Читать книгу Le parc aux cerfs - Albert Blanquet - Страница 6
III
ROSE PICARD.
ОглавлениеIl faisait très-froid, et le comte était enveloppé dans une grande pelisse à fourrures qu’un laquais de la marquise avait jetée sur lui à sa sortie; aussi avait-il le visage presqu’à moitié caché lorsqu’il traversa le vestibule qui, de la cour de la chapelle, conduit au parterre du nord; il avança de quelques pas et aperçut, occupés à causer mystérieusement, deux hommes arrêtés dans l’enfoncement du chevet de la chapelle.
–C’est Lebel, pensa-t-il, avec ce misérable Rancrolles; allons, il y a du nouveau… Tout va bien.
Et il passa.
L’un de ces causeurs était en effet le premier valet de chambre du roi. Il avait peine à contenir l’impatience de son interlocuteur.
–J’ai deux chevaux à mon carrosse, disait Rancrolles, vous pouvez être de retour ici dans quatre heures, assez à temps pour le souper du roi.
–Non, c’est impossible. Le roi a besoin de moi à chaque instant, il peut vouloir m’envoyer chez la marquise d’un moment à l’autre; je n’aurais pas même dû le quitter.
–Au fait, vous avez peut-être raison. Ah! c’est égal, l’occasion était bonne de la remplacer à tout jamais.
–Je vous dis que j’aime mieux celle-là, qui est tout arrivée.
–Soit, n’en parlons plus.
–Je vous verrai demain matin, sur les dix heures; mais vous me garantissez bien. la. candeur de l’objet.
–Pardieu!
–C’est que j’ai déjà été trompé, voyez-vous, et j’aime mieux vous prévenir d’avance. Une fois, une grande dame me tombe de la province, vêtue plus que simplement: elle était d’une beauté surprenante, et habilement dirigée par un homme très-fort. Vous comprenez ce qui pouvait arriver; une fois au but, elle jetait l’habit d’emprunt, et la grande dame reparaissait. Eh bien! j’ai découvert le piége par un moyen infaillible, et j’en ai une infinité d’excellents dans mon sac, rappelez-vous cela, chevalier.
–Alors, à demain, dix heures, à Paris.
–Rue des Marmousets, c’est entendu.
Ils se quittèrent, et Lebel entra chez la marquise de Pompadour.
Le chevalier de Rancrolles monta dans son carrosse, un horrible véhicule de louage, mais attelé de deux chevaux de choix, et se fit conduire à Paris, en recommandant au cocher de ménager les bêtes.
–J’ai le temps, se disait-il, et demain j’aurai peut-être besoin de brûler le pavé.
Il entra dans Paris la nuit. Il fit arrêter sur le pont au Change, renvoya sa voiture, et s’enfonça dans la Cité.
Comme il entrait dans l’étroite rue des Marmousets, il fut heurté par un homme qui marchait rapidement et, sans se soucier d’être entendu des passants, s’exprimait en termes fort vifs sur la personne qu’il venait sans doute de quitter.
–Coquette! perfide! âme double et traîtresse! Ah! vilaine chose que la femme!
–Bon! se dit Rancrolles, après l’avoir repoussé assez rudement, je parie que c’est notre amoureux.
Et il se retourna jusqu’à ce que cet homme passât devant la lanterne fumeuse brûlant au coin de la rue, en attendant les réverbères qui furent inventés quelques années après.
–Justement, se dit Rancrolles, c’est le Pinson! Çà, aura-t-il enfin avoué sa belle position?… Quelle heureuse inspiration a eue cet imbécile de vouloir être aimé pour lui-même, quand il a six millions!… Nous allons bien voir.
Il arriva devant la maison qui porte aujourd’hui le numéro32, et dont le rez-de-chaussée était occupé par une petite boutique de mercerie. Au lieu de frapper à la porte de l’allée contiguë, il entra résolûment dans la boutique.
Il y avait à droite de la porte d’entrée un petit comptoir de chêne poli, sur lequel était une lampe éclairant les jolis doigts de la mercière, occupés pour le moment à tricoter.
–A la bonne heure! fit-elle en relevant la tête, le plus charmant minois, blond, frais, rose, blanc comme lis, et animé d’un sourire franc et perlé,–c’est très-bien cela!... Tiens, c’est vous, monsieur le chevalier?
Et la blonde jeune fille rougit de sa méprise.
–Oui, chère enfant, c’est moi, tandis que votre M. Pinson s’en va grommelant et vous apostrophant.
–C’est un vilain jaloux.
–Oh! a-t-il donc osé suspecter la blancheur de votre pensée, ma toute belle?
–Il prétend que j’écoute trop les compliments des autres et que je ris à ceux qu’il essaie de me débiter.
–Il les fait donc gauchement?
–Assez. répondit la jeune fille en riant.
–Dame, s’il vous aime, il est intimidé.
–Il a tort.
–Et vous, l’aimez-vous?
–Pas extraordinairement.
–En vérité; j’espère bien que vous ne le lui avez pas déclaré?
–Pas si sotte. Mais me refuser…
–Il ose vous refuser quelque chose, c’est un mal-appris, un manant.
–Je n’ai pas osé le lui dire.
–Mais vous le pensiez.
–Figurez-vous que j’ai une envie… mais une envie furieuse de voir… Vous allez vous moquer de moi.
–Non, dites toujours; les envies d’une jolie femme sont les choses les plus respectables et les plus sensées du monde.
–A la bonne heure, vous savez vivre, vous, monsieur le chevalier. Eh bien, j’ai envie de voir un bal de l’Opéra.
–C’est excessivement légitime, et une femme ne peut pas mourir avant d’y avoir assisté une fois au moins.
–Voilà précisément ce que j’ai dit à M. Pinson.
–Et il refuse? demanda Rancrolles singulièrement affriandé par cet aveu, et dont l’imagination bâtissait déjà des montagnes de projets sur ce désir.
–Moi qui m’y préparais en secret depuis plus d’un an!
–Ah! il y a un empêchement; c’est que, vu la maladie du roi, on pourrait bien les interdire cette année.
–J’ai vu aujourd’hui mademoiselle Clairon, à qui j’ai porté des rubans, et elle m’a appris que rien ne serait changé au carnaval de cette année, afin de ne pas trop occuper les esprits, et cela par ordre du roi.
–Eh bien, mademoiselle Rose, si vous voulez me faire l’honneur de m’accepter pour cavalier, je vous y conduirai, moi.
–Avec Diane? demanda la jeune fille en portant son joli doigt dans la direction du plafond.
–Sans Diane.
–C’est qu’elle a bien envie d’y aller aussi, elle, mais c’est pour voir...
–Pour voir?
–Pour voir le roi; je crois qu’elle en est amoureuse.
–Ma nièce se permettrait!...
–Oh! le vilain oncle qui se fâche pour si peu.
–Mademoiselle, j’y consentirais, que ni son père, ni sa mère n’y prêteraient les mains. Mais quant à M. Pinson, il a peut-être ses raisons pour refuser.
–Croyez-vous?. Il y va avec une dame peut-être.
–Il n’y a pire eau que celle qui dort.
–C’est vrai. Eh bien, s’il ne m’y conduit pas, j’irai avec vous, et nous le surprendrons.
–Charmant petit cœur, c’est entendu! dit Rancrolles en saisissant la petite main de la mercière, qu’il baisa avec autant de sérieux et de respect que si c’eût été la main d’une duchesse.
Il quitta la boutique et entra dans l’allée qui menait à l’étage au-dessus.
–A merveille! se disait-il en montant l’escalier, de l’Opéra au Parc aux Cerfs, il n’y a que la distance d’un ou deux verres de Champagne.