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IV
LES DEUX MAISONS DE LA RUE SAINT-LOUIS.

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Table des matières

Le Parc-aux-Cerfs, à Versailles., était, à cette époque, le nom sous lequel on désignait une partie du quartier Saint-Louis actuel.

Il avait pour limites, au nord la rue des Tournelles, à l’ouest la rue de Satory et les murs du Potager du roi, au midi et à l’est les bois de la Butte-Gobert.

Le25novembre1755, ainsi qu’il résulte des actes deposés dans l’étude de maître Patu, conseiller du roi, notaire au Châtelet de Paris, le roi Louis XV acheta, sous le nom de l’huissier Vallet, une petite maison située rue Saint-Médéric, et portant aujourd’hui le no2.

C’était là, avoue madame du Hausset dans ses moires, qu’habitaient les sultanes du sérail de Louis XV; mais elle déclare qu’il n’y en avait que deux en général, et très-souvent une seule. Elle ajoute qu’on leur donnait, lorsqu’elles se mariaient, des bijoux et une centaine de mille livres.

Le témoignage de la femme de chambre de la Pompadour nous paraît un peu suspect de partialité; son livre n’est qu’un long panégyrique de la favorite, où, d’elle et du roi, elle fait de petits saints.

Le témoignage de Mercier lui-même doit être-repoussé; car ce n’est pas une raison, parce que de grands seigneurs ou de riches particuliers avaient ce qu’on appelait alors des petites maisons, pour tolérer semblable possession au roi de France.

Il fallait absolument, dit l’auteur de la Vie privée de Louis XV, que la Pompadour écartât sans relache, des petits soupers du roi, tomes les femmes de qualité faisant sur lui une vive sensation, et elle alla jusqu’à les faire punir parfois, de l’exil, du crime de vouloir plaire. Il fallait que, devenue surintendante de ses plaisirs, elle fit continuellement recruter dans le royaume des beautés neuves et inconnues, propres à renouveler le sérail qu’elle gouvernai à son gré.

Telle fut, ajoute-t-il, l’origine du Parc-aux-Cerfs, gouffre de l’innocence et de l’ingénuité, où venaient s’engloutir les victimes qui, rendues ensuite à la société, y rapportaient la corruption, le goût de la débauche et de tous les vices.

Indépendamment du tort qu’à fait aux mœurs cette abominable institution, il est effrayant de calculer l’argent qu’elle a coûté à l’État. L’auteur entre ici dans l’émunération des charges de cette institution immorale, et n’évalue pas à moins d’un milliard les sommes qui, en dix ans, ont passé par cette étrange piscine,

On peut aussi regarder le Parc-aux-Cerfs comme une des sources principales de la déprédation des finances; car dans ses fameuses Remontrances, le Parlement reprocha au roi que les acquits du comptant qui, sous le prodigue et fastueux Louis XIV, n’avaient jamais monté à plus de dix millions, passaient alors cent millions,

Or, ces acquits du comptant étaient les sommes délivrées par le trésor sur la simple signature du roi, et sans qu’il fûf fait mention de l’objet de leur destination.

Donc, malgré les méticuleuses précautions des agents secrets des plaisirs du monarque, et la complaisance apportée par plusieurs écrivains, en vue d’amoindrir les faits, il est avéré que la maison de la rue Saint-Médéric n’était pas seule en possession d’abriter les amours du roi. Nous avons été assez heureux pour trouver la piste vraie.

Au coin de la rue Saint-Louis,–nous parlons toujours de Versailles,–s’élevait une maison élégante, entre cour et jardin, entièrement close de murs.

Cette maison porte aujourd’hui le no14, et fait retour sur la rue Royale.

Elle appartenait alors à M. Colin, procureur au Châtelet, chevalier de Saint-Louis et intendant de la marquise de Pompadour.

Cette propriété occupait, en mitoyenneté avec celle qui porte aujourd’hui le no20, tout le pâté borné par les rues Saint-Antoine et Saint-Médéric, Le mur qui séparait les deux jardins était à peu près à la hauteur de la petite rue de Poix.

Cette dernière maison, celle du no20, était habitée par madame de Néris et sa fille, ou plutôt celle qui passait pour telle.

Madame de Néris était la veuve d’un gentilhomme, ami de Tournehem, le père probable de madame de Pompadour, qui s’était ruiné au jeu ou en folles prodigalités, et qui avait fini par se faire tuer en duel, quelques jours après la mort de madame de Châteauroux: ce qui le priva de recueillir les profits de la liaison de sa femme avec la nouvelle favorite. Madame de Pompadour prit soin, naturellement, de cette amie intime qui avait servi de mère à l’enfant né de ses premières fautes, et la combla des bienfaits du roi. Heureusement pour ses projets, madame de Néris était une âme honnête, ennemie des splendeurs de la cour, et que les chagrins de son détestable mariage avait jetée dans une dévotion tempérée par une douce indulgence.

Elle et Jeanne vivaient dans cette maison de la rue Saint-Louis d’une vingtaine de mille livres de revenu, sur lesquelles elle trouvaient encore toutes deux de quoi répandre quelques aumônes.

Madame de Néris, de ses anciennes relations, n’avait guère conservé, comme intimité, que le marquis de Moléon, dont elle était un peu parente par son mari; c’est pourquoi, le lendemain de l’entrevue du comte de Saint-Germain avec madame de Pompadour, trouvons-nous le vieux marquis en tête-à-tête avec elle dans son cabinet.

–Oui, disait le marquis, si ce diable de Néris s’était contenté de vivre pour vous, ma chère baronne, vous ne seriez point, à cette heure, forcée de marier votre fille à je ne sais quel sot roturier dont les écus vont servir à redorer le blason des Néris. Ils sont vraiment surprenants, ces bourgeois, gros et petits, ils crient sur les toits et par l’organe des philosophes, contre la noblesse et ses priviléges, et ils veulent tous être anoblis. Je vous demande un peu quel besoin a ce jeune Pinson de s’allier à une famille de gentilshommes?

–Vous oubliez, marquis, que le titre de baron et le nom de Néris passeront sur sa tête.

–C’est vrai! s’écria le marquis en riant bruyamment, et ce ne seront pas là, certes, les seules choses qui y passeront sur sa tête!

–Marquis!… fit la dévote baronne.

–Pardon… mais j’admire ce beau revirement. Hier encore la marquise faisait fi de ce mariage, et aujourd’hui vous me dites qu’elle le favorise.

–Surtout, n’en dites rien, je vous ai confié cela, marquis!

–Soyez tranquille, cela m’arrange trop pour que j’y nuise par la moindre indiscrétion.

–Vous êtes méchant, car ils s’aimaient, ces chers enfants, ils s’aiment encore., .

–Voilà le grand malheur!

–Marquis, j’avais toujours considéré une union entre votre fils et Jeanne comme dictée par les convenances.

–C’est possible, mais… Ah! vous avez sagement agi en précipitant au plus vite le mariage. Cette petite fille romanesque n’est pas tout à fait le parti qui convient le mieux à M. Pinson, mais bah!

–Elle qui rêvait l’amour dans le mariage!

–C’est une petite sotte. A quoi va-t-elle songer, je vous prie, est-ce que vous ne l’aviez pas rêvé aussi, vous? L’amour dans le mariage! quelle invraisemblance!

–Enfin, reprit la marquise sans s’arrêter à relever cette brusque sortie, je crois être parvenue à persuader Jeanne de la folie de son amour, mais Henri?

–Imaginez-vous que le drôle veut à tout prix empêcher ce mariage. Je ne sais comment il a appris qu’on signe le contrat demain; mais comme je le sais capable de toutes les extravagances, il tient de moi, pardieu! j’ai enfermé ce cher enfant dans son appartement.

–Relle-garantie! fit en riant madame de Néris, qui au fond conspirait pour le prisonnier.

–J’ai défendu, répliqua le marquis, à mes gens et aux siens, de lui prêter le secours d’aucune échelle.

–Mais s’il saute par la fenêtre? fit la baronne en marchant vers la fenêtre.

–Allons donc! est-ce qu’on saute d’un deuxième étage sur le pavé de Paris!

–Cela s’est vu, lit la baronne avec malice.

–Pardieu! vous avez raison, car je me rappelle avoir sauté, moi, d’un premier étage pour éviter le retour d’une personne… gênante; mais du diable si je l’aurais fait en toute autre occasion, et encore me suis-je foulé la jambe au point de rester deux grands mois au lit. Il est vrai que j’étais jeune!

–Eh bien, ce que vous avez fait...

–Mon fils ne le fera pas, il a trop de respect pour la volonté de son père. Et puis, je m’installe ici jusqu’à conclusion. Mais que regardez-vous donc dans le jardin? demanda le marquis en se levant pour aller trouver la baronne à la fenêtre.

–C’est elle, elle se promène rêveuse.

–Par le froid qu’il fait!

–Elle me voit, retirez-vous de là, marquis, dit madame de Néris en le repoussant.

–Au fait, c’est vrai, ma vue lui rappellerait trop mon coquin de lils.

–Elle a l’air. oui, elle vient ici. Tenez, entrez dans le salon, elle a sans doute à me parler.

–Soyez ferme, surtout! dit le marquis en se retirant dans le salon, séparé du cabinet de la baronne par la chambre à coucher.

–Tout va bien, se disait-il entre ses dents, le comte de Saint-Germain avait raison, mais comment la marquise peut-elle être mêlée à tout cela?

Il avait à peine disparu, que Jeanne de Néris entra.

C’était une belle jeune fille de dix-huit ans, à la taille élancée, et dont le teint mat et rosé avait la transparence de ces chairs que le Titien a fixées sur la toile avec la magistrale autorité de son génie; cette transparence ressortait plus vivement encore encadrée dans les spirales d’une abondante chevelure noire et encore vierge de poudre. Sa démarche, l’expression de ses yeux, le port de sa tête, tout indiquait bien un caractère susceptible de résolution, et qui pouvait, sous l’impression d’un sentiment heurté, se laisser glisser sur la pente d’une indépendance absolue.

La baronne connaissait bien les nuances de ce caractère; aussi s’était-elle toujours étudiée à le ménager.

–Madame, dit-elle en entrant, je ne pourrai jamais m’y résoudre.

–A quoi, mon enfant? demanda la baronne, qui savait pourtant ce qu’elle voulait dire.

–A ce mariage.

–Ma chère enfant, ne recommençons pas d’inutiles débats.

–Au nom du ciel, madame, daignez faire trêve à ces rigueurs. Daignez surtout abdiquer un peu de cette volonté implacable qui va si mal à votre doux visage. Vous obéir a toujours été la loi de mon cœur; mais aujourd’hui, je vous en conjure, ne mettez pas mon obéissance à une si rude épreuve.

Et en disant ces mots, elle embrassa tendrement la baronne. Celle-ci, habituée à faire depuis longtemps tontes les volontés de celle qu’elle aimait comme une véritable mère, détourna la tête pour cacher l’irrésolution de son regard.

–Le parti qu’on vous offre est magnifique pour nous, qui n’avons pas de fortune, aujourd’hui surtout où le luxe est porté à un point.

–Ah! madame, c’est le mariage que je repousse plutôt que le mari. Je ne l’aime pas, ce monsieur Pinson; il a un nom ridicule, il n’est pas noble; mais le fût-il, et vous savez que je fais plus de cas des qualités du cœur que des avantages du rang et de la fortune; mais le fût-il, que je parlerais de même. Vous savez que mon cœur s’est donné à un autre: c’est une affection de quinze années; il m’aime, et le souvenir d’Henri, convenez-en, doit me rendre odieux tous les partis qui pourraient m’être présentés.

La baronne se leva, et, l’embrassant au front, voulut se retirer, afin de rompre un entretien pénible et surtout difficile à soutenir pour sa faiblesse, mais Jeanne la retint doucement.

–J’espère, ma chère enfant, dit-elle, qu’avec le temps tu reviendras à des sentiments plus raisonnables.

–Plus raisonnables! fit Jeanne avec une sorte d’indignation. Ah! madame, vous êtes inflexible, et, je le vois bien, il vous est indifférent de briser mon cœur. Pauvres jeunes filles, sommes-nous malheureuses en ce monde! Nos affections, nos désirs, est-ce qu’on les consulte! On nous dit d’épouser tel ou tel homme, et il faut obéir. Oh! les choses sont bien mal faites ainsi. On nous ôte toute force de volonté, les lois sont là pour nous contraindre. Ah! madame, madame, vous êtes trop rigoureuse!

–Jeanne, mon enfant!...

–Oui, madame, trop rigoureuse, continua la jeune fille avec force sans la regarder en face, et l’on voit bien que vous n’êtes point ma mère.

A ce mot, madame de Néris regarda Jeanne, le visage bouleversé d’étonnement et d’effroi.

–Jeanne, s’écria-t-elle, que dites-vous?

–Pardon, ma mère, répondit la jeune fille en s’agenouillant devant elle et lui prenant la main qu’elle baisa doucement, pardonnez-moi d’avoir surpris ce secret.

–Mais vous vous trompez, essaya de balbutier la baronne.

–Je le désire, madame, répondit Jeanne; oui, car je ne puis oublier les soins maternels dont vous m’avez constamment entourée.

–Qui vous fait supposer?…

–Un avis que j’ai reçu d’une manière mystérieuse, un jour, à Saint-Louis.

–0ciel!

–Cet avis, j’ignore quel a été le but de ceux qui me l’ont fait parvenir. Peut-être ont-ils voulu ainsi me donner la force de lutter contre votre volonté.

–Mais enfin, quel est-il? Parlez.

–Voici, madame. En entrant à l’église, nous nous dirigions vers notre place habituelle. Il y a de cela un mois; c’était le lendemain du jour où… M. Pinson est entré dans notre maison… Nous nous dirigions donc, vous et moi, vers nos chaises, lorsque je vis se lever de la mienne une femme qui s’éloigna en nous adressant ses excuses.

–En effet, je me rappelle… fit la baronne, et je n’y attachai aucune importance.

–Ni moi non plus; mais quand nous fûmes assises, j’aperçus à terre, entre mon prie-Dieu et celui de ma voisine, un petit papier plié. Pardonnez-moi, ma mère; mais il y avait déjà deux mois que je ne voyais plus Henri, et je m’imaginai que c’était lui qui m’écrivait de la sorte. je ramassai le billet sans être vue. Une fois dans ma chambre, je le lus. Le voici, madame.

Et Jeanne, tirant un papier de sa poitrine, le présenta à madame de Néris.

Celle-ci, au comble de la stupeur, y lut ces mots:

«Jeanne de N... est la fille du marquis de Montferrat et de madame de…, décédée.»

A ce mot de décédée, la baronne respira, et dit ensuite avec calme:

–Et qui prouve que ce billet vous fût destiné, mon enfant?

–C’est vrai, madame: malgré ce N..., je doutai; mais deux jours après, je trouvai dans le jardin, et comme s’il eût été jeté par-dessus le mur, un billet semblable,

–Ah! fit la baronne avec accablement.

–Chère mère, fit Jeanne en lui baisant de nouveau les mains avec ardeur, ne me jugez pas assez ingrate pour ajouter foi à cette révélation, qui ne peut être qu’un des moyens d’une intrigue dont je chercherais peut être en vain le but. Je veux être et rester votre fille; et, puisque vous avez recueilli mon enfance, je veux vous en récompenser en continuant de vous entourer de tout l’amour d’une fille.

–Ah! pourquoi ma Jeanne, à moi, l’enfant de mes entrailles, n’a-t-elle pas vécu en toi, adorable enfant!... fit la baronne avec douleur.

–C’est donc vrai?

–Hélas!… Mais, au nom du ciel, ne m’en reparle plus, que tout le monde ignore…

–Oui, ma mère... mais ce marquis de Montferrat. quel est-il?

–Un seigneur de ce nom a paru autrefois à la cour, il y a longtemps. Il a disparu peu de temps avant ta naissance, et depuis je n’en ai jamais entendu parler.

–Bien! c’est donc à vous seule que j’appartiens; ma mère; j’en suis heureuse, car vous aurez réellement soin de mon bonheur, vous ne forcerez pas ma volonté. Vous me laisserez conserver mon cœur vierge de toute affection qui ne se rapporterait pas à Henri.

–Il faut oublier cet amour, malheureuse enfant!...

–Non, je veux le laisser vivre en mon cœur et mourir ainsi. Vous savez que mes goûts sont simples et que je me contente de peu, eh bien, consentez à ce que je vive désormais, comme toujours, auprès de vous.

–Eh bien, espère, dit la baronne en la baisant au front.

Pendant que ceci se passait dans cette maison tranquille, nous allons faire franchir au lecteur le mur du jardin, et l’introduire dans la maison du sieur Colin.

Ce Colin était le premier ministre de madame de Pompadour, et depuis plus d’un mois il avait été chargé par celle-ci d’une mission assez épineuse et d’une besogne dont l’exéculion avait rencontré de sérieuses difficultés.

Tous les soirs, M. Colin, quoique procureur au Chàtelet et chevalier de Saint-Louis, s’affublait d’un habit râpé, d’une perruque terne, et, dans ce modeste équipage, se faisait conduire a Paris. Là, il faisait arrêter dans la rue Saint Honoré, à peu de distance des Halles, et s’enfonçait dans une des trente ou quarante ruelles de ce quartier noir et infect où circulent aujourd’hui la lumière et la vie. Tantôt c’était dans la rue de la Monnaie, tantôt dans celle des Arcis, tantôt dans celles des Boucheries, de la Grande-Truanderie, de la Mortellerie, enfin, dans les rues où il savait trouver encore ouvert quelqu’un de ces sombres cabarets où les ouvriers de tout corps d’état venaient se délaser du labeur quotidien.

Il en embauchait un chaque soir, soit un maçon, soit un terrassier, soit un badigeonneur, soit un serrurier, selon sa fantaisie ou son besoin, et l’emmenait aussitôt vers sa voiture. Là, l’ouvrier se laissait bander les yeux, et M. Colin fermait des volets fort ingénieusement pratiqués à l’intérieur de la voiture. Ils arrivaient ainsi, non sans quelques détours habilement combinés, dans la maison de la rue Saint-Louis. L’ouvrier commençait par souper copieusement, puis, quand il avait dormi quatre ou cinq heures, on le réveillait pour lui faire accomplir une besogne mystérieuse.

Au bout de deux ou trois jours, parfois davantage, souvent beaucoup moins, l’ouvrier, bien payé, était reconduit à Paris avec les mêmes précautions, et en le congédiant, M. Colin lui recommandait le silence le plus absolu, en ayant soin d’appuyer ses arguments d’un mot qui alors avait la vertu la plus souveraine.

Le mot Bastille.

Madame de Pompadour, malgré les avis de ses conseillers, avait quitté le château, mais elle était restée à Versailles; il est vrai que c’était dans le plus strict incognito, et que, chose surprenante, tandis que tout le monde la croyait plongée dans la douleur, au fond de son appartement situé, nous l’avons dit, au-dessous des salons de Diane, de Vénus et de! Abondance, elle était, nondans son son délicieux ermitage de l’avenue de Saint-Cloud, mais dans la maison de son intendant.

–Décidément, mon cher Colin, lui dit-elle, en mettant pied à terre dans la cour, vous êtes l’homme le plus précieux et surtout le plus prévoyant du monde.

Le factotum reçut le compliment sans rougir et se contenta de faire entrer la marquise dans le plus délicieux salon.

–Parfait!… fit madame de Pompadour en examinant l’ameublement et les peintures avec cette science du goût qu’elle possédait au plus haut degré.

–Le roi sera satisfait, madame?

–Il serait bien difficile, c’est aussi bien qu’à Bellevue ou à Choisy.

Et arrêtant ses yeux sur une peinture où le joli et le coquet le disputaient au laisser-aller du sujet, elle se retourna vers Colin.

–C’est mieux même! ajouta-t-elle.

–Et maintenant, madame, voulez-vous voir?

–Attendons Lebel. Surtout vous ne lui avez pas laissé soupçonner?

–Vous me l’aviez trop recommandé.

Peu d’instants après, le lourd marteau de la porte d’entrée retentit, et bientôt Lebel entra dans le salon. Le premier valet de chambre semblait rayonnant de joie.

–Alors tout va bien? demanda la Pompadour avec un sourire.

–Je n’ose encore trop l’affirmer, madame, mais j’en jurerais presque.

La marquise prit place dans une molle bergère et fil signe à ses confidents de s’asseoir.

–Mon cher monsieur Lebel, dit-elle, il ne faut pas nous dissimuler que le roi a subi un assaut terrible, et que l’aventure est plus qu’extraordinaire. Aussi, j’en ai la conviction, Sa Majesté ne consentira jamais à remettre les pieds dans cette maison de la rue Saint-Médéric, elle lui rappellerait toujours cette pauvre fille frappée de folie.

–J’avais en effet, madame, l’intention de vous en parler, dit Lebel.

–Eh bien, pour parer à cela, il semble que M. Colin a été touché du don de prescience, car il a préparé, ici même, le plus charmant réduit, vous allez en juger.

–Oh! je m’en repose parfaitement sur vous, madame, pour en être certain.

–Vous allez voir, continua la marquise, que M. Colin possède de grands talents d’ingénieur et que, si le roi était à court de généraux, il pourrait fort bien recourir à ses lumières pour préparer le siège d’une place forte.

–Madame, le roi est habitué à vous voir épuiser le possible; et si vous avez été au-delà, ce n’est pas moi qui oserai m’en étonner.

L’intendant conduisit ses hôtes dans un cabinet attenant au plus délicieux boudoir, où les peintures du genre de celle qui avait déjà attiré l’attention de la favorite étaient répétées avec une profusion calculée. Quand il crut leur curiosité satisfaite sur ce point, il posa un doigt sur ses lèvres, s’approcha d’un large fauteuil où l’on pouvait tenir deux à l’aise et toucha délicatement l’un des clous dorés de ce meuble.

Aussitôt le fauteuil tourna comme sur l’un de ses pieds et démasqua l’entrée d’un petit escalier s’enfonçant en terre en droite ligne.

–Sa Majesté n’aime pas les escaliers tournants, fit remarquer la marquise.

Il y avait du feu dans la cheminée du boudoir, Colin y alluma deux flambeaux, en offrit un à Lebel, garda l’autre, et tous trois descendirent les marches de cet escalier, dont chacune était garnie d’une moelleuse moquette. Au bas de l’escalier s’étendait une pièce assez spacieuse, pavée de marbre avec tapis, et sur le mur faisant face à l’escalier qu’ils venaient de quitter, se trouvaient les lambris d’une porte étroite.

M. Colin ouvrit cette porte, et un long corridor se présenta, dont les murs étaient recouverts d’une de ces étoffes dites de Perse, alors toutes nouvelles.

–Vous ne devineriez jamais, Lebel, dit la marquise, où conduit ce corridor?

–Non, madame, mais je commence à comprendre que c’est un souterrain.

–Entrez, et vous allez vous en assurer.

–Vous ne venez pas, madame la marquise? demanda le valet de chambre.

–Non. Je suis fatiguée, je vais vous attendre dans le boudoir.

Et tandis qu’elle remontait l’escalier, les deux hommes pénétrèrent dans le couloir souterrain.

Trois quarts d’heure après, ils étaient de retour. Lebel était émerveillé.

–Comme cela va pouvoir se concilier avec les velléités de Sa Majesté de ne s’occuper que de son salut! s’écriait Colin. Et comme son confesseur aura beau jeu! Plus de scandale! Tout est là, à ce qu’il parait, pour nos robes noires!

–Monsieur Colin, fit la marquise, on voit bien que vous êtes des amis de M. de Voltaire.

–Et je m’en honore, madame, c’est le plus grand homme des temps modernes.

–Ah! après le roi et Sa Majesté prussienne, toujours.

–On excepte toujours les souverains, madame, ils ont toutes les grâces d’état et de génie.

–Vous-êtes un encyclopédiste, et je vous signalerai à la vindicte de M. le dauphin.

–Je serai fier de subir le martyre, madame.

La marquise se leva et se prépara à partir.

–Ainsi, monsieur Lebel, vous êtes satisfait ?

–C’est-à-dire, madame, que le roi fait tous les jours des chevaliers de Saint-Louis qui ne l’ont pas si bien mérité, certes, que M. Colin! Si je. suis satisfait!.

–Allons, tant mieux. Je vous laisse. Maintenant je n’ai plus à m’occuper de rien, le reste vous regarde; cela est bien convenu, je fermerai les yeux, et je n’apprendrai jamais que trois mois après, au moins, les infidelités que pourra m’avoir faites M. Louis de France.

–Parfait! parfait! ne cessait de s’écrier Lebel. Tantôt on viendra ici, tantôt on ira là-bas, sans esclandre, sans carrosse, sans curieux, sans crainte de s’enrhumer surtout! Monsieur Colin, vous êtes un grand homme!

–Colin, dit la marquise, vous présenterez vous-même le mémoire à Sa Majesté, vous saurez choisir le bon moment, je compte sur vous pour cela.

La marquise partit. Quant à Lebel, il eût bien voulu reprendre le chemin du corridor souterrain; mais il se rappela qu’il avait donné rendez-vous au chevalier de Bancrolles, et que celui-ci devait l’attendre avec impatience.

Il quitta le petit hôtel de la rue Saint-Louis, plus enchanté encore qu’au moment même où il avait été appelé à apprécier l’invention de l’intendant de la Pompadour, et se rendit derrière la Grande-Écurie où il trouva le carrosse de Rancrolles. Dès qu’il parut au bout de la rue, la portière s’ouvrit, et cinq minutes après les deux chevaux du chevalier couraient au grand galop vers Paris.

Le parc aux cerfs

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