Читать книгу Histoire du Chevalier d'Iberville (1663-1706) - Adam Charles Gustave Desmazures - Страница 12
DÉVELOPPEMENTS DE MONTRÉAL.
ОглавлениеFondée on 1642, la cité de Montréal s'accrut lentement dans ses commencements, mais ensuite l'accroissement fut rapide.
Ainsi, après vingt ans, elle ne comptait que 500 âmes, mais dix ans après, il y en avait plus de 1500.
Ce qui était surtout à considérer dans ces commencements, c'était le zèle pour l'amélioration des pauvres sauvages, et l'énergie des pieux colons.
Le zèle pour la conversion des infidèles était extraordinaire, et le courage pour braver les épreuves et les dangers, au-dessus de toute expression.
«On voyait bien, dit le Père Leclercq, que ces gens-là avaient quitté leur patrie par les mouvements d'un zèle apostolique,» et rien ne pouvait les faire changer de sentiments; ni l'ingratitude, ni la perfidie des sauvages, ni leur défaut de bonne foi, ni leurs cruautés inhumaines, rien ne pouvait éteindre le feu de la charité.
Tout était réglé dans la nouvelle ville comme dans une communauté militaire. A une heure fixée, après la prière et la sainte messe, qui avaient lieu à 4 heures du matin, la population se rendait au travail dans les champs; chacun avait près de soi son fusil caché dans un sillon.
Il ne se passait pas de jour sans attaque. Ceux qui se laissaient surprendre étaient voués à des supplices atroces. On admirait leur courage, on plaignait leurs souffrances, mais on ne renonçait pas à prier pour les bourreaux. Enfin, dès qu'une occasion favorable se présentait, on cherchait à gagner ces pauvres aveuglés. A force d'efforts et de patience, les âmes finissaient par se laisser éclairer, les coeurs étaient touchés, le mal vaincu par le bien.
Ces premiers temps ont été admirables. La ville offrait comme une image de la primitive Eglise. Ces braves gens étaient voués à la piété la plus fervente et à la charité la plus dévouée. Il n'y avait jamais de contestation entre eux; il n'y avait qu'un coeur et qu'une âme, et tandis qu'ils étaient si unis à Dieu, si bons entre eux, ils restaient inébranlables dans le danger. Chaque citoyen se regardait comme une victime offerte à la mort pour la glorification de l'Evangile.
Dans les annales de la soeur Morin, écrites vers ce temps, nous avons les détails les plus touchants sur la vie à Montréal avant l'arrivée des troupes: la piété, la charité, des colons, les privations qu'ils avaient à subir, enfin les cruautés extrêmes qu'ils étaient exposés à éprouver, étant entourés d'ennemis féroces, nombreux et implacables.
Bientôt différentes circonstances favorisèrent les saintes dispositions et le zèle des colons pour la conversion des infidèles.
Plusieurs nations étaient en guerre; l'une d'elles, celle des Iroquois, puissante et implacable, faisait une guerre d'extermination contre ses ennemis.
Leurs victimes venaient implorer la protection des Français. Elles furent accueillies et placées dans des positions retranchées. On compta bientôt plusieurs colonies chrétiennes: à la Montagne, à la Prairie, au Sault-Saint-Louis, au lac Saint-François, au lac des Deux-Montagnes, et enfin à la Petite-Nation, sur l'Ottawa, à vingt lieues de Montréal.
Ces nouveaux chrétiens, disciplinés par les Français, devinrent eux-mêmes comme des apôtres. On en fit des catéchistes zélés et habiles. Ils rendaient de grands services au sein des autres tribus.
Les Français excitaient l'admiration de leurs plus cruels ennemis par leur douceur, leur sollicitude et leurs libéralités inépuisables. Ils établissaient ceux qui se donnaient à eux, leur apprenaient à cultiver, leur livraient des terres, représentaient l'excellence de la vie réglée et civilisée à ces pauvres barbares, et se montraient ainsi bien différents des gens de Boston, qui ne s'étaient jamais occupés des nations qui les entouraient, que pour les détruire et se mettre à leur place.
Au milieu de leur noble mission, les Français acquéraient une habileté merveilleuse pour occuper le pays. Formés par M. de Maisonneuve et par le chef de la milice, Charles Le Moyne, ils étaient devenus des combattants consommés, des explorateurs infatigables. Ils avaient pris les bonnes qualités des sauvages, et y ajoutaient l'esprit de discipline et de tactique des milices françaises.
On a dit que les Français n'avaient pas le génie de la colonisation comme leurs voisins; mais, suivant M. Parkman lui-même, cela n'est point exact. M. Parkman pense que les colons français égalaient les Anglais sous bien des rapports.
Les Français n'avaient pas les vues odieuses des colons de la Nouvelle-Angleterre: ils n'auraient jamais voulu adopter, comme eux, un plan d'extermination contre ces pauvres gens.
Ce qui est affirmé, même par les écrivains anglais, c'est que sous le rapport des qualités morales et des qualités intellectuelles, les colonies anglaises étaient vraiment inférieures à la colonie française, tandis que sous le rapport de l'activité, de l'intelligence et de la bonne organisation, la colonie française égalait toutes les colonies anglaises réunies.8
Note 8: (retour)
Le système français avait un grand avantage; il favorisait l'élément guerrier: la population était formée entièrement de soldats et de miliciens (Parkman). L'occupation principale était un continuel apprentissage de la guerre dans les bois. La haute classe regardait la guerre comme la seule occupation digne d'elle, et elle estimait l'honneur plus que la vie. Pour ce qui est de l'habitant, les bois, les lacs, les cours d'eau étaient ses lieux d'étude, et là il était maître consommé. Forestier habile, hardi canotier, toujours prêt pour les entreprises périlleuses; dans les guerres d'escarmouche et d'embuscade au milieu des bois, il y en avait peu qui pussent lui être comparés (Parkman).—«En Canada, comme en Europe, à ce moment, la race française a appris à se connaître. Elle s'est trouvé des forces que les autres siècles ne savaient pas.» Voilà ce qu'a produit l'amour de la discipline et le zèle de la religion.
Les Français n'aspiraient pas à des conquêtes, mais ils voulaient sauver des âmes, et pour arriver à ce but, ils avaient autant de persévérance et d'énergie que leurs voisins en avaient pour les avantages matériels (Saint-Marc Girardin sur l'Amérique du Nord).
Au milieu de terribles épreuves, la colonie s'établissait, avec une réunion des hommes les plus capables: M. de Maisonneuve, le gouverneur; son lieutenant, Lambert Closse; M. d'Ailleboust, un officier de haut grade; son neveu M. de Musseaux; M. Le Moyne, lieutenant; M. Le Ber de Senneville; M. Decelles de Sailly; M. de Montigny; M. de Repentigny et M. de Brassac; de plus, les hommes de la milice, si dignes d'admiration, et dont les descendants remplissent maintenant le pays.9
Note 9: (retour) On trouve encore actuellement en Canada et dans les environs de Montréal des descendants de ces premiers colons, dont les noms sont portés par des milliers d'individus: Prud'homme, Descaries, Hurtubise, Lortie, Beaudry, Dumoulin, Renaud, Laviolette, Désautels, Boudraud, Lavigne, Trudeau, Cadieux, Deschamps, Barbier, Meunier, Dagenais, Leblanc, Jodoin, Toussaint, Beaudry, Laplante, Beauvais, Rolland, Lenoir, etc.
De nobles coeurs assistaient ces bras héroïques: Mlle Mance, de l'Hôtel-Dieu, et ses compagnes; la soeur Bourgeois et ses institutrices; madame Le Moyne, que l'on a appelée la mère des Macchabées; madame Le Ber, qui devait voir une sainte à miracles en l'une de ses enfants; madame d'Ailleboust, et sa soeur, mademoiselle de Boullogne, qui aspiraient dans le monde à la vie religieuse.
La ville était sous la direction de prêtres éminents. M. Gabriel de Queylus, le directeur de la cure de Saint-Sulpice de Paris, était venu s'établir à Montréal; et aussi M. l'abbé François Dollier de Casson, ancien colonel et aide de camp du maréchal de Turenne; M. d'Urfé, ancien curé de la cathédrale du Puy, allié du ministre Colbert et petit-neveu du célèbre M. d'Urfé; M. de Fénelon, frère de l'illustre archevêque de Cambray; M. Souart, un des plus grands prédicateurs de Paris; M. de Belmont, l'un des prêtres les plus riches de France, chargé des missions sauvages; M. Barthélémy, qui explora le lac Ontario.
Ces messieurs étaient en communication continuelle avec les associés de l'oeuvre résidant à Paris, tels que M. le baron Pierre de Fancamp, M, de Liancourt, M. de Renty, M. de Bretonvilliers, M. Legauffre, M. Dubois, madame de Bullion, si généreuse, qui contribuait avec les autres associés pour des sommes si abondantes.
M. Olier, avec la compagnie des associés des oeuvres, avait donné plus de 300,000 livres: M. de Bretonvilliers, successeur de M. Olier, 400,000 livres; M. Dubois, M. de Queylus, M. de Fénelon, M. d'Urfé donnèrent leur fortune, qui était considérable; M. de Belmont, 300,000 livres en une seule fois. On a calculé, dans le temps, que les associés et prêtres du Séminaire avaient fourni, pour l'oeuvre de Montréal, de leurs propres deniers, en trente ans, la somme de 1,800,000 livres, ou environ sept millions de la monnaie actuelle.
Ce qui donna bientôt de la vie à la colonie, et qui assura sa tranquillité, ce fut l'arrivée des troupes, demandées depuis longtemps, et de plus, la détermination que prirent un grand nombre de soldats et d'officiers de s'établir dans des terres concédées suivant le système féodal, afin de mettre la ville à l'abri de toute incursion des sauvages, comme nous le verrons plus tard.
Les officiers et les soldats se distinguèrent autant que les premiers colons par leur esprit de foi et leur dévouement à l'oeuvre entreprise.