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I.

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L’homme ne vit pas seulement de pain; il vit encore et surtout, on peut le dire en songeant combien ce superflu lui est nécessaire, il vit encore et surtout de surnaturel, de merveilleux. C’est là le pain quotidien, d’imagination et de sentiment, dont se nourrit sa pensée. C’est là cette vie de fiction, cette vie de derrière, dont parle Pascal, où il se réfugie pour se consoler et se venger des déceptions de la vie de devant. On peut dire que l’âme humaine n’a toute sa respiration, toute son envergure que du côté de l’infini: aussi n’est-il pas étonnant qu’elle échappe, tant qu’elle le peut, à l’atmosphère étroite, étouffante, de la réalité, pour se dilater, se développer dans l’air idéal, pour «respirer et s’épanouir, suivant le mot de Bossuet, du côté du ciel».

Ce besoin d’oublier la terre, la réalité, leurs déceptions, leurs affronts, si durs aux âmes fières, leurs chocs brutaux, si douloureux aux sensibilités délicates, est un besoin universel. Le rêve, plus que le rire, distingue l’homme des animaux, et établit sa supériorité.

C’est un besoin même pour les grands, pour les forts, pour les riches, pour ceux qui peuvent réaliser leurs moindres capricess, vivre à leur fantaisie, embellir leur existence de toutes les poésies du luxe, de tous les charmes de l’art. Ceux-là même, plus d’une fois par jour, touchent le tuf de leur jouissance, et sentent que le fond de toute chose est amer. Ils épuisent les ressources de la fortune et du pouvoir, ils fatiguent les ministres de leurs plaisirs, sans parvenir à rassasier leur soif de nouveauté, leur appétit d’idéal, d’autant plus exigeants qu’ils sont plus excités par cette chaleur de bien-être, cette intensité de vie, par cette fièvre de curiosité qui les consume. Ce sont les grands que dévore l’insomnie de la vanité ou de l’ambition, toujours mécontents lors même qu’ils semblent devoir être le plus satisfaits, et qui s’agitent et se retournent sur leur lit de duvet; ce sont les sybarites qu’un pli de rose offusque; ce sont ceux qui peuvent le plus, qui sentent le plus ce qu’ils ne peuvent point et qui s’indignent de la borne mise à leur portée; ce sont ceux qui ont goûté de tout, qui sont las de tout; ce sont ceux à qui la réalité devrait suffire, tant elle les gâte, qui s’indignent le plus du frein, qui regimbent le plus contre les barrières derrière lesquelles l’infini leur échappe, qui aspirent le plus ardemment aux plaisirs de la fiction, aux consolations du rêve. Tout rassasié est un affamé. Tout Salomon attend sa princesse Balkiss, sa reine de Saba.

Mais si ce dédommagement, cette réparation, cette revanche de la vie idéale, de la vie du songe, de la vie telle qu’on la voudrait, qui console de la vie telle qu’elle est, sont un besoin, même pour les puissants, les grands, les riches, à combien plus forte raison le sont-ils pour les pauvres, les humbles, les simples, les déshérités, les sacrifiés de ce monde! A ceux-là, à ces disgraciés de la terre, il reste, pour les dédommager, pour les consoler, pour les venger, les délices du royaume des cieux. Ce royaume des cieux leur appartient, en effet, dans le double sens du mot, le profane et le sacré. L’Évangile le promet à leur foi candide; la féerie l’ouvre à leur imagination ingénue

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que l’origine des contes de fées soit aussi populaire qu’antique, et que ce caractère démocratique, rustique, patriarcal, soit comme le sceau naïf de ces traditions et de ces légendes sorties du peuple, faites pour le peuple, qui est toujours enfant, pour l’enfant, qui est toujours peuple. Malgré les enjolivements dont elles furent l’objet, quand une fantaisie de la mode, un caprice du goût, les introduisirent à la cour, et qu’elles furent façonnées au tour des Précieuses, elles gardent la fruste empreinte du coup de pouce calleux qui le premier donna figure à leur argile, et l’indélébile parfum de la terre agreste. Elles demeurent d’un art primitif, naïf, comme leurs auteurs et leur public.

Il importe de le constater dès le début: c’est une vérité absolue, confirmée par l’histoire et la critique, que la littérature féerique est d’origine, d’essence populaire. Les contes de fées sont des fleurs des champs, de frustes chefs-d’œuvre de l’imagination rustique. Leurs types sont sortis un à un de la cervelle d’auteurs sans le savoir; patriarches au chef chenu, courbés sur leur bâton, et dont un verre de cidre ou de vin réveillait les souvenirs; grand’mères à coiffe de lin, filant leur quenouille, ou tournant leur rouet, nourrices cherchant à endormir, sur leur sein tari, les enfantelets repus. La chaumière et la taverne ont, avant le château, entendu les premiers contes de fées, à la lueur de la lampe des veillées.

Perrault, le premier, a recueilli ces canevas populaires, et les a quelque peu habillés, brodés, poudrés, tout en respectant leur naïveté et leur malice foncières. Après lui sont venues les belles dames, les baronne d’Aulnoy, les comtesse de Murat, les comtesse d’Auneuil, les demoiselles de la Force et L’Héritier de Villaudon, qui ont exécuté de brillantes et galantes variations sur ces thèmes si nouveaux pour les oreilles aristocratiques et si anciens pour celles des rustres.

Mais il n’importe: qu’elle ait été ou non, au dix-septième siècle, paysanne pervertie, transportée de la campagne à la ville, de la chaumière au salon, au boudoir, la littérature féerique n’en demeure pas moins, par son origine, ses débuts, son inspiration, ses moyens, son but, une littérature essentiellement populaire, rustique, et par là même admirablement accommodée, appropriée à son public enfantin ou villageois.

A un tel public conviennent par excellence ces récits brefs, naïfs et narquois, aux animaux parlants, aux personnages fantastiques charbonnés du trait grossier, mais vivant, de la caricature, à la moralité vulgaire, mais marquée le plus souvent au coin de l’observation, de l’expérience et de la malice, et riant de ce rire des humbles, doux et même un peu triste, de ce rire des philosophes de la bure et du chaume, qui rient de tout, de crainte d’en pleurer, sans rien des prétentions politiques et de la verve effrontée de ce philosophe de la livrée qui sera Figaro.

Figaro n’eût pas trouvé ces apologues rustiques, au sel un peu grossier; il eût haussé les épaules à ces paysanneries de Perrault. Beaumarchais détonne dans la pastorale comme un courtisan de l’Œil-de-Bœuf au village; et malgré tout son esprit, il n’a jamais pu atteindre au naïf. C’est bien simple, en apparence, mais cela lui est défendu, aussi bien qu’à Voltaire; et les gens de la veillée, le loustic en tête, perdraient leur patois à comprendre ce français bon pour les grands seigneurs philanthropes et les bourgeois frondeurs, pour les salons et pour les cafés. C’est autre chose qu’il faut à l’imagination populaire et enfantine, à qui suffisent des drames comme celui du Petit Chaperon rouge, des imbroglios comme celui du Petit Poucet, et qui prend un plaisir extrême aux aventures de Peau d’Ane.

Ces drames faisaient pleurer, ces imbroglios faisaient rire les grand’mères, les mères, les nourrices, les mies, et les enfants bien avant Perrault. On peut dire que le conte de fées est de toute antiquité, qu’il a amusé l’humanité dès son berceau, et que l’origine de ces récits traditionnels et légendaires se perd dans la nuit des temps. Nous analyserons soigneusement tout à l’heure, pour les plus connus de ces types, les éléments d’origine, de formation, d’alliage; mais il nous est impossible de ne pas clore ces premiers aperçus par le tableau qu’a tracé, avec une plume digne du pinceau des Le Nain et des Valentin, Noël du Fail, sieur de la Hérissaye, d’une veillée au seizième siècle, en Bretagne, dans le pays fatidique par excellence, dans le pays de Merlin l’enchanteur, de la fée Viviane, et de la forêt de Brocéliande, pleine de mystères.

Écoutons le gentilhomme lettré, le malin conseiller au parlement de Rennes, et considérons son tableau, d’une couleur si vive et si franche, d’une veillée chez Robin le Clerc, compagnon charpentier de la «grand dolouère», en1547, l’année de la mort de François Ier:

«… Voluntiers, après souper, le ventre tendu comme un tabourin, saôul comme Patault, jazoit, le dos tourné au feu, teillant bien mignonnement du chanvre, ou raccoustrant à la mode qui couroit ses botes. chantant, comme il le sçavoit faire, quelque chanson nouvelle. Joanne sa femme, de l’austre costé qui filoit, lui respondoit de mesme; le reste de la famille ouvrant chacun en son office: les uns adoubant les courroyes de leurs fléaux, les autres faisant dents à rateaux; bruslant hars pour lier, possible, l’aixeul de la charrette rompu par trop grand fais, ou faisant une verge de fouet de néflier ou meslier. Et ainsi occupés à diverses besongnes, le bonhomme Robin (après avoir imposé silence), commençoit le conte de la Cigogne, du temps que les bestes parloient, ou comme le Renard desroboit le poisson aux poissonniers; comme il fit battre le Loup aux Lavandières lorsqu’il l’apprenoit à pescher; comme le chien et le chat alloient bien loing du Lyon, roi des bestes, qui fist l’asne son lieutenant et voulut estre roy de tout; de la Corneille qui, en chantant, perdit son fromage; de Mélusine; du Loup-Garou, du Cuir d’Asnette, du Moyne bourré; des fées et que souventes fois parloit à elles familièrement, mesme la vesprée passant par le chemin creux, et qu’il les voyoit danser au bransle près la fontaine du Cormier, au son d’une belle vèze couverte de cuir rouge, celui estoit advis car il avoit la veüe courte, pour ce que depuys que Vichot l’avoit abattu de coups de trenche par les fesses, les yeux luy avoient toujours pleuré; mais que voulez-vous? nous ne nous departons les fortunes. Disoit (en continuant) que en charriant le venoient voir, affermant qu’elles sont bonnes commères et voluntiers leur eust dit le petit mot de gueule, s’il eust bien osé, ne se deffiant point qu’elles ne lui eussent joué un bon tour. Aussi, que, un jour les espia, lorsqu’elles se retiroient en leurs caverneux rocs, et que, soudain qu’elles approchoient d’une petite motte, s’esvanouissoient; dont s’en retournoit, disoit-il, aussi sot comme il estoit venu.»

Nous prenons sur le fait, dans ce tableau d’après nature, laprédilection superstitieuse de l’imagination populaire pour le merveilleux, le fantastique; merveilleux à sa portée, fantastique au décor grossièrement brossé dont les bêtes qui parlent et les fées de la fontaine voisine font le plus souvent les frais, et que met en scène un récit naïf et goguenard, dont la lourdeur laisse éclater parfois, comme le feu de mottes et de bourrées autour duquel on se chauffe en devisant et en humant le piot, une étincelle du génie gaulois. Nous retrouvons, dans ce répertoire de la veillée agreste en Bretagne sous François Ier, plusieurs des personnages des fables et des contes de la Fontaine, des contes de Perrault, et notamment la Corneille qui laisse échapper son fromage, et Cuir d’Asnette, c’est-à-dire Peau d’Ane.

Surtout, à côté du Moyne bourré ou velu, légende bretonne et berrichonne, nous voyons apparaître, dans les souvenirs du conteur rustique, cette mystérieuse et fugitive troupe des fées familières, menant leur branle autour de la fontaine de Saint-Aubin le Cormier, bonnes commères, dit Robin, qui ne s’effarouchent pas du passage du bûcheron ou du pâtre, et qui ne sont pas si fières avec les pauvres gens, qu’elles ne lient conversation avec eux.

Cette religion superstitieuse des fées, que l’on retrouve de tout temps dans les esprits rustiques, dans les récits de la chaumière ou du cabaret, mérite une étude à part, et c’est cette étude que nous allons entreprendre, après ces préliminaires, qui ne nous ont point paru superflus.

Le monde enchanté : choix de douze contes de fées

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