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LA BANQUE FLAMANDE

Table des matières

I
GRANDEUR ET DÉCADENCE D’UN GENTILHOMME

Table des matières

Il était une heure de l’après-midi; c’était dimanche; il faisait un temps magnifique et Bruxelles était désert.

Dans les rues, à peine quelques passants; toutes les maisons, à l’exception des cafés, des tavernes et des marchands de tabac, étaient fermées, et cependant il faisait gai.

Un beau soleil dorait les toits aigus et blanchissait les plâtres gris et les pierres sombres des vieilles maisons brabançonnes. Dans les galeries Saint-Hubert pas un être flânant, pas un magasin ouvert; sur la place de la Monnaie, pas une voiture.

Seul, le Manneken-Pis, la petite fontaine, coulait indécemment et mélancoliquement. Il planait sur la vieille cité un silence incompréhensible par ce clair soleil. Çà et là seulement passaient de superbes équipages conduits à la Daumont, entraînant d’un galop rapide, dans l’éclatement des grelots et des coups de fouet, la société élégante vers les champs de course du bois de la Cambre.

C’était jour de courses, et la ville était abandonnée pour la piste. C’est seulement sur les verts boulevards, «la verte allée», et le long de la grande avenue menant au bois, que se retrouvait la vie.

En face du Parc, rue de la Loi, une voiture attendait devant un charmant hôtel. C’était une grande calèche, aux panneaux armoriés, capitonnée de soie rouge à l’intérieur, à laquelle étaient attelés six chevaux de robe semblable, d’un roux ardent, harnachés de cuir fauve, à l’espagnole, avec grelots et passementeries; tous les chevaux portaient en cocarde les couleurs du maître, sans doute rouge et jaune.

Les deux postillons, superbes, poudrés, enrubannés, à cheval et le fouet en main, attendaient impatients, regardant sans cesse l’heure à leur montre; les chevaux écumaient et piaffaient.

Ce luxueux équipage, qui aurait dû attirer l’attention de tous, n’avait pas un seul curieux.

Bruxelles, dans le quartier du Parc, bien plus que dans le centre de la ville, était abandonné.

–Sais-tu bien, pour une fois, que nous ne serons jamais rendus à la fin?

–Pourquoi qu’elle fait attendre comme ça puisque lui ne vient pas?

–Il ne vient pas?

–Il vient à cheval, sais-tu!

Un valet de pied attendait devant la porte; l’un des postillons lui dit:

–Qu’est qu’il y a donc, sais-tu?. Est-ce qu’elle ne vient pas?

–Elles sont prêtes depuis une heure au moins; je sais qu’elles attendent quelqu’un.

En ce moment, une voiture tournait l’angle de la rue de la Loi et venait se placer près des chevaux de l’équipage.

–Eh! cria le postillon, menaçant de son fouet: God fordum! sais-tu pas avancer pour une fois avec ta girafe?

La vigilante s’était arrêtée. Un homme en sauta, tenant une petite malle assez lourde, qu’il semblait précieusement porter. Passant presque sous le col des chevaux, il vint s’adresser au valet de pied, auquel il demanda:

–Mmo Iza de Zintsky?

–C’est monsieur qu’on attend?

–Oui.

–Que monsieur veuille bien me suivre.

Et le valet de pied, précédant le monsieur, qui refusa de lui laisser porter sa malle, traversa la cour, monta les degrés du perron, ouvrit la porte du vestibule en s’effaçant pour laisser passer le visiteur devant lui. Il le dirigea vers l’escalier; mais, sans doute, d’une croisée il avait été vu, et on l’attendait anxieusement, car une porte s’ouvrit et une voix de femme demanda:

–Enfin, . vous avez réussi. Vous apportez tout?

–Oui, madame, répondit l’homme avec un accent singulier.

–Vite, . vite, . venez1

Le valet resta sur les marches; l’inconnu monta en se hâtant, et la porte se referma sur lui.

En bas, un des postillons avait dit:

–C’est, assurément, quelque colifichet, quelque bibelot de toilette qu’elle attendait. Ça ne va plus être long.

En effet, la porte du vestibule s’ouvrit; deux dames, en splendide toilette, excentriquement coiffées, portant au-dessous du sein gauche une cocarde et des faveurs rouges et jaunes, apparurent et traversèrent la cour, suivies par deux valets de pied, qui se précipitèrent pour les aider à monter en voiture. La plus grande des deux dit au valet:

–Prévenez monsieur de notre départ, et dites-lui que je le prie de se hâter de nous rejoindre, car nous sommes en retard.

Puis, s’adressant au postillon, elle cria:

–Vambera, enlève tes chevaux, et vite! vite!

Puis elle s’étendit nonchalamment sur les coussins.

Entraînée par le galop rapide de ses chevaux de race, la voiture suivit la longue et large avenue qui mène au bois de la Cambre.

Sur les deux côtés de la chaussée, un monde bruyant se pressait. Si le centre de la ville était triste et désert, toute l’activité était revenue aux environs du bois dans lequel avaient lieu les grandes courses.

L’équipage courant en un nuage de poussière, au bruit des grelots, des claquements de fouet, attirait les regards des passants. C’étaient des chuchotements, des rires, des cris d’admiration; on s’avançait plus près de la chaussée, pour voir la jolie mondaine dont tout Bruxelles s’occupait. On la désignait en disant:

–C’est Lolotte, c’est Lolotte, la Grande Iza!

La belle créature voyait le mouvement de curiosité qu’elle excitait sur son passage; elle semblait s’y plaire, étendue souriante, le regard vague, s’abandonnant au mouvement de la voiture.

A mesure qu’elle avançait, la foule se pressait plus curieuse, plus indiscrète, et quand la voiture, engagée dans les grandes allées du bois, dut marcher au pas, Iza put voir les gens se bousculant, s’approchant jusqu’auprès d’elle pour la mieux regarder. Des femmes, effrontément, la fixaient quelques secondes, et elle entendait toujours:

–C’est Iza, Iza Lolotte, la Grande Iza, la Lolotte!

Alors, elle penchait un peu la tête, souriant à l’amie qui l’accompagnait, semblant se plaire à cette singulière ovation faite de curiosité, d’envie et de mépris.

En arrivant au champ de course, ce fut pis. La voiture reprit son allure rapide, fouets des postillons claquant, grelots sonnant; la Grande Iza apparut, sachant bien que tous les regards, toutes les lorgnettes se tournaient sur elle. En traversant la foule, elle eut vraiment une ovation sympathique. Des cavaliers vinrent galoper autour de sa voiture, disant «Bonjour!» d’un geste familier.

Ils semblaient désirer qu’on remarquât qu’ils étaient amis de la femme à la mode.

Des bouquetières portaient, avec des cartes de visite épinglées au papier, des bouquets préparés pour elle.

On attendait Iza, assurémeut, et, lorsque sa calèche s’arrêta pour prendre place dans l’enceinte réservée, tout aussitôt sportsmen et gommeux vinrent l’entourer. Un valet de pied, ayant ouvert le coffre de la voiture, en tira un panier de Champagne; les verres s’emplirent.

–Et le comte? Il ne vient pas? demanda un des familiers.

–Il est derrière moi, répondit Iza; il vient à cheval.

La cloche sonnait; un mouvement se produisit dans la foule, les chevaux se plaçaient, et, pour quelques minutes, chacun s’occupa de la course. C’est pendant cette accalmie qu’un homme, celui que nous avons vu arriver rue de la Loi portant une lourde valise, vint s’accoter à la voiture. Iza se pencha en le voyant.

Répondant à son regard interrogateur, il dit à voix basse:

–C’est fait.

Puis il alla se perdre dans la foule.

Iza, impatiente, tournait sa lorgnette vers le côté par lequel elle était venue, fouillant partout. Elle eut un mouvement fébrile et, se penchant sur son amie, elle lui dit:

–Que fait donc Oscar? il ne vient pas.

–Laisse donc, il va venir. Pourquoi te tourmenter comme cela? Tu m’assurais que, maintenant, tu étais tranquille.

–Je le serais s’il était là.

–Les voilà! les voilà! cria la foule, se bousculant pour voir passer les chevaux.

–Oh! s’écria la compagne d’Iza, la prenant par le bras pour l’obliger à regarder, vois donc, c’est le cheval de Van Ber-Costeinn qui prend la tête!

–Tiens, oui, fit Iza oubliant tout pour ne plus s’occuper que du résultat de la course. Oh! mais il va gagner facilement.

–Va-t-il faire une vie, si son cheval arrive!

–Ah! s’il gagne, tu peux te préparer, ce soir. Ce sera fête à la Tour.

Et toutes deux, debout sur la voiture, se tenant aux amis hissés sur les roues, anxieuses, elles suivaient la course.

Cela dura quelques minutes, au bout desquelles de grands cris et un mouvement annoncèrent l’arrivée des chevaux qui passaient le dernier tournant de la piste.

–C’est lui! cria Iza, c’est lui! Bravo! bravo! Nichette.

–Bravo! Nichette, répétèrent tous ceux qui l’entouraient en agitant leurs mouchoirs.

–A boire! à boire! commanda Iza.

Les coupes s’emplirent.

–A Van Ber-Costeinn! cria-t-elle en élevant son verre.

Tout le groupe répéta le toast.

La Grande Iza s’apprêtait à boire, lorsque, tout à coup, elle tressaillit, se pencha, l’œil fixe, regardant dans la foule.

–Eh bien! qu’as-tu? Qu’est-ce qui te prend? lui dit son amie, étonnée.

Tout autour d’elle, les gens, stupéfaits, la regardaient.

Elle le vit, et aussitôt se remettant, se secouant, elle répéta:

–A Van Ber-Costeinn!

Et elle but et vida sa coupe d’un trait.

Puis, se laissant retomber sur les coussins de la voiture, elle dit bas, d’une voix sourde:

–Lui! lui ici! Que vient-il faire?

Iza venait de reconnaître dans la foule l’agent Huret, et sa vue, qui l’avait surprise d’abord, la rendait pensive. Son amie lui dit alors:

–Tiens, voilà Verchemont.

–Toujours le même: il arrive quand tout est fini.

Iza Lolotte et Compagnie

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