Читать книгу Les Rois Frères de Napoléon Ier - Albert Du Casse - Страница 14

Оглавление

Joseph à Julie.

Madrid, le 16 mai 1810.

Ma chère amie, je n'ai pas de tes lettres depuis celle que m'a remis le courrier de Tascher, je t'ai écrit que j'approuve tout ce que tu feras, j'ai donné procuration à James, et je la lui ai donnée pour qu'il puisse s'en servir pour exécuter les ordres que tu lui donneras. Tu n'as pas oublié comment la terre de Mortefontaine fut achetée; dans ce que James fera, tu lui diras de te comprendre pour moitié, je préfère à tout que ce soit ton frère Nicolas qui s'en charge.

Tascher doit t'avoir parlé de ses affaires; je ne sais pas pourquoi tu ne m'en parles pas. Si ce jeune homme convient à ta nièce et que ta nièce convienne à ses parents, je préfère ce jeune homme à tous autres n'importe la fortune, etc.

Joseph à Julie.

Madrid, le 16 juillet 1810.

Ma chère amie, j'ai reçu la lettre dont était porteur Tascher; sa cousine[26] m'écrit que l'empereur l'autorise à lui permettre de se marier avec ta nièce Marcelle, si elle y consent. D'après ce que me disent ses frères, Tascher a aujourd'hui cinquante mille livres de rente en fonds de terre, il a un état, c'est l'honneur même, il ne faut pas hésiter à lui donner Marcelle; il est mille fois mieux que le parti que tu m'as proposé, il ne serait pas juste qu'elles fassent toutes des mariages au-dessus de leur position; j'entends donc que Mlle Marcelle épouse M. Tascher, si elle le trouve bien. Je m'engage avec lui et sa cousine à laquelle je ne veux pas manquer de parole, moins aujourd'hui que dans tout autre temps. Réponds-moi d'une manière précise. Tascher reviendra à Paris.

Avant de partir il faut que tu saches à quoi t'en tenir sur les affaires d'Espagne. Fais de tout ce que nous possédons en France une vente dont nous puissions détruire les preuves....... (quelques mots illisibles) est grand et j'en rends grâces au ciel. Je t'embrasse avec Zénaïde et Charlotte..... Je désire cependant beaucoup savoir ce que devient l'Espagne avant que tu quittes Paris; quant à moi, je suis bien décidé à ne jamais transiger avec mes devoirs. Si on veut que je gouverne l'Espagne pour le bien seulement de la France, on ne doit pas espérer cela de moi. J'ai des devoirs de cœur et de besoins de reconnaissance envers la France qui est ma famille; mais jamais, même dans la misère, je n'ai accoutumé mon âme à se dégrader pour le bien de ma famille.

J'ai des devoirs de conscience en Espagne, je ne les trahirai jamais et je me complais trop dans le souvenir de ma vie passée pour vouloir changer d'allure aujourd'hui que je redescends la montagne. Je serai et resterai donc homme de bien, homme vrai tant que mon cœur battra. Mon courage saura toujours se faire à tout, moins aux remords. Au reste je ne sais pas pourquoi je t'écris si au long. Tu me connais, crois que la royauté ne m'a pas changé, et que je suis toujours ce que tu m'as connu. Si tu n'as pas besoin de Deslandes, renvoies-le moi (Deux lignes effacées). Je suis obligé de venir au secours de tant de provinces où l'on n'envoie plus rien et où la misère est profonde, parce qu'à Avila, à Ségovie même, des généraux français administrent mes provinces, renvoyent mes employés et que Madrid est le rendez-vous où tous les malheureux aboutissent et où s'adressent tous les besoins. Je sens que cet état de choses me serait encore plus pénible toi et mes enfants étant ici, et que je n'aurai plus la ressource d'errer avec un quartier-général. Tout cela peut être réparé d'un mot de l'empereur, qu'il trouve bon que je renvoie les dilapideurs, qu'il me rende l'administration de mes provinces et qu'il croye plus à ma probité qu'à celle de Ney ou de Kellermann. Arrivé ici avec mes enfants, il faut que je m'établisse d'une façon définitive à Madrid, il faut que je sache comment je pourrai y vivre, car aujourd'hui je ne le sais pas; l'Andalousie est absorbée par l'armée, les pays épuisés par les insurgés, l'empereur ne sait rien, il faut qu'il connaisse ma position, qu'elle change sa justice ou que je la fasse changer par ma retraite des affaires; tu dois donc venir en Espagne avec la connaissance de ce que veut l'empereur avec le projet d'y rester ou résolue à la quitter pour la vie privée. Il n'y a personne à Paris à qui je puisse écrire. L'empereur a peu vu M. d'Azanza que j'avais chargé de mes affaires. Quand tu en seras partie, il n'y aura plus aucun moyen de communication. Il est donc bon que tu saches bien avant de partir ce qu'il nous importe de savoir et que nous ne pourrons plus savoir après.

Je reçois une lettre de Lucien du 15 juin[27], quelque déplorable que soit son sort, je l'envie encore et je le préfère mille fois à la figure humiliante que je fais ici. J'ai à me louer beaucoup des habitants de Madrid et de tous les Espagnols qui me connaissent. La guerre serait bientôt finie et l'Espagne pacifiée si on veut me laisser faire.

(Plusieurs lignes de cette lettre enfouie dans la terre en 1814 sont illisibles. Une minime partie seulement a été insérée dans les mémoires de Joseph.)

Joseph à Julie.

Madrid, le 29 août 1810.

Ma chère amie, je reçois tes deux premières lettres de..... Tu auras reçu mes lettres dont était porteur le marquis d'Almenara. Tu sentiras la nécessité de savoir à quoi t'en tenir sur notre sort avant de quitter Paris; je ne puis pas rester dans l'état actuel, il faut savoir ce que l'empereur veut; s'il veut que je descende du trône d'Espagne, il faut lui obéir; il faut savoir où il veut et comment il veut que nous vivions; je ne puis pas rester ici avec le nom de roi et humilié par tous ces hommes qui tyrannisent les provinces de mon royaume; je ne veux pas vivre ainsi plus longtemps, j'attends donc tes lettres pour savoir à quoi m'en tenir.

Je t'embrasse avec mes enfants. Fais partir Deslandes dont j'ai besoin.

Joseph à Julie.

Madrid, le 1er septembre 1810.

Ma chère amie, je reçois tes trois premières de Paris, tu auras reçu M. d'Almenara, j'ignore le résultat de sa commission, j'écris de nouveau la lettre ci-jointe à l'empereur, que tu remettras ou que tu ne remettras pas selon la position où se trouveront mes affaires, lorsque cette lettre arrivera dans tes mains.

Il est de fait que si l'empereur continue à me traiter comme il fait aujourd'hui, c'est qu'il ne veut pas que je reste au trône d'Espagne. Il me connaît assez pour savoir que je ne serai jamais que ce que je paraîtrai être, que roi d'Espagne, mes devoirs principaux sont ceux d'un roi d'Espagne, avant tout. Je suis homme et je mourrai comme j'ai vécu, ainsi, s'il m'impose des conditions que je ne peux pas admettre, c'est qu'il ne veut pas que je reste ici; dans ce cas, il faut se retirer le plus tôt, c'est le mieux, parce que je puis le faire sans être brouillé avec lui et que devant me retirer il faut le faire de bonne grâce et obtenir la paix intérieure puisque je ne peux pas déployer les qualités que la nature a mises en moi et qui suffiraient pour faire le bien de cette grande nation. Mais, à l'impossible nul n'est tenu et il est de fait qu'aujourd'hui je ne puis rien ici sans la volonté et la confiance entière et absolue de l'empereur; je n'entre pas dans les détails de ma retraite des affaires, tout sera bien dès que l'honneur m'en fera un devoir et que l'empereur trouvera bon que je me retire dans telle province qu'il voudra choisir. En Bourgogne et dans ce cas, j'ai en vue la terre de Morjan, près Autun; je puis la louer ou l'acquérir, si les affaires prenaient cette tournure définitive, je ne voudrais pas aller à Paris, il ne me faudrait pas beaucoup d'argent, je voudrais une retraite absolue.

Si l'empereur me voulait au delà des mers, en Corse, par exemple, cela ne pourrait être qu'autant que je conserverai une espèce de cour, une existence telle que je puisse me suffire à moi-même dans ce pays, ayant les moyens d'y faire beaucoup de bien, sans me mêler d'aucunes affaires du gouvernement; aussi, dans ce cas, il me faudrait un état bien au-dessus de celui de mon père, et même au-dessus de celui que j'avais au Luxembourg; j'approuverai tout ce que tu feras. Quant à mon état actuel, je suis disposé à tout pour en sortir; mon âme se trouve dégradée et je préfère la mort à cet état.

À cette lettre, qui n'est pas aux mémoires de Joseph, se trouvait jointe la lettre du roi d'Espagne à l'empereur en date du 31 août 1810 (Mémoires de Joseph. Vol. VII, p. 325).

Joseph à Julie.

Madrid, le 9 septembre 1810.

Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 20, j'attends toujours le résultat de tout ce que je t'ai écrit, ainsi qu'à l'empereur, depuis le départ d'Almenara. D'une manière ou d'une autre ces choses doivent être changées, elles ne peuvent pas rester longtemps dans l'état où elles se trouvent, je fais ici une triste figure et j'en mériterais la honte si je permettais qu'elles se prolongent plus longtemps qu'il ne faut pour connaître la volonté de l'empereur.

1o Roi d'Espagne, je ne puis l'être que tel que la constitution du pays m'a proclamé.

2o Retiré de toutes affaires publiques en France ou dans un autre pays, il me convient de connaître même sur cet article la volonté de l'empereur.

3o Retourner en France conservant quelque prérogative publique, il faut que je sache quels sont mes devoirs et mes droits avant de prendre un parti; je ne veux me décider qu'en pleine connaissance de tout cela, je n'ai ni crainte, ni ambition, ni ressentiment, je sais que la politique fait tout, ainsi je pardonne tout; mais si en m'enlevant le trône d'Espagne, on m'offre un état politique en France, je veux le connaître.

4o Je ne veux aucun trône étranger. Je me réserve à me déterminer pour une retraite absolue si ce qu'on me propose en France ne me paraît pas convenable; ce à quoi je suis bien déterminé aujourd'hui; c'est: 1o de ne pas rester ici sur le pied où je suis, 2o de ne pas accepter un trône étranger, 3o de rendre mon existence en France compatible avec mon honneur et la volonté de l'empereur et l'intérêt de la nation, si mon existence semi-politique peut encore lui être utile, sans cependant vouloir jamais me mêler d'administration d'aucun genre et vouloir jamais paraître à la cour. Si ce qu'on me propose ne me convient pas, retraite obscure et absolue; mais les demi-jours, les fausses positions ne sont pas dignes ni de mon nom ni de mon âme, ni supportables avec mon esprit.

Je t'embrasse avec mes enfants et t'engage à être aussi contente que je le suis moi, au milieu des contrariétés qui m'assiègent, et j'éprouve bien aujourd'hui que ce lait nourricier d'une bonne et vraie philosophie n'est pas aussi stérile qu'on veut bien le dire, car, content de moi, je le suis de tout, et regarde en pitié toutes les passions étrangères qui s'agitent, sans me blesser, autour de moi.

Joseph à Julie.

Madrid, 7 octobre 1810.

Ma chère amie, je reçois ta lettre du 17. Je me porte bien, j'attends tes nouvelles et celles de Colette; mes affaires me paraissent aller bien mal à Paris où on ne sait pas le mal que l'on se fait à soi-même. L'avenir prouvera si j'ai raison.

Joseph à Julie.

Madrid, 3 novembre 1810.

Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres des 9, 10, 12 octobre, renvoie-moi Gaspard avec des nouvelles sur les bruits qui courent ici et qui font présager de nouveaux changements pour moi; dis-moi ce qu'il en est, tu sais tout ce que je t'ai écrit. Si la retraite est possible, je la préfère à un nouveau trône; si cela est impossible, je préfère retourner à Naples plutôt que de faire une nouvelle royauté quelle qu'elle soit.

La position des affaires ici est horrible et bientôt elle sera irrémédiable. L'empereur n'a rien répondu à tout ce que je lui ai écrit sur un sujet aussi important pour la gloire et le bonheur de deux grandes nations.

Je t'embrasse avec mes enfants, je me porte bien.

Joseph à Julie.

Madrid, 6 novembre 1810.

Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres des 12 et 14, je t'ai déjà écrit que c'est toi plus que moi qui peut décider s'il convient que tu viennes ici, ce voyage doit être entrepris ou différé selon que les affaires d'Espagne à Paris s'arrangent ou se brouillent, elles ne peuvent pas rester longtemps telles qu'elles sont, cette crise ne peut pas durer, il faut avancer ou reculer. Si je dois retourner en France, il est inutile que tu viennes en Espagne, si je dois rester en Espagne, il faut y venir. Mais, pour que je puisse y rester, il faut que l'empereur fasse ce que je lui ai écrit par la lettre dont était porteur M. d'Almenara, à laquelle il n'a pas répondu.

Joseph à Julie.

Madrid, 16 novembre 1810.

Ma chère amie, je reçois tes lettres des 22, 23 et 24, ma position est toujours la même, je suis ici bientôt un être parfaitement inutile; tous les généraux correspondent avec le major-général, prince de Neufchâtel. Les habitants s'exaspèrent tous les jours davantage, le peu de succès que j'avais obtenu est effacé tous les jours. L'empereur ne me répond pas, il ne me reste donc qu'à me retirer des affaires. Ma santé d'ailleurs toujours inaltérable commence à se ressentir de ma position équivoque, ridicule et bientôt déshonorante, si je la supportais plus longtemps.

Occupes-toi donc de me trouver à louer une grande terre à cent lieues ou soixante lieues de Paris; je suis décidé à m'y rendre et de tout quitter, puisque je ne puis pas faire le bien ici et que tout ce que j'ai dit et fait jusqu'ici devient inutile.

Joseph à Julie.

Madrid, le 20 novembre 1810.

Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 28 octobre, ma position est toujours la même. J'attends Azanza pour prendre un parti décisif et finir le rôle honteux qu'on me fait jouer ici depuis mon retour de la conquête de l'Andalousie.

Je t'embrasse avec mes enfants.

Lucien a été mené prisonnier à Malte.

Joseph à Julie.

Madrid, 24 novembre 1810.

Ma chère amie, point d'estafette depuis deux jours. Je n'ai pas de nouvelles directes de Masséna et je ne suis pas sans inquiétude sur son armée. Je me porte bien, j'attends des nouvelles décisives de Paris. Je désire que tu charges James ou mieux encore Nicolas, de savoir s'il serait possible d'acquérir la terre de Montjeu à une lieue d'Autun, après s'être assuré que le château est encore habitable, à moins que tu ne préfères une terre en Provence, je désire un bois de chasse et de l'eau, c'est ce que je trouve à Montjeu; si tu préfères le midi, je te laisse le choix.

Joseph à Julie.

Madrid, 28 novembre 1810.

Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 4, je me porte bien, les affaires sont ici dans le même état. Je suis toujours sans réponse à tout ce que j'ai écrit. Je ne pense pas pouvoir prolonger cet état humiliant au delà de cette année. Je te prie de remettre à M. Bouchard[28] l'incluse; engage-le à partir sur-le-champ et de me répondre de dessus les lieux. Il faut finir ceci d'une manière ou d'une autre; quoique je te dise que je me porte bien et que cela soit ainsi, cependant ma constitution n'est plus ce qu'elle était et je sens qu'elle ne résisterait pas à cet état de choses qui n'est pas fait pour un homme tel que moi, toute la puissance de l'empereur ne peut pas faire que je reste ici dans la position du dernier des polissons. Tu peux voir par la lettre ci-jointe comment un général français traite mes ministres. Un voleur effréné que j'ai renvoyé d'ici, il y a trois mois, y revient triomphant. Ce misérable a causé le massacre de plus de cent Français, victimes de l'exaspération des habitants de la province de Guadalaxara et Cuença où il commandait une colonne et où il ravageait tout. J'entre dans ces détails pour que tu saches bien qu'on me force au parti que je prends et que je n'en ai pas d'autre à prendre.

Marius Clary doit être arrivé, j'attendrai la réponse à la lettre que je t'ai écrite par lui avant de partir.

La fin de l'année 1810 et le commencement de 1811 ne furent pas plus favorables à Joseph; aussi voit-on ses lettres à la reine contenir sans cesse les mêmes plaintes, justifiées par la conduite de l'empereur à l'égard de l'Espagne.

Joseph à Julie.

Madrid, 8 janvier 1811.

Ma chère amie, je reçois tes lettres du 14 et 16, je suis peiné de la perte de Mlle Antoinette qui t'était attachée depuis si longtemps; cette pauvre fille avait eu un grand malheur à mes yeux, celui d'avoir occasionné cet accident qui a eu tant d'influence sur notre destinée; j'aurais bien désiré ne jamais me séparer de toi ni de mes enfants, pourquoi lorsque vous m'avez rejoint, il y a trois ans, ne suis-je pas resté avec vous? Ce fut alors ma faute. Pourquoi lorsque je t'écrivais il y a un an, de Cordoue, de me rejoindre avec mes enfants, ne le fites-vous pas? Ce fut le seul moment heureux de mon existence depuis que je vous ai quittées à Naples et ce moment m'inspira le désir de vous faire partager mon sort; tu n'as pas pu partir de Paris et sans doute ce fut alors un contretemps fâcheux pour toi et pour moi. Depuis, j'ai couru de désagréments en désagréments, mon existence a été telle que je ne regrette pas ton absence ni celle de mes enfants, je n'ai plus vu d'avenir pour nous dans ce pays. Les funestes décrets du 8 février 1810[29] ont anéanti tous les progrès que j'avais eu le bonheur de faire dans l'esprit d'un peuple brave et fier et m'ont remis dans la même situation où je me suis trouvé en arrivant à Madrid, il y a trois ans. J'ai depuis reconnu ce qui m'arriverait le lendemain et je me suis vu sans déplaisir, privé des seuls objets de mes plus tendres affections, car mon sort en eût été plus cruel. Je n'ai ici rien de bon, de fixe à leur offrir, mais ils embelliraient le reste de ma vie. Quelque part qu'elle se termine, elle sera digne de moi. Je désire donc que la politique cesse de se jouer de moi et tout me sera bon si je puis finir ma carrière avec toi et mes enfants dans une position naturelle, quelle qu'elle soit, étant ce que je paraîtrai être et sortant de la position fausse et humiliante dans laquelle je persévère encore, malgré tout ce que je t'ai écrit, attendant tous les jours un meilleur ordre de choses pour moi; il me paraît impossible que la vérité et la raison ne percent à la fin.

Joseph à Julie.

Madrid, 6 février 1811.

Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres jusqu'au 20 janvier, ainsi que celles dont était porteur Gaspard qui est arrivé hier, je t'ai adressé une lettre pour Bernadotte, dont tu devrais déjà m'avoir accusé la réception. Je crains qu'elle n'ait été égarée, les bruits les plus étranges courent ici depuis hier, nous touchons à un dénouement quelconque, les choses sont tellement empirées par les nouvelles de France qu'il faut avancer ou reculer. Des partis qu'on m'offre, le plus honorable sera toujours celui que je prendrai, tu ne dois pas en douter, et dès qu'il sera prouvé que je ne puis plus rester ici, j'en partirai. Je t'écrirai plus en détail dès que j'aurai lu tout ce qui arrive de France et des provinces, car il est assez bizarre que je n'aie pas pu trouver encore ce temps-là, depuis hier; j'ai été occupé tout le jour, depuis huit heures du matin, à des petits détails pour que tous les services ne tombent pas à la fois, et les besoins du jour ne m'ont pas laissé d'autre temps; tu dois penser si je désire que tout cela finisse.

Dans une autre lettre à sa femme, en date du 19 mars 1811, le roi, après l'exposé fidèle de sa situation, dit:

Dans cet état de choses, réduit à l'état d'abjection d'un criminel ou du dernier des hommes, je mériterais mon sort, si je le prolongeais volontairement.

Et plus loin:

Sans doute je ne prendrai pas le parti de venir à Paris, si je pouvais faire autrement, mais ni toi, ni ceux qui me conseillent ne connaissent ma position ici, et nécessairement elle finirait par un événement tragique si elle ne finit pas par mon départ volontaire.

Joseph à Julie.

Madrid, 24 mars 1811.

Ma chère amie, je reçois tes lettres des 4, 6 et 8 mars; je t'ai écrit en détail il y a trois jours, je suis toujours dans le même état, il y a douze jours que je ne reçois pas, ma santé ne le permettant pas; cependant, j'espère que la tranquillité me rétablira, mais j'en ai besoin, je compte me mettre en route dans quelques jours et dès que mes forces seront assez rétablies pour cela.

Je t'embrasse avec mes enfants et j'espère te revoir bientôt à Mortefontaine pour ne plus vous quitter.

L'empereur n'ignorait ni la position fausse ni les plaintes fort justes de Joseph, ni son désir d'abandonner la couronne d'Espagne. Sa belle-sœur, la reine Julie, son ambassadeur de famille, le comte de La Forest, le tenaient au courant de tout, mais il n'entrait pas encore dans les vues politiques de Napoléon de laisser la Péninsule sans roi. Il aimait mieux que ce roi fût Joseph que tout autre. La guerre devenait imminente avec le Nord, il lui paraissait utile d'avoir son frère dans le Sud, car il connaissait son caractère loyal, affectueux et son dévouement personnel pour lui. Il fit donc écrire par le cardinal Fesch à Joseph. Ce dernier répondit à son oncle, le 24 mars 1811, une lettre insérée au 7me volume des Mémoires de Joseph et dont on a retranché cette phrase:

Je ne veux pas que vous ignoriez que ma santé est telle que je l'ai craint toute ma vie. Je suis arrivé à ce point que vous connaissez, après un rhume et une inflammation de poitrine.

En effet la santé de Joseph s'était altérée, au point que le même jour, 24 mars, il prévenait Napoléon que la maladie le forçait à quitter l'Espagne. Cette lettre à l'empereur se terminait ainsi:

Je saurai, comme vous le voudrez, vous aimer tout bas et ne pas vous importuner des sentiments que vous partagez ou repoussez peut-être.

Le même jour encore, Joseph écrivait à la reine cette seconde lettre:

Madrid, 24 mars 1811.

Ma chère amie, l'aide de camp du duc de Dalmatie, qui te remettra cette lettre, te donnera de mes nouvelles. Je l'ai vu un moment. Je vais mieux, et j'espère être sous peu en état de partir. Je suis inquiet de trois dépêches importantes dont tu ne m'as pas accusé la réception. La première, du 14 février, portée par M. le chef d'escadron Clouet, la 2me du 19 mars et la 4me du 24.

Le général Blaniac[30] ne voudrait pas que sa femme vînt le rejoindre, connaissant la situation des affaires, je crois aussi que ce n'est pas le moment.

Malgré tout son désir d'arriver en France le plus rapidement possible, le roi dut différer son départ de quelques jours. Il se mit en route le 23 avril 1811, après avoir écrit à la reine la lettre ci-dessous:

Madrid, le 16 avril 1811.

Ma chère amie, je t'envoie le double de la lettre que je t'envoie, par l'estafette. Renvoies-moi le courrier qui te porte cette lettre et qui me trouvera en route. Pour mes incertitudes sur l'effet qu'aura produit la nouvelle de mon départ quel qu'il soit, personne ne peut l'impossible et je suis résigné à tout; mais il est de fait que je ne puis rester dans le palais de Madrid sans domestiques, sans gardes, sans troupes et sans tribunaux; or, tout cela n'existe pas sans argent. Si c'est l'usage de complimenter l'empereur et l'impératrice sur la naissance du roi de Rome, remets ma lettre au prince de Massérano, je l'autorise aussi à présenter la Toison d'or au roi de Rome, après s'être assuré que cette offre serait agréée. C'était l'usage autrefois.

Je suis disposé à faire tout ce qu'il est possible pour M. Michel.

L'empereur apprenant que Joseph, décidé à quitter l'Espagne, allait se mettre en route pour Paris, et voulant sauver les apparences, se hâta de lui envoyer un officier, le général de France, pour le prévenir qu'il était désigné comme devant être le parrain du roi de Rome.

Dans la lettre du 21 avril qu'il écrit à ce sujet à la reine, et dans laquelle il annonce son départ, on a retranché, aux Mémoires, le passage suivant:

Je ne puis pas te cacher que ma santé n'est plus la même depuis deux mois. Je ne suis plus le même homme. Au milieu de tant d'inquiétudes qui m'assiègent en quittant le pays, je viens d'éprouver un chagrin bien vif par l'état presque désespéré dans lequel se trouve le fils de Rœderer, par une blessure mortelle qu'il a reçue hier soir, dans une affaire particulière. Je trouvais quelque plaisir à mener ce jeune homme à son père. Le destin en décide autrement.

Joseph à Julie.

Santa Maria de la Nieva, 25 avril 1811.

Ma chère amie, je reçois tes lettres des 3, 4, 6 et 8 avril. Je t'ai écrit par toutes les estafettes, et par quelques-unes de très longues lettres; celle du 19 mars[31] t'annonçait ma détermination de me mettre en route pour la France; j'étais alors assez malade, je n'ai pas été bien depuis, je suis mieux depuis mon départ de Madrid. Je reçois aujourd'hui une lettre du prince de Neufchâtel qui m'apprend que l'empereur a consenti à me faire un prêt de 500,000 francs par mois. J'écris à ce sujet à l'empereur la lettre que tu lui remettras ou lui feras remettre, j'arriverai peu de jours après cette lettre.

Je t'ai écrit il y a quelques jours par M. Jappi que tu dois m'avoir renvoyé avec tes lettres.

Le même jour qu'il écrivait à la reine Julie les lettres ci-dessus, Joseph adressait à son frère celle qu'on va lire, laquelle a été un peu tronquée dans les Mémoires. La voici intégralement:

Santa Maria de la Nieva, le 25 avril 1811.

Sire,

Je suis parti de Madrid le 23 sans avoir reçu aucune réponse aux lettres que j'ai écrites depuis 3 mois à Votre Majesté, à la reine et au prince de Neufchâtel. J'ai retardé tant que j'ai pu mon voyage, mais la nécessité m'a enfin décidé et ce ne sera pas sans peine que les services se soutiendront à Madrid pendant 40 jours, quoique le trésor se trouve déchargé en grande partie de la dépense de ma maison. J'ai dû craindre que Votre Majesté ne se rappelât plus de moi et je n'ai vu de refuge que dans la retraite la plus obscure; aujourd'hui je reçois une lettre du prince de Neufchâtel du 8, qui m'annonce quelque secours; cette lettre me prouve que ma position véritable commence à être connue et il n'est pas douteux que je n'aurai rien à désirer de vous dès que je connaîtrai votre volonté, puisque la mienne sera de m'y conformer autant que cela me sera possible.

Je retournerai en Espagne si vous jugez ce retour utile, mais je ne puis y retourner qu'après vous avoir vu et après vous avoir éclairé sur les hommes et les choses qui ont rendu mon existence d'abord difficile, puis humiliante et enfin impossible et m'ont mis dans la position où je suis aujourd'hui.

Je suis prêt aussi à déposer entre les mains de Votre Majesté les droits qu'elle m'a donnés à la couronne d'Espagne, si mon éloignement des affaires entre dans ses vues, et il ne dépendra que de vous de disposer du reste de ma vie, dès que vous aurez assez vu, pour avoir la conviction que vous connaissez l'état de mon âme et celui des affaires de ce pays où je ne pourrai retourner avec succès que nanti de votre confiance et de votre amitié, sans lesquelles le seul parti qui me reste à prendre est celui de la retraite la plus absolue; dans tous les cas, dans tous les événements je mériterai votre estime. Ne doutez jamais de mon dévouement et de ma tendre amitié.

Joseph à Julie.

Burgos, 1er mai 1811.

Ma chère amie, je reçois tes lettres du 18, 20 et 22; je t'ai écrit le 16 avril et le 26 d'Almeida. Le voyage est utile à ma santé, je séjournerai ici aujourd'hui pour ôter toute inquiétude que l'on aurait eue en regardant ce voyage comme un départ définitif. J'ai dissipé toutes ces craintes à Valladolid et sur toute la route et j'ai dit que je retournerai dans le mois de juin avec ma famille. Ainsi si les affaires prennent cette tournure à Paris, prépare-toi à venir bientôt en Espagne et le plus tôt est le mieux. Dans ce cas, mon absence ne saurait être trop courte, le bien réel et celui de l'opinion qu'opérerait mon retour, dissiperait bientôt la légère inquiétude occasionnée par mon départ et le bien serait décuple du mal. Il y a beaucoup de choses à faire et plus encore à éviter pour terminer les affaires d'Espagne d'une manière avantageuse aux deux nations; il ne dépendra pas de moi que tout cela ne réussisse. Je serai dans neuf jours à Bayonne, je pourrai peu de jours après recevoir ta réponse à cette lettre. Je désire descendre à Mortefontaine, j'ai avec moi 8 ou 10 personnes et 20 domestiques.

Dans cette lettre on voit le roi Joseph renaître à l'espérance; cela provenait de ce que ce malheureux souverain, pendant son voyage, venait de recevoir de Berthier la nouvelle que l'empereur consentirait à lui faire un prêt de 500,000 francs par mois, comme il l'annonce à sa femme.

Joseph resta à Paris près de son frère et de sa femme, pendant le mois de mai et une partie de celui de juin 1811. L'empereur lui fit beaucoup de promesses, ce qui le détermina à retourner en Espagne. Dans une circonstance assez secondaire, Napoléon lui fit témoigner d'une façon fort dure son mécontentement. Le 11 juin 1811, l'empereur écrivit à Berthier:

Saint-Cloud, le 11 juin 1811.

Mon cousin, je vous prie d'aller voir le roi d'Espagne pour lui parler de la dernière audience diplomatique et de l'indécence avec laquelle s'y sont comportés plusieurs Français portant la cocarde espagnole. Ils sont entrés en forçant la consigne et sachant bien que je ne reçois pas les Français qui sont à un service étranger. Heureusement je ne les ai pas vus, je les aurais fait chasser. Vous direz que j'avais entendu, par recevoir les Espagnols, recevoir les trois ministres et quelques chambellans espagnols que le roi a amenés, mais que c'est sur la liste destinée pour le Moniteur que j'ai vu le nom de plusieurs Français, entre autres celui du sieur Tascher qui n'a pas même la permission de porter la cocarde espagnole, et qu'à cette occasion, je ne comprends pas comment on puisse porter une cocarde étrangère sans en avoir l'autorisation; que ce que je désire, c'est que Clary, Miot, Expert et les autres Français portés sur la liste, partent demain et se mettent en route pour Bayonne; que je ne m'oppose pas à ce que le roi en fasse ce qu'il veut en Espagne, mais que je ne puis m'accoutumer à voir des Français venir faire de l'embarras à Paris sous un costume étranger. Le remède à tout, c'est qu'ils partent aujourd'hui ou demain, quoique je ne vois pas quelle nécessité il y avait à ce que le roi mène ce tas de gens avec lui; vous direz également au roi que je ne vois pas d'objection à ce qu'il parte, que quant à mes dispositions, je persiste dans celles dont vous lui avez fait part, que votre lettre doit donc lui servir de règle, que le temps prouvera par la conduite qu'il tiendra si le voyage de Paris lui a été utile et s'il a acquis la prudence nécessaire pour manier ces matières; que, quant à l'argent, je fais donner au roi ces sommes sur les sommes mensuelles que je lui ai promises, mais que c'est bien mal employer son argent que celui destiné à payer les voyages d'un tas de gens inutiles comme Miot, les Expert, etc.....

Joseph reçut la visite de Berthier au moment où il partait pour l'Espagne. Malgré cette dure leçon, il quitta Paris plein d'espérance, croyant avoir la certitude que son frère, selon ses promesses, viendrait à son secours, avancerait les fonds nécessaires à l'entretien et au salut de la Péninsule. Il ne tarda pas à être désabusé, ainsi qu'on va le voir par ses lettres à la reine, laquelle ne l'avait pas suivi, attendant pour se rendre à Madrid avec ses enfants que les choses eussent pris une meilleure tournure.

Joseph lui écrivit le 23 septembre 1811:

Ma chère amie, je reçois ta lettre du 10. Tu connaîtras ma situation, elle est peu agréable; tu sais que je devais recevoir un secours d'un million par mois, je reçois à peine la moitié, je ne pourrai pas tenir longtemps si cet état de choses dure. Si ta santé te permet de venir, tâche d'obtenir de l'empereur ce qui m'est dû depuis juillet, à raison d'un million par mois, et même une avance de quelques mois, afin que je ne sois pas dans l'inquiétude comme aujourd'hui, lorsque vous serez arrivées.

Joseph à Julie.

Madrid, le 1er octobre 1811.

Ma chère amie, je n'ai pas eu de tes lettres par le dernier courrier, les enfants m'ont écrit que tu étais à Compiègne; il m'est dû près de trois millions de francs sur le prêt que l'empereur m'a promis d'un million par mois à dater du 1er juillet, aussi suis-je dans les plus grands embarras; écris-moi si tu comptes partir, ne te mets pas en route sans être précédée ou accompagnée par six millions au moins, afin que je puisse avoir l'esprit en repos pour quelque temps, faute de quoi il vaut mieux rester à Paris, car, sans argent, sans troupes, sans commandement véritable, il est impossible que ma position se prolonge longtemps; je me porte bien.

Joseph à Julie.

Madrid, 1er novembre 1811.

Ma chère amie, je n'ai pas reçu de tes lettres par la dernière estafette, j'attends avec impatience de savoir que tu te portes bien et que l'empereur m'envoie effectivement l'argent que je lui ai demandé, sans lequel je ne puis rien faire de bon ici, le million qu'il m'a promis comme avance à dater du 1er juillet et un autre million en remplacement du quart des autres arrondissements.

Marius Clary a été très malade, mais il est mieux, tu m'as parlé de deux partis pour sa sœur, je ne connais pas le personnel du civil, mais, s'il est bon, je le préfère au militaire, dont tu me parles.

Le roi Joseph avait beaucoup d'affection pour le général Hugo, employé à Madrid. Le général vivait en mauvaise intelligence avec sa femme, il lui écrivit le 30 janvier 1812:

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt tout ce que vous m'avez écrit, ainsi que Mme Hugo.

Mon désir le plus constant est que vous vous arrangiez de manière à être heureux, je n'ai rien négligé pour cela, l'attachement que je vous porte m'en a fait un devoir; mais, si mes vœux ne se réalisent pas, je ne dois pas vous cacher que ma volonté est que vous ne donniez pas ici un exemple scandaleux en ne vivant point avec Mme Hugo comme le public a droit de l'attendre d'un homme qui, par sa place, est tenu à donner le bon exemple.

Quel que soit le regret que j'aurais de vous voir éloigné de moi, je ne dois pas vous cacher que je préfère ce parti au spectacle qu'offre votre famille depuis trois mois.

Joseph à Julie.

Madrid, le 1er février 1812.

Ma chère amie, je n'ai rien de bon à t'écrire après la prise de Valence; la récolte a été mauvaise et le blé est très cher, il y a beaucoup de misère ici; je reçois à peine la moitié de ce qui m'avait été promis à Paris, et je serais impardonnable d'être reparti si j'avais pu prévoir l'avenir qui m'attendait dans ce pays. Les avantages que je pouvais tirer de la reddition de Valence par le grand nombre de soldats qui abandonnent l'insurrection, vont bientôt être perdus par le dénûment où je me trouve et d'argent et de moyens de m'en procurer; quelle sera la fin de tout ceci, je l'ignore et ne veux pas la prévoir: 1o l'unité dans le commandement et dans l'administration; 2o un but fixe et certain offert à toutes les provinces, pourraient encore sauver nos affaires et il faudrait que l'empereur fit encore beaucoup de sacrifices d'argent, sans cela tout ira mal et va déjà si mal que, ne pouvant rien, je dois désirer que cela finisse pour moi le plus tôt possible.

Joseph à Julie.

Madrid, le 21 février 1812.

J'ai reçu ta lettre du 28 janvier et 1er février. Je suis fâché d'apprendre que ta santé n'est pas bonne, je n'ai aucune réponse directe aux lettres que j'ai écrites, il est fâcheux que cela soit ainsi; mais il serait encore plus fâcheux pour moi que je crusse mériter d'être traité comme je le suis, je désire que tout ce qui se passe finisse bien, je le désire sincèrement plus que je ne l'espère.

Ma santé n'est pas très bonne, cependant je serais heureux de penser que la tienne fût de même.

Joseph à Julie.

Madrid, 7 mars 1812.

Ma chère amie, je reçois ta lettre du 14; je n'ai aucune nouvelle de Paris, tu ne me dis rien des événements qui sont arrivés ou dont nous sommes menacés, ma position ici est impitoyable; que je sauve l'honneur, je regrette peu le reste.

Adieu, ma chère amie, écris-moi la vérité et embrasse nos enfants.

Vers cette époque une mesure prise bien tard sans doute, mais enfin prise par l'empereur, prêt à partir pour le Nord, rendit un peu de courage à Joseph et lui donna quelque espérance. Il apprit que son frère plaçait sous son commandement unique toutes les troupes en Espagne et lui donnait pour major-général le maréchal Jourdan. Le roi se mit immédiatement à la tête de ses armées, mais il s'aperçut bientôt de la difficulté qu'il aurait à se faire obéir des commandants des divers corps, accoutumés à être indépendants.

Dès qu'il fut entré en campagne, Joseph écrivit à la reine un grand nombre de lettres fort importantes. Il lui manda de Valence le 9 septembre 1812:

Ma chère amie, tu pourras concevoir par la copie ci-jointe l'enchaînement des événements qui m'ont forcé à quitter Madrid, la résistance qu'a éprouvée l'exécution de mes ordres au Nord et au Midi, la précipitation qu'a mis l'armée de Portugal retirée derrière le Duero à attaquer l'armée anglaise avant l'arrivée des secours qui lui étaient annoncés du Nord et du Centre. Masséna arrive; s'il amène des troupes, si on envoie de l'argent, si les généraux qui ne veulent pas obéir et qui s'isolent dans leurs provinces sont rappelés, les affaires se rétabliront bientôt.

Je me porte très bien, je t'embrasse avec mes enfants, je désire que vous vous portiez aussi bien que moi et vous revoir bientôt, car la vie se passe.

Si l'empereur ne rappelle pas les généraux du Nord et du Midi, il n'y a rien de bon à espérer dans un état de choses où il faut un commandement prompt, absolu, et où l'impunité encourage à la désobéissance et perpétuera les malheurs jusqu'à la perte totale de ce pays.

À cette lettre était jointe la copie de la lettre de Joseph à Berthier, en date du 4 septembre, qui ne se trouve pas aux Mémoires et que voici. Elle est relative à la bataille de Salamanque.

Valence, le 4 septembre 1812.

J'apprends par une voie indirecte que le conseil des ministres ayant eu connaissance des résultats de l'action qui a eu lieu le 21 juillet dernier aux environs de Salamanque entre l'armée de Portugal et l'armée anglaise, avait donné des ordres pour faire passer en Espagne des renforts et remis à M. le prince d'Essling le commandement de l'armée de Portugal.

En adressant à V. A. S. mes remerciements de l'empressement qu'elle et le conseil des ministres ont mis à prendre cette mesure, je crois devoir lui communiquer directement un sommaire des événements et de la situation des affaires militaires avant et après cette époque, ma correspondance avec le ministre de la guerre en contient les détails en quelque sorte jour par jour, mais dans la crainte qu'elle ne lui soit pas parvenue, il me paraît utile d'en rassembler ici les principaux faits.

Le maréchal duc de Raguse ne s'étant pas cru en mesure d'attaquer les Anglais, après qu'ils eurent passé l'Agueda le 12 juin, se retira successivement entre la Tormès et le Duero et finalement passa sur la rive droite de ce fleuve.

L'armée de Portugal resta dans cette position en rappelant à elle toutes ses divisions.

L'armée anglaise demeura en observation sur la rive gauche du Duero, et ne fit aucune tentative pour le passer.

Il était aisé de prévoir que le sort de l'Espagne pourrait dépendre d'une affaire qui paraissait inévitable et qu'il était de la plus haute importance de mettre le duc de Raguse en état de combattre avec les plus grandes probabilités de succès.

Je pressai des secours de toutes parts, mais mes ordres ne furent pas exécutés, le général en chef de l'armée du Midi[32] se refusa aux dispositions que j'avais prescrites, et ce ne fut qu'après beaucoup d'hésitations que celui de l'armée du Nord se détermina à faire partir sa cavalerie et son artillerie que je lui avais ordonné d'envoyer au duc de Raguse.

Réduit par conséquent à mes propres forces, je pris le parti d'évacuer toutes les provinces du Centre; je ne laissai de garnisons qu'à Madrid et à Tolède et je formai un corps de 14,000 hommes avec lequel je partis de Madrid le 21 pour me porter sur le Duero et effectuer ma jonction avec l'armée du Portugal.

J'appris en route que M. le maréchal duc de Raguse avait déjà passé ce fleuve, le 18, à Tordesillas, que l'armée anglaise s'était repliée sur Salamanque; je continuai à marcher avec la confiance d'opérer très promptement ma jonction sur la rive gauche du Duero.

Mais au moment où cette jonction allait avoir lieu, je reçus le 25 juillet, à Blasca-Sancho, des lettres de M. le maréchal Marmont et de M. le général Clausel qui m'annonçaient qu'il y avait eu le 22 une affaire générale; comme ces lettres fixent d'une manière précise les événements de cette journée où M. le maréchal duc de Raguse, à la veille de recevoir des renforts qu'il attendait depuis un mois, a engagé volontairement une action dont les résultats ont été si graves, j'en adresse une copie à Votre A. S.[33]

L'armée du Portugal faisait sa retraite en toute hâte et sans chercher à s'appuyer des forces que j'avais avec moi, je ne pouvais plus que me retirer et tout ce qui me restait à faire était de tenter de ralentir la poursuite de l'ennemi par ma présence en attirant son attention sur moi.

Je partis donc le même jour, 25, dans l'intention de me replier à petites journées sur Madrid.

Le 27 je fus rejoint par un aide de camp (M. Fabier) de M. le maréchal duc de Raguse qui m'apportait des dépêches de lui et du général Clausel. L'un et l'autre me mandait que la poursuite de l'ennemi était ralentie et me témoignaient le désir de se réunir à moi, si je voulais m'approcher d'eux.

Quoique je sentisse tout le danger de ce mouvement, je ne m'y refusai pas et je me dirigeai sur Ségovie, où je restai quatre jours pour donner le temps à l'armée du Portugal de se porter sur moi; mais elle ne changea pas sa première direction, soit que l'ennemi l'en ait empêchée, soit qu'elle n'ait jamais eu le dessein réel de s'éloigner du Nord. Elle continua sa retraite sur le Duero qu'elle passa et se détacha ainsi totalement de moi.

En revenant à Madrid, le 3 août, avec le petit corps de troupes que je ramenais, j'avais l'espérance d'être joint par dix mille hommes de l'armée du Midi que, depuis le 9 juillet, j'avais donné l'ordre au duc de Dalmatie d'envoyer à Tolède. Je me flattais aussi que le corps du comte d'Erlon, de la même armée, qui était en Estramadure, aurait fait un mouvement pour se rapprocher du Tage, suivant mes instructions; avec ces ressources j'aurais pu défendre et couvrir la capitale contre un détachement que l'armée anglaise eût fait sur moi, après avoir rejeté l'armée du Portugal sur l'Ebre; mais toutes ces espérances s'évanouirent à la réception d'une lettre du duc de Dalmatie qui refusait positivement d'obéir.

D'un autre côté, j'apprenais que l'armée du Portugal s'éloignait de plus en plus du Duero et se retirait sur Burgos; en même temps tous les rapports annonçaient que lord Wellington se préparait à marcher sur la capitale; toute la population y était en mouvement.

En effet, l'ennemi ayant passé les montagnes le 8 et le 9, plus de 2000 voitures partaient de Madrid le 10, en se dirigeant vers le Tage.

Je me portai le même jour de ma personne sur le point où leurs divisions, après s'être retirées des débouchés des montagnes, s'étaient repliées et je fis reconnaître l'ennemi qui les suivait; cette reconnaissance engagea un combat très opiniâtre de cavalerie et dont les résultats furent à notre avantage. L'ennemi perdit trois pièces de canon, beaucoup de morts, de blessés et un assez grand nombre de prisonniers, dont les rapports ne me laissèrent au surplus aucun doute sur le parti que j'avais à prendre.

Je n'avais avec moi que huit mille hommes de disponibles, le reste escortait le convoi. Je passai le Tage le 12 août au soir.

Comme j'avais écrit, dès que j'eus la nouvelle de l'affaire du 22 juillet, de Ségovie au duc de Dalmatie d'évacuer l'Andalousie et de venir me rejoindre avec toute son armée, mon premier dessein avait été de marcher au devant de cette armée et de me réunir à elle aux débouchés de la Sierra-Morena, mais des nouvelles lettres que je reçus de M. le maréchal duc de Dalmatie (à 5 lieues d'Ocana), ne me laissant rien à espérer du moins pour le moment, je me décidai à me retirer sur Valence.

En prenant cette résolution j'ai eu en vue deux objets principaux, l'un de mettre en sûreté l'immense population qui m'a suivi, l'autre de protéger et de défendre le royaume de Valence, menacé par un débarquement à Alicante de 13,000 Anglais, Siciliens et Majorcains, qui, réunis aux forces de Freyre et d'O'Donnel, auraient formé un corps de 25 à 30,000 hommes, capable d'inquiéter sérieusement l'armée d'Aragon.

J'ai été assez heureux pour atteindre ce double but, le convoi est arrivé à Valence et la présence inopinée des troupes que j'amenais avec moi a forcé l'ennemi à se retirer sous Alicante et peut-être à s'embarquer.

J'ai trouvé ici des nouvelles de France, dont j'étais privé depuis trois mois.

L'armée se repose d'une route extrêmement fatigante, je fais filer sur les derrières tout ce qui a jusqu'ici embarrassé ma marche et je laisse partir pour la France les familles françaises qui désirent y rentrer.

S'il arrive des secours de France pour réparer les pertes du 22 juillet et contre-balancer les renforts que l'ennemi reçoit de la Méditerranée et de l'Océan, si l'on m'envoie 15 à 20 millions en sus des versements habituels du trésor impérial, si, enfin, instruits par ce qui vient de se passer, les généraux commandant les divers corps de l'armée exécutent mes ordres, au lieu de les discuter, ce qui arrivera lorsque l'empereur leur témoignera son mécontentement et en aura rappelé quelques-uns, je ne doute pas que les affaires d'Espagne se rétablissent.

Agréez, etc.

P. S. Valence, le 8 septembre 1812. Au moment où je fais partir ce duplicata, je reçois les papiers publics de Paris jusques au 21 août; je ne puis cacher à V. A. S. ma surprise sur la manière dont on y rend compte de l'affaire du 22 juillet. Comment M. Fabier, qui a porté la nouvelle de cette action à Paris et qui m'a accompagné à Ségovie où je suis resté quatre jours, protégeant la retraite de l'armée du Portugal, a-t-il pu laisser ignorer mon mouvement et le dévouement personnel que j'ai mis à rester seul en présence de l'ennemi, tandis que les débris de l'armée du Portugal passaient de l'autre côté du Duero, ainsi que V. A. S. le voit par les détails contenus dans cette lettre? Je ne voulais pas m'appesantir sur cette mauvaise foi et cette perfidie. La bataille du 22 a été perdue parce que le maréchal duc de Raguse n'a pas voulu m'attendre, ni attendre les secours qui lui venaient du Nord; ces secours et ceux que je lui amenais étaient en mesure de le joindre le lendemain ou le surlendemain de l'affaire; mais il paraît que, trompé par une ruse de lord Wellington qui a fait tomber entre ses mains une lettre au général Castanos, dans laquelle il lui mandait que sa position n'était plus tenable et qu'il était obligé de se retirer, M. le duc de Raguse a cru marcher à une victoire assurée, et une soif désordonnée de gloire ne lui a pas permis d'attendre un chef.

Une fois encore la reine Julie et ses enfants durent se mettre en route pour venir rejoindre le roi Joseph à Madrid, mais ce projet dut être abandonné pour l'instant. Le roi fut obligé de quitter sa capitale pour chercher à se réunir aux armées de Suchet et de Soult. Tandis que ce dernier s'obstinait à rester en Andalousie et que Marmont avec l'armée du Portugal se hâtait de livrer inconsidérément, près de Salamanque, la bataille des Arapiles, qu'il perdait pour n'avoir pas voulu attendre les renforts en marche pour le rejoindre, Joseph ralliait Suchet à Valence, apprenait par le plus singulier des hasards les infâmes accusations du duc de Dalmatie[34], portait son quartier-général à Valladolid, selon les instructions de l'empereur, et écrivait de cette ville, le 3 mai 1813, à la reine Julie:

Les Rois Frères de Napoléon Ier

Подняться наверх