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ОглавлениеPhiladelphie, le 1er mai 1820.
Monsieur,
J'ai reçu la lettre que vous avez bien voulu m'écrire le 1er mars. Je vous prie de vouloir bien faire vos efforts pour faire parvenir les deux incluses, dont l'une pour l'Empereur, et l'autre pour madame de Montholon, je suis bien fâché des retards qu'elle éprouve à être payée, je lui écris à ce sujet ainsi qu'à l'Empereur.
Je n'ai pas reçu à Rochefort les lettres dont vous me parlez et dont le comte de Las Cases a aussi parlé à ma femme, j'écris à ce sujet pour savoir à qui ces lettres ont été remises et par qui, malheureusement, je ne les ai pas reçues, je regretterais vivement leur perte. L'ouvrage que vous avez publié a ici un succès prodigieux. J'ai perdu aussi, par l'incendie de ma maison, arrivé le 4 janvier, beaucoup de papiers. Les lettres dont vous me parlez eussent aussi été perdues, mais heureusement elles ne m'avaient pas été remises, j'ai fait, dans cette circonstance, d'autres pertes bien sensibles qui me forcent à me rappeler que j'en ai faites de plus grandes pour n'en avoir pas trop de regrets.
Veuillez agréer, Monsieur, mon sincère attachement et ma reconnaissance.
Votre affectionné,
Joseph de Survilliers.
P. S.—N'ayant aucun rapport personnel avec la reine d'Angleterre, une lettre de moi me paraîtrait moins convenable que de la part de mon frère Lucien ou de la reine de Naples qui ont eu occasion de la connaître personnellement.
Voici maintenant quelques documents relatifs aux lettres des souverains, et d'abord une note tout entière de la main du roi Joseph envoyée à M. Francis Lieber, littérateur et professeur à Boston:
Pointe-Breeze, le 28 mai 1822.
Je reçois votre lettre du 24 mai. Je la trouve ici à mon retour d'un petit voyage. Je n'ai pas le temps de retrouver ces lettres qui constatent les dates précises, mais vous pouvez être certain du souvenir que ma mémoire me fournit, encore très présent.
En 1815, avant son départ de Paris, Napoléon avait annoncé à son frère Joseph que, parmi quelques papiers, renfermés dans une caisse qu'il lui enverrait, se trouverait une copie des lettres qui lui avaient été adressées par les divers souverains. Il avait fait faire cette copie par précaution, l'original restant aux archives. Quelques années après, le docteur O'Méara, de retour de Sainte-Hélène, lui fit dire que le désir de l'Empereur était que cette correspondance fût publiée, comme étant la meilleure réponse à toutes les calomnies dont il était l'objet. Mais elle ne fut trouvée dans aucune des dix caisses arrivées aux États-Unis, dans lesquelles on avait réparti les papiers contenus dans la première caisse, en les cachant parmi des livres et des hardes, afin de les soustraire aux investigations de la police de Paris. À la même époque, la maison de Joseph, aux États-Unis, fut la proie des flammes. L'original de la correspondance fut vendu pour trente mille livres sterling à Londres. Elle avait été déposée chez un libraire de cette ville, M. Murray.
Ceux qui ont dit que Napoléon avait remis cette correspondance à Joseph, à Rochefort, sont dans l'erreur. Joseph n'a rien reçu de Napoléon à Rochefort, ni à l'île d'Aix où il fut le trouver.
Il ne reste d'espérance que dans la double infidélité de ceux qui, ayant livré l'original à des gens intéressés à les détruire, auraient pu en garder copie, ou bien dans la découverte de la copie annoncée par Napoléon à Joseph avant son départ de Paris, en 1815. S'il en arrive autrement, ce sera une perte de plus que les écrivains consciencieux auront à déplorer.
Voici maintenant une autre note extraite du Journal du roi Joseph:
Extrait des notes d'un Américain sur le Commentaire de Napoléon, par M. le comte de Bonacosci, qu'il avait adressées à celui-ci lorsque cet ouvrage parut, et qu'il a depuis adressées à M. le major Lee, auteur de l'histoire de Napoléon (en décembre 1834):
L'auteur, Bonacosci, est dans la même erreur que M. de Norvins. Les originaux autographes des lettres des souverains à Napoléon n'ont pas été remis au roi Joseph. L'empereur Napoléon dit au prince peu de jours avant son départ: «Par précaution, j'ai fait faire une copie des lettres des souverains de l'Europe, qui seules peuvent répondre à toutes les calomnies dont ils se servent aujourd'hui contre moi. Maret conserve les originaux, et c'est son droit, conservez ces copies à tout événement.» C'est à Paris et non à Rochefort que cette conversation et la remise de ces titres ont eu lieu. Joseph, en recevant en Amérique la caisse dans laquelle devait se trouver cette copie, l'a cherchée inutilement. Napoléon lui a fait dire par O'Méara, au retour de celui-ci en Europe, de faire publier ces lettres, comme seule et unique réponse à ce débordement d'injures dont on assiégeait alors le captif de Sainte-Hélène. Toutes les recherches ont été infructueuses; les lettres ont-elles été dérobées par les dépositaires ou les détenteurs momentanés de la caisse où elles étaient? Je l'ignore, mais toujours est-il constant que ce ne sont pas celles qui ont été vendues à Londres, puisque ce n'étaient que des copies et que l'on assure que ce furent les lettres autographes qui furent vendues à Londres trente mille livres sterling; elles ont été offertes, par un inconnu venant de Suisse, à M. Murray, imprimeur des plus célèbres de Londres, demeurant Albermale Street, pour trente mille livres sterling. Le gouvernement anglais n'en voulut pas. Ce fut le ministre de Russie qui acheta celles qui pouvaient intéresser la Russie.
Joseph, en quittant son frère à l'île d'Aix pour aller attendre à Royan la nouvelle du passage sans obstacle de Napoléon à travers l'armée anglaise, avant de s'embarquer pour les États-Unis, où ils devaient se retrouver, ne reçut ni lettres, ni paquets d'aucune sorte; des quatre personnes qui l'accompagnaient dans la chaloupe dans laquelle il fit le trajet jusqu'à Rochefort, trois vivent encore et leur mémoire est d'accord avec celle de Joseph sur cette circonstance importante. Si Napoléon a eu l'intention de confier à son frère Joseph des objets dont d'autres se seraient emparés au moment de son départ de l'île d'Aix, Joseph ne peut ni l'assurer, ni le nier, mais ce qui est bien certain, c'est que malheureusement les originaux en question ne lui furent pas remis, pas plus que nulle autre chose, dans cette circonstance.
En 1837, le roi Joseph se trouvant en Angleterre, à Londres, et ayant eu connaissance par le docteur O'Méara de la vente à la Russie d'une partie de la correspondance des souverains, par le libraire Murray, fit des démarches pour s'assurer du fait. Il écrivit à un M. Charles Philipps très lié avec l'éditeur Ridgway. L'éditeur vit M. Murray et répondit la lettre ci-dessous à M. Philipps.
Piccadilly, 4 mars 1837.
Mon cher Monsieur,
D'après votre désir j'ai été voir M. Murray, l'éminent éditeur, dans Albermale Street, relativement à la correspondance originale de plusieurs souverains d'Europe avec l'empereur Napoléon pendant son règne. Il me dit que vers l'année 1822, les lettres originales des différents souverains de l'Europe adressées à Napoléon pendant l'empire lui furent offertes pour vendre; il refusa l'offre parce que quelques-uns de ses conseillers et amis doutaient de leur authenticité (le duc de Wellington fut un de ceux qui mettaient en question leur originalité), doutes qui à présent ne paraissent pas avoir de fondation, et M. Murray regrette amèrement son refus fondé sur ces doutes.
M. Murray dit encore que les lettres lui furent présentées comme ayant été gardées par les soins d'un maréchal de France, mais dont il avait oublié le nom, et en lui nommant le duc de Bassano, il dit: «c'est cela!»
Les lettres écrites par l'empereur de Russie ont été, à la suggestion de M. Murray, offertes pour vendre au prince de Lieven qui a payé dix mille livres sterling pour cette portion de la correspondance.
À vous bien sincèrement,
Signé: J. L. Ridgway.
M. Philipps écrivit alors à un serviteur dévoué du roi Joseph, Louis Maillard:
49, Clanvery Lane, Samedi.
Mon cher Monsieur,
J'ai été si occupé durant cette semaine depuis mon retour, que je n'ai pas eu le temps de faire mes respects à M. le Comte[47] comme je le désirais beaucoup. M. Ridgway, comme vous le verrez par l'incluse, a fait quelque chose pour nous pendant mon absence. M. Murray est un homme impraticable, il a refusé de donner par écrit ce que cependant, heureusement pour nous, il avait dit verbalement avant que ne s'élèvent ses scrupules.
M. Ridgway est un homme fort respectable, il est prêt à tout moment d'avouer ce que M. Murray lui a dit et ce que je vous envoie écrit de sa main. M. Ridgway se trouve donc dans cette affaire dans la même position qu'aurait été notre pauvre O'Méara s'il vivait encore.
Je tâcherai par le moyen d'un ami de savoir ce que le duc de Wellington sait sur ce sujet, et je ne doute pas que s'il peut donner des informations, je puisse les obtenir.
Il paraît assez clair que le comte avait raison dans ses conjectures et que le maréchal Maret était la personne qui autorisait la vente de la correspondance.
Avec mes compliments respectueux à M. le Comte.
À vous sincèrement.
C. Phillips.
Enfin, en 1850, M. Louis Maillard, l'exécuteur testamentaire de Joseph, consulté par M. Ingerstoll, ami du roi, sur la question de la correspondance des souverains, lui répondit le 29 avril, de Doylestown (Amérique), où il se trouvait encore pour la liquidation de la succession de l'ancien roi.
J'ai votre lettre du 25, je ne puis mieux y répondre qu'en vous récitant ce que j'ai entendu dire à M. le comte de Survilliers (Joseph) lui-même à diverses fois.
En 1815, la veille de quitter le palais de l'Élysée pour aller à la Malmaison, l'Empereur me dit qu'il avait envoyé chez moi, rue du Faubourg-Saint-Honoré, où je demeurais alors, les copies des lettres des souverains alliés pour que je les conserve de mon mieux; que les originaux seraient gardés et soignés par le secrétaire d'État, duc de Bassano; je trouvai effectivement ces copies dans mon cabinet de travail et les y laissai avec mes papiers; quelques jours après, lorsque je fus forcé de quitter Paris pour suivre l'Empereur à Rochefort, je recommandai à ma femme et à mon secrétaire, M. de Presle, de ramasser tous mes papiers, de les fermer dans des malles et de les envoyer chez diverses personnes sûres, de connaissance, afin de les sauver des mains de nos ennemis qui allaient entrer dans Paris; mes ordres furent exécutés; mais, peu de temps après mon départ, les amis chez lesquels étaient déposées les malles, craignant les recherches chez eux par la police des Bourbons, prièrent ma femme de faire reprendre ces malles; elles furent portées alors à l'hôtel de la Princesse royale de Suède où elles étaient plus en sûreté. Plus tard, lorsque mon frère, l'Empereur, irrité du cruel traitement qu'il éprouvait à Sainte-Hélène, me fit écrire de publier les lettres des souverains, j'écrivis à M. de Presle, à Paris, de m'envoyer, aux États-Unis, par diverses voies, les malles d'effets et papiers m'appartenant, ce qu'il fit de son mieux, mais je ne trouvai point dans les malles envoyées les copies que je désirais! Depuis je fis faire des recherches, toutes furent inutiles, on m'a dit que l'Empereur avait confié à une autre personne une seconde copie des lettres, mais je ne puis l'affirmer; quant aux lettres originales, si ce que j'ai appris à Londres est vrai, elles ont été vendues; la Russie aurait payé les siennes dix mille livres sterling par son ambassadeur Lieven, et c'est M. le libraire Murray d'Albermale Street qui était chargé de cette négociation dont il a parlé à diverses personnes qui me l'ont rapporté fidèlement.
Voici, Monsieur, ce que je puis vous dire de plus positif sur cette affaire. M. Menneval se trompe, car M. de Presle, que j'ai vu souvent à Londres, Paris et Florence, m'a toujours dit qu'il n'avait trouvé ni envoyé les copies des lettres des souverains, que plusieurs malles avaient été ouvertes, ainsi qu'il croyait, etc.
Pour terminer cette notice relative aux lettres des souverains étrangers, nous dirons en deux mots que l'éditeur chargé de faire vendre la copie dont il est ici question, étant parvenu à en faire parler à Napoléon III, ce dernier voulut le recevoir ainsi qu'un membre de la commission de l'ouvrage intitulé La correspondance de Napoléon Ier. Néanmoins ce souverain ne put causer avec ces deux personnes qui, venues à trois reprises différentes, furent éconduites chaque fois sans être admises, tant l'Empereur était tenu en chartre privée par son entourage. Il y a plus, Sa Majesté ayant prescrit que le membre de la commission fût prévenu qu'il était libre de s'arranger comme bon lui semblerait pour l'acquisition des lettres, jamais cette autorisation de Napoléon III ne lui fut connue et il ne sut à quoi s'en tenir qu'après la mise en vente de l'ouvrage: La Correspondance, lorsqu'il vit l'Empereur à cette occasion.
Il ne nous reste plus qu'à faire connaître encore quelques lettres du roi Joseph se rattachant à divers sujets.
Nous avons dit que l'ex-roi de Naples et d'Espagne avait été assez heureux, à la suite des événements de 1815, pour trouver un refuge en Amérique. Les autres frères de Napoléon Ier étaient exilés hors de France, dans les États de l'Europe, poursuivis partout par la haine des souverains alliés. Jérôme, rejeté tantôt dans les États autrichiens, tantôt en Italie, resta plusieurs années sans donner signe de vie à l'aîné de ses frères. En 1818, Joseph lui écrivit des États-Unis d'Amérique, le 10 juillet:
Mon cher Jérôme, je n'ai jamais eu de tes lettres depuis notre séparation, j'ai fini par penser que tu avais vu dans ma conduite quelque chose qui avait dû te déplaire. Je l'ai mandé à Julie qui m'assure du contraire. Peut-être as-tu été gêné dans ta correspondance avec moi. Quelles que soient les raisons de ton silence, je t'écris pour t'engager à le rompre, bien convaincu, comme je le suis, que tu ne peux pas douter de la tendresse de mon amitié pour toi. Je n'ai pas vu ici ton ancienne amie et son fils, je n'ai pas cru devoir aller à leur rencontre dans la position étrange où je me suis trouvé. J'ai pensé que, dans l'adversité, il vaut mieux manquer par trop de susceptibilité que par trop d'abandon. Mande-moi ce que tu aurais désiré que j'eusse fait, ce que tu désires que je fasse. Je pense que l'arrivée de Zénaïde changera ma position si dans l'abandon où Julie va se trouver après le départ de sa fille aînée, elle suit le conseil que je lui donne de se rapprocher de Vienne, je te la recommande, mon cher frère, ainsi qu'à ta femme, dont elle ne cesse de m'écrire tout le bien que l'on en dit. Les lettres à son père ont été répétées dans tous les journaux. Elles sont dans la mémoire de toutes les mères et de toutes les épouses. Je te prie de lui dire combien, en mon particulier, je serais heureux d'apprendre qu'elle trouve quelque bonheur dans l'approbation d'elle-même. Mille caresses à ton enfant, ne doutez jamais de ma tendre amitié.
En 1822, le 2 mars, 10 mars et 24 avril, Joseph écrivit à la reine Julie, de Pointe-Breeze, sa résidence d'été:
Ma chère Julie, je t'ai écrit il y a quelques jours en te témoignant mes inquiétudes sur le silence de Lucien[48] et le vôtre au sujet du mariage de Zénaïde.
Écris à Désirée[49] qu'elle se déshonore à jamais si elle reste plus longtemps à Paris, sa place est auprès de son mari; a-t-elle oublié qu'elle est reine de Suède? C'est aussi ton devoir de lui écrire ce qui est. C'est dur, mais c'est la vérité.
Ma chère Julie, l'occasion étant retardée, j'ai le temps de t'écrire encore deux mots: j'ai reçu une lettre du cardinal du 29 octobre. Il me dit que lui et Maman pensent que le mariage du fils de Louis serait possible si nous voulions que celle de nos filles qui l'épouserait reste avec mon frère Louis.
1o Si Zénaïde épouse Charles, il faut marier Lolotte avec le fils de Louis, par procuration, si on ne peut autrement. Dans ce cas je vous attends bientôt.
2o Si le mariage de Charles manque, il faut que Zénaïde épouse le fils de Louis[50] et que, si cela est indispensable, elle reste avec eux quelque temps; dans ce cas, Lolotte épouserait celui des deux fils de Murat que tu choisirais pour son caractère.
Ma chère amie, le général Lallemand te remettra cette lettre. Je te le recommande. Il a passé ici quelques jours avec le fils de Jérôme[51]. Pauline n'a pas conservé les mêmes dispositions bienveillantes pour lui. Maman me le recommande et compte faire quelque chose pour lui. Je compte toujours sur le mariage du fils de Louis pour Charlotte et sur celui du fils de Lucien pour Zénaïde.
Le prince Charles de Canino et sa femme vinrent, après leur mariage, voir le roi Joseph en Amérique et restèrent quelque temps auprès de lui. La santé délicate de la reine Julie ne lui permit pas de suivre ses enfants. En 1826, des démarches furent faites auprès du roi de France pour le retour en Europe de Joseph, par le général Belliard, auquel le baron de Damas écrivit le 11 août:
Le baron de Damas a l'honneur de prévenir M. le comte Belliard que, d'après la demande qu'il lui a adressée dans sa lettre du 3 de ce mois, il vient, après avoir pris les ordres du roi, d'autoriser le Ministre de Sa Majesté à Washington à comprendre M. et Mme Charles de Canino sur le passeport de M. le comte de Survilliers, qui pourra débarquer à Anvers ou à Ostende.
Le baron de Damas saisit avec empressement cette occasion de faire agréer à M. le comte Belliard les assurances de sa haute considération.
En apprenant en Amérique que le gouvernement des Bourbons ne mettait pas d'obstacle à son retour en Europe, Joseph écrivit le 29 septembre 1826 à Madame de Villeneuve[52]:
Ma chère belle-sœur,
Je reçois votre lettre du 5 août; je n'ai jamais eu l'intention d'aller à Bruxelles; si l'on m'avait accordé de bonne grâce le séjour de la Toscane, j'aurais été volontiers y faire une visite à ma mère, avec l'espoir de ramener ma femme en Amérique où je suis trop bien pour ne pas désirer d'en faire partager le séjour à Julie.
Je suis toujours bien reconnaissant, ma chère belle-sœur, des preuves sans cesse renaissantes de votre tendre amitié; Désirée et son mari sont aussi très excellents pour moi; les bons consolent ainsi des indifférents.
Pendant son exil en Amérique, le roi Joseph avait pris l'habitude de mettre en note, dans une sorte de journal quotidien, tout ce qui se passait autour de lui, et lui était personnel. Nous trouvons dans ce journal quelques mots relatifs à un homme, M. de Persigny, qui, ministre et créé duc par Napoléon III, a marqué sous le second Empire. Voici les notes de Joseph, que M. Fialin de Persigny était venu trouver à Londres, en avril 1835, pour le déterminer à entrer dans une sorte de complot bonapartiste:
M. le vicomte de Persigny, rue d'Artois, no 48, à Paris, et à Londres à Grillion, hôtel Albermale Street, arrive avec un billet de M. Presle à M. Maillard; il est l'auteur du no 1 de l'Occident français, il est âgé de 26 ans et paraît plus jeune encore; il montra un excessif enthousiasme pour la mémoire de l'Empereur et même pour le nom de sa famille, dans l'entretien d'une demi-heure que j'ai eu avec lui avant le dîner. Je me retirai de bonne heure; il causa jusqu'à deux heures du matin avec MM. Sari, Thibaud, etc.
5 Avril dimanche. Je descends à déjeuner, j'ai un long entretien avec M. de Persigny, il paraît plein d'ardeur, il est partisan le plus absolu du caractère et des desseins de l'Empereur, il a pleuré comme un enfant en voyant son écriture; il s'exprime facilement et avec talent, cependant il ne m'est adressé par personne que je connaisse, il se dit de Roanne sur la Loire, sa famille tient aux Bourbons dont il a entièrement abandonné la cause.
6 Avril. Je vais à Londres, j'y mène M. de Persigny, je descends avec Maillard chez le docteur O'Méara.
19 Avril, jour de Pâques. M. le vicomte de Persigny me parle encore de ses projets, je lui en fais sentir l'inopportunité actuelle; il me remet un écrit que je ne lis qu'à ma rentrée dans ma chambre. Je promène avec lui, Sari et Maillard.
20. Je fais prendre copie de l'écrit sans signature, je rends l'original à M. de Persigny en lui répétant les mêmes choses, je conviens de l'avantage national du but, mais je ne partage pas ses opinions sur l'efficacité des moyens, ainsi je l'engage à ne pas se compromettre sans espérance raisonnable; ses projets ne m'en présentent aucune.
28. M. le vicomte de Persigny est à la maison, je refuse de recevoir l'ami qui lui est arrivé de Paris, je lui déclare que je n'entends pas me prêter à l'exécution de ses projets, à laquelle je répugne invinciblement; tout pour le devoir, rien pour mon ambition, je n'en ai pas d'autre que celle de contribuer au bonheur de la France, si elle m'offre une chance de la servir, mais jamais rien par une minorité factieuse; il dîne et couche à la maison.
29. M. de Persigny part après déjeuner, je lui répète longuement les mêmes choses.
Joseph était encore à Londres, en 1833, lorsque son neveu Louis-Napoléon, le futur empereur Napoléon III, lui envoya un petit ouvrage qu'il venait de faire paraître; l'ex-roi lui écrivit à ce sujet, le 20 septembre:
Mon cher neveu, j'ai reçu avec ta lettre tes Considérations sur la Suisse. Je les ai lues avec un double intérêt. Je regrette que tu ne puisses pas honorablement employer tes talents et ton application à l'étude, au service de la patrie. Charlotte est beaucoup mieux depuis notre séjour à la campagne. Je me trouve par accident en ville aujourd'hui.
Je te prie de me rappeler au bon souvenir de ta maman et de me croire bien tendrement
Ton affectionné oncle,
Joseph.
Enfin, dans les premiers mois de 1841, Joseph put quitter Londres pour habiter la Toscane. Il écrivit à ce sujet au général duc de Padoue, son cousin, le 8 mars:
Mon cher Cousin,
Je vous confirme ma lettre du 3 de ce mois. Je pense que vous avez vu la duchesse de Crès, à laquelle j'écris aussi dans le même sens. Le jeune Maillard vous dira de ma part que ma demande se borne à ce que l'on ne mette pas d'obstacle à mon séjour en Toscane ou en Sardaigne et qu'on légalise le passeport autrichien que vous avez obtenu pour moi l'année passée, avec lequel je pourrai me rendre en Italie par le Rhin et la Suisse.
Renvoyez-moi donc Adolphe[53] avec le passeport en règle aussitôt que vous le pourrez, il vous donnera des nouvelles plus en détail.
Agréez ma vieille et constante amitié.
Votre affectionné cousin.
M. Guizot, alors ministre des affaires étrangères, auquel la nièce du roi Joseph par sa femme, la maréchale Suchet, duchesse d'Albuféra, s'était adressée pour que le roi Louis-Philippe fût sollicité afin de permettre au comte de Survilliers (Joseph) de se rendre en Italie, écrivit le 9 avril 1841:
Madame la Maréchale,
Le Roi ne fait pas la moindre objection à ce que M. le comte de Survilliers vienne vivre à Gênes ou à Florence; vous en êtes probablement déjà informée, mais je me donne le plaisir de vous le dire moi-même.
À cette lettre était jointe la note ci-dessous:
Note:
Le gouvernement non-seulement donne son adhésion à ce que M. le comte de Survilliers vienne s'établir à Gênes, mais encore il exprime le désir que toute facilité lui soit donnée dans cette circonstance. C'est dans ce sens qu'il a répondu à M. l'ambassadeur de Sardaigne et qu'il a expédié, il y a trois jours, ses instructions à son propre ambassadeur près de Sa Majesté sarde.
En octobre dernier, le gouvernement français a fait exprimer au gouvernement du grand-duc de Toscane les mêmes dispositions de sa part à l'égard du comte de Survilliers, qui demandait à résider à Florence; ces dispositions, il les maintient et les renouvellera même au besoin si le gouvernement toscan l'exigeait. Il est vrai que le gouvernement napolitain, s'appuyant sur des dispositions des traités de 1815, prétend que lorsqu'il s'agit de la famille Bonaparte, il faut le concours simultané des quatre puissances; qu'aucune d'elles ne peut agir isolément; mais la France se regarde, depuis 1830, affranchie de l'obligation de cet accord commun; elle croit pouvoir agir seule, librement et comme il lui plaît, et elle l'a constamment fait depuis cette époque.
On croit que M. le comte de Survilliers, établi à Gênes, pourra facilement négocier pour venir ensuite à Florence; que l'Autriche prêtera aisément son intervention pour aplanir les difficultés que Naples oppose encore.
Nous terminons ici ce qui a trait au frère aîné de l'Empereur, dont la vie politique avait cessé depuis 1816. L'ex-roi mourut à Florence, en 1843, après avoir fait hommage à la France, pour être placés sur le tombeau de Napoléon Ier, des insignes et des armes du grand homme qui lui étaient échus en partage. Il avait nommé pour un de ses exécuteurs testamentaires M. Maillard (Louis) qui méritait toute sa confiance et qui ne l'avait pas quitté depuis 1808.
Le roi Joseph avait 76 ans lorsqu'il s'éteignit, entouré de sa famille et de quelques serviteurs fidèles et dévoués.
Deux années avant sa mort, le roi Joseph éprouva un vif chagrin. Il avait pour son neveu, le prince Louis Napoléon, fils de l'ex-roi de Hollande, une grande affection. Lorsqu'il apprit à Florence que ce jeune homme avait fait la tentative de Strasbourg, il le désapprouva hautement. Son père agit de même. La première chose que fit le futur empereur Napoléon III, en arrivant en Amérique, fut d'écrire une longue lettre à son oncle Joseph pour lequel il avait une grande vénération. Cette lettre étant venue aux mains de l'auteur des Mémoires du roi Joseph, avec les autres papiers, cet auteur se trouva assez embarrassé, ne sachant s'il devait ou non publier cette pièce importante pour l'histoire. On était alors en 1855, Louis Napoléon était sur le trône. Il se décida à la montrer à l'Empereur, mais à lui seul. Reçu un matin dans le cabinet de S. M., aux Tuileries, il la lui donna. L'Empereur, après en avoir pris connaissance pendant un quart d'heure, la lui rendit en disant: «Je ne puis pas la nier, elle est toute de ma main. Je la trouve bien cette lettre.—Moi également, Sire, se hâta de dire l'auteur des Mémoires, mais ne sachant pas s'il pouvait convenir à l'Empereur sur le trône que le public eût connaissance d'une lettre écrite par le proscrit de New-York, j'ai cru devoir la soumettre à Votre Majesté.—Bah, reprit en riant l'Empereur, rien n'empêchera que je n'aie fait la tentative de Strasbourg et de Boulogne, ce qui est histoire est histoire, je ne m'oppose pas à ce que vous l'insériez dans votre curieux ouvrage.» Elle se trouve au 10e volume des Mémoires du roi Joseph, page 370.