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(1814-1841.)

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Table des matières

Joseph n'était pas encore arrivé au port où il espérait se reposer des tracas de la vie publique. Le sort lui réservait une autre période de tourments.

Revenu des eaux de Bagnères, où sa santé l'avait obligé à un court séjour, en août 1813, et installé à Mortefontaine près Paris, le frère aîné de l'empereur apprit, dans un entretien qu'il eut avec Napoléon, que ce dernier était sur le point de replacer Ferdinand VII sur le trône d'Espagne. Après une longue discussion avec l'Empereur, il crut devoir lui écrire le 30 novembre 1813:

Sire,

La réflexion n'a fait que fortifier ma première pensée. Le rétablissement des Bourbons en Espagne aura les plus funestes conséquences et pour l'Espagne et pour la France. Le prince Ferdinand, en arrivant en Espagne, ne peut rien en faveur de la France; il pourra tout contre elle, son apparition excitera d'abord quelques troubles, mais les Anglais s'en empareront bientôt et dès qu'ils lui auront fait tourner les armes contre la France, il aura avec lui, et les partisans des Anglais et les partisans de la France que nous aurons abandonnés et ceux qui tiennent au système de voir leur pays gouverné par une branche de la maison de France, système si heureusement professé à Bayonne et qui, depuis un siècle, a fait la tranquillité de l'Espagne. Tout homme de bien et de sens qui connaît le caractère de la nation espagnole et la situation des hommes et des choses dans la Péninsule ne peut pas douter de ces vérités. Je prie V. M. de faire consulter quelques Espagnols éclairés qui sont en France, entr'autres MM. Aranza, O'Farell, qui étaient ministres, nommés par le prince Ferdinand.

Quant à moi, Sire, que V. M. daigne un moment se supposer à ma place. Elle sentira facilement quelle doit être ma conduite. Appelé il y a dix ans au trône de Lombardie, ayant occupé celui de Naples avec quelque bonheur, celui d'Espagne au milieu de traverses de tous les genres, et malgré cela ayant su me concilier l'estime de la nation, persuadé comme je le suis que tant que la dynastie de V. M. régnera en France, l'Espagne ne peut être heureuse que par moi ou par un prince de son sang, je ne saurais m'ôter à moi-même les seuls biens qui me restent, les témoignages d'une conscience sans reproches et le sentiment de ma propre dignité. Je ne puis donc que présenter ces réflexions à V. M. I. et R., et, dérobant au grand jour un front dépouillé, attendre dans le sein de ma famille les coups dont il plaira au destin de frapper encore et l'Espagne et moi, et les bienfaits qu'il nous est permis d'espérer de la puissance de votre génie et de la grandeur du peuple français.

L'empereur ne répondit pas à cette lettre. Un mois plus tard, le 29 décembre 1813, Joseph, voyant le territoire suisse violé et la France prête à être envahie, écrivit de nouveau à son frère pour se mettre à sa disposition. Napoléon lui répondit durement, tout en acceptant sa participation à la défense de l'État[38]. À son départ pour l'armée, il le nomma son lieutenant-général à Paris.

L'ex-roi de Naples et d'Espagne eut avec son frère, tandis que ce dernier était à l'armée, une correspondance longue, suivie, des plus importantes, publiée d'abord dans les Mémoires du roi Joseph, reproduite plus tard dans le grand ouvrage de la correspondance de Napoléon 1er (du moins quant aux lettres écrites par l'Empereur à son frère).

On a omis cependant dans ces deux ouvrages quelques fragments de lettres; nous les ferons connaître au fur et à mesure, à leur date.

Joseph, ayant appris que, suivant son exemple et oubliant les différends qu'il avait eus avec l'Empereur, Louis venait de se mettre à la disposition de Napoléon, écrivit à l'ex-roi de Hollande la lettre ci-dessous, datée de Mortefontaine le 2 janvier 1814:

Mon cher frère, tu sais comment je suis ici depuis dix mois. Quinze jours seulement après mon arrivée, l'Empereur me dit qu'il voulait rétablir les Bourbons en Espagne. Il me demanda mon avis réfléchi. Il est contenu dans la pièce no 1 que je lui ai adressée deux jours après notre entrevue. Il y a huit jours, maman m'a dit que l'Empereur désirait me voir. J'étais alors retenu dans ma chambre par le rhume violent qui m'y retient encore. J'appris en même temps que l'Empereur avait dit aux sénateurs qu'il avait reconnu Ferdinand et accrédité auprès de lui l'ambassadeur Laforest qui était accrédité auprès de moi. J'écrivis alors à l'Empereur la lettre dont ci-joint la copie sous le no 2[39].

Ma femme la lui remit et il lui dit: Je suis forcé à ceci. Les événements me paraissant de plus en plus graves, je lui ai écrit de nouveau hier[40]. Le porteur a reçu la même réponse. Le fait est que je puis tout sacrifier à l'Empereur, à la France et à l'Europe, tout, hormis l'honneur. L'honneur ne me permet pas de me montrer autrement que comme roi d'Espagne, tant que je n'aurai pas abdiqué, ce que je ne puis et ce que je ne veux faire que pour la paix générale et après avoir assuré ce que je dois aux Espagnols par un traité dans les mêmes formes que celui qui me donna la couronne d'Espagne, traité dont a été négociateur à Bayonne M. le duc de Cadore.

Qu'on me traite en roi, ou qu'on me laisse dans l'obscurité.

Maman qui ne sait rien de tout cela, n'est mue que par un sentiment, celui de la réunion. Je suis très peiné, mon cher Louis, que ces circonstances retardent le plaisir que j'aurai à t'embrasser après tant de désastres.

Le roi Joseph était rentré en grâce près de Napoléon, soit que l'Empereur le préférât à ses autres frères, soit qu'il eût en lui plus de confiance qu'en Louis et en Jérôme. L'empereur continua à traiter ces derniers avec rigueur, ne voulant les voir ni l'un ni l'autre et écrivant même le 2 février 1814 à l'Impératrice pour lui défendre de recevoir le roi et la reine de Westphalie. Ce fait résulte de la lettre suivante:

Marie-Louise à Joseph.

Paris, 3 février 1814.

Je reçois à l'instant une lettre de l'Empereur du 2 février qui me défend, comme réponse à la mienne, de recevoir sous aucun prétexte le roi et la reine de Westphalie, ni en public, ni incognito.

Je vous prierai donc, mon cher frère, de leur peindre tous les regrets que j'ai de ne pouvoir les voir demain et de croire à la sincère amitié avec laquelle je suis, mon cher frère,

Votre affectionnée sœur.

Louise.

À la fin de février 1814, seulement, Napoléon voulut bien se rapprocher de ses frères Louis et Jérôme. Il écrivit à Joseph, de Nogent-sur-Seine, le 21 février, cette curieuse lettre[41]:

Mon frère, voici mes intentions sur le roi de Westphalie: je l'autorise à prendre l'habit de grenadier de ma garde, autorisation que je donne à tous les princes français (vous le ferez connaître au roi Louis. Il est ridicule qu'il porte encore un uniforme hollandais). Le roi donnera des congés à toute sa maison westphalienne. Ils seront maîtres de retourner chez eux ou de rester en France. Le roi présentera sur-le-champ à ma nomination trois ou quatre aides de camp, un ou deux écuyers et un ou deux chambellans, tous Français, et pour la reine, deux ou trois dames françaises pour l'accompagner. Elle se réservera de nommer dans d'autres temps sa dame d'honneur. Tous les pages de Westphalie seront mis dans des lycées et porteront l'uniforme des lycées. Ils y seront à mes frais. Un tiers sera mis au lycée de Versailles, un tiers au lycée de Rouen et l'autre tiers au lycée de Paris. Immédiatement après, le roi et la reine seront présentés à l'Impératrice et j'autorise le roi à habiter la maison du cardinal Fesch, puisqu'il paraît qu'elle lui appartient, et à y établir sa maison. Le roi et la reine continueront à porter le titre de roi et reine de Westphalie, mais ils n'auront aucun Westphalien à leur suite. Cela fait, le roi se rendra à mon quartier-général d'où mon intention est de l'envoyer à Lyon prendre le commandement de la ville, du département et de l'armée; si toutefois il veut me promettre d'être toujours aux avant-postes, de n'avoir aucun train royal, de n'avoir aucun luxe, pas plus de 15 chevaux, de bivouaquer avec sa troupe, et qu'on ne tire pas un coup de fusil qu'il n'y soit le premier exposé. J'écris au Ministre de la Guerre et je lui ferai donner des ordres. Il pourrait, pour ne pas perdre de temps, faire partir pour Lyon sa maison, c'est-à-dire une légère voiture pour lui, une voiture de cuisine, quatre mulets de cantine et deux brigades de six chevaux de selle, un seul cuisinier, un seul valet de chambre avec deux ou trois domestiques, et tout cela composé uniquement de Français. Il faut qu'il fasse de bons choix d'aides de camp, que ce soit des officiers qui aient fait la guerre, qui puissent commander des troupes, et non des hommes sans expérience comme les Verdrun, les Brongnard et autres de cette espèce. Il faut aussi qu'il les ait tout de suite sous la main. Enfin il faudrait voir le Ministre de la Guerre et se consulter pour lui choisir un bon état-major.

Votre affectionné frère.

Dans une autre lettre à Joseph du 7 février, on lit:

Faites donc cesser ces prières de 40 heures et ces Miserere; si l'on nous faisait tant de singeries, nous aurions tous peur de la mort. Il y a longtemps que l'on dit que les prêtres et les médecins rendent la mort douloureuse.

L'Empereur termine celle du 9 février par ces mots:

Priez la Madona des armées qu'elle soit pour nous, Louis qui est un saint, peut s'engager à lui donner un cierge allumé.

Ces deux passages ont été supprimés dans les Mémoires et à la correspondance.

La veille, le 8 février, Napoléon avait envoyé à son frère aîné une très longue lettre, des plus importantes, qui explique, avec une autre du 15 mars, et justifie pleinement la conduite de Joseph au 31 mars. Plusieurs passages de la lettre du 8 février, relatifs au roi Louis, ont été supprimés dans les ouvrages qui ont paru; nous croyons devoir rétablir cette lettre in-extenso:

Nogent, le 8 février 1814, 4 heures du matin.

Mon frère, j'ai reçu votre lettre du 7 à 11 heures du soir; elle m'étonne beaucoup, j'ai lu la lettre du roi Louis qui n'est qu'une rapsodie; cet homme a le jugement faux et met toujours à côté de la question.

Je vous ai répondu sur l'événement de Paris pour que vous ne mettiez plus en question la fin, qui touche à plus de gens qu'à moi. Quand cela arrivera je ne serai plus; par conséquent ce n'est pas pour moi que je parle. Je vous ai dit pour l'Impératrice et le roi de Rome et notre famille ce que les circonstances indiquent et vous n'avez pas compris ce que j'ai dit. Soyez bien certain que si le cas arrivait, ce que je vous ai prédit arrivera infailliblement, je suis persuadé qu'elle-même a ce pressentiment[42].

Le roi Louis parle de la paix, c'est donner des conseils bien mal à propos. Du reste je ne comprends rien à votre lettre. Je croyais m'être expliqué avec vous, mais vous ne vous souvenez jamais des choses et vous êtes de l'opinion du premier homme qui parle et qui vous reflète cette opinion.

Je vous répète donc en deux mots que Paris ne sera jamais occupé de mon vivant, j'ai droit à être cru par ceux qui m'entendent.

Après cela, si, par des circonstances que je ne puis prévoir, je me portais sur la Loire, je ne laisserai pas l'Impératrice et mon fils loin de moi, parce que, dans tous les cas, il arriverait que l'un et l'autre seraient enlevés et conduits à Vienne, que cela arriverait bien davantage si je n'existais plus. Je ne comprends pas comment, pendant ces menées auprès de votre personne, vous couvrez d'éloges si imprudents la proposition de traîtres si dignes de ne conseiller rien d'honorable; ne les employez jamais dans un cas, même le plus favorable[43]. C'est la première fois depuis que le monde existe, que j'entends dire qu'en France une population de (illisible) âmes assiégée ne pouvait pas vivre trois mois. D'ailleurs nul n'est tenu à l'impossible, je ne peux plus payer aucun officier et je n'ai plus rien.

J'avoue que votre lettre du 7 (février) à quatre heures du soir m'a fait mal, parce que je ne vois aucune tenue dans vos idées et que vous vous laissez aller aux bavardages d'un tas de personnes qui ne réfléchissent pas. Oui, je vous parlerai franchement: si Talleyrand est pour quelque chose dans cette opinion de laisser l'Impératrice à Paris dans le cas où l'ennemi se rapprocherait, c'est trahir; je vous le répète, méfiez-vous de cet homme; je le pratique depuis seize ans, j'ai même eu de la faveur pour lui, mais c'est sûrement le plus grand ennemi de notre maison, à présent que la fortune l'a abandonnée depuis quelque temps. Tenez-vous aux conseils que j'ai donnés, j'en sais plus que ces gens-là.

S'il arrivait bataille perdue et nouvelle de ma mort, vous en seriez instruit avant ma maison: faites partir l'Impératrice et le roi de Rome pour Rambouillet; ordonnez au Sénat, au Conseil d'État et à toutes les troupes de se réunir sur la Loire. Laissez à Paris un préfet et une commission impériale, ou des maires.—Je vous ai fait connaître que je pensais que Madame et la reine de Westphalie pourraient bien rester à Paris logées chez Madame. Si le vice-roi est revenu à Paris, vous pourrez aussi l'y laisser, mais ne laissez jamais tomber l'Impératrice et le roi de Rome entre les mains de l'ennemi. Soyez certain que dès ce moment l'Autriche, étant désintéressée, l'emmènerait à Vienne avec un bel apanage, et sous le prétexte de voir l'Impératrice heureuse on ferait adopter aux Français tout ce que le régent d'Angleterre et la Russie pourraient leur suggérer. Tout parti se trouverait par là détruit.

Au lieu que, dans le cas opposé, l'esprit national du grand nombre d'intéressés à la révolte rendrait tout résultat incalculable.

Au reste, il est possible que l'ennemi, s'approchant de Paris, je le battrai, et cela n'aura pas lieu. Il est possible aussi que je fasse la paix sous peu de jours: mais il en résulte toujours par cette lettre du 7 à 4 heures du soir que vous n'avez pas de moyens de défense..... Pour comprendre ces choses je trouve toujours votre jugement faux; c'est enfin une fausse doctrine. L'intérêt même de Paris est que l'Impératrice et le roi de Rome n'y restent pas, parce que l'intérêt ne peut pas être séparé de leur personne et que depuis que le monde est monde je n'ai jamais vu qu'un souverain se laissât prendre dans des villes ouvertes. Ce serait la première fois.

Ce malheureux roi de Saxe arrive en France, il perd ses belles illusions! (Deux lignes indéchiffrables.) Dans les circonstances bien difficiles de la crise des événements, on fait ce qu'on doit et on laisse aller le reste. Or, si je vis on doit m'obéir, et je ne doute pas qu'on s'y conforme. Si je meurs, mon fils régnant et l'Impératrice régente doivent, pour l'honneur des Français, ne pas se laisser prendre et se retirer au dernier village.....

Souvenez-vous de ce que disait la femme de Philippe V. Que dirait-on en effet de l'Impératrice? Qu'elle a abandonné le trône de son fils et le nôtre; et les alliés aimeraient mieux de tout finir en les conduisant prisonniers à Vienne. Je suis surpris que vous ne conceviez pas cela! Je vois que la peur fait tourner les têtes à Paris.

L'Impératrice et le roi de Rome à Vienne ou entre les mains des ennemis, vous et ceux qui voudraient se défendre seraient rebelles!...

Quant à mon opinion, je préférerais qu'on égorgeât mon fils plutôt que de le voir jamais élevé à Vienne comme un prince autrichien, et j'ai assez bonne opinion de l'Impératrice pour être aussi persuadé qu'elle est de cet avis, autant qu'une femme et une mère peuvent en être.

Je n'ai jamais vu représenter Andromaque que je n'aie plaint le sort d'Astyanax survivant à sa maison et que je n'aie regardé comme un bonheur pour lui de ne pas survivre à son père.

Vous ne connaissez pas la nation française. Le résultat de ce qui se passerait dans ces grands événements est incalculable.

Quant à Louis, je crois qu'il doit vous suivre (sa dernière lettre me prouve toujours qu'il a la tête trop faible et vous ferait beaucoup de mal).

Voici maintenant la lettre du roi Joseph, en date du 7 février 1814 (11 heures du soir), à laquelle répond la lettre précédente. Elle a été supprimée aux Mémoires.

Paris, le 7 février 1814, à 11 heures du soir.

Sire,

J'ai reçu les deux lettres de V. M. d'hier. J'ai vu et écrit au duc de Valmy. Il part ce soir pour Meaux. Il m'a communiqué une lettre du duc de Tarente datée du 6. Il était encore à Épernay et n'avait aucune nouvelle de V. M. depuis 4 jours. Il avait abandonné Châlons après s'y être défendu quelque temps. L'artillerie avait été dirigée sur Meaux. L'ennemi était entré à Sézanne. L'intendant et les caisses avaient échappé à l'ennemi.

Voici l'itinéraire exact de la 9e division d'infanterie de l'armée d'Espagne[44].

J'ai envoyé un aide de camp sur la route de Châlons par Vitry. J'ai chargé le Ministre de la Guerre d'en envoyer un autre sur la route de (illisible).

Le Ministre de la Guerre me mande qu'il avait fait envoyer ce matin 2,000 fusils à Montereau.

Je lui ai écrit de (deux mots illisibles) ce soir.

J'ai parlé à Louis du projet de le laisser ici. Il me répond par une longue lettre que je prends le parti d'envoyer à V. M. Il me semble que V. M. m'a dit que les princesses devaient suivre l'Impératrice; s'il en était autrement, il faudrait qu'elle l'écrive d'une manière positive. Je fais des vœux pour que le départ de l'Impératrice puisse n'avoir pas lieu. Nous ne pouvons nous dissimuler que la consternation et le désespoir du peuple pourront avoir de terribles et funestes résultats. Je pense avec toutes les personnes qui peuvent apprécier l'opinion, qu'il faudrait supporter bien des sacrifices avant d'en venir à cette extrémité. Les hommes attachés au gouvernement de V. M. craignent que le départ de l'Impératrice ne livre le peuple, de la capitale au désespoir et ne donne une capitale et un empire aux Bourbons. Tout en manifestant ces craintes que je vois sur tous les visages, V. M. peut être assurée que ses ordres seront exécutés pour ma part très fidèlement, dès qu'ils me seront arrivés.

J'ai parlé au général Caffarelli[45] pour Fontainebleau, ainsi qu'à M. La Bouillerie[46] pour le million de la guerre et les autres objets.

Je ne sais pas jusqu'à quel point ce que j'ai cru remarquer peut paraître convenable à V. M.; mais je puis l'assurer qu'il importe de faire payer un mois d'appointements aux grands dignitaires, ministres, conseillers d'État, sénateurs. On m'en a cité plusieurs dans un véritable besoin et plusieurs seront bien embarrassés pour partir, si le cas se présente, et l'on prévoit qu'ils resteront à Paris.

J'ai eu la visite de M. le maréchal Brune que je n'ai pu voir; je ne doute pas qu'il ne soit venu offrir ses services, je serais bien aise de connaître les intentions de V. M.

Jérôme est contrarié que V. M. ne se soit pas encore expliquée sur la demande que j'ai faite pour lui dans deux de mes précédentes lettres.

On m'assure que M. de Lafayette a été un des premiers grenadiers de la garde nationale qui ait été en faction à l'Hôtel-de-Ville.

Les barrières seront entièrement fortifiées demain et l'on commencera à y transporter de l'artillerie. Le général Caffarelli a répondu au duc de Conegliano qu'il n'avait pas encore l'autorisation du Maréchal du Palais à qui il avait écrit (mots illisibles) la garde impériale fournit un poste de 25 hommes.

P. S.—Je reçois la lettre de V. M. en date d'aujourd'hui de Nogent. Les dispositions qu'elle prescrit ont déjà été ordonnées et je tiendrai V. M. au courant, à mesure de leur exécution.

Après la chute de l'Empire, quelques auteurs de mémoires, des historiens mêmes, comme M. de Norvins, ont reproché au roi Joseph son départ de Paris et celui de l'Impératrice; ces écrivains ne connaissaient pas évidemment la lettre de l'Empereur, du 8 février, et ses ordres formels. Joseph, pendant son exil, crut devoir réfuter ces assertions. Voici une note à cet égard, écrite tout entière de sa main:

Il est faux que nul autre que Joseph eût la copie de la lettre de l'Empereur qui prescrivait le départ (celle du 16 mars 1814). Joseph resta à Paris d'après la proposition qu'il en fit au Conseil, ainsi que les Ministres de la Guerre, de la Marine, le premier inspecteur du génie, afin d'atténuer le mauvais effet que devait produire le départ de l'Impératrice, et pour reconnaître, par eux-mêmes, les forces ennemies qui marchaient sur Paris et ne quitter la ville, pour rejoindre la régente sur la Loire, qu'après s'être assurés de l'incontestable supériorité de l'ennemi. Il est faux que Joseph se soit établi aux Tuileries comme lieutenant de l'Empereur, il se rendit avec les Ministres qui étaient restés avec lui en reconnaissance sur la route de Meaux, passa la nuit au Luxembourg, et le lendemain s'établit hors des barrières de Paris pour être à portée de recevoir les rapports des officiers qui étaient en reconnaissance et prévenir l'exaltation qui pouvait être excitée parmi le peuple par l'arrivée des courriers qui se succédaient à chaque moment. Lorsqu'il fut bien reconnu et bien évident pour tous que l'empereur de Russie, le roi de Prusse et le prince de Schwartzemberg étaient à quelques milles de la ville; que le maréchal de Marmont commandant en chef eut déclaré qu'il ne pouvait pas tenir davantage contre des forces sans nulle proportion avec celles qu'il commandait; que si la nuit arrivait sans qu'on eût pris un parti, il ne répondait pas de pouvoir empêcher les ennemis de s'introduire dans la ville, le roi Joseph, de l'avis des ministres qui se trouvaient avec lui, et pour sauver la capitale des désastres qui la menaçaient de la part de l'ennemi, approuva la proposition de capitulation qui lui était faite par le maréchal Marmont et ne partit que lorsqu'il vit les forces ennemies dans Saint-Denis, et ses partis prêts à s'emparer des ponts sur la Seine, qu'ils occupèrent effectivement peu de temps après son passage et celui des membres du Conseil qui, ayant satisfait à leur mandat, allaient rejoindre la régente sur la Loire où elle devait se rendre en exécution des ordres de l'Empereur.

En 1814 se termine le rôle politique de Joseph. Retiré à Prangins, en Suisse, sur les bords du lac de Genève, pendant le séjour de Napoléon à l'île d'Elbe, il fut assez heureux pour pouvoir le faire prévenir que deux misérables avaient juré de l'assassiner. L'un de ces hommes fut arrêté, en effet, à son débarquement dans l'île.

Lorsque l'Empereur revint en France, en mars 1815, son frère, prévenu, accourut et put le rejoindre à Paris. Après Waterloo, il l'accompagna à Rochefort, essaya vainement d'obtenir de lui de prendre sa place à l'île d'Aix pendant que lui-même, Napoléon, passerait en Amérique. L'Empereur refusa et voulut se confier aux Anglais, les considérant comme de nobles et loyaux ennemis. Joseph, plus sage et plus heureux, put gagner New-York et se fixa, l'hiver à Philadelphie, l'été sur les bords de la Delaware dans une belle propriété nommée Pointe-Breeze qu'il acheta.

On a vu quelles étaient les intentions de Joseph en quittant l'Espagne (lettre du 1er juillet 1813 à la reine Julie) relativement à l'argenterie et aux quelques valeurs que son trésorier, M. Thibault, avait pu sauver, et qui étaient parvenues à Bayonne. Cependant, par la suite, des ministres espagnols ne craignirent pas d'accuser le Roi d'avoir détourné à son profit les diamants de la couronne.

Voici la vérité sur ce fait:

Joseph avait, comme roi d'Espagne, une liste civile d'un million par mois. Il devait toucher 500,000 fr. de l'Empereur et 500,000 fr. du trésor espagnol. La plupart du temps, Napoléon ne payait pas son frère; en outre, le trésor d'Espagne étant obéré n'avait pas d'argent pour payer les 500,000 fr. mensuels. Dans ce cas, le ministre des Finances faisait estimer, par des experts du pays, des diamants pour la dite somme, et les remettait aux mains de Joseph. Ces diamants lui appartenaient donc bien légitimement, et l'on a vu par sa correspondance avec sa femme dans quel état de dénuement le malheureux prince était revenu en France. On a vu qu'il n'avait pas hésité à emprunter à son beau-frère, Marius Clary, pour pouvoir donner de l'argent aux serviteurs qui l'avaient accompagné sur la terre de France et leur permettre de se rapatrier; on a vu même qu'il n'avait pas voulu détourner, à son profit, une obole de l'argent provenant de la vente de l'argenterie de la couronne, ce qu'il eût pu faire au lieu d'emprunter pour les Espagnols qui l'avaient suivi. L'accusation portée contre lui tombe donc d'elle-même. D'ailleurs une partie de ces diamants, en vertu de l'article XI du traité de Bayonne, avait été emportée par Ferdinand, ainsi que nous l'avons dit plus haut.

L'Empereur Napoléon Ier, pendant les années prospères de son règne, alors qu'il était l'arbitre des destinées de l'Europe, avait reçu des souverains des lettres auxquelles il attachait une grande importance. Il fit faire, dans son cabinet, deux copies de ces 250 à 300 documents précieux et déposa les originaux aux mains du duc de Bassano, secrétaire d'État au département des Affaires étrangères.

En 1815, après Waterloo, avant de quitter l'Élysée pour se rendre à la Malmaison, il dit à son frère Joseph, lequel demeurait alors rue du Faubourg-Saint-Honoré, 33 (aujourd'hui ambassade d'Angleterre), qu'il venait d'envoyer à son hôtel une copie authentique des lettres que les divers souverains lui avaient adressées pendant le temps de sa prospérité, qu'il le priait de la conserver précieusement. Joseph lui ayant fait observer qu'il aimerait mieux avoir les originaux: «Non, répondit Napoléon, cela ne vous regarde pas, c'est l'affaire de Maret (duc de Bassano), c'est son droit, il sait ce qu'il doit en faire.»

De retour à son hôtel, le roi Joseph trouva en effet les copies dans son cabinet. Le Prince, se rendant à la Malmaison pour faire ses adieux à son frère, chargea son secrétaire, M. de Presle, de diviser ses propres papiers, de les mettre avec ces copies de lettres des souverains dans des malles au milieu d'effets, et de les envoyer chez des personnes où ces documents seraient en sûreté et pourraient échapper aux recherches de la police.

Joseph se rendit à Cherbourg, vit son frère à l'île d'Aix, partit pour New-York, se fixa sur les bords de la Delaware, et ne s'occupa plus de ces papiers. En 1818, Napoléon lui fit dire de Sainte-Hélène, par le docteur O'Méara, de publier sa correspondance avec les souverains, comme étant la meilleure réponse aux calomnies que l'on répandait sur lui et le meilleur moyen d'établir, à l'aide de documents historiques incontestables, le parallèle entre sa conduite et celle des souverains alliés.

Joseph écrivit à son secrétaire, M. de Presle, alors en Europe, de lui expédier les dix caisses dans lesquelles ses papiers avaient été placés. Les caisses arrivèrent en Amérique, mais le Roi y chercha vainement la copie des lettres des souverains. M. de Presle déclara qu'il n'avait plus retrouvé ces copies dans la boîte où il les avait cachées, bien que la clef ne l'eût pas quitté. Joseph écrivit en Europe, fit démarches sur démarches, aucune n'aboutit.

Maintenant, essayons de suivre la route qu'ont prise les originaux et les copies de ces lettres des souverains:

1o Les originaux, laissés aux mains du duc de Bassano.

Le duc de Bassano partant pour l'exil, en 1815, fit enfermer ces papiers (a-t-il déclaré) dans des caisses en fer-blanc qu'il fit cacher dans un château vendu depuis. De retour de l'exil, le duc ne retrouva plus l'endroit où les boîtes avaient été enfouies par son jardinier. Ce jardinier lui-même était mort.

Il n'en est pas moins positif que ces documents furent en tout ou en partie vendus en Angleterre en 1822, à Londres, chez le libraire Murray. Les lettres de l'empereur de Russie furent cédées à l'ambassadeur, M. de Liéven, pour la somme de 250,000 fr. Ces lettres avaient été offertes d'abord au gouvernement anglais qui avait refusé d'en faire l'acquisition. On trouvera jointes ici plusieurs lettres et notes relatives à ces originaux.

2o Celle des deux copies qui fut emportée par l'empereur Napoléon Ier lui fut volée à Cherbourg avec une caisse d'argenterie, sans que l'on ait jamais pu découvrir l'auteur du vol.

3o La seconde copie, celle qui fut envoyée au roi Joseph, placée au milieu de hardes et effets, dans une des dix caisses où M. de Presle avait caché les papiers du roi, subit le sort suivant:

Les dix caisses furent envoyées d'abord de l'hôtel Joseph, les unes chez le nommé Legendre, valet de chambre dévoué, alors à Villiers-sur-Marne; d'autres, chez M. Madaud, buraliste de loterie, rue Saint-André-des-Arts, et beau-frère de M. Bouchard, un des secrétaires du roi Joseph; d'autres encore chez différentes personnes, parmi lesquelles la comtesse de Magnitaut. Les dépositaires de ces papiers ne tardèrent pas, craignant de se compromettre, à demander qu'on les leur retirât; on les fît porter à l'hôtel de la reine de Suède, rue d'Anjou-Saint-Honoré, 28. C'est de là que M. de Presle les expédia à Joseph, en Amérique.

Les caisses des papiers du roi, parmi lesquelles se trouvait celle renfermant la copie des lettres des souverains, ont donc été transportées de l'hôtel Joseph chez divers, de chez ces diverses personnes à l'hôtel de la reine de Suède. C'est évidemment dans l'un de ces deux transbordements que ces copies précieuses pour l'histoire auront été soustraites.

On avait perdu en quelque sorte le souvenir de cette affaire qui avait fait un certain bruit dans le principe, lorsqu'en 1855, un des principaux libraires-éditeurs de Paris proposa à un auteur qui s'occupait de l'histoire du premier Empire de demander au gouvernement de Napoléon III d'acquérir, moyennant une somme assez forte, la copie authentique de 150 lettres écrites par des souverains à Napoléon Ier.

L'éditeur dit à la personne qu'il avait choisie comme intermédiaire dans cette affaire qu'il ne connaissait pas le possesseur de ces lettres, qu'on en voulait 500,000 francs, qu'elles étaient cachées en France. La personne à qui l'éditeur s'adressa, craignant qu'on crût qu'elle avait un intérêt dans cette spéculation, ne voulut faire aucune démarche.

Toutefois on peut conclure de ce qui précède:

1o Que les originaux ont été vendus et probablement détruits par les intéressés.

2o Que des deux copies volées, l'une existe encore.

Après avoir reçu la lettre par laquelle O'Méara lui faisait connaître le désir de l'Empereur qu'on publiât les lettres des souverains, le roi Joseph répondit au docteur:

Les Rois Frères de Napoléon Ier

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