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IV
DES NOUVELLES DE PARIS

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Table des matières

Dans une chambre, au rez-de-chaussée de l’hôtel du Vieux-Monarque, l’agent Huret, assis devant une table, écrivait. Chaque fois qu’il avait terminé un paragraphe de sa longue lettre, ses yeux se tournaient vers la pendule, et, après un mouvement d’impatience, il se remettait à écrire.

Minuit venait de sonner; furieux, après avoir écrit la suscription sur l’enveloppe, il se leva en maugréant:

–Allons, je n’aurai rien ce soir; je vais fermer ma lettre sans savoir que dire. Que peut-il faire à cette heure? On ne se perd pas dans Bruxelles! Il ne viendra pas.

Et il se promenait de long en large dans sa chambre.

C’était l’heure où presque tous les voyageurs rentrent du club ou du théâtre. La sonnette tintait souvent, la porte cochère s’ouvrait et se refermait. L’agent Huret penchait la tête, écoutait une minute; puis, n’entendant pas dans la cour le bruit des pas se diriger vers sa chambre, il avait un mouvement et recommençait sa marche impatiente, grommelant:

–Il faut que je ferme la lettre, le courrier part le matin, à neuf heures; il faut absolument qu’elle soit mise ce soir. Il n’y a rien, il ne viendra pas. Ah bah! tant pis.

La demie de minuit sonnant, il alla vers sa table et écrivit:

«Je n’ai pas de nouveaux renseignements ce soir; à demain, par le prochain courrier.»

Et de mauvaise humeur, il pliait la lettre, la plaçait dans l’enveloppe, quand la sonnette retentit de nouveau.

Il entendit la porte s’ouvrir, se refermer, et sa figure redevint souriante quand son oreille perçut un bruit de pas se dirigeant de son côté; il n’attendit pas, prit la bougie et alla ouvrir, au moment où on allait frapper, à celui que nous avons vu partir avec lui.

–Eh bien? fit-il vivement.

Chadi entra, ferma la porte.

–Écoutez, monsieur Huret, je suis éreinté, et j’ai, pas grand’chose; je suis à ses trousses depuis tantôt.

–As-tu du nouveau?

–Eh! non, c’est ça qui m’embête; j’ai pas pu avoir de renseignements, il était trop tard.

–Enfin, parle. Tu vois, ma lettre est prête, j’ai écrit; j’attendais pour la fermer. Il faut qu’elle parte demain à neuf heures; c’est l’heure de l’express; les lettres sont distribuées à Paris à quatre heures. Je ne puis manquer ce courrier, il faut la fermer ce soir.

–Si on ne part que demain matin à neuf heures, soyez tranquille, nous aurons du nouveau; je me lèverai de bonne heure pour savoir ma petite affaire, je vous le dis, et je porte la lettre au chemin de fer avant huit heures. Vous voyez que vous pouvez être tranquille.

–Oui, ainsi c’est possible. Alors, tu as du nouveau?

–J’en ai et je n’en ai pas; qu’est-ce que vous voulez que je vous dise? Je suis sur une piste, nous verrons ce que ça donnera.

–Voyons, mets-toi là.

–Oh! ne vous inquiétez pas, je parle aussi bien debout qu’assis.

–Eh bien, qu’as-tu vu?

–Voilà. J’ai pas quitté l’équipage, vous pensez bien, jusqu’à la rue de la Loi. Quand j’ai vu qu’elle descendait, elle, et que la voiture repartait avec lui, je me suis demandé ce que je devais faire. Je me promenais donc là, devant ce grand jardin, je ne sais pas comment vous l’appelez, pour voir si elle ressortait. Bien m’en a pris. Après, j’ai vu revenir la voiture avec deux postillons, un groom, tout le tralala, enfin. Il n’y en a qu’un qui est descendu, il a fait rentrer les chevaux et la voiture dans la maison, puis l’autre s’en est allé à pied, tout tranquillement. Je me suis dit: je vais suivre celui-là. Il remonta sur l’espèce de boulevard; il avait l’air un peu éméché; vous savez qu’ils en boivent, ici, aux courses, du Champagne, ces gars-là! Je l’aborde et lui dis, en clignant de l’œil, que je l’avais remarqué, qu’il avait rudement de la chance, qu’il conduisait une bien jolie femme. Il s’arrêta, me regarda avec un rire drôle, et il me dit:

Tes-t-un Fransquillon, toi, sais-tu?

–Plus que toi, que je lui dis. C’est comme ça que nous faisons connaissance! Il paraît qu’il y a longtemps que nous nous connaissons, puisque tu me tuteyes?

–Elle est de ton pays, celle-là, sais-tu?

–Oh! pas tant que tu crois, ma vieille; je n’en suis par fier, moi.

Et puis, il cligna de l’œil; ça lui fit faire une grimace, oh! mais une grimace, que j’avais envie de lui rire au nez; puis il continua:

–C’est une fille de plaisir, ça, . qu’on connaît là-bas, hein?.

Enfin, je lui offre quelque chose, nous allons dans une brasserie. Ah! ils en ont une bière, ici, je ne vous la recommande pas; elle ne coûte pas cher, mais elle vaut encore moins que le prix qu’on la vend. Je sais que, pour ma part, je n’y ai pas touché. Ah! lui, tout le temps il avait le nez dedans, il prenait ça comme avec une pelle.

–Enfin, que t’a-t-il dit? fit Huret impatienté.

–Lui, mais rien. C’est justement ce que je vous raconte. Aussitôt qu’il eut bu deux ou trois chopes de cette bière-là, cela lui changea son langage, je ne pus plus comprendre ce qu’il me dit. Dans cette brasserie-là, ils parlaient tous ce patois-là. Je suis bien sûr qu’il n’y en avait pas un qui comprenait; ils faisaient cela pour me faire poser. Ce que j’ai pu apprendre de lui, c’est qu’il avait eu vingt francs pour sa journée; que l’autre était de la maison et que lui était un postillon extra. En voilà un drôle de métier!

–Après? Ce n’est pas tout ce que tu as à me dire? dit Huret désappointé.

–Non, attendez donc. La nuit était venue; alors je suis retourné au petit hôtel de la rue de la Loi, me disant: je vais tâcher d’en trouver un autre qui me donnera des renseignements. J’arrive juste au moment où une voiture sortait au pas, et, heureusement, à la clarté des lanternes, je reconnais l’Iza qui était dedans. J’arrivais juste. Je suis la voiture; oh! un chemin pas fatigant, nous n’avons fait que descendre, comme si on venait de Montmartre, et nous sommes arrivés sur la grande place, là, à côté. On appelle ça la Monnaie; comprenez-y quelque chose, c’est un théâtre. Je la vois entrer; je me dis: Tiens! et moi aussi, ma petite, je vais y aller. Je me suis collé mes cinq actes de musique; ah! je vous jure que vous pouvez me savoir gré de cela. Je la vois dans une loge, en grand tralala; j’étais en haut, moi, vous savez; je plongeais, et je vous garantis qu’on en voyait; elle ne doit pas user beaucoup d’étoffe pour faire son corsage. C’était amusant à voir, je ne l’ai pas quittée des yeux. Elle a été gentille, elle est partie avant la fin. Je décampe, je la vois monter en fiacre, je m’accroche derrière, et allez-y! plus d’une demi-heure de marche dans un quartier insensé. Avec ça qu’il était trop tard pour venir prendre des renseignements; mais j’ai bien regardé mon chemin et je m’y reconnaîtrai. Arrivé dans les petites rues, j’ai fait des croix sur chaque coin où l’on tournait. Quand la voiture s’arrêta, je me cachai dans un coin de porte, et je la vis descendre.

Ça m’a l’air d’un petit hôtel garni. Avant qu’elle eut frappé, la porte fut ouverte par un grand et beau gars qui tenait une bougie à la main. Ah! je l’ai vu en plein; il avait l’air de s’éclairer lui-même, et je le reèonnaîtrais bien: brun de peau, de grands yeux noirs immenses, de longs cheveux blonds qui retombaient bouclés sur ses épaules. Ils ont échangé quelques mots dans une langue encore plus ridicule que l’autre, puis elle est montée avec lui, et j’ai vu la lumière au premier. Elle est restée là à peu près une petite demi-heure, elle est redescendue et montée en voiture. Vous comprenez qu’à cette heure-là je ne pouvais rien aller demander, ni aux voisins, ni dans la maison; alors je me suis raccroché à la voiture, qui m’a ramené encore sur une espèce de grand boulevard qui se trouve juste au bout, tout au bout de la rue dans laquelle est notre hôtel. Elle est descendue devant un jardin qui a une grande serre vitrée; ça ressemble à un jardin des plantes. Elle a payé le cocher, puis, remontant le boulevard pendant environ cinq minutes, est entrée dans un petit hôtel où l’on faisait un bacchanal d’enfer. J’ai demandé à un des cochers, devant la porte; il m’a dit que c’était la demeure d’un financier qui faisait courir, et dont le cheval avait gagné le grand prix aujourd’hui, le propriétaire de Nichette;. c’est. ah! le baron Van Ber-Costeinn. Comme il m’a dit que c’était une fête, qu’on soupait, qu’on passerait la nuit, alors je suis revenu et demain matin j’irai là-bas, enfin dans le quartier, et je vous garantis que je saurai quel est le bonhomme chez qui elle est allée ce soir et ce qu’elle allait y faire.

–C’est très bien, Chadi, très bien, mon ami, fit Huret en lui prenant la main; nous devons être sur la voie. Nous allons nous coucher bien vite, et demain matin nous irons ensemble.

–Ah bien! j’aime mieux cela.

Huret se préparait à se déshabiller, car ils avaient une grande chambre à deux lits, lorsque Chadi lui demanda:

–A Bruxelles, dans les hôtels, est-ce que c’est indiscret de demander la nuit, quelque chose à manger, un brin de n’importe quoi, sur le pouce, une parcelle de gigot sur un petit bout de pain? Oh! que j’ai faim! C’est ça qui creuse de courir!

–Eh! ma foi, tu as une bonne idée, fit Huret, nous n’avons pas besoin de réveiller le garçon de l’hôtel pour nous servir. A Bruxelles, on mange et on boit toute la nuit. Nous allons sortir et aller à la taverne de Londres. C’est là que les étrangers vont le plus souvent lorsqu’ils arrivent, et peut-être verrons-nous ce type, portant une valise, que je t’ai signalé au chemin de fer.

–Oh! que nous le voyions ou que nous ne le voyions pas, tout ce que je demande, c’est qu’on mange. Et puis, c’est pas ça, monsieur Huret, vous m’avez promis de me faire connaître Bruxelles, il faut commencer.

Dix minutes après, ils étaient attablés à la taverne anglaise, et Huret commandait à souper.

Chadi ne se sentait pas de joie de cette vie de noctambule. Il regardait curieusement autour de lui ce monde bruyant, ces femmes en toilettes tapageuses; jamais il n’aurait cru qu’à pareille heure, dans les maisons qui semblaient endormies, on vivait si gaiement.

C’est un des côtés les plus agréables de Bruxelles, que cette vie non interrompue par la nuit; bien au contraire, il semble qu’à la sortie des théâtres une vie nouvelle recommence. Alors, les tavernes s’emplissent. Toutes les filles que l’inconduite a chassées de Paris, toutes celles que la liberté absolue des mœurs laisse promener à toute heure dans les rues de la vieille ville flamande se retrouvent là, cherchant un compagnon, pour la nuit, dans une des tavernes.

Chadi était mis en gaieté par ce spectacle tout nouveau pour lui; aussi le simple souper qu’ils firent compta-t-il comme un des heureux moments de son existence.

Lorsque Huret proposa de se reposer, Chadi proposa d’attendre, en buvant, le lever du jour; mais Huret n’agréa pas sa proposition; ils rentrèrent vers trois heures du matin, se jetèrent chacun sur son lit et dormirent, ayant’convenu de prendre deux heures de sommeil.

A cinq heures et demie ils étaient debout.

Huret dit à Chadi:

–Vas-tu pouvoir retrouver ton chemin?

–Oh! ça, j’en réponds; autant que je l’ai pu, j’ai gravé dans ma mémoire les noms des rues par lesquelles nous sommes passés.

–Nous allons suivre le même chemin. Ainsi, tu es parti du théâtre?

–Oui.

–Allons-y.

Arrivés sur la place de la Monnaie, Chadi s’orienta en disant:

–Voilà1nous avons pris la voiture ici, puis elle a tourné à gauche.

–Bien.

Puis ils marchèrent.

–Maintenant, par ici.

–Ah! nous sommes rue Fossés-aux-Loups.

–J’ai pas encore remarqué ça, Je ne sais pas le nom; ah! nous avons encore tourné ici.

–Est-ce la rue du Marais!

–Oui, nous avons été jusqu’au bout, et ça donne sur le boulevard du jardin Botanique.

–C’est ça, justement.

Ils marchèrent encore vingt minutes pour arriver en haut du boulevard.

Chadi reprit:

–Nous y voici.

Ils firent encore une trentaine de pas.

Chadi s’arrêta:

–Ah! voilà, je ne sais pas laquelle ça est, si c’est la première ou la seconde rue que nous avons prise à droite. Attendez, elle s’appelle la rue..., la rue. de la Traverse, je crois.

–Ah! rue Traversière.

–Oui, ça doit être ça, je n’ai pas bien vu.

–C’est la deuxième alors, avançons.

–Oh! là, nous avons été loin, c’est tout en haut, tout en haut.

Ils marchèrent; au bout d’un certain temps, Huret lui demanda:

–Eh bien, t’y reconnais-tu?

–Ma foi, pas très bien. C’était une rue là, à gauche, ça ne doit pas être loin d’ici.

–Nous ne l’avons pas passée?

–Oh! non.

–Comment n’as-tu pas mieux remarqué que cela?

–Vous êtes encore bon! vous; je me tenais après le fiacre, en courant derrière.

–Te souviens-tu du nom de la rue?

–Oui, attendez, c’est un sacré nom, pas un nom français. Attendez, rue..., rue.

–Ce n’est pas cette rue-là?

–Qu’est-ce que c’est que ça?

–Rue du Mérinos.

–Non. Montons.

–Rue Verbockoven?

–C’est ça. Ah! nous y sommes maintenant. Là, dans le milieu; c’est dans le milieu de la rue; c’est ça, là.

Ils s’avancèrent. Huret dit:

–Il n’est pas nécessaire que nous nous montrions tous les deux.

–C’est là. Voyez-vous une croix à la craie?

–Oui.

–Mais c’est un cabaret, cela.

–Peut-être bien.

Il lut au-dessus de la porte:

A LA VUE DE LA FONTAINE.

Chadi se tourna de tous les côtés pour voir s’il y avait une fontaine dans la rue; il n’y en avait pas trace. Il ignorait, le pauvre garçon, que c’était là une des enseignes familières du quartier. Il ignorait que, lorsque l’on établit un chantier pour la construction d’une gare, d’un monument ou pour l’érection d’une statue, on ouvre en face un cabaret pour donner à manger et à boire aux ouvriers. Souvent, les travaux ne s’achèvent pas ou se transforment.

Où devait être une place passe une rue, ou la gare se trouve reportée plus loin; mais l’enseigne reste toujours.

En Belgique, sur cent enseignes, on en peut bien compter dix «A la vue de quelque chose», et, sur ces dix, il y en a au moins cinq qui ne sont pas plus justifiées que celle du petit cabaret de la rue du Cadran.

Au-dessous de l’enseigne, on lisait:

VEUVE VAN BOEM

DONNE A BOIRE ET A MANGER

Et au-dessous encore:

Quartier garni.

–Au fait, dit Chadi regardant l’heure à sa montre, vous savez qu’il est l’heure de déjeuner, monsieur Huret.

–Comment, déjà? tu as mangé cette nuit, tu as donc toujours faim?

–Vous ne pouvez pas vous figurer comme l’air de ce pays me donne de l’appétit. Si nous entrions «A la Vue de la Fontaine», nous pourrions y déjeuner, et vous seriez à l’aise pour prendre vos renseignements.

–Tu as absolument raison. Ainsi, il demeure là, au premier?

–Oui.

–Et elle est entrée par la boutique, hier?

–Non, par la porte, là, au coin.

–Ah! la porte de l’allée. Bien, entrons.

Ils entrèrent, se firent servir à déjeuner, et Huret, s’adressant à la grosse Flamande qui les servait, lui demanda:

–Vous louez des chambres, madame?

Et dans un jargon épouvantable, qui effraya Chadi, mais compris parfaitement par Huret, elle répondit:

–Oui, nous avons des quartiers garnis.

–Je cherche un ami qui demeure dans cette rue; il m’avait conseillé de louer une chambre à côté de lui; c’est peut-être chez vous? Je ne sais pas le numéro.

–Ça se pourrait; j’en ai deux, de chambres garnies: une qui est louée à Mme Obaneck, épouse divorcée de Van Tarreck, et l’autre habitée par M. Eugène Pesth, qui ne l’habite plus à cause qu’il est parti ce matin. Si c’est celle-là que vous voulez?

Chadi éclata de rire.

–Ah! il est parti, exclama Huret. C’était celui-là, Eugène Pesth, comme vous dites; un brun, n’est-ce pas? Brun de cheveux, de peau, des moustaches?

–Oui, c’est ça: brun, oh! un beau brun, de belles moustaches et toute sa barbe avec.

Du regard, Huret interrogea Chadi sur ce détail.

Celui-ci fit oui de la tête.

–Ainsi, il est parti?

–Oui, monsieur, ce matin, à quatre heures.

–Voyez-vous, si vous m’aviez écouté, fit Chadi, nous aurions attendu le jour.

–Il n’est plus temps de penser à cela; il est parti. Savez-vous où il est allé?

–Il a fait porter sa malle au chemin de fer du Luxembourg. Bien sûr qu’il devait retourner dans son pays. Il est Autrichien, Hongrois.

–Ah! c’est cela, comme elle, murmura Huret.

Et l’agent alors, regardant la femme, n’ayant plus de réserve, en raison du départ de l’individu, lui dit nettement:

–Voulez-vous me donner des renseignements?

–Sur lui, votre ami?

–Oui.

–Oh! comme vous le voudrez.

–Qu’est-ce qu’il faisait chez vous?

–Rien.

–Sortait-il souvent?

–Jamais, le jour du moins; il sortait la nuit.

–Ah! il sortait la nuit. Il ne recevait personne?

–Une seule, et c’est assurément pour la voir, pendant quelques jours, qu’il était venu à Bruxelles.

–Une femme? De vingt à vingt-cinq ans, brune, très belle?

–Oh! oui, monsieur, c’est bien ça, une femme belle, belle.

–Excessivement bien vêtue?

–Des fois.

–Comment des fois!

–Oui. Il y avait des soirs où elle venait habillée comme une bohémienne. Alors ils partaient tous les deux et s’en allaient se promener, jamais dans Bruxelles, prenant le chemin de fer, remontant jusqu’au haut de la rue du Moulin.

–Il y avait longtemps qu’il était arrivé?

–Quinze jours environ.

–Et cette femme venait le voir souvent?

–Tous les soirs.

–Restait-elle longtemps avec lui?

–Cela dépendait; des fois, elle restait quatre heures; d’autres fois, une heure.

–Cette femme. avait des relations avec lui?

–Pardi, fit la grave Flamande en éclatant de rire, c’était sa bonne amie. Ils s’enfermaient là-haut.

–Reconnaîtriez-vous la femme?

–Ça, non, monsieur; les gens qui viennent chez nous, quand ils sont partis, je ne les connais plus.

–Bien, fit Iluret voyant qu’il n’y avait là qu’une question d’argent et que, s’il en avait besoin, la femme dirait ce qu’il voudrait.

Ils finirent leur repas; puis, ayant soldé, ils partirent.

Chadi voulait mener Huret devant la maison où avait eu lieu la soirée; mais l’agent lui dit aussitôt:

–Non, je sais où demeure Van Ber-Costeinn; je connais son hôtel, rue Galilée; c’est inutile. Nous allons aller à la gare du Luxembourg.

Une demi-heure après, ils arrivaient à la gare.

Là Chadi, sur l’ordre d’Huret, s’informait de l’heure probable à laquelle Eugène Pesth avait dû partir. Par ce train matinal, quatre voyageurs seulement avaient fait enregistrer des bagages; en payant l’employé qui avait porté les malles, il apprit que l’homme dont il donna le signalement avait pris son billet pour Cologne. N’ayant plus rien à apprendre, il redescendit, avec Chadi, vers le centre de Bruxelles, et ils rentrèrent à l’hôtel.

Iluret se creusait le cerveau. Quel était cet homme, qui était l’amant d’Iza? Puisque, depuis quinze jours, il était à Bruxelles, il ne pouvait pas être l’auteur de l’effraction commise à Paris l’avant-veille.

En passant devant le perron de l’hôtel, on lui remit une lettre. Il déchira l’enveloppe et lut ces quelques lignes:

«Nous avons, ainsi que vous l’aviez recommandé, assemblé les morceaux de terre sèche qui se trouvaient dans la jardinière. Le moulage qui en a été fait nous a donné le corps d’un enfant qui paraît avoir été enseveli avec des bandelettes.

» A cette lettre sont jointes deux photographies.»

–Tiens, tiens, fit Huret; mais cela se corse. Vol avec effraction, et maintenant infanticide! Allons, la chose devient intéressante.

–Vous avez du nouveau? demanda Chadi en voyant le sourire de l’agent.

–Je te dirai ça plus tard, Chadi. Viens avec moi.

Et il l’entraîna du côté de la rue de la Loi.

Iza Lolotte et Compagnie

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