Читать книгу Les Rois Frères de Napoléon Ier - Albert Du Casse - Страница 15

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Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 8 avril par des courriers qui portent des lettres de Paris à la date du 16. Je n'ai pas reçu de lettre des enfants, je me persuade toutefois que vous vous portez bien toutes les trois. M. de la Forest[35] part pour les eaux, je pense que tu le verras à Paris, son langage est bon, mais il n'est pas secondé par quelques chefs qui en tiennent un différent. Les troubles du Nord de l'Espagne ne peuvent être attribués qu'à l'erreur dans laquelle on laisse les habitants sur leur sort futur; l'opinion a causé tout le mal et l'opinion continue à être trompée et à causer cette résistance nationale qui occupe une grande partie de nos forces. Du reste, l'opinion générale de toutes les provinces et de toutes les classes est uniforme: la paix..... qui conserve la paix avec la France et qui garantit l'intégrité et l'indépendance de la monarchie.

Les opérations ne sont pas encore commencées.

Le roi Joseph obtint enfin au commencement de 1813 le rappel du maréchal Soult. Il fut informé de cette disposition par une lettre du duc de Feltre, auquel l'empereur, qui n'écrivait plus directement à son frère, avait envoyé la dépêche suivante, datée de Paris, 3 janvier:

Monsieur le duc de Feltre, le roi d'Espagne demandant qu'on rappelle à Paris le duc de Dalmatie, et ce maréchal le demandant aussi, ou au moins à revenir par congé, envoyez au duc de Dalmatie, par estafette extraordinaire, un congé pour revenir à Paris; le général Gazan prendra le commandement de son corps ou le maréchal Jourdan. Il faut expédier ces ordres par duplicata et triplicata.

Faites connaître au roi, en lui écrivant en chiffres, que, dans les circonstances actuelles, je pense qu'il doit placer son quartier général à Valladolid, que le 29me bulletin lui aura fait connaître la situation des affaires du Nord qui exigent tous nos soins et nos efforts, qu'il peut bien faire occuper Madrid par une des extrémités de la ligne, mais que mon intention est que son quartier général soit à Valladolid; et que je désire qu'il s'applique à profiter de l'inaction des Anglais pour pacifier la Navarre, la Biscaye et la province de Santander.

Nous allons placer ici l'affaire relative au duc de Dalmatie.

Le maréchal était l'homme qui avait le plus contribué au mauvais succès des affaires d'Espagne. Depuis qu'il était en Andalousie, se trouvant maître des ressources de cette riche province, il ne voulait pas quitter Séville et refusait d'obéir aux ordres du roi, lequel avait hâte de concentrer ses forces. Dans le but de pallier la faute qu'il commettait en n'obéissant pas aux ordres du roi, son chef militaire, puisque Joseph commandait toutes les armées dans la Péninsule; dans le but d'échapper aux conséquences de son refus de joindre ses troupes à celles des autres corps opérant en Espagne, le duc de Dalmatie imagina le plus singulier moyen. Il osa accuser le roi Joseph de trahir la France et l'empereur et déclarer qu'il était de son devoir de ne pas obéir au roi. Il osa envoyer à Napoléon lui-même une dépêche dans ce sens.

Voici à cet égard une note copiée au journal du général Desprez, colonel, aide de camp de Joseph en 1812, envoyé au duc de Dalmatie pour lui porter les ordres du roi, envoyé ensuite à l'empereur, à Moscou, pour lui remettre les dépêches de Soult, si singulièrement tombées aux mains de Joseph à Valence, ainsi qu'on va le voir.

Le colonel Desprez avait été envoyé à Séville par le roi, porter l'ordre au maréchal de partir avec l'armée du Midi pour le joindre.

À peine avais-je quitté l'Andalousie pour revenir près de Joseph, écrit-il, que le duc de Dalmatie s'était occupé de concilier sa propre sûreté avec une désobéissance formelle. Le moyen dont il s'était avisé peut servir à peindre son caractère. Les généraux de division de son corps furent réunis en conseil secret et là, d'une voix émue, il avait annoncé qu'il allait leur faire des révélations aussi pénibles qu'importantes: «J'ai, leur avait-il dit, de fortes raisons de croire que le roi trahit les intérêts de la France. Je sais d'une manière positive qu'il entretient des relations avec la régence espagnole. Son beau-frère, le roi de Suède, lui sert d'intermédiaire. Celui-ci est devenu l'allié des insurgés et déjà 300 Espagnols destinés à former sa garde se sont embarqués à Cadix. Sujet de l'empereur et général français, je dois veiller, avant tout, aux intérêts de mon souverain et à l'honneur de nos armes. Je puis recevoir des ordres qui les compromettront, alors la désobéissance deviendrait un devoir. Dans des circonstances aussi graves, je compte sur votre dévouement à l'empereur et sur votre confiance dans le chef qu'il vous a donné.» Cette démarche avait été habilement conçue dans le cas où le maréchal aurait voulu prendre un parti violent et se trouvait justifiée aux yeux de l'armée. D'ailleurs, il connaissait trop bien le caractère de Napoléon pour craindre que jamais cette excessive défiance lui parût un crime impardonnable. Pour se mettre entièrement à couvert, il avait songé à prévenir le gouvernement français des inquiétudes qu'il avait conçues et des précautions que son dévouement lui avait dictées. Les communications par terre étant interrompues, il fit partir de Malaga un aviso chargé de ses dépêches. À peine le bâtiment était-il sorti du port qu'une corvette anglaise lui avait donné la chasse. Pour échapper à cette poursuite, il était venu se jeter à la côte de Valence. Le capitaine s'étant présenté au duc d'Albuféra, celui-ci prit ses dépêches et les porta au roi; elles furent ouvertes sur-le-champ et on y trouva une longue lettre au ministre de la guerre, où Soult dénonçait formellement celui dont il se disait l'ami le plus dévoué. Je vis cette lettre et il est impossible de concevoir que l'hypocrisie aille plus loin. Après une longue énumération de faits, le maréchal faisait une vive peinture de la douleur qu'il avait éprouvée. Il aurait voulu se dissimuler la vérité, épargner à l'empereur des révélations pénibles, mais le devoir avait parlé plus haut que toute autre considération.

Cette perfidie consterna Joseph. La haute opinion que le maréchal semblait avoir conçue de son esprit, les protestations de tendresse qu'il en recevait, avaient séduit un homme que l'amour-propre rendait excessivement crédule, mais de ce moment toute illusion fut détruite.

Cette note, copiée sur le journal du général Desprez, fut communiquée à M. de Presle, le jour même où l'aide de camp du roi Joseph, devenu un des généraux les plus distingués de l'armée française, partit, en 1830, pour l'expédition d'Alger.

L'empereur ne témoigna aucun mécontentement au duc de Dalmatie, ne répondit pas à son frère relativement à cette grosse affaire et se borna à autoriser le retour en France du maréchal Soult, comme on l'a vu, par sa lettre du 3 janvier 1813, au duc de Feltre. Puis, dès qu'il connut le résultat de la bataille de Vittoria (24 juin 1813), la retraite des armées d'Espagne sur les Pyrénées, l'empereur envoya le même duc de Dalmatie prendre le commandement de ses armées d'Espagne, commandement que Joseph se hâta de lui remettre.

Ainsi, le malheureux roi d'Espagne, comme l'avait été deux années auparavant le roi de Hollande, n'était en quelque sorte qu'un souverain nominatif, sans cesse désavoué par l'empereur, désobéi par les généraux mis sous ses ordres, et dont les provinces étaient dévastées, pillées par plusieurs de ces mêmes généraux. Napoléon lui promettait des subsides et trouvait toujours moyen d'éluder une partie de ce qu'il s'était engagé à lui fournir; ne répondait ni à ses lettres, ni à ses justes réclamations; ne le défendait même pas des injurieuses et sottes accusations que portait contre lui un de ses propres maréchaux! Bien plus, il semblait admettre que ces accusations pouvaient être fondées, car il plaçait ce même maréchal à la tête de ses troupes.

En arrivant à Saint-Jean de Luz, le 1er juillet 1813, Joseph écrivit à la reine:

Ma chère amie, M. Melito, que j'ai chargé d'une lettre pour l'Empereur, te fera connaître exactement ma position; je ne pense pas que les affaires d'Espagne puissent se rétablir autrement que par la paix générale, je suis resté ici parce que la frontière est menacée, mais dès que cette première frayeur sera dissipée et que la défensive sera bien assurée, ma présence étant inutile, je désire me retirer soit à Mortefontaine, soit dans le Midi; je suppose que l'on formera ici deux armées, qui devront avoir deux chefs différents, je ne crois pas que j'aie ici rien à faire, dès que la première impression sera passée, et que l'empereur aura pris ses mesures. Je ne dois pas te cacher non plus qu'aujourd'hui même je me sens incapable de monter à cheval par mes anciennes douleurs qui m'ont pris cette nuit, soit à la suite des longues pluies que nous avons essuyées, soit à cause du changement de climat et je n'hésite pas à te dire que sous tous les rapports je dois désirer de me retirer. D'un autre côté je suis ici avec une maison qui me coûte encore trois cent mille francs par mois et je n'ai pas un sol pour la payer. Elle vit, depuis la funeste journée du 21, sur le peu d'argent que chacun de mes officiers ou de mes domestiques avait dans sa poche, et pour te donner une plus parfaite idée de ma position, je t'envoie la lettre que je reçois à l'instant même[36].

En me retirant à Mortefontaine, je pourrai y vivre avec mon traitement de France que l'on t'a continué, et si l'empereur veut faire mettre à ma disposition une somme de quelques centaines de mille francs, je pourrai renvoyer tout mon monde avec une légère gratification.

Si l'empereur n'y pense pas, je compte sur Nicolas Clary. En ajoutant aux cent mille francs que je t'ai prié de lui dire de verser à M. James, encore quatre cent mille francs, je pourrai m'acquitter autant que les circonstances le permettent; je suppose que je serai rendu à Mortefontaine avant la fin du mois. La garde, les troupes espagnoles, les militaires des deux nations qui me suivent pourront être habilement employés par l'empereur, et je ne doute pas qu'ils ne servent bien; il me reste le souci de quelques employés français, mais le nombre en est très restreint. Les réfugiés espagnols sont en plus grand nombre, mais j'ai écrit à l'empereur et fait écrire au ministère et je ne doute pas que l'on n'adopte, en leur faveur, les mêmes mesures qui furent prises dans d'autres temps pour les Bataves, les Belges et les Cisalpins. J'ai perdu quelques-uns des diamants qui restaient, mais j'en ai aussi conservé assez pour couvrir Nicolas des avances qu'il serait dans le cas de me faire encore. Au reste j'espère que je n'aurai pas besoin de recourir à lui pour peu que l'empereur connaisse ma position. Le traitement de prince français sera bien suffisant pour la vie que je dois mener après tant de traverses.

Je diminuerai la quotité des pensions que je faisais et les répartirai sur les plus malheureux des hommes respectables que j'ai aujourd'hui le malheur de voir partir à pied pour Toulouse, Cahors, Tarbes, sans pouvoir leur donner un sou. Je suis resté avec un napoléon dans ma poche après le massacre de Thibaut[37], je n'ai pu faire vendre à Bayonne de l'argenterie qui y avait été transportée avec des effets usuels, successivement de Madrid pour le palais de Valladolid et de Valladolid pour celui de Vittoria, d'où M. Thibaut, qui était extrêmement soigneux, économe pour mon service, les avait fait transporter. Tout cela se dirigera sur Paris, il y aura de l'argenterie pour cinquante mille écus que M. James peut faire vendre. J'ai fait vœu d'employer cette somme ainsi que toutes celles qui proviendront du peu que j'ai emporté d'Espagne, en faveur des malheureux patients espagnols qui me suivent ou qui m'ont précédé en France.

J'espère que tu ne désapprouveras rien de tout cela.

Après tant d'orages, ma chère amie, l'idée du calme me donne quelque soulagement et je ne pense pas sans plaisir que je pourrai m'occuper de mes enfants pendant le peu de temps qui me reste à les voir avant leur établissement.

L'empereur me trouvera toujours s'il a besoin de moi et, dans tous les cas, s'il est vrai qu'il ne lui reste plus rien de fraternel dans l'âme pour moi, je le forcerai à ne pas rougir d'un frère qui se sera montré impassible dans la bonne comme dans la mauvaise fortune.

Il me reste à désirer que tu ne te laisses pas affecter par tout ceci, que tu ramènes des eaux une meilleure santé et que tu croyes bien, quelque chose que tu m'aies dite souvent, que je n'ai d'autre ambition que de remplir ce que je crois mes devoirs; cela fait, je préfère et j'ai toujours véritablement préféré la vie privée aux grandeurs et aux agitations publiques, le présent et l'avenir te prouveront ceci.

Melito est parti avec le peu d'argent qu'il avait dans ses poches; je te prie de lui faire remettre 8000 francs, afin qu'il puisse faire convenablement sa route et revenir m'apporter la réponse de l'empereur le plus tôt possible. Si tu te crois en mesure de lui écrire pour la lui recommander, tu me feras plaisir. C'est le seul homme des anciens amis qui me soit resté attaché jusqu'à la fin. Je voudrais que l'empereur trouvât bon qu'il continuât de porter le titre de comte de Melito que je lui donnai à Naples, où tu te rappelles qu'il servait bien comme ministre de l'intérieur.

Adieu, etc.

Joseph à la reine Julie.

Bayonne, le 13 juillet 1813.

Ma chère amie, M. Rœderer te donnera de mes nouvelles ou t'écrira; je compte aller prendre les eaux de Bagnères où j'attendrai de tes nouvelles; je viendrai te rejoindre à Mortefontaine ou, si cela contrarie l'empereur, tu viendrais ou tu me donnerais rendez-vous dans une terre que tu aurais fait choisir dans le Midi de la France, tu amènerais nos enfants; je me porte assez bien.

Les pertes de l'armée se réduisent à des canons, l'ennemi avoue avoir perdu beaucoup plus de chevaux et d'hommes que nous.

Je laisse l'armée plus forte du double que celle que j'avais à Vittoria.

Si tu dois venir me rejoindre, il serait bon que Nicolas y vînt avec toi; si je dois venir à Paris, je le verrai à Paris.

Les Rois Frères de Napoléon Ier

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