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Le roi de Hollande, au Corps législatif.

Messieurs, j'ai été trompé dans mon attente de revenir avant le 1er janvier; par les pièces ci-jointes du Moniteur d'hier (c'est celui du 31 janvier, et les pièces se trouvent dans la Gazette royale des 5 et 6 février, no 31-32), vous verrez que l'issue des affaires est subordonnée à la conduite que tiendra le gouvernement anglais.

Le chagrin que j'ai ressenti a été bien augmenté par la fausse accusation que l'on nous a faite, d'avoir trahi la cause commune, c'est-à-dire de n'avoir pas fidèlement rempli nos engagements; et je vous écris ceci pour diminuer l'impression qu'une accusation si injuste et si criante fera naître dans vos cœurs et dans ceux de tous les véritables Hollandais.

Tandis que pendant les quatre années qui se sont écoulées depuis le commencement de mon règne, la nation entière, et vous surtout, appelés à veiller à ses intérêts, avez supporté avec peine et patience l'augmentation des impositions, le redoublement de la dette publique tout aussi bien que les préparatifs de guerre beaucoup trop grands en proportion de la population et de la situation du royaume, nous pensions peu qu'on nous accuserait d'avoir trahi nos devoirs et de n'avoir pas assez fait; et cela dans un moment où la situation des affaires sur mer nous opprimait plus que tous les autres pays ensemble, et que pour surcroît de malheur, nous avions encore à endurer un blocus du continent. C'est le sentiment intérieur de ceci qui doit, Messieurs, nous animer à la docilité, jusqu'au moment où la justice de S. M. l'empereur, mon frère, nous délivrera d'une accusation que nous sommes si loin de mériter.

Je ne puis encore calculer combien de temps je serai empêché de voir s'accomplir le premier et le plus ardent de mes souhaits: celui de retourner dans ma capitale et de me trouver au milieu de vous dans ces moments critiques. Quelque éloigné que soit ce moment, soyez assurés que rien ne sera en état de changer mon attachement pour la nation, mon zèle à travailler pour son intérêt, ni mon estime et ma confiance en vous.

Louis.

Vers la même époque, le gouvernement français essaya par la Hollande de faire une tentative auprès de l'Angleterre pour l'ouverture d'une négociation. Le ministre de France, M. de Champagny, duc de Cadore, après avoir assuré le roi Louis que l'empereur n'avait nulle envie de réunir la Hollande à l'empire, qu'il ne voulait pas même prendre le Brabant et la Zélande; que, loin de là, il augmenterait son royaume du grand-duché de Berg, ajoutant que s'il voulait faire preuve d'une obéissance aveugle aux volontés de Napoléon, tout changerait; que Napoléon, mécontent de la conduite de son frère, demandait pour première preuve que ce dernier était décidé à suivre désormais la politique de la France, de se prêter à un stratagème qui consistait à envoyer quelqu'un en Angleterre pour voir si l'appréhension de la réunion de la Hollande ne déterminerait pas cette puissance à entrer en pourparlers pour la paix. Alors M. de Champagny mit sous les yeux du roi le modèle d'une lettre que Louis devait écrire à un de ses ministres. Louis rejeta d'abord avec indignation cette rédaction, parce qu'on lui faisait dire qu'il était convaincu de la nécessité de la réunion, puis sur les instances qu'on fit auprès de lui, sur l'assurance qu'on lui donna que tout cela n'avait d'autre but que de faire bien comprendre aux Anglais l'imminence d'une réunion, il se décida à rédiger dans ce sens une lettre à ses ministres.

Nous allons donner toutes les pièces, tous les documents relatifs à cette haute comédie politique imaginée par Napoléon et dans laquelle le roi Louis, alors sous l'entière dépendance de l'empereur à Paris, fui contraint, bien malgré lui, de prendre un rôle. Comme nous venons de le dire, le tout-puissant souverain de la France, à l'apogée de son pouvoir et désireux de la paix maritime, crut, au moyen d'une mise en scène habile, en faisant craindre au gouvernement britannique une réunion prochaine de la Hollande à son vaste empire, arriver à l'ouverture de négociations pour la cessation de la guerre. Louis rédigea un projet de lettre destiné à ses ministres en Hollande, lesquels devaient se réunir pour élaborer une sorte de procès-verbal à expédier au président du conseil en Angleterre, sir Arthur Wellesley, afin de prévenir le gouvernement du danger qui menaçait les Îles britanniques si l'empereur Napoléon donnait suite au projet qu'il semblait prêt à exécuter, de réunir la Hollande à ses états et d'en faire un département français. En effet, cela doublait la puissance maritime de l'empire. Or, rien ne pouvait empêcher cette réunion si Napoléon l'ordonnait. L'indépendance de la Hollande ne pouvait être indifférente pour l'Angleterre, et dans ces conditions une paix maritime pouvait être avantageuse pour la France, pour la Hollande, et pour l'Angleterre elle-même. Telle était l'opinion de l'empereur.

Le 9 janvier, le roi Louis écrivit donc de Paris la lettre ci-dessous.

Louis à ses ministres.

Messieurs,

Depuis six semaines que je suis auprès de l'empereur, mon frère, je me suis constamment occupé des affaires du royaume. Si j'ai pu effacer quelques impressions défavorables ou du moins les modifier, je dois avouer que je n'ai pu réussir à concilier dans son esprit l'existence et l'indépendance du royaume avec la réussite et le succès du système continental, et en particulier de la France contre l'Angleterre. Je me suis assuré que la France est fermement décidée à réunir la Hollande malgré toutes les considérations, et qu'elle est convaincue que son indépendance ne peut plus se prolonger si la guerre maritime continue. Dans cette cruelle certitude, il ne nous reste qu'un espoir, c'est celui que la paix maritime se négocie; cela seul peut détourner le péril imminent qui nous menace. On propose la cession du Brabant et de la Zélande, de fournir 14 vaisseaux et 25,000 hommes, et j'ai la certitude que même après cela le reste de la Hollande serait bientôt demandé. Ainsi l'intention claire et formelle de la France est de tout sacrifier pour acquérir la Hollande et augmenter par là, quelque chose qui doive lui en coûter, les moyens maritimes à opposer à l'Angleterre. Je suis obligé de convenir que l'Angleterre aurait tout à craindre d'une pareille augmentation de côtes et de marine pour la France. Il est donc possible que leur intérêt porte les Anglais à éviter un coup qui peut leur être aussi funeste. Faites donc en sorte, de vous-mêmes, sans que j'y sois nullement mentionné, que le ministère anglais soit prévenu du danger imminent de votre pays. Mais il n'y a pas de temps à perdre. Envoyez de suite quelqu'un du commerce, sur et discret, en Angleterre, et envoyez-le-moi de suite dès qu'il sera de retour. Faites-moi savoir l'époque à laquelle il pourra l'être, car nous n'avons pas de temps à perdre, il ne nous reste plus que peu de jours. Deux corps de la grande armée marchent sur le royaume. Le maréchal Oudinot vient de partir pour en prendre le commandement. Faites-moi savoir ce que vous aurez fait en conséquence de cette lettre et quel jour je pourrai avoir la réponse de l'Angleterre.

Sur ce, Messieurs, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

Projet de lettre jointe à celle du roi, et devant être adressée au marquis de Wellesley:

Quelque étrange que puisse paraître la démarche d'une nation qui, pour se sauver d'un péril imminent qui la menace, croit ne trouver d'autre moyen de salut qu'en s'adressant à la puissance même avec laquelle cette même nation se trouve en état de guerre ouverte, tel est cependant le résultat des circonstances qui ont amené l'état actuel des choses sur le continent, que cette démarche extraordinaire est devenue indispensable pour ceux qui, pendant l'absence de leur souverain, composent le gouvernement de Hollande.

Si d'une part ce n'est pas sans peine (pourquoi le déguiserions-nous?) que nous nous voyons réduits à une démarche à laquelle aucune autre considération que celle de la perte de notre existence politique n'aurait été capable de nous engager; d'un autre côté, ce n'est que dans la conviction la plus intime d'agir conformément au plus sacré des devoirs politiques que nous devons croire pouvoir nous y déterminer et passer sur toutes les raisons qui ont pu nous arrêter un instant, au risque même de voir notre conduite désavouée, pour ne pas dire davantage, par le monarque même dont la conservation en fait un des principaux motifs, mais dont l'urgence du danger ne nous a point permis de demander l'approbation.

En effet, M. le marquis, il ne s'agit dans ce moment de rien moins que la Hollande soit rayée de la liste des nations et d'en faire une province de la France.

Depuis longtemps, un orage nous menaçait, et le roi, convaincu que le seul moyen de l'écarter était une entrevue avec son auguste frère, n'a pas hésité un seul instant de se rendre auprès de lui, lorsqu'il voyait toute autre tentative inutile. Mais quelqu'aient été les efforts qu'il a employés, les sacrifices auxquels il a voulu se résigner, rien n'a été capable de concilier dans l'esprit de l'empereur Napoléon l'existence et l'indépendance de la Hollande avec la réussite du système continental.

Les nouvelles informations officielles qui nous sont transmises de Paris nous assurent que la France est fermement décidée à réunir la Hollande, et que l'époque de ce grand événement n'est éloignée que de quelques jours. Déjà, le maréchal destiné à l'exécution de ce plan, vient de partir. Déjà l'armée sous ses ordres paraît s'approcher de nos frontières, sans qu'aucune instance de notre part soit capable d'en arrêter les progrès. Dans cette cruelle certitude, un seul espoir nous reste, c'est celui d'une prompte négociation de paix entre la France et l'Angleterre. Cela seul peut détourner le péril qui nous menace, et sans la réussite de ces négociations, c'en est fait de l'existence politique de la Hollande, qui, une fois perdue, ne saurait lui être rendue sans un bouleversement total de l'ordre actuel des choses sur le continent, circonstance à laquelle il nous paraît aussi difficile de croire qu'impolitique de la désirer. Il est possible que nous nous faisions illusion, mais l'expérience du passé nous engage à croire que toutes les puissances, surtout l'Angleterre, sont intéressées à la conservation de notre existence politique et à ne négliger aucun moyen convenable pour parer le coup qui nous menace. La Hollande, puissance indépendante, ne pourra jamais porter le moindre ombrage à la grande force à laquelle l'Angleterre a su s'élever; réunie au contraire à la France, et les grandes forces qu'elle possède encore mises à la disposition du monarque qui gouverne ce vaste empire, et dont Votre Excellence est trop juste elle-même pour ne pas reconnaître le génie transcendant, la Hollande pourra donner indubitablement à la France les moyens de prolonger encore bien longtemps une lutte qui a déjà trop duré pour le malheur des nations.

Ce n'est pas tout: l'indépendance même de l'Angleterrre dans ses relations directes avec le continent nous paraît menacée pour toujours du moment que la Hollande sera irrévocablement réunie à la France, et l'Angleterre par conséquent réduite à l'alternative de ne cultiver ses relations que par des voies longues et détournées ou de se soumettre à tous les inconvénients que pourra éprouver son commerce, en prenant par les états de la puissance la plus prépondérante du continent.

Pardonnez, M. le marquis, notre zèle nous emporte trop loin, mais nous croyons qu'il est d'un intérêt si majeur pour l'Angleterre de ne point voir la Hollande devenir province française, que nous osons demander en considération sérieuse à Votre Excellence de contribuer, pour tout ce qui dépend d'elle, à prévenir ce désastre par une prompte ouverture de négociations de paix. Nous sentons qu'une pareille démarche peut paraître au premier abord contraire à la juste fierté du gouvernement anglais, mais lorsque nous considérons que la première base sur laquelle reposeront ces ouvertures serait d'exiger formellement que tout restât relativement à la Hollande sur le pied actuel, nous pensons, au contraire, que bien loin de blesser la fierté de votre gouvernement, des ouvertures de paix de sa part ne sauraient que lui être glorieuses.

Voilà ce que le désir de notre conservation nous a suggéré de soumettre immédiatement à Votre Excellence. Nous aurions pu sans doute nous étendre davantage, si nous n'eussions craint de faire tort à sa pénétration, en entrant dans des développements ultérieurs.

Au cas où Votre Excellence penserait que ce que nous avons dit mérite quelque attention du gouvernement anglais, qu'elle veuille bien se persuader qu'il n'y a pas de temps à perdre, chaque instant est infiniment précieux.

Nous terminerons cette lettre par l'expression de l'espoir que nous aurons pour opérer auprès de Votre Excellence la même conviction qui réside auprès de nous à l'égard du contenu.

Cela étant, nous aimons à nous flatter du plus heureux succès, la sagesse connue de Votre Excellence nous est le sûr garant qu'elle saura trouver les moyens de conduire l'important ouvrage dont il s'agit à une fin heureuse. Et après une gloire militaire acquise à si juste titre, quelle ne serait pas la satisfaction pour Votre Excellence elle-même de voir pendant son ministère actuel luire le jour heureux à l'humanité souffrante, dont la justice ne saurait manquer de reconnaître en elle un des grands hommes d'état auxquels il était réservé de réaliser l'espoir des nations.

L'empereur, peu satisfait de ce projet de lettre, écrivit à ce sujet le lendemain, 17 janvier, au duc de Cadore:

Monsieur le duc de Cadore, vous trouverez ci-joint une lettre du roi de Hollande avec un projet de dépêches au ministre des affaires étrangères d'Angleterre. Vous ferez connaître au roi que je n'approuve point ce projet de dépêche, et que je n'approuve point non plus qu'il retourne en Hollande. Cela serait contraire aux circonstances actuelles. Mes troupes ont déjà reçu l'ordre de se diriger sur Dusseldorf et d'entrer en Hollande. Je vous envoie ci-joint trois pièces: 1o un projet de note que vous remettrez à M. de Roëll, le ministre des affaires étrangères de Hollande; 2o un projet de procès-verbal d'une séance du conseil de Hollande; 3o un projet de lettre du président de ce conseil au président du conseil d'Angleterre.

L'empereur attachait une telle importance à cette affaire, que lui-même fît écrire, sous sa dictée, la note ci-dessous:

Note dictée par l'empereur et sans date.

Je pense qu'il est convenable que quinze ou vingt des plus notables de la nation hollandaise se rendent à Paris. Là, on leur fera connaître la situation des choses et la volonté où je suis de réunir leur pays, en leur disant tout ce que j'ai fait pour leur bien-être.

Si la guerre maritime dure encore, l'indépendance de leur pays est impossible, mais que l'empereur demande que cette démarche soit faite, pour faire connaître la position de la Hollande au gouvernement anglais. Enfin, si on veut faire la paix ou plus tôt ou plus tard, la paix se fera. En la faisant aujourd'hui, la Hollande conservera son indépendance.

Cette démarche aussi peut frapper Londres, et mettre dans l'embarras les ministres anglais.

Que le Corps législatif fasse faire des démarches en Angleterre pour faire connaître que la paix peut conserver l'indépendance de la Hollande.

Il faut pour cela que le discours soit fait de façon à prouver que la Hollande sent l'impossibilité de conserver son indépendance si la guerre dure. La réunion du Brabant est indifférente à l'Angleterre.

Causer de cela avec le ministre des affaires étrangères et l'ambassadeur, et voir le parti à prendre.

Que la Hollande se donnera franchement à la France si on ne fait rien avec l'Angleterre.

Alors le duc de Cadore fît rédiger un second projet, qui, revu avec beaucoup de soin et corrigé de la main de l'empereur, fut envoyé de Paris à MM. Van der Heim, Mollerus et autres ministres de Hollande.

Voici ce document:

Projet de procès-verbal.

Que si l'Angleterre connaissait le sort qui menace la Hollande, ce pourrait être pour la Grande-Bretagne une occasion de se relâcher de ses mesures et d'ouvrir au moins une négociation provisoire par laquelle la France serait engagée à renoncer aux décrets de Berlin et de Milan, et l'Angleterre à ses ordres du conseil et à ses prétentions relatives aux droits de blocus; et que ce simple arrangement rendant à la guerre le caractère qu'elle avait il y a trois ans, la Hollande pourrait en conséquence exister comme elle existait alors, en commerçant avec les neutres, sans nuire aux intérêts du continent: que les Anglais jugeraient peut-être que le moment est favorable pour entamer les négociations d'une paix qui serait utile à l'Angleterre, Sa Majesté assurant l'indépendance d'une nation dont le voisinage lui est si avantageux, et qui est la plus directe et la plus courte communication avec le continent; que dans ces circonstances il est évident que des négociations de paix ou du moins des arrangements provisoires peuvent seuls conserver à la Hollande son existence politique, et qu'en conséquence il sera envoyé le plus promptement possible auprès du gouvernement anglais un agent secret chargé de lui faire connaître la situation de la Hollande, et de lui communiquer la note du ministre des relations étrangères de France et le présent procès-verbal. Que si l'Angleterre ne consentait pas à profiter de cette circonstance pour faire des ouvertures de paix, elle pourrait, du moins, rétablir les choses telles qu'elles étaient avant les ordres du conseil et s'entendre pour une négociation relative à l'échange des prisonniers de guerre; et que par là elle rendrait à la guerre actuelle le caractère d'une guerre ordinaire, et éviterait les malheurs qui menacent la Hollande. Que si, au contraire, l'Angleterre est inaccessible à ces considérations, la nation hollandaise n'aura pas d'autre parti que de se soumettre avec dévouement au grand homme qui veut la réunir à son empire, en lui laissant son organisation intérieure et en ouvrant à son commerce tout le continent européen.

Quelques députés au Corps législatif et autres personnes notables pourront être convoqués à ce conseil et signer ce procès-verbal.

Le roi Louis, qui avait voulu d'abord décliner toute participation dans ce projet et refuser un rôle dans cette haute comédie politique, circonvenu, avait fini par se rendre, comme on l'aura vu, et était devenu l'âme de l'affaire. Il fit passer en Hollande le projet de lettre ci-dessous, à joindre avec les dépêches à expédier en Angleterre.

Projet de lettre que le président du conseil des ministres de Hollande devra écrire au président du conseil d'Angleterre:

J'ai l'honneur de vous envoyer une note du ministre des affaires étrangères de France, ainsi que le procès-verbal d'une séance du conseil tenu en conséquence. Votre Excellence reconnaîtra trop bien par le but de ma démarche, pour que j'aie besoin de lui dire à quel point l'indépendance de la Hollande est menacée; et elle sait combien la réunion de la Hollande à la France serait funeste pour l'Angleterre. Les résolutions de l'empereur ne peuvent être détournées que par un traité de paix, où l'on mettrait pour condition qu'il ne serait rien fait de nouveau à l'égard de la Hollande; où, par une négociation provisoire relative à l'échange des prisonniers de guerre, et à la suppression des décrets de Berlin et de Milan, et des ordres du conseil d'Angleterre, l'on mettrait également pour condition qu'il ne serait rien fait de nouveau à l'égard de la Hollande. Si les deux puissances ne voulaient pas s'entendre pour rendre la paix et le bonheur à l'humanité, elles pourraient, du moins, par un arrangement, établir des principes sur le commerce des neutres et l'échange des prisonniers, ce qui ôterait à la guerre ce caractère farouche et désespéré qu'elle a pris depuis quelques années: arrangement d'autant plus avantageux pour l'Angleterre qu'il sauverait l'indépendance de la nation hollandaise. Mais si tant de considérations d'humanité et de politique ne peuvent rien sur le gouvernement britannique, il ne nous restera qu'à nous rallier de bonne foi au grand empereur qui veut nous admettre dans son empire, et reconnaître que les actes qu'il fait contre notre indépendance ne sont point le résultat du caprice et de l'ambition, mais celui de l'inflexible nécessité.

Il me reste à vous prier de ne donner aucune communication de cette lettre, afin qu'elle ne parvienne pas aux oreilles de notre souverain. J'espère, lorsque j'aurai reçu la réponse de Votre Excellence, lui faire agréer la démarche que je fais dans ce moment. Sa Majesté reconnaîtra la pureté de mes motifs, mais encore est-il convenable qu'elle ne l'apprenne pas par d'autre que moi-même.

Enfin, le 24 janvier 1810, un troisième projet de note fut remis au baron de Roëll. L'empereur avait revu avec soin cette note, dont l'original porte des corrections de sa main. Voici ce dernier projet qui fut confié à un Hollandais, M. Labouchère, et porté par lui à Londres:

24 janvier 1810.

Le soussigné, ministre des relations extérieures de France, est chargé de faire connaître à Son Excellence M. le baron de Roëll, ministre des affaires étrangères de Hollande, la détermination à laquelle la situation actuelle de l'Europe oblige Sa Majesté impériale. Si cette détermination est de nature à contrarier les vœux d'une partie de la nation hollandaise, si elle afflige le cœur de son roi, l'empereur en est fâché sans doute, et ne le prend qu'avec regret, mais l'impitoyable destinée qui préside aux affaires de ce monde et qui veut que les hommes soient entraînés par les événements, oblige Sa Majesté de suivre d'un pas ferme les mesures dont la nécessité lui est démontrée, sans se laisser détourner par des considérations secondaires.

Sa Majesté impériale, en plaçant un de ses frères sur le trône de Hollande, n'avait pas prévu que l'Angleterre oserait proclamer ouvertement le principe d'une guerre perpétuelle, et que, pour la soutenir, elle adopterait pour base de sa législation les monstrueux principes qui ont dicté ses ordres du conseil de novembre 1807. Jusqu'alors son droit maritime était sans doute combattu par la France et repoussé par les neutres; mais enfin il n'excluait pas toute navigation et laissait encore une sorte d'indépendance aux nations maritimes. Il y avait peu d'inconvénient pour la cause commune à ce que la Hollande commerçât avec l'Angleterre, soit par l'entremise des neutres, soit en employant leur pavillon. Marseille, Bordeaux et Anvers jouissaient du même avantage. L'Angleterre avait encore à ménager les Américains, les Russes, les Prussiens, les Suédois, les Danois, et ces nations formaient une sorte de lien entre les puissances belligérantes.

La quatrième coalition a détruit cet état de chose. L'Angleterre, parvenue à réunir contre la France la Russie, la Prusse et la Suède, ne s'est plus vue obligée à tant de ménagements; c'est alors qu'abusant et des mots et des choses, elle a élevé la prétention de faire taire et disparaître tous les droits des neutres devant un simple décret de blocus. L'empereur s'est vu forcé d'user de représailles, et, à son arrivée à Berlin, il a répondu au blocus de la France par la déclaration du blocus des Îles britanniques. Les neutres et surtout les Américains demandèrent des explications sur cette mesure. Il leur fut répondu que, quoique l'absurde système de bloquer un état tout entier fut une usurpation intolérable, l'empereur se bornerait à arrêter sur le continent le commerce des Anglais; que le pavillon neutre serait respecté sur mer; que ses bâtiments de guerre et ses corsaires ne troubleraient point la navigation des neutres, le décret ne devant avoir d'exécution que sur terre. Mais cette exécution même, qui obligeait de fermer les ports de la Hollande au commerce anglais, blessait les intérêts mercantiles du peuple hollandais et contrariait ses anciennes habitudes. Première source de l'opposition secrète qui commença d'exister entre la France d'un côté, et de l'autre le roi et la nation hollandaise. Dès lors Sa Majesté entrevit avec peine que le moyen qu'elle avait choisi entre des partis extrêmes, pour concilier l'indépendance de la Hollande avec les intérêts de la France, ne remédierait à rien et qu'il faudrait un jour étendre les lois françaises aux débouchés de la Hollande et réunir ce royaume à l'empire. La paix de Tilsitt eut lieu. L'empereur de Russie, provoqué par les outrages que l'Angleterre avait faits à son pavillon pendant qu'il combattait pour elle, et indigné de l'horrible attentat de Copenhague, fit cause commune avec la France.

La France espéra alors que l'Angleterre verrait désormais l'inutilité d'une plus longue lutte et qu'elle entendrait à des paroles d'accommodement; mais ces espérances s'évanouirent bientôt. En même temps qu'elles s'évanouissaient, l'Angleterre, comme si l'expédition de Copenhague lui eût ôté toute pudeur et eût brisé tous les freins, mettait ses projets à découvert et publiait ses ordres du conseil de novembre 1807, acte tyrannique et arbitraire qui a indigné l'Europe. Par cet acte, l'Angleterre réglait ce que pourraient transporter les bâtiments des nations étrangères, leur imposait l'obligation de relâcher dans ses ports, avant de se rendre à leur destination, et les assujettissait à lui payer un impôt. Ainsi, elle se rendait maîtresse de la navigation universelle, ne reconnaissait plus aucune nation maritime comme indépendante, rendait tous les peuples ses tributaires, les assujettissait à ses lois, ne leur permettait de commercer que pour son profit, fondait ses revenus sur l'industrie des nations et sur les produits de leur territoire, et se déclarait la souveraine de l'Océan, dont elle disposait comme chaque gouvernement dispose des rivières qui sont sous sa domination.

À l'aspect de cette législation, qui n'était autre chose que la proclamation de la souveraineté universelle, et qui étendait sur tout le globe la juridiction du Parlement britannique, l'empereur sentit qu'il était obligé de prendre un parti extrême et qu'il fallait tout employer plutôt que de laisser le monde se courber sous le joug qui lui était imposé. Il rendit son décret de Milan, qui déclare dénationalisés les bâtiments qui ont payé le tribut à l'Angleterre qui était imposé. Les Américains, menacés de nouveau de se trouver soumis au joug de l'Angleterre, et de perdre leur indépendance si glorieusement acquise, mirent un embargo général sur tous leurs bâtiments et renoncèrent à toute navigation et à tout commerce, sacrifiant ainsi l'intérêt du moment à l'intérêt de tous les temps, la conservation de leur indépendance.

Le succès des vues de l'empereur dépendait surtout de l'exécution universelle et sans exception de ses décrets. La Hollande a été un obstacle à cette exécution. Elle ne s'est soumise qu'en apparence à ces décrets. Elle a continué de faire le commerce interlope avec l'Angleterre. De fréquentes représentations ont été faites au gouvernement hollandais; elles ont été suivies de mesures de rigueur qui attestaient le mécontentement de l'empereur. Deux fois les douanes françaises ont élevé une barrière entre la France et la Hollande. L'empereur voulait tout tenter avant de se résoudre à détruire l'indépendance d'une nation qu'il avait protégée et favorisée, en lui donnant pour souverain un prince de son sang. Il a cherché à épuiser tous les moyens de conciliation, afin de pouvoir se rendre ce témoignage qu'il ne cédait qu'à l'impérieuse nécessité.

Le moment est venu de prendre un parti. Déjà l'empereur a fait connaître à la nation française, à l'Europe, la nécessité d'apporter quelques changements à la situation de la Hollande, puisque la nation hollandaise, loin d'avoir le patriotisme dont les Américains ont fait preuve, ne paraît guidée que par une politique purement mercantile et l'intérêt du moment présent. C'est de la part de l'empereur une résolution inébranlable que de n'ouvrir jamais ses barrières au commerce de la Hollande; il croirait les ouvrir au commerce anglais. La Hollande peut-elle donc exister dans cet état d'isolement, séparée du continent et cependant en guerre avec l'Angleterre?

D'un autre côté, l'empereur la voit sans moyens de guerre et presque sans ressources pour sa propre défense. Elle est sans marine, les seize vaisseaux qu'elle devait fournir ont été désarmés. Elle est sans armée de terre. Lors de la dernière expédition des Anglais, l'île de Walcheren, Bath et le Sud-Beveland n'ont opposé aucune résistance. Sans armée, sans douane, on pourrait presque dire sans amis et sans alliés, la nation hollandaise peut-elle exister? Une réunion de commerçants, uniquement animée par l'intérêt de leur commerce, peut former une utile et respectable compagnie, mais non une nation. L'empereur est donc forcé de réunir la Hollande à la France, et de placer ses douanes à l'embouchure de ses rivières. Laisser les embouchures du Rhin, de la Meuse et de l'Escaut à la Hollande, n'est-ce pas les livrer au commerce anglais, et ces grands fleuves ne sont-ils pas les artères de la France, comme la Hollande est une alluvion de son territoire?

Sans les ordres du conseil de novembre 1809, la France se serait plu à maintenir l'indépendance de la Hollande, parce qu'elle était compatible avec la sienne; mais depuis lors, rien de ce qui favorise le commerce anglais n'est compatible avec la souveraineté et l'indépendance des puissances du continent.

Sa Majesté désire la paix avec l'Angleterre. Elle a fait à Tilsitt des démarches pour y parvenir, elles ont été sans résultat. Celles qu'il avait concertées avec son allié à Erfurth, l'empereur de Russie, n'ont pas eu plus de succès. La guerre sera donc longue, puisque toutes les démarches tentées pour arriver à la paix ont été inutiles. La proposition même d'envoyer des commissaires à Morlaix pour traiter de l'échange des prisonniers, quoique provoquée par l'Angleterre, est restée sans effet, lorsqu'on a craint qu'elle pût amener un rapprochement.

L'Angleterre, en s'arrogeant par ses ordres du conseil de 1807 la souveraineté universelle, et en adoptant le principe d'une guerre perpétuelle, a tout brisé et a rendu légitimes tous les moyens de repousser ses prétentions. Par sa réunion avec la France, la Hollande s'ouvrira le commerce du continent, et ce commerce utile à la cause commune deviendra une source de richesses pour ses industrieux habitants.

Deux voies se présentent pour opérer cette réunion: la négociation ou la guerre. L'empereur désire s'entendre avec la nation hollandaise, lui conserver ses privilèges et tout ce qui, dans son mode d'existence, serait compatible avec les principes qu'il a constamment soutenus, et ne pas être réduit à fonder son droit sur les plus légitimes de tous: la nécessité et la conquête.

En exécution des ordres du roi Louis, les ministres du gouvernement hollandais envoyèrent M. Labouchère à Londres, avec mission de faire connaître au ministère britannique l'état des choses, de lui faire envisager combien il serait avantageux à l'Angleterre que la Hollande ne fût pas réunie à la France, enfin de l'engager à entrer en négociation pour une paix générale.

M. Labouchère, riche et honorable commerçant très connu et très estimé à Londres, devait envoyer le récit détaillé de ses démarches, des réponses qui lui seraient faites, et revenir en Hollande avant de se rendre à Paris près du roi. Les instructions données à M. Labouchère sont libellées en date du 1er février. Le 12 du même mois, sir Arthur Wellesley répondit: que l'Angleterre compatissait aux maux de la Hollande, que la mission de M. Labouchère n'était pas de nature à donner lieu à aucune observation sur une paix générale; que la France n'avait encore manifesté aucun symptôme, ou d'une disposition à la paix ou d'une tendance à se départir de ses prétentions, prétentions qui jusqu'alors avaient rendu nulle la volonté si bonne du gouvernement de la Grande-Bretagne pour mettre fin à la guerre.

En recevant cette réponse à Londres, M. Labouchère s'empressa de rendre compte au gouvernement hollandais de l'inutilité de ses démarches et de la persuasion où il était que toute tentative échouerait.

Ainsi se termina ce singulier épisode politique. On voulut essayer de le reprendre, et le 20 mars l'empereur écrivit à son frère de renvoyer à Londres M. Labouchère, non plus au nom du ministère hollandais, mais en son nom, avec une note non signée et non d'une écriture connue. Cette note, jointe à la lettre de l'empereur, se trouve à la page 319 du 20e volume de la correspondance de Napoléon Ier. Vers cette époque on répandit en Hollande le bruit de la mort du roi et de la régence de la reine. Ce bruit venait de ce que Louis, dont la santé était fort délabrée déjà, n'avait pu subir toutes les vexations auxquelles il avait été soumis sans tomber sérieusement malade. Il fut retenu assez longtemps au lit par une fièvre nerveuse. Tous les souverains et les princes alors à Paris s'empressèrent de le venir voir. Napoléon seul s'en abstint quelque temps. Il parut enfin un beau matin, brusquement, en se rendant à la chasse. La conversation des deux frères fut assez amicale. Ni l'un ni l'autre n'aborda la question des grands intérêts politiques. Pendant la maladie du roi, les troupes françaises continuaient à s'approcher d'Amsterdam. Louis trouva moyen d'envoyer encore des ordres formels pour qu'on mît cette capitale dans le plus imposant état de défense[62]. Une fois à peu près rétabli, il voulut s'assurer par lui-même s'il était encore prisonnier en France. Il se rendit à son château de Saint-Leu. Le doute ne lui fut pas permis. On n'avait pas encore arraché à ce malheureux prince toutes les concessions que l'on désirait. On ne tarda pas à lui faire à cet égard des ouvertures qu'il commença par repousser, comme d'habitude, et puis qu'il finit par écouter, attendu qu'il ne pouvait faire autrement sans mettre dans le plus grand péril l'indépendance de la Hollande. Or, Louis espérait toujours que de la force du mal naîtrait le bien, que les mesures du blocus poussées à l'extrême amèneraient une paix maritime, que lors de cette paix la Hollande pourrait sortir de ses ruines. Il voulait donc gagner du temps pour atteindre à cette paix. La question la plus importante, à ses yeux, c'était de faire vivre de la vie politique, et à l'état de nation, un royaume à qui la France enlevait chaque jour un lambeau. Pour maintenir les Hollandais sur le tableau des puissances européennes, le roi consentit à tout ce qu'on voulut, à l'exception de la conscription, coutume qui répugnait par trop à son peuple, et de l'imposition sur la rente, mesure qu'il considérait comme équivalente à une banqueroute. Interdiction de tout commerce et de toute communication avec l'Angleterre, mise sur pied, entretien d'une flotte considérable, d'une armée de terre de 25,000 soldats, suppression de la dignité du maréchalat, destruction de tous les privilèges de la noblesse contraires à la constitution donnée par l'empereur, tout fut accordé.

Le 24 février 1810, avait paru au Journal officiel un article virulent contre la Hollande. Le roi en fut très affecté et chargea Werhuell d'en parler au duc de Cadore, et de prier ce dernier de demander à l'empereur de faire connaître ses intentions pour que le gouvernement hollandais accédât à ses désirs, si la chose était possible. Werhuell écrivit dans ce sens au duc de Cadore, et dès le lendemain le roi Louis reçut de son frère un projet de traité.

En marge de ce traité le roi Louis écrivit: «Je consentirai à tous les sacrifices que l'empereur exigera, pourvu que je puisse tenir les engagements que je contracterai; pourvu encore que le reste de la Hollande puisse exister, et surtout si ces sacrifices ôtent tout sujet de mécontentement de la part de mon frère et me donnent la possibilité de regagner son amitié et sa bienveillance; et c'est par cette raison que je désirerais qu'on omît des considérants ces mots: différents survenus entre eux. Je n'ai pas d'autre différent que la peine de voir l'empereur et mon frère fâché contre moi.»

Ce traité se composait de 15 articles, pour quelques-uns desquels le roi demanda des modifications. Il proposa ensuite neuf articles additionnels. L'empereur consentit à quelques-unes des modifications proposées par son frère et rejeta les autres.

Daté du 16 mars, ce traité contenait en outre les quatre articles secrets suivants:

1o Le roi ne s'oppose pas à ce que le corps de 18,000 hommes du deuxième article soit commandé par un général nommé par l'empereur.

2o Il consent à ce que les bâtiments chargés de contrebande qui arriveraient dans les rades de Hollande y soient arrêtés et déclarés de bonne prise, et toutes les marchandises anglaises et coloniales confisquées, sans égard à aucune déclaration.

3o Qu'il est dans le projet du roi d'éloigner de sa personne les ministres qui ont eu l'intention de défendre Amsterdam, et n'ont pas craint de provoquer la colère de la France. Sa Majesté veillera à ce que dans aucun discours ou publication quelconque il n'y ait rien qui tende à favoriser les sentiments haineux de la faction anglaise contre la France.

4o Sa Majesté s'engage à cesser insensiblement d'entretenir des ministres en Russie et en Autriche, de manière à ce que cette mesure ne soit pas un sujet de remarque et que les cours ne puissent s'en formaliser.

Après être tombé d'accord sur le traité avec son frère, le roi Louis envoya à ses ministres en Hollande la lettre ci-dessous, qui fut lue en séance du Conseil d'état, en présence de tous les membres du cabinet, par le vice-président du Conseil.

Paris, 21 février 1810.

Le roi au Conseil d'état.

Quoique le troisième mois après mon départ tire déjà à sa fin, il n'y a encore rien de décidé au sujet de l'état de nos affaires. Je ne puis cependant mieux employer le premier moment de ma guérison qu'en vous renouvelant l'assurance que j'emploierai continuellement tous les moyens possibles pour conserver l'existence de ce royaume. Il ne faut pas le feindre, ceci nous coûtera des sacrifices grands et pénibles; mais s'il y a seulement une lueur de possibilité qui nous assure la continuation de l'existence de la Hollande après tout ce qu'on exige d'elle, je n'hésiterai pas un moment de me reposer sur la magnanimité de l'empereur mon frère, dans l'espoir que les raisons de mécontentement une fois remédiées, nous obtiendrons le dédommagement que nous pouvons prétendre à si bon droit et dont nous aurons besoin plus que jamais.

Mon intention, en me conformant à tout ce que l'empereur, mon frère, exigera de nous, est de lui montrer que nous avons beaucoup d'ennemis, que nous sommes la victime du vice, de viles passions et d'intérêts; mais que nous n'avons cessé de continuer toujours d'admirer l'empereur et de nous comporter comme des amis et des alliés fidèles de la France, et éprouvés par mille sacrifices. Si, comme j'ai raison de me flatter, je puis réussir dans mes intentions réelles, le reste suivra de soi-même, tandis que ce doit être l'intérêt et le désir de la France de protéger et d'agrandir la puissance de ses amis, au lieu d'y apporter atteinte. Je vous invite ainsi de réunir tous vos efforts pour prévenir les émigrations dans les pays étrangers ou autres démarches désespérées et d'animer la nation à attendre, avec la modération qui fait le fond de son caractère, et convient à sa juste cause, le décret que l'empereur donnera pour notre sort. Il ne m'est pas inconnu tout ce que chacun souffre. J'ai fait pour plaider notre cause tout ce qui était en mon pouvoir; ni la perte de mon temps, ni la mauvaise réussite de mes peines n'ont pu me décourager, aussi ai-je tout espoir d'espérer que si nous pouvons faire un arrangement qui n'exclue pas entièrement la possibilité de notre existence, la Hollande pourra encore échapper à cette tempête, surtout si après tout cela il ne reste, non seulement aucun sujet de mécontentement, mais aucun prétexte de mésentendu ou de mécontentement, et c'est à quoi je tâche de faire aboutir tous mes efforts.

Votre roi,

Louis.

Cet acte, connu du maréchal Oudinot, fut envoyé par lui au major général, le 3 mars, de Bois-le-Duc, avec la lettre suivante:

Monseigneur, j'ai l'honneur d'adresser à Votre Excellence copie de deux lettres[63] du roi de Hollande, au Corps législatif et au Conseil d'état de son royaume. En lisant ces lettres, Votre Excellence ne sera point surprise des obstacles que l'on m'oppose et des espérances des Hollandais. Il n'est pas douteux qu'outre ces lettres, le roi n'envoie des ordres secrets pour qu'il soit pris des mesures qui reculent le moment de notre entrée en Hollande, et pour que les magistrats se refusent à tout ce qui aura l'air de prise de possession.

La tranquillité continue de régner dans le Brabant, mais le pays n'est pas riche; il a souffert par les inondations dans les années précédentes, et l'armée ne pourra guère y vivre qu'au jour le jour.

J'attends toujours une décision relativement au séquestre des caisses publiques et aux hussards hollandais qui sont à Bréda et dont le corps est en Espagne.

P.-S.—Je reçois à l'instant un rapport de M. le général Dessaix, qui m'annonce que quelques troupes hollandaises sont sur la rive droite du Wahal et ont ordre de ne laisser passer aucun militaire étranger.

Leurs hussards bordent la rive droite et paraissent destinés à observer nos mouvements, et à en donner la nouvelle.

J'ai ordonné que l'on mît en état le pont volant qui est à Nimègue; il peut porter 300 hommes à la fois.

Les eaux de la Meuse ont considérablement augmenté cette nuit et l'on ne peut communiquer que très difficilement avec Bommel et Gorcum.

Lorsque Napoléon eut obtenu tout ce qu'il désirait pour l'instant, la surveillance qui pesait sur le roi cessa par son ordre, et lui-même chercha à rétablir entre eux des rapports d'amitié. L'empereur lui témoigna même le désir qu'il fût jusqu'à Soissons au-devant de l'archiduchesse Marie-Louise, pour l'accompagner au château de Compiègne. Louis, dont la santé s'était un peu améliorée, se livra à quelques distractions et assista à une partie des fêtes qui eurent lieu à l'occasion du mariage de Napoléon, bien qu'il fût loin d'approuver le divorce, car il aimait beaucoup l'impératrice Joséphine. Arrivé à Compiègne le 24 mars, dans la matinée, le roi apprit bientôt que ses appartements étaient contigus à ceux de la reine Hortense. On semblait vouloir exiger un rapprochement qui n'était pas dans ses idées. Pour éviter toute discussion à cet égard, le 30 mars, deux jours après que l'empereur et l'impératrice furent au château, il donna ordre de préparer ses équipages pour son départ la nuit même. Un incendie, qui eut lieu au moment où il allait s'éloigner, le retint encore quelques jours. Enfin, le 8 avril, après une dernière entrevue avec son frère, entrevue dans laquelle Napoléon annonça à Louis que la reine le suivrait dans ses états avec le prince royal, le roi de Hollande put quitter la France. Il se dirigea sur Amsterdam par Aix-la-Chapelle, tandis que Hortense prit la route ordinaire. Le retour du roi causa la plus vive sensation dans tout le pays, surtout lorsqu'on sut que la reine allait arriver également. On adorait cette princesse et l'on espérait que la bonne intelligence ne serait plus troublée entre les deux époux. Hortense arriva en effet avec le prince royal; mais, par ordre de Louis, toutes les communications entre les appartements de cette princesse et les siens furent murées, la séparation de corps fut rendue ostensible, le roi même sembla prendre à tâche de prouver son éloignement pour la reine, en sorte que les courtisans ne savaient plus s'ils avaient tort ou raison, dans leur intérêt, d'aller rendre leurs hommages à Hortense. Cette contrainte ne dura pas longtemps, Hortense résolut de quitter la Hollande, mais son mari ne lui en laissa pas d'abord la possibilité. Il fit pour elle ce que l'empereur avait fait pour lui, tout récemment, à Paris. Ce ne fut que quelque temps après, en employant la ruse, après un court séjour au château de Lao, en laissant son fils qu'elle adorait, que la reine put s'échapper. On crut que le roi serait furieux en apprenant son départ ou plutôt sa fuite; il n'en fut rien. Il se montra très calme, ne parla pas d'Hortense, et ne quitta plus le jeune prince royal. En vertu du traité du 16 mars 1810 entre la France et la Hollande, traité imposé au roi, signé par Werhuell, et ratifié conditionnellement par Louis, qui avait ajouté de sa main: autant que possible, les troupes françaises, vers la fin d'avril, occupèrent Leyde et La Haye. D'autres troupes furent dirigées sur la Frise, et le duc de Reggio, commandant en chef, établit son quartier général à Utrecht. Il était clair qu'on voulait s'emparer du pays, mais qu'opposer aux volontés de Napoléon? la raison du plus fort n'est-elle pas toujours la meilleure? Le roi, indigné des usurpations d'autorité qui se renouvelaient sans cesse, se plaignit au maréchal. Ce dernier répondait en montrant les ordres de l'empereur[64].

Le 29 avril, Napoléon et la nouvelle impératrice se rendirent à Bruxelles, pour gagner de là les frontières enlevées à la Hollande et nouvellement annexées à la France. Louis quitta Amsterdam le 4 mai pour être le 5 à Anvers et les y recevoir. Sa visite faite, il repartit. Chacun voyait bien que sa couronne chancelait sur sa tête. Il n'était plus qu'un semblant de roi. Le maréchal exerçait, au nom de l'empereur, une puissance absolue. Napoléon écrivit à cette époque (20 mai)[65] une lettre tellement forte à son frère, que l'idée d'abdiquer ou de se défendre dans la capitale de ses états commença à germer en son âme. Un événement presque ridicule précipita la crise devenue imminente. Un cocher de l'ambassadeur de France eut une dispute suivie d'une rixe dans la rue près du palais de l'ambassade. M. de la Rochefoucauld jeta feu et flammes, demanda une réparation ostensible; l'empereur prétendit qu'on avait insulté son ambassadeur en insultant sa livrée, et prétexta de là pour écrire au roi une nouvelle et dernière lettre plus dure encore que la précédente, et qui se trouve également à la page 276 de l'ouvrage de M. Rocquain.

Le roi venait à peine de recevoir cette lettre, lorsqu'il apprit à son pavillon de Haarlem, où il se trouvait alors, que le duc de Reggio demandait l'occupation de la capitale et l'établissement de son quartier général à Amsterdam[66]. À cette foudroyante nouvelle, Louis, frémissant d'indignation, résolut de défendre sa capitale jusqu'à la dernière extrémité. Il comptait sur le peuple et sur l'armée, mais pour exécuter un semblable projet, il fallait d'abord inonder le pays, exposer les habitants à toutes les horreurs, et sans espoir de ne pas succomber un jour. Les ministres, les généraux furent d'un avis opposé au sien; lui-même, naturellement d'un caractère doux et bon, lorsqu'il envisagea froidement les conséquences de sa résolution extrême, sentit son cœur touché de compassion pour ses peuples. Il crut donc faire mieux en abdiquant en faveur de ses enfants, sous la régence de la reine, assistée d'un conseil de régence.

Les Rois Frères de Napoléon Ier

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