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VI
COMMENT
LA GRANDE IZA S’OCCUPAIT DE FINANCE

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Table des matières

Depuis quelques jours, dans le Brabant, dans les Flandres, dans les pays wallons, les murs étaient couverts d’affiches annonçant l’extension de la banque Flamande.

Les actions de la banque Flamande étaient tombées si bas, si bas, qu’on ne les cotait guère qu’au poids du papier. Étrange banque Flamande! Elle avait été créée par de si singuliers financiers, et sur des propriétés d’une valeur plus que problématique. Ses administrateurs et créateurs n’étaient venus la fonder en Belgique que parce qu’il était trop dangereux pour eux de rester en France.

Pour trouver leurs noms, c’était dans la Gazette des tribunaux qu’il fallait chercher.

La banque s’écroulait, lorsqu’un jour une femme s’était présentée, avait demandé à parler au directeur.

Immédiatement reçue, elle n’était restée que quelques minutes seulement. Le lendemain, le conseil d’administration–on nommait ainsi le groupe des fondateurs de la banque–avait été réuni.

La femme avait été reçue dans le conseil, et MM. les administrateurs fondateurs étaient sortis de la réunion tout rayonnants.

Ceux qui quelquefois, prétextant qu’ils avaient oublié leur porte-monnaie et n’ayant pas de quoi payer leur voiture, empruntaient un louis aux employés étaient passés fièrement devant eux sans rien demander.

Le lendemain, le caissier, qui ne venait à son bureau que quelques minutes après la fermeture de la caisse, «un caissier toujours indisposé», était à son poste à l’heure.

Il ne payait pas les coupons, mais il payait les appointements, ce qui parut aux employés de la maison bien plus étonnant encore; quelques-uns même jetaient leurs pièces d’or sur les dalles, pour s’assurer au son qu’elles n’étaient pas fausses.

Dans le quartier, ce fut un bouleversement. A la bourse, on refusa de croire à la nouvelle qui se répandait, que le lendemain les coupons arriérés seraient payés intégralement.

Mais le crédit de la banque était tombé si bas, que les actions ne reprirent pas leur cours régulier. On doutait.

Des articles parus dans les journaux financiers annonçaient la reconstitution de la banque.

Des capitalistes étrangers apportaient leur concours a l’affaire; les propriétés, discréditées jusqu’alors, reprenaient leur valeur. Les Mines savoyardes, à la tête desquelles était le grand financier Martin de Chêne, produisaient enfin; le cuivre abondait, et les travaux abandonnés avaient été repris; les mines fonctionnaient et promettaient des bénéfices immenses.

La Société fusionnait avec celle des mines de l’Arly, dont la réputation n’était pas à faire.

Ces articles avaient fait bon effet. Mais ce qui, du jour au lendemain, avait fait monter les actions,–une hausse folle,–c’est que le bruit courait à la bourse que le baron Van Ber-Costeinn et le comte Oscar de Verchemont étaient à la tête du comité de surveillance.

De grandes affiches, annonçant une nouvelle émission, portaient les noms du nouveau comité de surveillance et du nouveau conseil d’administration.

Les noms du baron et du comte étaient en tête. A Paris, on aurait souri en lisant les noms du conseil d’administration.

Les voici:

JULES DE SAINT-MARDS, ancien consul,&

VICOMTE D’ÉRAGNY, directeur et fondateur de la Caisse des petites aumônes.

CAPITAINE MANFREDI, 0

MARTIN DE CHÊNE, directeur des Houblonnières du Midi et des Mines savoyardes.

Pour un Parisien, ces noms auraient bien plutôt évoqué l’idée d’une bande et non d’une banque.

Du reste, on aurait pu retrouver dans la Gazette des Tribunaux le réquisitoire de l’avocat général, dans le jugement d’une société occulte, dans laquelle figuraient tous les jolis messieurs du conseil d’administration; s’adressant à chacun d’eux, il leur avait dit:

«Vous, Jules de Saint-Mards, de votre vrai nom Jules Marsin, après avoir ruiné une vieille coquette, la Florentin, pour soutenir le train que vous meniez, vous vous êtes fait chasser, pour vol, de quatre cercles dont vous faisiez partie. Cela est peu; vous avez trente mille francs de faux en circulation; la première traite, échéant dans huit jours, est au dossier.

» Vous, vicomte d’Éragny, laissez vos grands airs dans les sacristies; jusqu’à ce jour, vous n’avez pas été bien scrupuleux sur le choix de vos moyens d’existence. Sous votre véritable nom, Lecomte, vous fûtes chassé du séminaire, puis, quelques années plus tard, condamné à six années de reclusion pour vol et abus de confiance. Alors, vous fondez la caisse des Petites-Aumônes, comité central de charité; les petites aumônes ne sortirent jamais de vos poches; on s’en aperçut, et vous mîtes cela sur le dos d’un petit employé, qu’on ne. revit jamais. Alors vous commencez la publication de la Bibliothèque morale et religieuse pour la jeunesse. Ayant obtenu, par la protection de certaine vieille noble dame, aussi vicieuse que dévote, l’approbation des membres influents du clergé, vous courûtes les sacristies et les salons cléricaux des petites villes, recueillant des souscriptions pour votre publication, qui n’a jamais paru.

» Vous, capitaine, vous commencez, en Afrique, où vous étiez sergent, par tirer un coup de fusil sur votre capitaine. Vous fûtes condamné à mort; la peine fut commuée en cinq ans de fers. Puis, vous vous fîtes zouave pontifical. Banni du corps, vous partez pour Siam, d’où vous revenez capitaine., ce qui est modeste de votre part. Vous auriez tout aussi bien pu revenir général. portant à la boutonnière les ordres du Nicham, du Medjidié et de Saint-Grégoire. Toujours modeste, vous ne les avez pas même fait inscrire à la chancellerie; puis vous êtes chassé d’un cercle parce qu’un soir il tomba de votre pardessus trois jeux de cartes qu’on reconnut préparés. Vous avez souffleté le monsieur; vous vous êtes battu et vous l’avez blessé;. mais il n’en resta pas moins établi que vous voliez au jeu.

» J’arrive à vous, monsieur Martin de Chêne, né au Chêne-Populeux, dans les Ardennes. Vous étiez caissier à Sedan à vingt-quatre ans; à vingt-cinq ans, vous enleviez votre caisse et l’on vous arrêtait un matin dans le plus bel hôtel de Londres, endormi dans les bras de la grande Virginie d’Helle, ce qui la lança. Vous aviez encore cent seize mille francs sur cinq cent mille. Sorti de prison, vous deveniez le financier Martin de Chêne, fondateur des Houblonnières du Midi, société des bières françaises, en concurrence avec les bières d’Allemagne. Vous passiez la main à un autre administrateur, juste quatre semaines avant la descente de police. Depuis, vous avez été exécuté aux bourses de Lyon, de Marseille et de Rouen, et on trouvera peut-être le5des papiers qui ont une singulière signature.»

Quels honnêtes gens à la tête d’une administration!

Et pourtant, nous devons le déclarer, les guichets de la banque Flamande étaient absolument envahis; on faisait queue depuis la veille pour souscrire.

Cela tenait du prodige; et qui avait mené tout cela? c’était celle qu’on appelait familièrement Lolotte, la Grande Iza.

Chassée de France, le produit de l’hôtel vendu avait été à peine suffisant pour payer ses dettes. Ce luxe dévorant s’était encore augmenté à Bruxelles; par son faste, elle voulait effacer le passé. Elle éblouissait pour qu’on ne vît pas derrière elle; aussi la fortune du malheureux jeune homme auquel elle s’était accrochée s’engloutit-elle rapidement.

Faible, sans résistance près d’Iza, Oscar de Verchemont avait fait les plus grandes folies. Il s’était noyé dans cette vie nouvelle, oubliant tout, perdant jusqu’au sens moral, ne cherchant plus à réagir, parce que le scandale de sa démission l’embarrassait.

Il vivait sombre, taciturne, dévoré par cette passion, que la grande coquette tourmentait sans cesse.

Il aurait voulu Iza à lui seul, dans un coin ignoré, abandonnant sa vie ancienne.

Iza avait tout promis en quittant Paris; elle avait dit qu’elle voulait vivre avec lui, bien éclatante, bien en vue, ne voulant pas justifier l’accusation qui avait pesé sur elle; elle ne voulait pas se cacher, enfin. Elle lui demandait de vivre encore une année ainsi, luxueusement, brillamment; puis, après, ils transformeraient leur existence.

A cette heure, le malheureux était trop épris d’elle, trop fou, pour lui rien refuser. C’est lui qui, au contraire, alla au-devant de ses désirs.

Peu à peu, ce fut la ruine. C’est alors qu’il commença, ayant épuisé ses ressources, à vendre ses biens. Toute sa fortune avait glissé dans les mains d’Iza; rien n’était resté, que des dettes.

La grande courtisane ne voulait pas vivre avec un homme ruiné; c’est alors qu’elle avait cherché le moyen de prendre à son amant tout ce qu’elle pouvait, pour aller vivre avec celui qu’elle aimait.

C’était une grosse affaire qu’elle tentait; il n’y avait guère que la bande de coquins auxquels elle s’adressait qui pût l’accepter.

Ce qui était prodigieux pour la réussite, c’était d’avoir entraîné dans l’affaire non Oscar de Verchemont,–il faisait tout ce qu’elle lui commandait,–mais le baron Van Ber-Costeinn, un viveur qui s’occupait d’affaires comme on s’occupe de sport, pour s’amuser.

En somme, la banque Flamande existait; les valeurs qui avaient été promises par Oscar de Verchemont, et que lui apportait son vieil intendant, n’étaient qu’en papier. C’est la garantie de Van Ber-Costeinn qui en avait fait des espèces.

Assurément, toutes les machinations d’hypothèques, d’emprunts sur les terres de Verchemont étaient l’œuvre d’Iza. Tout cela n’avait d’autre but que de ramener la confiance et le crédit à la maison de banque.

Cela avait réussi.

Le nouveau caissier, recommandé par Iza, était entré en fonction. Les bureaux de la banque avaient été restaurés, luxueusement décorés; c’était, depuis le jour de l’émission, un tintement d’or continuel.

Ces résultats merveilleux emplissaient de joie ceux qui en étaient cause, et chaque soir c’était fête à l’hôtel de la rue de la Loi, ou au petit hôtel de la rue de Galilée.

Quand la souscription fut close, le comité de surveillance et le conseil d’administration se réunirent.

Les comptes généraux, présentés par le nouveau caissier, lui valurent des compliments.

La réunion fut suivie d’un dîner au café Riche.

Le caissier s’excusa de ne pouvoir accepter l’invitation de ces messieurs. Il remonta chez lui, car il demeurait dans les appartements occupés par la banque, et y trouva Iza qui l’attendait.

–Eh bien? lui demanda-t-elle.

–Tout est approuvé. Maintenant que vas-tu faire?

–Ce que je t’ai dit.

–Quand?

–Oh! dans quelques jours seulement; il faut que la catastrophe soit complète. Il faut être riche sans avoir rien à redouter, et pour cela il faut que je dispose tout. Toi ici, ta mission est d’éviter ou d’ajourner toute sortie de fonds. Dans quelques jours, je te dirai ce qu’il faudra faire.

Maintenant ne parlons plus affaires; on en parle assez chez nous. Je suis venue, pendant qu’ils sont ensemble, pour passer la soirée avec toi. J’ai besoin de t’aimer. J’ai besoin de parler la langue de mon pays. Oh! que je suis lasse de tous ces gens! Si tu savais combien j’ai souffert de la réserve que j’ai gardée tous ces jours, évitant de te parler, n’osant venir! C’était trop!.

–Pourquoi ne venais-tu pas?

–J’avais peur.

–Peur!. De qui donc?

Et, en disant ces mots, Carl avait un regard sauvage.

–D’un homme que je croyais venu ici pour me poursuivre encore. Mais, maintenant, je suis plus tranquille; je sais que je n’ai rien à redouter, au contraire. Celui que je prenais pour un ennemi pourra peut-être me servir.

–De qui parles-tu là?

–Je te raconterai cela une autre fois. Causons de nous, là, . bien près l’un de l’autre.

La Grande Iza passait ses mains dans les cheveux et sur le visage du beau garçon; on eût dit qu’elle caressait un fauve. Elle reprit:

–C’est comme cela que je t’aime, avec ton regard farouche, tes mouvements d’audace. Quand je me plains, je te vois prêt à me défendre. Tu m’aimes bien, mon Carl?

–Oh! oui, . oui.

Ils s’embrassèrent longuement.

C’était juste l’heure où Oscar de Verchemont, debout devant la table, au café Riche, levait son verre et répondait à la santé qui venait de lui être portée, en disant:

«Messieurs, je vous remercie de vos compliments trop élogieux. Le plan nouveau que nous avons conçu, pour la réorganisation de la banque Flamande, n’est pas seulement de moi, il est aussi de mon ami Van Ber-Costeinn. C’est par ses précieux conseils et sous sa haute direction que la maison que nous reconstituons pourra retrouver sa prospérité.

» Je vous propose donc, messieurs, de boire à la santé de Van Ber-Costeinn et au succès de la banque Flamande.»

C’était aussi à la prospérité de la banque Flamande que Carl, le caissier, et la Grande Iza buvaient, dans le même verre, dans l’appartement situé au-dessus des caisses pleines de la banque.

Iza Lolotte et Compagnie

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