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V.

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Cette observation pratique et peut-être un peu sceptique à propos du parti que la contrebande a pu tirer de la superstition, nous ramène à Perrault, car elle l’eût fait sourire de ce sourire plein de bonhomie malicieuse qui anime la moralité de ses contes de fées, en lui en révélant une des plus imprévues, et à laquelle il n’eût sans doute jamais pensé. Il était, en effet, l’honnête homme par excellence; il avait toutes les probités, même celle de l’esprit, la plus rare de toutes, ne pratiquait aucune contrebande, ne fraudait point ses imitations, ne dissimulait point ce qu’il devait à la tradition, et ne prétendait pas à l’originalité. C’est ainsi qu’il atteignit à la meilleure de toutes, celle qu’on a sans le savoir.

Puisque nous sommes revenus à Perrault, c’est le cas de ne le plus quitter. Nous ne le ferons point, en effet, sans avoir essayé, de pénétrer son secret et de déterminer dans son œuvre la proportion du double élément de la tradition et de l’invention.

Nous avons recherché et apprécié ce que la suite des temps et les variations des idées et des mœurs avaient fait de cette création fantastique et légendaire: la fée; nous avons montré quelles vicissitudes ont subies son prestige et son empire, jusqu’au moment où la fée des traditions populaires, des romans chevaleresques et du théâtre fantastique de Shakespeare arrive, de décadence en décadence, à n’être plus que le personnage favori, familier comme un dieu tombé, des contes de grand’mère et de nourrice que Perrault entendit, aux veillées de la chaumière et du château, en observateur curieux, après les avoir entendus, durant son enfance, en auditeur naïf et charmé, pour les reproduire en traductions, en imitations égales à une création, en récits dignes du nom de chefs-d’œuvre. (Ces chefs-d’œuvre ont inauguré chez nous un genre littéraire qui a vécu deux siècles, qui dure encore.

Il n’est donc pas sans intérêt de se poser, pour y répondre, les questions suivantes: ce conte de fées, élevé par Perrault à la dignité d’un genre littéraire, où avait-il pris ses héros, son action, les dénouements de son petit drame? (Quelles furent les sources d’imitation, d’emprunt Quel fut le plus puissant élément du succès de ce genre inauguré par Perrault, quelle fut la raison morale de l’empire, sur les imaginations populaires et enfantines, de ce personnage charmant ou terrible, la fée, dont nous venons d’étudier la filiation historique et étymologique, et les transformations successives? (En un mot, c’est la question des fées et de la féerie envisagée non plus au point de vue historique et philologique, mais au point de vue littéraire et philosophique, qu’il s’agit de résoudre.)

Nous avons déjà effleuré le premier de ces aspects de la question, puisque nous avons conduit l’examen des sources de la littérature féerique jusqu’au Pentamerone, son répertoire principal au seizième et au dix-septième siècle.

Qu’était-ce que ce Pentamerone, recueil par excellence des traditions et des légendes de la féerie au seizième siècle, et dont il nous semble difficile, contrairement à l’opinion de M. Ch. Giraud, que Perrault n’ait pas eu directement connaissance, puisqu’il fut publié en1637, et qu’on y trouve Cendrillon et le Chat botté? C’est encore à l’auteur de la Lettre critique sur les contes de fées que nous emprunterons le signalement et l’analyse de ce répertoire fécond de la littérature féerique italienne.

«Un des recueils les plus curieux que l’on possède en ce genre est intitulé: il Pentamerone del cavaliere Giovan Battista Basile, overo lo Cunto de li cunti, trattenimiento de li peccerille, , di Gian Alesio Abbatutis, (c’est-à-dire: le Pentameron, ou les Cinq Journées du cavalier Jean-Baptiste Basile; autrement le Conte des contes, composé pour la récréation des enfants, par Baptiste Basile, comte del Torone, dont la vie est peu connue. Né vers la Jean-Alexis Abbatutis).) Ce dernier nom est l’anagramme de l’auteur Jeanfin du seizième siècle, à Naples, il mourut en1637, au service du duc de Mantoue. Son livre des Cinq Journées, à dix contes chacune, contient cinquante histoires de facétie et de féerie tout à la fois. Il s’adresse à tous les âges, à tous les goûts, à tous les caractères, et chacun y trouve à rire. Écrit en patois napolitain, difficile à comprendre, même en Italie, il n’y eut pas un grand retentissement. Cependant, depuis1637, date de la première édition publiée à Naples, il a été souvent reproduit. Les Espagnols paraissent lui avoir fourni la plupart de ses modèles.

«A côté des contes de fées populaires, il a rassemblé des proverbes, des calembours, des trivialités qui font le bonheur héréditaire des populations oisives du midi de la Péninsule. Le Decamerone de Boccace s’adressait aux châteaux, aux cours polies, le Pentamerone s’adresse aux carrefours. Il provient d’un pays où le conteur cherche le succès sur la place publique, comme en Orient, plutôt que dans les salles féodales, comme en Occident, et auprès des belles châtelaines.

«Lorsque dans ces derniers temps, le Pentamerone a été plus particulièrement remarqué chez nous, il a été goûté des gens d’esprit, et l’on a cru que c’était là que Perrault et les autres conteurs du siècle de Louis XIV avaient trouvé leurs charmantes historiettes. Mais il n’en est rien. Il n’y a point le moindre indice que le livre de Basile soit arrivé à Paris avant notre époque contemporaine, quoi qu’aient pu croire à cet égard MM. Génin et Brunet. La lettre que je réimprime, de Mlle Lhéritier, l’auteur de l’Adroite Princesse, nous apprend que c’est à nos poètes du moyen âge que les conteurs de son temps avaient directement emprunté leurs récits. (L’auteur du Pentamerone, en ce qui le touche, révèle parfaitement l’origine de son recueil; il en a pris les types aux Espagnols, qui les avaient reçus des Arabes, qui les avaient transmis à nos poètes du Midi. Voilà comment Basile, Perrault et Mlle Lhéritier ont pu se rencontrer.»)

Quoi qu’il en soit de cette explication, plus spécieuse que décisive, nous sommes désormais assez avancés dans la partie historique etcritique de notre travail, dans l’étude des origines et des influences, pour examiner la question à un nouveau point de vue, celui qu’on pourrait appeler moral ou philosophique.

Les contes de fées ont, en effet, leur philosophie comme leur histoire, et, si l’on veut se rendre compte des raisons de leur long crédit, non seulement auprès de l’auditoire élégant des châteaux, mais encore auprès de l’auditoire ignorant des chaumières, de leur prestige, qui dure encore, sur le public enfantin et populaire, il ne suffit pas, pour expliquer cet attrait, du seul plaisir de l’imagination. Il faut y ajouter une satisfaction de conscience et de sentiment. Tout conte de fées a, en effet, sa moralité, et cette moralité, cette leçon, cet exemple, plus ou moins directs, plus ou moins décisifs, le plus souvent assaisonnés d’une pointe de malice et même d’ironie, comme il faut s’y attendre pour ces récits traditionnels, aiguisés, de siècle en siècle, sur l’observation et l’expérience, sont cependant irréprochables au point de vue moral. Le crime y est toujours puni, la vertu toujours récompensée; la pauvreté n’y est point méprisée, parce qu’elle est un malheur et point un vice, et que toujours, grâce à son travail et à son industrie, le pauvre du début peut devenir le riche de la fin; la laideur elle-même y est réhabilitée, parce que le visage disgracié qui cache une belle âme, et peut s’éclairer de bonté ou s’animer d’esprit, est toujours beau, dans ces moments-là, et d’une beauté au-dessus des défaillances de la nature ou des outrages du temps. La fée n’y est qu’une sorte de figure familière de la Providence, veillant sur les bons opprimés et rétablissant tôt ou tard les choses humaines, comme les choses naturelles, de façon à ne pas permettre au triomphe insolent du méchant ou du mal de calomnier jusqu’au bout le gouvernement divin qui mène les hommes, tandis qu’ils s’agitent.

C’est cette moralité irréprochable des contes de fées qui explique leur attrait non seulement pour les esprits avides de merveilleux, mais encore pour les cœurs généreux, affamés de justice, comme l’enfance en fournit partout, sous la bure comme sous la soie, sous le chaume comme sous les lambris dorés. De là aussi, pour cette littérature profane, et en somme frivole, essentiellement populaire et puérile, l’indulgence traditionnelle des moralistes, et même des moralistes chrétiens, qui l’ont admise à l’honneur, mérité dans une certaine mesure, de participer à l’œuvre de l’éducation.)

M. Ch. Giraud a remarqué qu’au moyen âge «la piété, simple alors et naïve, ne s’alarma point de compositions où le paganisme et la foi chrétienne avaient confondu leurs croyances. Les hagiographes s’emparèrent eux-mêmes de ce puissant moyen d’émotion pour édifier les fidèles, et ils mirent les saints aux prises avec le diable, avec les magiciens et les fées.»

Le saint devant sortir toujours victorieux de l’épreuve de ce combat contre les tentations ou les persécutions de ces esprits captieux, de ces monstres malins de la féerie, superstition païenne aux yeux de l’Église, c’est ainsi que s’explique ce tableau ressemblant de la veillée au château, où Voltaire lui-même a montré l’aumônier, le chapelain, se mêlant, sans rien perdre de sa dignité, comme auditeur et même comme conteur à ces récits de féerie:

Ol’heureux temps que celui de ces fables

Des bons démons, des esprits familiers,

Des farfadets aux mortels secourables!

On écoutait tous ces faits admirables

Dans son château, près d’un large foyer.

Le père et l’oncle, et la mère et la fille,

Et les voisins et toute la famille,

Ouvraient l’oreille à monsieur l’aumônier

Qui leur faisait des contes de sorcier.

On a banni les démons et les fées;

Sous la raison les grâces étouffées

Livrent nos cœurs à l’insipidité;

Le raisonner tristement s’accrédite;

On court, hélas! après la vérité.

Ah! croyez-moi, l’erreur a son mérite.

Avant de passer de l’histoire et de la philosophie générales des contes de fées à leur histoire et à leur philosophie particulières, en prenant un à un chacun des types immortalisés par Perrault, nous ne saurions mieux faire que d’insister sur ce double attrait pour l’imagination et le sentiment, pour le cœur et l’esprit, de ces récits féeriques, admis par les plus sévères pédagogues à participer à la récréation et à l’éducation de l’enfance, au double titre de chefs-d’œuvre littéraires et d’irréprochables exemples moraux.

(Cet attrait moral des contes de fées a été expliqué et glorifié avant nous par un savant professeur, un grave écrivain, qui n’a pas craint de compromettre sa réputation ni son autorité en écrivant aussi ses Contes Bleus, le meilleur essai de ce genre depuis ce Trilby, cette Fée aux miettes, et ce Chien de Brisquet, qui ont fait de Charles Nodier, par rapport à Perrault, ce que Florian est à la Fontaine.

«Non, a dit dans sa préface M.E. Laboulaye, les contes de fées ne sont point un mensonge et l’enfant ne s’y trompe pas. Les contes sont l’idéal, quelque chose de plus vrai que la vérilé du monde. L’innocence l’emporte toujours, le méchant est toujours puni, il n’est pas besoin d’attendre un monde meilleur pour châtier le crime et couronner la vertu. Ce qui fait le charme des fées, ce n’est point l’or et l’argent qu’elles sèment partout. C’est la baguette magique qui remet l’ordre sur la terre, et qui du même coup anéantit ces deux ennemis de toute vie humaine: l’espace et le temps. Qu’importe que Griselidis souffre quinze ans de l’exil et de l’abandon? L’épreuve finie, elle sera jeune et aimable comme au premier jour.»)

C’est par cet attrait moral, cet aliment qu’ils fournissent aux illusions généreuses et aux nobles espérances, plus encore que par leur poésie surannée et leurs fictions puériles, que les contes plaisent aux petits et aux grands enfants. Car les contes de fées en général, et ceux de Perrault et de Mme d’Aulnoy en particulier, ne brillent pas surtout par la puissance d’invention, par leur ragoût pour l’imagination, par l’ingéniosité des moyens d’exciter et de varier l’émotion. Leur drame ou leur comédie sont d’un imbroglio peu compliqué; il est facile d’y suivre les fils de l’intrigue et d’en prévoir le dénouement. L’imagination du conteur est de courte haleine. Les contes sont destinés à l’enfance ou à l’ignorance et ils émanent de frustes auteurs, appartenant eux-mêmes à l’enfance des peuples. La trame des contes de fées est vieille comme le monde, et il n’y a pas lieu de s’étonner qu’elle soit forte et simple, comme tout ce qui est primitif. Ce n’est que très tard qu’on s’avisera de mettre de l’esprit dans les contes, comme cette comtesse de Murat qui, dans son Palais de la vengeance, nous montre un génie jaloux et vaincu, se vengeant de sa défaite en condamnant son infidèle et le préféré à être éternellement heureux du bonheur légitime et du tendre tête-à-tête de la solitude à deux dans une tour inaccessible à toute visite. Ce châtiment par le mariage, ce bonheur mourant d’ennui dans la solitude, ce sont là les solutions épigrammatiques d’une femme d’esprit mal mariée, qui se souvient trop de ses propres déceptions.

Ces ironies savantes, ces dénouements sceptiques, ne sont pas du premier âge des contes de fées, mais du dernier, de l’époque de décadence et de critique. Il faut arriver à la fin du règne de Louis XIV pour voir travestir ainsi et servir à la satire l’antique inspiration de ces contes dont les canevas originaux proviennent tous du fonds traditionnel de légendes fantastiques et populaires: récits de la nourrice, récits de la chaumière, récits de la tente, du bivouac ou du tillac des peuples patriarcaux, conquérants ou marins, récits de la veillée autour du foyer féodal où le troubadour et le trouvère errants paient leur écot en histoires ou en fables. (Ces canevas, grossiers d’abord, d’origine grecque, romaine, égyptienne, juive, indoue et brahmanique, chinoise et boudhique, germanique, italique, espagnole, ont été successivement ornés, enjolivés, brodés, suivant les temps et les lieux, par l’imagination des poètes du genre, et portent l’empreinte de toutes les phases de civilisation qu’il a traversées. Ce magique édifice, aux ordres et aux styles mêlés, superposés, des légendes grecques et indiennes, où la superstition des chrétiens du moyen âge, demeurés païens d’imagination, a accolé, éclairées par le même azur de vision, ses chapelles gothiques aux restes de temple grec et de mosquée arabe, repose, comme sur un double fondement, sur un double besoin propre à l’humanité dans tous les temps et dans tous les pays: le besoin de peupler le monde de l’imagination d’êtres d’une puissance supérieure et d’une vie extraordinaire; le besoin de peupler le monde du sentiment d’êtres bienfaisants, capables de réparer les injustices d’ici-bas et de fournir aux cœurs déçus le refuge d’un empire du bien qui les guérisse des blessures de l’empire du mal. Asile idéal des esprits avides d’infini, malades de solitude, blessés par les batailles humaines, des cœurs que désole l’éternelle lutte de la passion et du devoir, et que révolterait, si elle était sans espoir, la loi de l’inévitable séparation, souci de toute affection humaine, ce monde enchanté avait, au siècle de Louis XIV, à la veille d’une transformation du genre, à la veille de ce qu’on peut appeler la renaissance de la féerie française, son histoire, ses traditions, ses bibles privilégiées, sources rafraîchissantes et salutaires, où puisèrent, pour bâtir leurs fictions nouvelles sur des éléments antiques, Perrault et Mme d’Aulnoy en fidèles, et Hamilton en sceptique de la religion de la chimère.)

Ayant d’entrer dans l’étude critique des chefs-d’œuvre de l’école française de la féerie, et d’esquisser l’histoire et la philosophie de ses personnages typiques, nous emprunterons à Paul de Saint-Victor, le poète de la critique, quelques fragments, quelques lambeaux de pourpre de son article sur les Contes de fées, et nous les dresserons, comme un superbe rideau de fond, comme un décor olympien, sur la scène de nos modestes analyses.

«Il n’est pas de bibliophile qui ne connaisse la première édition des Histoires ou contes du temps passé avec des moralités, publiées chez Charles Barbin en1697. Vénérable et charmant bouquin, imprimé en grosses lettres comme pour être lu plus à l’aise par les lunettes troubles des aïeules et les yeux éblouis des petits-enfants. Il a pour frontispice une belle estampe, jaunie par le temps, qui représente une vieille assise à son rouet dans une chambre éclairée par une lampe antique et contant ses contes à trois marmots groupés autour d’elle, le nez en l’air, et la bouche ouverte. Au-dessus de la vieille se déroule un écriteau qui porte ces mots: Contes de ma mère l’Oye.

«N’est-elle pas en effet notre mère à tous, cette vieille filandière? Elle a bercé nos premiers rêves, donné des ailes à nos idées naissantes: elle a fait voler l’oiseau bleu sous le ciel de notre berceau. Humble Scheherazade de la France, elle n’a ni la bouche d’or ni l’imagination magnifique de sa grande sœur orientale. Elle ne raconte pas ses histoires sur la terrasse d’un sérail, accoudée au lit d’un calife. Elle n’a pas devant elle, comme la conteuse arabe, pour inspirer ses récits, cet horizon de Bagdad, d’où l’on découvre tant de pays enchantés, depuis la Syrie jusqu’au fond de l’Inde.

«Tout au contraire, la mère l’Oye de nos contes est née dans les forêts de la Germanie, sous un ciel chargé de brouillards, et, si vous sautez brusquement des contes arabes à ses légendes, il vous semblera passer d’un plein soleil à un clair de lune. Plus de génies aux ailes d’aigle ni de péris lumineuses; mais des gnomes qui rampent sous la mousse, des nains velus qui thésaurisent dans le creux des pierres, des nixes aux dents vertes qui gardent au fond de l’eau les âmes des noyés, des ogres qui mangent la chair fraîche, des vampires qui boivent le sang chaud, des vierges-serpents qui rampent dans des souterrains, des preneurs de rats qui emportent les petits enfants, des sorcières à califourchon sur des chats d’Espagne, des mandragores qui chantent sous les potences, des homoncules qui vivent comme des sangsues, au fond d’une bouteille, toute une mythologie folle et sinistre, dont le diable est le Jupiter et dont le sabbat est l’Olympe.

«Cette sorcellerie excentrique n’a sans doute ni l’harmonieuse beauté de la fable grecque, ni l’éclat du conte de l’Orient. Et pourtant que de poésie dans ces cauchemars! que d’aurores boréales dans cette nuit du Nord! que d’apparitions délicieuses surgissent à chaque détour de la forêt des légendes!

«C’est la Willis dansant du bout de ses pieds morts sur l’herbe pâle des clairières; c’est l’ondine folle et sans âme peignant ses cheveux d’or au bord des fontaines; c’est la Femme-Cygne qui dépouille, lorsqu’elle vient à terre, sa robe de plumage; c’est la Walkyrie qui raye de ses patins d’argent, l’opale à perte de vue des glaces scandinaves; ce sont ces volées de lutins et de farfadets dont les noms seuls brillent comme des gouttes de rosée au soleil: Origan, Marjolaine, Saute-aux-Champs, Saute-Buisson, Saute-au-Bois Vert-Joli, Jean-le-Vert, Jean-des-Arbrisseaux, Fleur-de-Pois, Grain-de-Moutarde, diminutifs de faunes, monades de sylvains, parcelles d’Amours, âmes des fleurs, élixirs des plantes, atomes incarnés, globules animés de l’air!

«C’est encore la fée, reine de cette ruche de génies ailés, jeune comme l’Aurore dont elle réfléchit les couleurs, millénaire comme la montagne qu’elle habite, changeante comme la lune sous laquelle elle danse, perfide comme l’eau qu’effleurent ses pieds aériens. La fée, c’est-à-dire la nymphe antique à l’état fluide et incorporel, un être aux mille visages, aux mille masques, aux milles nuances, tantôt bête et tantôt étoile; une forme illusoire, nuageuse et mobile, comme la nature de l’Occident dont elle est l’image.

«Ce terrible et doux grimoire, compliqué par les traditions étrangères, alla de siècle en siècle, s’allongeant et s’embrouillant sur les lèvres des nourrices et des vieilles femmes. Les nourrices surtout en perpétuèrent les récits. C’est de leur sein rustique qu’a jailli cette voie lactée de la féerie, qui sillonne d’une si vague clarté le ciel de l’enfance. Charles Perrault écrivit son livre sous la dictée de ces muses crédules. L’accompagnement naturel de sa lecture serait le bourdonnement d’un rouet, le branle assoupissant d’un berceau. Livre unique entre tous les livres, mêlé de la sagesse du vieillard et de la candeur de l’enfant, il incarne le mensonge, il persuade l’impossible, il apprivoise les chimères et les hippogriffes et les fait s’ébattre dans la maison comme des animaux domestiques. Tous les êtres fabuleux qui dans les légendes voltigent à une distance infinie de la vie réelle, Perrault les prive et les humanise. Il leste d’un grain de bon sens français ces esprits évaporés, que la lune gouverne; il les revêt de clarté et de vraisemblance, il leur donne l’air familier d’une race fraternelle. Le conteur emmène l’enfant jouer au pays des songes, et l’enfant croit courir dans le jardin de sa mère.»

Le monde enchanté : choix de douze contes de fées

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