficile de croire que Hans n’avait jamais été frappé…
A cause de la soirée de la veille et de la nuit courte, j’avais complètement oublié de me préoccuper de ma moto. Mais à quoi bon trop se préoccuper à l’avance ? Les décisions rapides sont source d’économie de temps… C’est ainsi que je décidai de donner à mon mammouth une dernière chance et me mis aussitôt à démonter le cylindre gauche. Je dis à Hans que je n’avais pas besoin de son aide. Il comprit et me dit à son tour de l’appeler si besoin, car il restait par là. Il s’apprêtait alors à repousser d’un geste de la main quelques enfants restés à proximité, lorsque je lui rétorquai : « Laisse- les faire, du moment qu’ils ne touchent à rien ! »
Je plaçai un grand bout de chiffon sous le cylindre pour ne rien perdre de ce qui tombait par terre. J’enlevai le pot d’échappement, démontai le carburateur, ôtai la bougie noyée d’huile et de copeaux, puis la culasse. Il n’y avait plus que la bielle qui me défiait du regard, avec en travers l’axe du piston. Le piston était entièrement rongé, réduit en poudre dans le carter d’huile, et qui sait peut-être même dans le silencieux… Les soupapes étaient tordues, il y en avait même une de cassée, quant au carter d’huile, il était rempli de müesli d’aluminium ! Au moyen d’un pinceau trempé dans de l’essence, j’essayai alors de tout nettoyer. D’où cela pouvait-il bien venir ? Est-ce que c’était une soupape qui s’était cassée, ou un segment ? Ou le piston s’était-il cassé ? C’était quasiment impossible ! Peut-être un graissage insuffisant, ou la culasse trop réduite par un fraisage, ce qui aurait poussé le piston trop vers le haut et expliquerait aussi ce bruit indéfinissable ? Ou alors une bougie trop longue, ou encore le vilebrequin qui aurait pris peut-être un léger coup auparavant ? Avec une pompe à main que je remplis d’essence, je lavai tous les copeaux de l’intérieur. Je vérifiai le jeu de la bielle avec le vilebrequin, et contre toute attente tout était normal. Néanmoins je décidai de changer la bielle.
Les enfants m’apportèrent alors une assiette avec les restes du diner, car il devait être midi. Hans pour qui le démontage des moteurs ne semblait pas être une énigme, et ce bien que j’ai du mal à me l’imaginer les mains couvertes de cambouis, me scruta par-dessus l’épaule. Pendant les quelques jours de mon séjour il arborait tout le temps un costume impeccable et des chaussures de cuir reluisantes, ce qui me faisait penser qu’il devait souvent les nettoyer dans ce campement poussiéreux !
Nous inspectâmes ensemble les dégâts qui pour une fois ne semblaient pas si conséquents. J’ouvris l’autre cylindre pour tout nettoyer, puis nous vérifiâmes avec des moyens primitifs que le vilebrequin n’avait pas pris de coup, ce qui semblait se confirmer. J’avais avec moi toutes les pièces de rechange sauf un vilebrequin que j’avais laissé à la maison dans les deux autres blocs-moteur. Il n’était certes pas question pour moi de faire demi-tour pour le récupérer. Et comment aurais-je pu faire ? Pour la première fois il me vint à l’esprit que je pourrais poursuivre ma route sans moto, ce qui me débarrasserait certainement d’un grand souci…
L’après-midi Hans vint me trouver et me dit : « Fais une pause et viens avec nous à la piscine ! », ce à quoi j’acquiesçai, d’autant plus que j’en avais assez du tournevis ! Nous partîmes à deux voitures, dans l’une femmes et jeunes filles en plus du chauffeur, dans l’autre hommes et garçons, soit huit à dix personnes à l’intérieur. Tout se passa bien, et bientôt nous nous retrouvâmes tous sous la douche où tout le monde, moi y compris, en profita pour se laver comme il faut. Après les longs moments de solitude du trajet, la piscine avec les gens bruyants me semblait être un autre monde. Sur le chemin du retour à la tombée de la nuit nous fîmes tous un tour dans les rues de Skopje, avant de nous attabler et me faire offrir une pizza, plat qui était ici aussi très à la mode.
En ouvrant la tente, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que quelqu’un avait pénétré à l’intérieur, car j’avais laissé de petits indices comme par exemple la position de la fermeture éclair et une fronce à la moustiquaire ! Tout à l’intérieur avait été fouillé, remis en place dans son ensemble, le sac de couchage avait été ouvert, apparemment rien ne manquait, même pas mes appareils photo. Quant à l’argent que je ne portais pas dans ma ceinture, je l’avais glissé sous le tapis de sol de la tente par derrière. Je renonçai à l’idée d’avertir Hans, étant persuadé qu’il était au courant, ce qui pouvait expliquer en même temps l’invitation à la piscine. De toute façon le coupable se ferait réprimander pour son mauvais travail et je préférais faire l’innocent.
Le lendemain matin, une explosion me fit sursauter avec mon sac de couchage. En me précipitant hors de la tente, j’aperçus un nuage de fumée s’élever du puits. Tout le monde accourut et regarda dans le puits, aux dires de Hans c’était son oncle qui avait jeté à l’intérieur une grenade à la vue d’un serpent venimeux. Je m’étonnai de tout ce matériel dont ils disposaient dans le campement, et me mis à nettoyer le moteur démonté au moyen d’un tuyau raccordé à une pompe de ballon de foot et d’essence. Cela aurait été plus facile avec de l’air comprimé, mais ils n’en avaient pas dans le camp, ni même de courant. En plus il ne s’agissait que de copeaux d’alu et non d’acier qui finiraient bien par s’évacuer à la prochaine vidange… Après cette opération je remontai tout, la bielle, les pistons avec leur cylindre correspondant, et une culasse « neuve » de ma collection de ferraille. Hans se tenait à mes côtés, mains dans les poches, me passait de temps à autre une clef ou tenait les tubes des tiges des culbuteurs, tandis que je replaçai la culasse. Ensuite je montai les coudes d’échappement et les carburateurs que j’en profitais pour nettoyer à nouveau de fond en comble, remettant les réglages au lendemain. C’est ainsi que se passa l’après-midi.
« Ce soir, séance de cinéma ! », me dit Hans, ce qui ne m’enchantait guère à cause de la fatigue du remontage du moteur. Mais ici dans le camp une proposition était en même temps un ordre, et donc nous partîmes comme la veille dans plusieurs voitures bondées. Bientôt nous nous retrouvâmes dans une salle géante où les rangées de sièges étaient écartées les uns des autres, et ce moins pour le confort des spectateurs que pour faciliter l’accès auprès des clients et notamment des enfants, aux marchands de glace, gâteaux, bonbons, canettes et même journaux. Ce qui avait le plus de succès, peut-être à cause de leur moindre coût, c’était des aliments à grignoter, grillés ou salés et de toutes sortes, les cacahuètes que je connaissais déjà, mais surtout des graines de potiron, de melon, de tournesol, bref de la nourriture pour oiseaux, le plus souvent conditionnée dans un cône de papier journal. C’est ainsi que toute la salle se retrouva bientôt en train de grignoter et de cracher par terre. Au début je gardais soigneusement mes coques vides dans la main, mais en voyant faire les autres, je me mis à les imiter et à les jeter à mes pieds. Les enfants les plus jeunes profitèrent de la pause de dix minutes entre le film d’introduction et le film principal pour jouer au chat ou à cache-cache, tandis que les adultes et les enfants plus grands tiraient une cigarette. Le film principal était un de ces westerns comme on en voit partout dans le monde. Quand un cow-boy était approché de près par un Indien, il était averti du danger par des cris dans la salle, et quand un couple s’embrassait, des « oh ! » et des « ah ! » retentissaient dans l’obscurité, ou bien toute la salle se mettait à applaudir. L’air était rempli d’une épaisse fumée de cigarettes qui empêchait la lueur du projecteur d’atteindre l’écran et qui flottait dans la salle sous forme d’un gros cône multicolore. Vers minuit une fois la magie dissipée et l’estomac rempli de graines, personne ne songeait plus à dîner. La salle de cinéma ressemblait à une décharge, et le personnel de nettoyage était déjà à l’ouvrage avant la dernière séance qui n’allait pas tarder apparemment. Nous déambulâmes un moment encore la nuit dans les rues de Skopje, cigarette au bec, faisant du lèche-vitrine surtout devant la lingerie féminine qui attirait autant les hommes que les femmes, tandis que les enfants jouaient à cache-cache derrière les voitures en stationnement et les arbres. Personne ne songeait à rentrer, partout à la ronde couraient dans les rues d’autres enfants, l’heure de fermeture étant un principe réservé à l’Europe de l’Ouest.
Le lendemain j’achevai le montage, fis le plein d’huile et procédai au réglage de l’allumage. Avec tant de petites mains il était facile de pousser le side-car dans un sens ou dans l’autre. Avant de remettre les bougies, Hans donna un coup de kick, et j’essayai d’entendre ou de voir s’il y avait quelque part quelque chose qui touchait ou du jeu quasiment imperceptible. Tout fonctionnait comme une montre. Je remplis d’essence le réservoir, et après quelques coups de kick tout le campement se retrouva autour de moi. D’abord rien, puis une détonation subite qui fit sursauter les enfants effrayés, retentit. Un dernier coup de kick et le moteur revint à la vie sous les applaudissements de tous ! Après un petit tour avec les enfants à ma poursuite, je fis la vidange avec le moteur à chaud. L’huile semblait propre. Je fis un nouveau tour d’essai d’une demi-heure, cette fois avec Hans dans le side-car, toujours suivi des enfants à la course, jusqu’à ce qu’il se mît à accélérer.
Nous allâmes à Skopje où j’offris pour la première fois une bière à Hans, ayant toujours été jusqu’à présent l’invité de mes hôtes. Hans me dit que mon projet était très dangereux, qu’il s’était déjà rendu plusieurs fois en Turquie et que ce n’était pas un pays sûr. Il me demanda si j’avais une arme en cas de menace ou d’attaque, ce à quoi je répondis par la négative, en tentant de lui expliquer que le slogan de ma génération était ‘love and peace’ « amour et paix », ni armes ni guerre ! Incrédule, il rétorqua en secouant la tête : « Il te faut au moins un pistolet, et je me charge de t’en procurer un ! » Après avoir fait l’achat de quelques bouteilles de vin, de trois caisses de bière, de noix et de graines de tournesol que nous chargeâmes dans le side-car, nous repartîmes en direction du camp, Hans assis sur le siège arrière de la moto. Je voulais offrir une dernière tournée, la veille au soir de mon départ.
Dans la soirée Hans vint me retrouver dans ma tente et m’apporter un petit revolver à barillet plutôt ancien avec des cartouches de calibre 22. Je me demandai s’il s’agissait d’un pistolet d’alarme dont on avait percé le canon. Il voulut l’essayer aussitôt, ce dont je le dissuadai, pas question de pétarade à cette heure-ci ! Il insista malgré mon indétermination pour que je le prenne pour 50 DM.
Le lendemain matin fut occupé à faire les bagages et à trier pour Hans quelques vêtements, dont un jeans tout neuf, quelques outils, deux jantes de roue tordues, de quoi remonter une charrette. A midi, il insista pour que je déjeune avec sa famille, puis je rendis visite au chef du clan pour le payer et le remercier pour l’accueil. Il me tapa alors sur le dos à m’en briser les côtes et me dit : « Tu as été notre hôte, tu es comme un parent éloigné, un cousin, et dans la famille on ne paye pas ! » Je pris congé de tous et j’offris aux enfants, grâce à ma mère qui avait vraiment pensé à tout, un grand paquet d’oursons à la gomme, les fameux Gummibärchen. A nouveau quelques coups de kick, un dernier adieu, les chiens m’accompagnèrent sur 500 mètres, et je leur fis un dernier salut à coups de klaxon en haut de la grande route…
L’appel de la route résonna à nouveau en moi. Je ressentis la caresse du vent en roulant, le plaisir des virages, du paysage, du bruit du moteur que j’écoutais plus attentivement après ces instants de pure béatitude. Tout en étant tout à la joie de la résurrection de mon mammouth, il me fut impossible de réprimer plus longtemps mon sens analytique qui me fit comprendre qu’il y avait encore un bruit bizarre et identique à celui précédemment entendu. Etait-ce le vilebrequin qui était légèrement tordu ? Quoi d’autre sinon ?
D’ici la frontière il restait encore 200 kilomètres à parcourir, ce qui constituait une petite étape pour l’après-midi. Alors que je pensais trouver après la frontière un endroit pour camper, un panneau apparut, indiquant que seulement 20 kilomètres me séparaient encore de la Grèce. A l’approche d’une grande courbe, je crus voir à l’œil nu le poste-frontière. Et là, une secousse, pan, pan, pan ! Puis un grand silence. Au point mort je sortis le side-car de ce virage dangereux et fis halte sur le bas-côté de la route, me disant qu’après 1650 kilomètres poussifs, j’arrivais cette fois enfin au bout du bout !...
Je me revois là, tandis que quelques larmes me montent aux yeux et que je me sens gagné par un désespoir se muant rapidement en colère contre ceux qui m’ont refilé ce tas de ferraille ! Ils ne pouvaient pas ignorer comment cet engin était monté, pourquoi sinon les deux autres moteurs ? Quelle bande d’escrocs et de menteurs ! Et puis tout à coup mon ressentiment disparait, je ne ressens plus qu’un grand soulagement, car il est à présent clair pour moi que le voyage va se poursuivre sans moto et sans les soucis quotidiens avec un engin qui tombe petit à petit en morceaux, ce qui me procure au bout du compte un profond sentiment de liberté nouvelle !
Soudain une voiture s’arrête. Est-ce que le chauffeur pourra m’aider ? Il me propose de me remorquer jusqu’à la frontière, je sors alors ma corde de remorquage, la fixe à droite de la moto au cadre du side-car et à la boule d’attelage de la voiture. On démarre doucement cette fois, comme la brise du vent, et pour la première fois je ne constate aucun bruit anormal au moteur ! A la frontière il me tire jusqu’au fond d’un grand parking où quelques autos et de nombreux poids lourds attendent leurs papiers. Je lui offre mon cric hydraulique et mes outils qu’il refuse d’ailleurs. Je lui fais alors comprendre que je vais voyager à présent avec mon seul sac à dos et me rends en direction du poste-frontière, où j’explique aux douaniers que je vais mettre mon véhicule à la casse et qu’il me faudrait un formulaire pour que quelqu’un puisse désimmatriculer mon véhicule en Allemagne. Pas de problème, pas plus que pour le stationnement sur le parking et pour camper ! Certains poids lourds sont déjà là depuis cinq jours et attendent également l’obtention de leurs papiers. Au bureau de change on me donne une feuille blanche, et j’écris une annonce : « Vends prix intéressant attelage de side-car avec équipement. », que je scotche sur leur vitre.
Quelques curieux jettent un coup d’œil en passant, ce qui me permet au demeurant de vendre le casque et quelques habits dont la veste de cuir pour presque rien, à demi-tarif. Bien que la moto ne semble intéresser personne, un douanier yougoslave me donne le lendemain l’adresse d’un collègue grec intéressé et que je rencontre, après avoir traversé le no man’s land qui conduit au poste-frontière grec. Par gestes et avec quelques bribes de grec ancien nous arrivons à nous comprendre, si ce n’est qu’il accepte le side-car qu’à condition que je le lui offre, sachant très bien que je n’ai guère d’autre exutoire. Si je veux aller plus loin, je dois en effet m’en débarrasser, et comme la nuit porte conseil je diffère ma réponse au lendemain…
Entretemps je poursuis un peu mes soldes, rassemble tout ce qu’il serait dommage de gaspiller et le dépose dans mon sac de marine, afin de l’expédier dès demain à mes parents. Je remplis mon sac à dos et un sac à bandoulière avec des vêtement de rechange, mes appareils photo et ce qui me parait indispensable à première vue, ce qui représente déjà une quantité raisonnable de 25 à 30 kg. Un acheteur qui n’a que l’équivalent de 20 DM en poche se présente pour le reste que je propose à 50 DM. Il me propose à son tour de rapporter le complément le lendemain, ce qu’il ne fera pas, comme je pouvais m’y attendre… !
Le lendemain matin, l’acquéreur grec m’attend devant la tente avec tous les papiers nécessaires et tamponnés qu’il ne me reste plus qu’à faire certifier conformes auprès des autorités yougoslaves, et à déposer avec une lettre pour ma mère dans le sac de marine. J’expédie ensuite le tout au bureau de poste le plus proche où me conduit le Grec. Dans l’après-midi à la fin de sa journée de travail, nous remorquons l’attelage jusque chez lui devant un hangar, à l’intérieur duquel il y a une carcasse de KS601 complétement méconnaissable, mis à part le moteur encore en bon état ! Il n’y a plus qu’à espérer qu’il ait plus de chance avec la mienne !...