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IV.

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Table des matières

De l’exposition des théories du baron Walckenaër et de M. Charles Giraud sur l’origine des fées, de la féerie, l’inspiration et les sources de la littérature féerique, nous passons au système, ou plutôt au tableau, car il peint plus qu’il ne prouve, tracé par M. François-Victor Hugo, et attribuant à la fée une origine à la fois biblique et légendaire, sacrée et profane.

La féerie, qui a eu son conteur dans Perrault, a eu son poète dramatique dans Shakespeare, qui a mis en action ses gracieux mystères et l’a fait monter sur le théâtre. Pour nous aujourd’hui, comme le dit l’ingénieux et éloquent traducteur et commentateur de la Tempête et du Songe d’une nuit d’été, Shakespeare n’est plus guère, envisagé sous ce rapport, qu’une sorte de «Perrault sublime». Mais si nous nous plaçons au point de vue, non des idées du dix-neuvième siècle, mais au point de vue des idées du seizième, nous arrivons à nous rendre compte des efforts d’imagination et des besoins de sentiment qui avaient donné naissance à tout un monde intermédiaire, fantastique, suspendu entre la terre et le ciel, à toute une hiérarchie de gracieux ou terrifiants fantômes, à tout un système de superstition populaire et légendaire dont l’histoire et la philosophie ont été exposées par le digne fils de notre grand poète en caractères saisissants et attachants, qu’un travail sur la féerie ne saurait négliger.

«Les générations du seizième siècle croyaient, avec la Bible, qu’un Dieu unique a créé l’homme; mais elles croyaient, avec la Bible aussi, qu’entre l’homme et le Dieu créateur il existe une quantité innombrable de créatures invisibles.

«Ces êtres immortels n’ayant jamais failli, et voués à une béatitude sans fin, sont rangés sur les degrés d’une échelle immense, que Jacob a entrevue et qui monte de la terre au ciel. Au bas de cette échelle, placés le plus près de l’homme, mais déjà inaccessibles à ses regards, voici les Anges: plus haut, voici les Archanges; plus haut, voici les Principautés. Montons encore. Plus haut, voici les Puissances; plus haut, voici les Vertus; plus haut, voici les Dominations. Montons encore; plus haut, voici les Trônes; plus haut, voici les Chérubins; plus haut, voici les Séraphins; et enfin, voilà Dieu!

«Lorsque Dieu, perdu dans l’infini, daigne envoyer quelque message à l’homme, il le lui fait transmettre ordinairement par un des êtres inférieurs de cette hiérarchie. C’est un ange qui arrête le bras d’Abraham, prêt à immoler son fils; c’est un ange qui console Agar dans le désert; c’est un ange qui délivre saint Pierre enfermé dans les prisons d’Hérode. L’homme n’a jamais vu d’être céleste qui prenne rang au-dessus de l’archange. C’est bien un séraphin qui a chassé Adam du paradis, mais Adam n’a aperçu que le bout de son épée de flamme.

«Au-dessous de Jéhovah, le dieu du bien, qui trône dans la lumière au sommet du ciel, la Bible nous montre, siégeant dans les ténèbres, à l’autre extrémité, Satan, le dieu du mal. Satan, ange révolté, commande à une foule d’autres anges, révoltés comme lui.

«Ici la tradition sacrée laissait une lacune.

«La tradition populaire remplit cette lacune.

«Entre le bon ange et le mauvais, la Bible ne voyait rien; la légende découvrit un être. Cet être ce fut la fée. La fée devint l’intermédiaire entre l’ange et le démon. Entre le ciel et l’enfer, la Bible avait fait le vide. La légende combla ce vide en y jetant un monde. Ce monde, ce fut la féerie. La féerie fut le pont jeté entre le ciel et l’enfer. La Bible faisait d’un côté la lumière, et de l’autre les ténèbres. Entre la lumière et les ténèbres la légende créa un crépuscule. Ce crépuscule fut la féerie.

«De même que la race angélique et la race diabolique, la race féerique se classait hiérarchiquement. Plus l’esprit était dégagé de la matière, plus il était élevé. La fée planait dans l’éther; le sylphe volait dans l’air, le lutin voltigeait sur la terre, le gnome circulait dans la terre. Tous ces êtres s’étageaient par ordre de sentiment sur les degrés de l’échelle indéfinie qui monte du mal au bien.

« Le gnome était méchant; le lutin était malicieux; le sylphe était doux; la fée était bonne. Le gnome était presque un démon, la fée presque un ange.

«La diversité des climats de notre globe maintenait entre tous ces êtres la hiérarchie établie par la diversité de leurs natures. Plus un pays était lumineux, plus l’esprit qui y paraissait d’ordinaire était pur. Le gnome, esprit hibou, choisissait de préférence le séjour des régions polaires; il s’acclimatait en Suède, en Norvège, en Islande, en Laponie, et dans l’Allemagne du Nord, Le lutin, moins ennemi du grand jour, se rapprochait un peu du Midi, et semblait avoir adopté l’Écosse. Le sylphe, plus méridional encore, affectionnait l’Irlande et l’Angleterre centrale. Enfin, la fée, amie des régions plus éclairées, choisissait d’ordinaire, pour lieu de ses apparitions, le sud de la Grande-Bretagne et la France, et envahissait parfois l’ardente patrie du Tasse et de l’Arioste.

«Historiquement, le gnome était scandinave d’origine; le lutin était écossais; le sylphe était anglais; la fée était celte.

«Célébré par les poèmes de l’Edda et par certaines ballades germaniques sous le nom de kobold, le gnome hantait l’intérieur des montagnes et se fourrait dans les mines. Très exclusif dans ses affections, il exigeait une amitié absolue du mineur qu’il daignait protéger. Si celui-ci était fidèle, il lui indiquait les plus riches filons, mais il punissait la moindre trahison avec une impitoyable rigueur. Voulant être aimé uniquement, le gnome aimait uniquement. Son favori excepté, il avait pour tout le genre humain la haine perfide de Caliban.

«Le gnome n’aimait qu’un homme; le lutin n’aimait qu’une famille. Il était pour cette famille une sorte de dieu lare. D’après la description minutieuse qu’a donnée de lui un savant Ecossais, le lutin était tout petit; il avait les cheveux bouclés et portait un manteau brun, orné d’un capuchon de même couleur, qui lui descendait jusqu’au genou. Il gardait le même manteau toute sa vie, et comme il vivait plusieurs siècles, on conçoit qu’à un moment donné, il avait des trous au coude. N’importe, le lutin se drapait dans sa loque avec une fierté digne de Diogène. Le lutin voulait n’être aimé que pour lui-même. Un souper était préparé pour le lutin, c’était là un usage immémorial dans toutes les familles d’Écosse et même d’Angleterre. Le lutin ne voulait pas d’autre salaire pour son service. Il travaillait toute la nuit, nettoyait la maison, balayait l’escalier, lavait la vaisselle, rangeait les meubles. Quand il avait faim, il grignotait son pain; quand il avait soif, il buvait son lait; et pourvu que le pain fût bien blanc, et que le lait fût bien pur, il était content; mais malheur aux ménagères, si ce repas était défectueux!

«Le lutin avait de la rancune, mais au fond il était loin d’être cruel. C’était un petit espiègle qui aimait les grosses farces, voilà tout. Il s’amusait, comme le Puck de Shakespeare, à faire peur aux jeunes filles du village, à égarer la nuit les voyageurs, à faire hennir un cheval en imitant le cri de la jument, à prendre les formes les plus drôles, à se changer en pomme cuite pour tromper la gourmandise du marmot ou en tabouret pour tromper la paresse de la grand’maman. Charmante créature en somme, et rachetant tous ses défauts par ses qualités. Il était vindicatif, c’est vrai, mais il était reconnaissant; il était exigeant, mais il était dévoué, et, s’il ne s’agissait pas d’un esprit, on pourrait dire de lui ce qu’on dit de tous les enfants gâtés: Mauvaise tête, mais bon cœur.

«Autant le lutin était farceur, autant le sylphe était doux; autant le lutin était folâtre, autant le sylphe était mélancolique. Autant le lutin était effronté, autant le sylphe était timide. Le sylphe, que les Anglais appellent elf, fuyait l’humanité, non par haine, comme le gnome, mais par pudeur. Le sylphe était un misanthrope. C’était dans la nature seulement qu’il pouvait vivre. Il affectionnait les bois, les collines, les prairies, le bord des lacs. Amoureux du printemps, il en portait les couleurs et s’habillait tout de vert; c’était même un sacrilège à ses yeux qu’un homme osât porter la couleur de la végétation.

«Le sylphe ne changeait de forme que pour changer d’élément; alors il se faisait farfadet pour s’élancer dans le feu et jouer avec sa cousine, la salamandre païenne; il se faisait ondin pour pénétrer dans l’eau et surprendre sa tante, la naïade antique.

«Le gnome n’aimait qu’un homme; le lutin aimait une famille; le sylphe aimait la nature; la fée aimait l’humanité. D’après le dogme celtique, les créatures tutélaires qui, dans leur passage sur cette terre, avaient dirigé par leurs conseils et gouverné par leurs oracles les assemblées gauloises, ne cessaient pas, une fois mortes, de protéger ceux qu’elles avaient défendus, vivantes. Avant de revenir dans ce monde animer d’autres corps, ces âmes d’élite passaient dans un monde meilleur et vivaient là des milliers d’années sous l’enveloppe transparente du fantôme. Druidesses sur la terre, elles étaient fées au ciel. Les Celtes les vénéraient comme des déesses; ils plaçaient sous leur invocation leur foyer, leur cité, leur patrie, et ils leur élevaient des autels symboliques, semblables à celui qui fut découvert au siècle dernier, orné de cette inscription mystérieuse: Genio Arvernorum. Ce n’était pas seulement l’Auvergne qui avait son génie. Dans toute la Gaule, dans toute la Grande-Bretagne, chaque ville avait sa fée protectrice. Bibracte avait la sienne, Lutèce avait la sienne, Bordeaux avait la sienne, la puissante Tudela; Lyon avait la sienne; Londres, Cantorbéry, Winchester, avaient les leurs.

«Ce ne fut qu’après le règne de Constantin que les populations celtiques, converties au christianisme, commencèrent à négliger leur ancien culte, et à délaisser les fées druidiques pour les anges de l’Orient. C’est à cette négligence qu’a été attribuée la froideur témoignée dès lors par les fées à la race humaine. Le grand mouvement catholique des croisades parut augmenter leur froideur; et, s’il faut en croire le poète Chaucer, elles avaient cessé de se montrer sur la terre dès le quatorzième siècle.

«Ainsi oubliées par les peuples ingrats, les fées s’étaient réfugiées au plus profond de l’éther. Mais telle était leur indulgence pour la race humaine que, dans les dangers pressants, elles redescendaient bien vite sur la terre pour prêter leur secours souverain aux générations qui les invoquaient. C’est ainsi qu’en plein moyen âge la fée Mélusine avait accepté l’hommage de Guy de Lusignan, et, en daignant épouser le comte, lui avait apporté en dot la victoire. C’est ainsi qu’au quinzième siècle, à une époque plus critique, au moment où notre sol natal était foulé par l’étranger. les antiques fées druidiques étaient apparues à Jeanne d’Arc sous le chêne de Bourlemont, et lui avaient mis aux mains cette épée irrésistible que Vercingétorix avait brandie, et avec laquelle la Pucelle reconquit la vieille Gaule!

«Les fées avaient gardé là-haut ce don de prophétie que, sibylles, elles avaient eu ici-bas. Elles voyaient l’avenir, elles connaissaient tous les secrets de la matière, elles avaient, comme la marraine de Cendrillon, le privilège divin d’être dispensées du travail. Mais, remarquons-le bien, quoique placées dans une région supérieure à la nôtre, elles n’en étaient pas moins soumises aux passions, aux infirmités, aux défaillances de la créature. Bien que chaque jour de leur vie équivalût à une année de la nôtre, elles n’en étaient pas moins mortelles. Bien que leurs aliments fussent plus raffinés que les nôtres, elles n’en étaient pas moins obligées de se nourrir. Si, comme l’Élysée de Virgile, le pays féerique avait un air plus pur et un autre soleil que notre terre, il n’offrait pas à ses élus de nouvelles jouissances. Là, les grandes distractions étaient encore des distractions humaines: la musique, la danse et la chasse. Et telle était, assure-t-on, la prédilection des fées pour le plaisir de Diane, que, sortant de leur région, elles faisaient ici-bas des cavalcades périodiques, afin d’essayer sur notre gibier leurs flèches enchantées.

«Une hiérarchie traditionnelle divisait la race féerique en quatre espèces principales: la fée, placée au-dessous de l’ange; le sylphe, au-dessous de la fée; le lutin, au-dessous du sylphe; le gnome, au-dessus du démon.

«Ces quatre espèces, Shakespeare les a symbolisées dans son drame par quatre créations impérissables. Le gnome, c’est Caliban; le lutin, c’est Puck; le sylphe, c’est Ariel; la fée, c’est Titania.

«Ici, une autre question surgit. Entre le monde invisible et l’homme les communications étaient-elles possibles?

«Le moyen âge le croyait. L’homme pouvait exercer son action sur les esprits de tous ordres. Mais cette action même était qualifiée diversement selon la nature des esprits auxquels l’homme s’adressait.

«Remarquez bien ici la distinction. Quand l’homme avait recours aux esprits de ténèbres, il pratiquait la magie noire. Quand il se mettait en rapport avec des esprits de lumière, il exerçait la magie blanche. Dans le premier cas, il était sorcier; dans le second, il était enchanteur.»

Nous n’irons pas plus loin. Nous ne descendrons pas plus avant dans cette théorie en spirale du monde féerique, qui n’est pas exempte de lacunes, et dont plus d’un degré disparaît, enveloppé de l’obscurité systématique. Mais nous avions le devoir de faire entendre à nos lecteurs quelques fragments de cette histoire de la légende, pleine de tableaux et de portraits charmants, de cette dissertation brillante et sonore, harmonieuse et colorée comme une symphonie, qui séduit l’imagination, si elle ne satisfait pas toujours la raison. C’est une cosmogonie tracée d’une main pleine de virtuosité et digne de la main paternelle, qui, s’abaissant un jour jusqu’à la construction de ces petites genèses féeriques, lançait, animée du souffle puissant et doux qui peut mouvoir tour à tour les infiniment grands et les infiniment petits, cette généalogie de la reine Mab, bulle de savon irisée de toutes les couleurs et de tous les rayons du prisme fantastique:

«Prométhée, créateur d’homme et créateur d’esprit, est père d’une dynastie de Dives dont les vieux fabliaux ont conservé la filiation. Elfe, c’est-à-dire le Rapide, fils de Prométhée; puis Elfin, roi de l’Inde; puis Elfinau, fondateur de Cléopolis, ville des fées; puis Elfilin, bâtisseur de la muraille d’or; puis Elfinell, le vainqueur de la bataille des démons; puis Elfant, qui construisit Panthée, toute en cristal; puis Elfar, qui tua Bicéphale et Tricéphale; puis Elfinor le Mage, une espèce de Salmonée, qui fit sur la mer un pont de cuivre, sonnant comme la foudre; puis sept cents princes; puis Elphiléos le sage, puis Elféron le beau, puis Obéron, puis Mab. Admirable fable qui, avec un sens profond, rattache le sidéral au microscopique, et l’infiniment grand à l’infiniment petit.»

Quand on redescend de ces hauteurs vertigineuses du voyage dans le bleu, en compagnie de Shakespeare et de ses dignes commentateurs, on n’est pas fâché de se reposer de l’éblouissement de cette apocalypse de la superstition populaire, non moins énigmatique que l’autre, en compagnie des fées des contes de Perrault, qui sont de bonnes personnes, quoique leur ton soit celui du meilleur monde, et sente sa grande dame. On prend même un plaisir extrême à l’évocation et à la conversation de ces fées de la légende bretonne contemporaine, divinités dégénérées jusqu’à l’humanité, et tombées à des cieux abaissés aux proportions de l’horizon terrestre, qui partagent les misères de ce monde; fées d’une féerie inférieure, populaire, rustique, pédestre, par opposition à la féerie aristocratique, mythique, équestre, ailée.

(Les fées bretonnes n’ont point besoin d’ailes. Leur sceptre est une quenouille. Le peuple crée non seulement à son image et ressemblance, mais à sa taille, à sa portée, les idoles de ce culte profane, de ce commerce des esprits familiers, chers à l’enfance de l’homme et à l’enfance des peuples, chers aussi à leur vieillesse, et dont ils concilient très bien l’illusion et la superstition avec les révélations de la foi, les scrupules religieux.

Ceux qui voudront connaître en détail l’état présent de la superstition féerique, de la tradition légendaire en Bretagne, n’auront qu’à lire les Contes populaires de la haute Bretagne recueillis par M. Paul Sédillot, ou seulement la Préface, qui les analyse et les résume si curieusement.

«Sur le littoral de la Manche, en Ille-et-Vilaine et dans la partie des Côtes-du-Nord où la langue française est aujourd’hui en usage, on donne le nom de houles (anglais hole, caverne, grotte) aux grottes des falaises; on en trouve à Cancale, presque sur la limite de la Normandie et de la Bretagne, et dans la commune d’Étables, à quelques kilomètres du pays bretonnant, est la houle Notre-Dame.

«Entre ces deux points extrêmes, il y a un grand nombre de houles; j’en connais plus de vingt, et je suis certainement loin de les connaître toutes.

«De ces grottes, les unes, comme celles de la falaise de Frebel et Plévenon, ont des proportions monumentales et grandioses: leur entrée est parfois une sorte de voûte, souvent en forme de cintre, élevée de dix à douze mètres au-dessus des galets. Elles se prolongent sous terre si loin que personne, assurent les gens du pays, n’a pu aller jusqu’au fond. On pénètre dans les autres par une fente étroite et haute dissimulée entre les rochers, et qui laisse à peine un passage suffisant pour un homme: quand on a dépassé l’entrée, la grotte devient plus large et parfois elle s’étend assez loin sous la falaise. Il est d’autres houles qui sont actuellement à l’état de ruines. presque toutes celles de Saint-Cast sont en cet état. Les gens du pays, surtout les personnes âgées, disent que, depuis le départ des fées, les grottes, n’étant plus habitées et entretenues, sont tombées en ruines.

«Outre le nom de houles, qui est le plus généralement employé, les grottes portent aussi le nom de pertus (pertuis, trou) ès fées ou de goule. Ce dernier mot est peut-être une corruption de houle. Parfois aussi on les appelle les chambres des fées. Il y en a où l’on voit encore, dit-on, les tables de pierre sur lesquelles les bonnes dames prenaient leurs repas, leurs sièges et les berceaux en pierre de leurs enfants.

« … Les fées des houles se nommaient fées; les fées mâles, faitos ou faitauds; on les appelait aussi fêtes; ce dernier mot, très voisin du latin fata, était masculin et féminin. Vers Saint-Briac, on les désigne parfois sous le nom de fions, mot qui s’applique aux fées des deux sexes, et aussi à certains lutins espiègles.

«… Quand les fées habitaient leurs grottes, elles se montraient assez fréquemment aux hommes, mais elles sortaient plus volontiers la nuit que le jour. Avant le soleil couché, elles n’étaient visibles que pour ceux qui avaient eu le tour des yeux frottés avec la pommade qui rend clairvoyant. Mais, à la nuit close, tout le monde les voyait, paraît-il.

«A part leur pouvoir surnaturel et leur immortalité, les fées et les faitauds vivaient comme les hommes, et avaient presque les mêmes passions qu’eux. Les hommes ont toujours fait les dieux à leur image. Comme eux, ils étaient sujets aux maladies. Dans l’Enfant de la Fée, un enfant des fées a mal aux yeux; la dame de la Goule-ès-Fées est accouchée par une sage-femme.

«Elles se mariaient soit avec des faitauds, qui jouent en général un rôle assez effacé, soit avec des hommes. Mais il semble qu’en s’unissant aux hommes, elles cessaient d’être immortelles, soit par suite de leur baptême, comme la fée de Crehen et ses parents, soit simplement parce qu’elles vivaient parmi les hommes. Elles avaient des enfants; quelquefois aussi elles enlevaient ceux des hommes et mettaient à leur place dans le berceau des enfants à l’air vieux qui ne grandissaient point, ou elles emmenaient dans leurs grottes des jeunes filles qui y restaient plusieurs années.

«Elles se livraient à des occupations semblables à celles des hommes. On les entendait bercer des enfants, boulanger pour mettre du pain au four. Elles lavaient leur lessive, et étendaient sur l’herbe du linge qui était si blanc qu’on dit encore en proverbe, en parlant du beau linge: «C’est comme le linge de fées,» ou: «Blanc comme le linge des fées.» Elles allaient à la pêche. Parfois elles possédaient des animaux domestiques: des vaches qui étaient quelquefois invisibles pour tout le monde, excepté pour la pâtoure qui les gardait; des bœufs. Leurs moutons venaient pâturer avec ceux des fermiers; parfois ils étaient noirs et de grande taille. Celles de Saint-Briac avaient des chevaux, d’autres des oies, des chats, des poules généralement noires. Elles empruntaient les animaux de leurs voisins les hommes, ou bien les leur achetaient; mais certaines trouvaient plus simple de les prendre. D’autres volaient ce qui était à leur convenance; et, seules, les personnes qui avaient eu le tour des yeux frottés avec leur pommade pouvaient les voir. Elles disaient aussi la bonne aventure.

«Cependant les fées,–à part de rares exceptions, et celles-là, on les nommait les mauvaises fées, tandis que les autres s’appelaient les bonnes dames ou les bonnes mères,–se plaisaient à rendre service aux hommes; et presque jamais elles ne demandaient de récompense. Elles filaient le lin des jeunes filles; elles donnaient aux hommes des remèdes qui les guérissaient, ou une graisse qui, à la place des animaux disparus, en faisait revenir de plus beaux.

«Si les hommes qui travaillaient dans les champs leur demandaient poliment de la galette ou du pain, elles leur en offraient; mais si on leur parlait sans égards, elles y mettaient du poil de chien. Leur présent le plus habituel était celui d’un chanteau de pain qui restait toujours frais et ne diminuait pas, si on avait le soin de n’en donner à personne. Ce don était fait par pure bienveillance ou en récompense d’un service rendu, ou pour indemniser les fermiers des dégâts causés par les bestiaux des bonnes dames. Parmi les autres présents qui figurent dans les légendes des houles, on peut encore citer l’ajonc qu’on avait beau couper, et qui ne diminuait point, la poule noire, qui enrichissait ceux qui la possédaient; les paquets de vêtements, l’hameçon qui porte chance, la bourse inépuisable.

«Souvent les fées demandaient à être marraines des enfants des hommes. Elles faisaient des présents à leurs filleuls, mais si on leur refusait d’être marraines, elles se vengeaient; quelquefois, mais plus rarement, c’étaient elles qui faisaient nommer leurs enfants par des jeunes filles.

«D’après plusieurs légendes, elles avaient des vers dans la bouche, parce que le sel du baptême n’avait point touché leurs lèvres. Elles perdaient leur immortalité quand elles avaient été baptisées; on pouvait même les faire périr en leur jetant dans la bouche une poignée de sel.

«Les fées étaient de belles personnes à l’air jeune et avenant; il y en avait toutefois de vieilles qui paraissaient âgées de plusieurs centaines d’années.

«Il est probable que les fées des houles ont succédé à d’anciennes divinités de la mer et du rivage dont la trace et le nom sont encore aujourd’hui perdus. Il n’est peut-être pas inutile aussi de faire remarquer que beaucoup de ces grottes ont pu servir d’asile aux fraudeurs à l’époque où la contrebande était active sur les côtes; le costume de toile grise qu’on prête en général aux fées et aux faitauds était celui des faux-sauniers. Ils ont pu, pour accréditer la croyance ancienne et empêcher des visites indiscrètes dans les grottes qui leur servaient de retraite, simuler, de temps en temps, des apparitions.»

Le monde enchanté : choix de douze contes de fées

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