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VII
LES
BEAUX JOURS DE LA BANQUE FLAMANDE

Table des matières

Les actions et les obligations de la banque Flamande faisaient prime sur tous les marchés; c’était, en bourse, valeur de premier ordre; cela dura quelques semaines, au bout desquelles une baisse sensible se produisit. De mauvais propos, des calomnies peut-être, avaient été répandus sur le fameux comité d’administration, composé des honnêtes gens que nous avons esquissés.

Verchemont, très inquiet, en parla le soir même à son conseil suprême, c’est-à-dire à sa Lolotte. C’est que, désormais, la vie possible était là; c’était dans la banque Flamande qu’était toute la fortune de Verchemont, et, si cette affaire périclitait, il était ruiné.

De ce conseil, qui se tenait le plus souvent la nuit dans la chambre d’Iza, il résulta qu’on devait se débarrasser au plus tôt de ceux qui pourraient discréditer la banque.

Iza redevenait alors la veuve Seglin, la veuve du grand financier parisien; elle discutait comme si elle n’avait vécu que dans ce monde; elle se plaçait en rouée sachant les affaires; elle décida qu’il ne fallait pas compromettre une affaire brillante par de la sentimentalité, et elle dit:

–Les affaires sont les affaires; ces gens sont venus nous offrir la gestion de la banque, nous l’avons acceptée, nous l’avons prise, nous l’avons relevée; le crédit, c’est à toi et à Van Ber-Costeinn qu’on le doit.

Il n’y a pas à hésiter, il faut se débarrasser de ces gens. Au reste, l’affaire est fructueuse, tu n’as aucune inquiétude sur elle; c’est notre vie, notre fortune; en l’ayant personnellement, tu rattraperas très rapidement les sacrifices que nous serons obligés de faire. Il faut que ces gens disparaissent au plus tôt. Toi et le baron, c’est la confiance immédiatement rétablie. Tu vois chaque jour les états que t’apporte Zintsky; tu es certain que l’affaire, pleine de promesses aujourd’hui, va donner bientôt d’immenses résultats. Les anciens actionnaires n’ont repris confiance que sur vos deux noms; les nouveaux souscripteurs ne sont venus que par vous. Une assemblée acceptera par acclamation tout ce que vous proposerez et même applaudira à tout ce que vous aurez fait. N’es-tu pas complètement persuadé de ce que je dis là?

–J’en suis convaincu, répondit de Verchemont.

Puis, avec gêne, il ajouta:

–Mais comment obtenir la retraite de ces messieurs?

–Ce sont des hommes d’argent: en payant, ils feront ce qu’on voudra.

–Encore faudrait-il justifier notre décision par un fait, et nous ne pouvons, dans une assemblée, révéler les motifs qui nous font agir.

–Nous avons un fait: le rachat des mines de l’Arly et l’exploitation des Mines savoyardes ont produit des résultats désastreux.

–Mais, c’est vrai cela, dit naïvement Verchemont.

–Je le sais bien.

–Cela est suffisant.

–Tu dis au conseil que la réussite de la banque Flamande est une question d’honneur pour toi; tu la prends sous ta responsabilité absolue, et tu es certain que le départ de ces messieurs, te laissant libre d’agir, te permettra de donner à l’affaire une importance nouvelle.

–Voudront-ils partir ainsi? demanda Verchemont en hochant la tête.

–C’est moi qui ai commencé l’affaire; si tu veux me donner la commisson de traiter avec eux, je me charge d’obtenir leur démission. Je les connais tous; ils étaient souvent en relation avec M. Seglin. Cela coûterà cher.

De Verchemont interrompit:

–Oh! coûte que coûte, il faut nous défaire de ces gens. Ils ne sont pas calomniés, ils sont découverts.

La Grande Iza eut un singulier air pour dire:

–Les financiers de cet ordre ne sont jamais scrupuleux; c’est presque toujours dans les annales judiciaires qu’on cherche leur biographie.

Le mot fit faire la grimace au comte Oscar de Verchemont; il fut suivi d’un silence de quelques minutes, au bout duquel Iza, debout devant sa glace, rattachant ses cheveux, mais véritablement regardant.son amant, cherchant à deviner ce qu’il pensait, dit d’un air indifférent:

–Que décides-tu? Tout cela m’ennuie bien; mais je ferai tout ce que tu voudras. Ces gens me gênent; ils sont familiers, mal élevés, et on est obligé de les voir sans cesse, de les recevoir; j’aimerais que tu t’en débarrassasses.

Oh! que ces derniers mots étaient bien la pensée de Verchemont! Ces gens étaient trop peu respectueux; quand ils venaient chez lui, ils étaient bien camarades avec Iza; ils la traitaient bien légèrement, ils avaient avec elle des familiarités qui le blessaient.

Il avait hâte de se débarrasser d’eux, de ne plus être obligé de recevoir ces gens, qu’il aurait fait jeter à la porte depuis longtemps s’il n’avait eu des intérêts communs et surtout si lui s’était trouvé vis-à-vis d’Iza dans une situation plus normale.

Il répondit:

–Je te donne carte blanche; fais ce qui est possible, mais débarrasse-m’en; tant pis si cela coûte cher, et, si l’on accepte ce que j’aurai fait, je payerai personnellement. J’ai toujours eu pour ces gens une aversion profonde; mes pressentiments ne me trompent pas: ils méritent encore moins que le mépris que j’avais pour eux; puis je n’ai pas à hésiter, c’est une question d’avenir pour nous.

–Je le devinais, fit Iza effrontément, et c’est pour cela que je te conseille d’agir.

–Une chose m’embarrasse, c’est Van Ber-Costeinn, qui, engagé avec moi, pourra trouver singulier que j’agisse ainsi sans le consulter.

–Van Ber-Costeinn n’ignore pas ce qui se passe; il m’en parlait encore hier, il était même désespéré; il paraissait regretter d’avoir mis son nom dans cette affaire. Tu diras à Zintsky d’apporter ses livres, tu lui feras expliquer l’affaire; le baron, en voyant les résultats, sera émerveillé. Vous êtes assez riches tous les deux pour n’avoir besoin de personne autour de vous.

Au mot «riches», de Verchemont soupira, et Iza ajouta d’un ton dégagé:

–Et puis, ne te tourmente pas de ça, je me charge de Van Ber-Costeinn, je réponds de lui. Agis. Quand nous aurons les signatures, que ces gens seront désintéressés, je donnerai une soirée chez moi, je raconterai au baron ce que nous avons l’intention de faire; je suis convaincue qu’il dira: «Faites vite!» et je lui dirai: «C’est fait.» Alors tu verras sa joie.

–Eh bien, fit Verchemont en la prenant dans ses bras, agis. Oh! ma chère âme, que d’ennuis, que de tourments je te donne! C’est toi, c’est toi qui toujours me protèges; tu es comme mon ange gardien. Va, mon lza.

–Demain, je réunis ici ces messieurs, je ferai appeler Zintsky, qui leur montrera la situation, et je traiterai.

–’C’est entendu.

Il était tard. Verchemont était heureux; il allait être débarrassé de gens qui lui étaient antipathiques; il n’était pas obligé de traiter avec eux lui-même; il voyait l’avenir brillant, sa fortune se rétablissant dans un milieu plus propre. Il tenait dans ses bras Iza qui lui souriait; de ses mains îl dégrafait et faisait tomber le peignoir qui la couvrait. La grande courtisane tendait ses lèvres; il approcha les siennes en disant:

–Oh! mon âme!. que je t’aime!.

C’est Iza qui, quelques années avant, avait été la cause de la révocation déguisée, adoucie du jeune magistrat; c’est Iza qui l’avait arraché de son monde; c’est à cause d’elle que toutes les affections, toutes les amitiés qui environnaient le comte de Verchemont s’étaient éteintes; elle l’avait entraîné dans le monde singulier où elle vivait.

Ç’avait été pour lui un bouleversement total; vivant au milieu de ces gens, il voyait tout le monde et ne connaissait personne; sa nature honnête, austère, timide, le faisait considérer comme un loup dans le cercle intime d’Iza; on le désignait sous l’appellation boulevardière de «l’empêcheur de danser en rond».

En se jetant dans les bras d’Iza, le comte de Verchemont avait agi comme un homme qui se suicide.

Il avait fermé les yeux pour ne pas voir, il s’était bouché les oreilles pour ne pas entendre, il avait placé ses mains sur son cœur et s’était précipité pour se noyer dans son amour.

Ah! le pauvre gentilhomme, qu’il eût mieux valu que la mort fût là pour le prendre! C’est elle qui l’avait sauvé, c’est elle qui l’avait recueilli, c’est elle qui le faisait agir, qui le faisait souffrir.

Il n’y avait en ce monde qu’Iza; son haleine était l’air qu’il respirait; il vivait d’elle, par elle et pour elle. Il était dans ses mains comme un grand enfant dont elle était la tutrice. Elle lui avait déjà tout pris: la raison, la dignité, la fortune; il était ruiné, il l’ignorait. La goule avait tout aspiré; la pieuvre l’étranglait de ses tentacules; il avait déjà perdu le sens moral, il ne voyait plus droit. Il allait succomber à la dernière lutte; la Grande Iza allait lui prendre l’honneur.

C’est elle qui, dans des conditions que nous saurons plus tard, avait traité, en son nom, avec le groupe des financiers parisiens, de la rénovation de la banque Flamande.

Nous savons ce qu’étaient ces étranges financiers. C’est elle qui traita de leur départ, et cela devait être facile, facile à ce point qu’on eût pu croire que cela avait été une des conditions du premier traité.

Aussi, lorsque de Verchemont, tout pâle, les yeux cernés, le visage fatigué par l’inquiétude et l’insomnie, se promenant anxieux dans son petit salon, la vit entrer, les yeux brillants, les joues rouges, l’air gai, la vit s’asseoir sur le canapé, s’étendant comme lasse, en disant:

–Eh bien, c’est fini; mais ce n’est pas sans peine Je suis brisée. Que de discussions, . que d’affaires!.

Aussitôt, gai, le comte s’élança vers elle en demandant:

–C’est fait? Ils consentent, ils partent tous?

–Oui, c’est fait, fit Iza parlant vivement. Ils vont écrire une lettre collective; en raison des bruits indignes répandus sur eux à la bourse, ils donnent leur démission, sans scandale, se déclarant satisfaits de ce qu’ils ont gagné à la banque, affirmant son état de prospérité. Maintenant, Oscar–et elle se releva pour le prendre dans ses bras–la banque est à toi; maintenant, tu es tranquille. Nous sommes riches!...

–Oh! merci, fit Verchemont; de quels tourments tu me délivres!

Alors Iza, l’entraînant sur le canapé, le fit asseoir près d’elle, lui racontant le menu détail de sa conversation, de ses discussions pour arriver au but; bavardant, bavardant toujours, terminant d’un ton léger par cette phrase, le post-scriptum d’une lettre:

–Maintenant, tu es tranquille, tu vas pouvoir reprendre ta vie d’autrefois. Tu n’as plus à t’occuper de l’affaire, Zintsky se charge de tout. Tu n’auras plus qu’à toucher les bénéfices, sans avoir les tourments de la direction. Oh! mon cher Oscar, si tu savais comme je suis heureuse de cela, ce que je souffrais de te voir, toi, riche, obligé à cause de moi de t’occuper de ces tripotages de banque. Enfin, c’est fini, nous sommes riches!

Et elle l’embrassa longuement.

Iza Lolotte et Compagnie

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