Читать книгу La gymnastique : notions physiologiques et pédagogiques, applications hygiéniques et médicales - Alfred Collineau - Страница 11
ÉPOQUE MODERNE
ОглавлениеDe 1775 à 1800: première génération de gymnastes modernes. — Seconde génération: Ling, Jahn, Clias, Amorōs. — La Société de médecine d, Paris. La Société pour l’instruction élémentaire; leur action. — Bally, Jomard. — Troisième génération: N. Laisné, d’Argy, Vergnes, de Féraudy. — Écrits de 1820 à 1848. La réaction cléricale de 1849, son œuvre. — L’empire; le décret de 1854, ses résultats. — Écrits de 1850 à 1868. — Le décret de 1868. — La commission ministérielle de gymnastique de 1868. — Enquête sur l’état de la Gymnastique en Europe, par la commission ministérielle. — Résultats de cette enquête: dispositions des populations à l’égard de la gymnastique, enseignement obligatoire ou facultatif, caractère pédagogique, militaire, athlétique de cet enseignement, méthodes. — L’institution allemande des Turnrereinen, sa puissance, ses conséquences. — État de la Gymnastique en France en 1868: apathie, lenteurs administratives, efforts isolés, défaut d’unité, absence de méthodes. — Quatrième génération. — Écrits de 1868 à 1882. — Essor contemporain. — L’anatomie et la physiologie bases scientifiques de la Gymnastique.
Mercuriali, de Vérone, fut le précurseur de la Gymnastique moderne. Pestalozzi, de Stanz, en a été l’initiateur.
Dans la phase nouvelle qui s’ouvre, ceux qui, de 1775 à 1800, contribuèrent à former ou à répandre les idées de Pestalozzi sur les exercices du corps constituent une première génération de gymnastes.
Avec le XIXe siècle, la seconde se produit. Quatre personnalités la résument: Ling, en Suède, Jahn, en Allemagne, Clias, en France et en Angleterre, Amoros, en Espagne, son pays d’origine, et en France, sa patrie d’adoption.
L histoire de ces hommes est curieuse. En peu de mots, la voici:
Étudiant de l’Université d’Upsal, Ling avait pris part, en 1801, à la bataille navale livrée à Copenhague, par les Anglais aux Danois. Il y avait été blessé au bras. La contraction permanente des muscles affectés, qui s’en était suivie semblait devoir compromettre à jamais la liberté des fonctions du membre. Il s’adonna à l’escrime, et ne tarda pas à reconnaître que la raideur musculaire commençait à céder. Dès lors, il se prit de passion pour ce genre d’exercice. Non seulement, le bénéfice qu’il en tira fut au-dessus de toute espérance; mais il y acquit un talent rare. Si bien que, tout professeur de mythologie et de poésie scandinave qu’il était devenu à Stockolm, il se fit, en même temps à Lund, maître d’escrime. Ses recherches sur l’anatomie et la physiologie le mirent sur la piste de procédés gymnastiques nouveaux. De 1805 à 1814, il s’ingénia à en tirer des déductions applicables en médecine et finit par obtenir du gouvernement suédois la fondation, à Stockolm, d’un gymnase modèle non moins médical que pédagogique, dont il devint le directeur. C’est de là qu’est sortie cette branche nouvelle de la thérapeuthique: la Kinésithérapie .
Il ne faudrait pas s’imaginer toutefois que les choses aient marché toutes seules. En Suède, comme ailleurs, quand une idée de progrès tend à modifier l’état de choses établi, elle rencontre les résistances auxquelles les personnages officiels sont, en général, trop enclins. «Nous avons assez de jongleurs et de saltimbanques, sans en mettre encore à la charge de l’Etat», telle fut la réponse devenue légendaire que Ling reçut du ministre de l’instruction publique, lorsqu’il voulut obtenir l’appui du Gouvernement; et, d’après M. Schenstrom , ce n’est qu’en 1813 qu’un décret royal autorisa enfin la fondation de cette Académie, devenue si justement célèbre et dont les doctrines, en matière d’instruction physique, se sont propagées en Norwège, en Danemarck, en Hollande, en Belgique, en Allemagne, en Autriche et jusque dans l’Amérique du Nord.
Ling fit à Stockolm un élève, Branting, qui devint son successeur; et eut, d’autre part, de nombreux imitateurs en Prusse.
Jahn ouvrit son premier gymnase en 1810. Deux ans plus tard, il était le chef, à Berlin, de la première École de gymnastique qui existât en Prusse.
Ses vues étaient profondes.
Sous le rapport pédagogique, il s’était donné pour but le rétablissement de l’équilibre entre les forces du corps.
Sous le rapport politique et social, il avait formé le projet de faire des gymnases autant de centres de propagande contre l’Étranger qui foulait alors le sol allemand, et le despotisme sous le joug duquel était courbée la nation allemande. Liberté — Autonomie, — Gloire de la Patrie, telle était sa devise.
Tant qu’il ne s’agit que de propager des sentiments de haine contre les autres nations, le gouvernement prussien laissa faire; mais du moment que l’on parla d’affranchissement, ce fut autre chose. Jahn avait trouvé des coopérateurs nombreux et ardents. En collaboration avec Eiselen, il avait publié un livre intitulé : Die Deutsche Turnkunst (la Gymnastique des Allemands). Ses élèves, se piquant de purisme, ne souffraient autour d’eux personne qui ne parlât un parfait allemand sans mélange de mots étrangers, français surtout: mais voici que l’on fronde — dans le plus parfait allemand — préjugés et abus; voici que l’on émet des idées de réformes, de régénération, d’émancipation;.... de toutes parts, dès lors les détracteurs surgissent... La prétention de Jahn de «rendre à la nature intellectuelle la vie physique qui lui manque» est un leurre... Son livre ne démontre pas du tout l’influence que peut avoir la Gymnastique sur le développement de l’intelligence et de la force de volonté.... quant au développement moral, la jeunesse n’a pas à l’attendre de sa méthode: c’est le professeur Kneusen, un de ses antagonistes les plus fougueux, qui s’en porte garant.... A vrai dire, la gymnastique de Jahn était plus militaire et athlétique qu’autre chose. Bref, en 1819, à l’occasion de l’assassinat de Kotzebüe; tous les gymnases de Prusse sont fermés, et Jann, mpliqué dans l’affaire, jeté en prison.
Son œuvre ne devait pas périr tout entière pour cela. Et c’était avec raison qu’un de ses chauds partisans, le docteur Passow, professeur à l’Université de Breslau, traçait les lignes que voici: «Le succès avec lequel s’accroît la renommée de la Gymnastique, malgré tant d’obstacles de toute espèce, est un augure certain d’un avenir plus propice. Elle ne pourra, dorénavant, trouver de détracteurs que parmi ces hommes égoïstes et vivant d’abus, à qui le développement tant physique que moral de la génération naissante, doit nécessairement paraître redoutable puisque cette génération s’élève, en effet, pour leur ruine.»
En 1828, (précautions prises sans doute contre la propagation des doctrines humanitaires de Jahn), les gymnases étaient ouverts à nouveau. Le gouvernement bavarois en instituait un à Munich. Un élève de Jahn, Marzmann, en prenait la direction. En même temps, le docteur Klumpf était appelé à celle du gymnase de Stuttgard. En 1840, Werner remplissait, avec plus d’apparat que de réelle valeur, des fonctions analogues à Dresde. Loringer et Koch répandaient par leurs écrits, le goût de la Gymnastique dans toute l’Allemagne. En 1842, le roi de Prusse, Guillaume IV, en décrétait l’enseignement et appelait Marzmann, de Munich à Berlin, si bien qu’en 1840, la Saxe, à elle seule, comptait jusqu’à cent cinquante établissements de gymnastique.
Clias était chef d’artillerie dans l’armée fédérale suisse. Il avait été cantonné à Inderlach avec un détachement. Ses hommes prenaient de l’ennui. L’idée lui vint, pour les distraire, de les exercer à la lutte, à la voltige, à la natation. Les militaires des cantonnements voisins suivirent l’exemple. Puis ce fut, l’émulation croissant, la population de l’endroit qui se mêla à la troupe pour rivaliser avec elle de force et d’agilité.
Frappé des progrès de sa propre vigueur, Clias eut la pensée de généraliser des pratiques auxquelles il avait eu recours jusque-là incidemment.
En 1806, il inaugurait à Berne ses démonstrations gymnastiques. Il devenait professeur à l’Académie de cette ville et recueillait les matériaux d’un ouvrage dans lequel se trouvent exposés les principes de son enseignement.
Avant de livrer son manuscrit à l’impression, Clias jugea utile de le soumettre à une compagnie savante de France. Il sollicita l’appréciation et la critique de la Société de médecine de Paris.
La Société de médecine de Paris institua pour l’examen du travail qui lui était adressé, une commission composée de MM. Macquart, Mérat, Roux, Villermay, Esquirol, Gasc et Bally, rapporteur.
Pour se mettre en mesure de porter sur la théorie de l’auteur un jugement motivé et mûri, les membres de la commission entendirent se rendre témoins oculaires des exercices pratiqués. «Ce vœu exprimé, dit le docteur Bally, M. Clias se prêta avec une complaisance rare à toutes nos demandes et répéta lui-même ses principaux exercices. Nous remarquâmes alors qu’il avait élevé son édifice sur un plan large, parfaitement approprié aux besoins de la vie et aux lois de l’économie vivante. Son étude constante paraît avoir été de déterminer les moyens les plus convenables pour fortifier chaque organe et pour augmenter l’énergie des propriétés vitales....
«En examinant la série des pratiques indiquées dans le travail de l’académicien de Berne, nous avons reconnu qu’il fallait admettre deux divisions principales dans la Gymnastique. L’une et l’autre sont subordonnées aux moyens qu’on emploie et peuvent, ainsi considérées, être désignées sous les noms d’instrumentale et individuelle.
«Celle-ci, qui reçoit tous ses moyens de l’action seule des muscles sans le secours d’agents étrangers, convient au valétudinaire comme à celui qui est doué d’une belle santé, à l’homme du monde comme à l’homme de cabinet; au riche comme au pauvre, à l’artisan comme au désœuvré, elle est, enfin, praticable dans l’appartement le plus rétréci de chaque individu et n’exige ni appareils, ni frais, ni espace particulier.»
Voilà certes, la marque d’un concours effectif aux progrès de l’hygiène, et, pour l’enseignement populaire, un inestimable bienfait. Aussi, lorsque muni de semblables lettres de naturalisation, Clias vint mettre son livre sous le patronage de la Société pour l’instruction élémentaire, ne pouvait-il manquer de recevoir, de la part de celle-ci, un accueil chaleureux.
Sous le titre de Gymnastique élémentaire ou Cours analytique et gradué d’exercices propres à développer et à fortifier l’organisation humaine, cet ouvrage porte en effet la dédicace suivante:
A Messieurs les membres composant la Société pour l’instruction élémentaire
«MESSIEURS,
«C’est aux hommes à qui la France va devoir l’un des plus grands bienfaits qu’elle puisse attendre des lumières du siècle, l’éducation devenue la propriété de l’indigence, qu’appartient naturellement l’hommage d’un travail dont le but est aussi l’amélioration et le bonheur de l’espèce humaine.
«J’ai l’honneur, etc.
«CLIAS.»
Ce livre a vu le jour vers 1818. Il y avait environ trois ans que la Société pour l’instruction élémentaire était fondée; sa première assemblée générale s’était tenue le 17 juin 1815; et dès la première année de son existence, le docteur Bally avait commencé dans le Journal d’éducation qui lui servait, et actuellement encore lui sert d’organe , la publication de ses études sur l’éducation physique. C’est dire avec quel à-propos l’œuvre de Clias se produisait et jusqu’à quel point elle concordait avec le programme même de cette Société. Ces dernières lignes de sa Conclusion laissent voir la justicieuse intuition qu’il en avait. «Loin de mettre des entraves à l’exécution de mon plan, les dignes magistrats de Berne m’accordèrent, dit-il, de la manière la plus généreuse, tous les secours qui m’étaient indispensables pour consolider mon établissement.
«Pouvais-je commencer une entreprise hasardeuse sous de plus favorables auspices, et lorsqu’enfin, je crois devoir publier à Paris le résultat d’un travail que l’on juge utile à la Société, n’en devais-je pas l’hommage à la France qui compte, dans son sein, tant d’établissements d’éducation, mais à qui les gymnases manquent encore»
En dépit de l’appui des autorités de Berne, en dépit du rapport élogieux de la Société de médecine de Paris en dépit des encouragements de la Société pour l’instruction élémentaire, Clias se heurta à des obstacles sans nombre. Malgré tout, son œuvre a survécu, et en Angleterre comme en France il a fait école.
Espagnol de naissance, Amoros s’était trouvé mêlé aux événements politiques dont son pays fut, en 1813, le théâtre. Il fut proscrit. La France jouissait alors d’un grand renom d’hospitalité. Il y vint demander asile; l’an d’après il était naturalisé français. Jaloux de payer sa dette à sa patrie adoptive, il s’associa avec ardeur aux premiers travaux de la Société pour l’instruction élémentaire. Il y développa ses idées sur les avantages de l’éducation gymnastique. L’essai en fut fait tout d’abord dans une institution privée. Peu après, un homme dont le nom est synonyme de science et progrès, Jomard, alors chef de l’instruction publique à la préfecture de la Seine, s’employa pour lui faire obtenir la direction d’un gymnase institué aux frais de la municipalité.
Sur ces entrefaites, un incendie éclate; Amoros s’y porte avec ses élèves; ils y font des prodiges d’agilité et de courage. Ce fut, dès lors, cause gagnée. La nécessité s’imposait de comprendre la Gymnastique dans l’école du soldat.
Amoros est promu au grade de colonel, fait chevalier de la Légion d’honneur, nommé directeur du gymnase normal militaire (4 novembre 1819). L’Académie lui décerne le prix Monthyon. La Société pour l’instruction élémentaire lui confie l’enseignement de son art dans les quatre écoles qu’elle possédait alors et entretenait dans Paris.
Entre Clias et lui, c’était une lutte sans trêve d’ardeur et de dévouement.
Tout semblait aplani. Soudain les difficultés surgissent. La Gymnastique est repoussée de l’enseignement.
On répand qu’elle n’est bonne qu’à «former des acrobates, des brigands habiles à l’escalade, qu’elle expose la vie des enfants, etc., etc.»
Bref, le colonel est mis aux arrêts..... On n’a jamais su pourquoi.
Ceci se passait en 1837, les agissements de la gent cléricale avaient porté fruit. L’œuvre démocratique de Clias et d’Amoros était entravée pour un temps.
Néanmoins, le 17 avril 1845, le comité central d’enseignement primaire de la Seine, sur l’avis conforme du préfet de la Seine et du conseil municipal de Paris, et sur le rapport de Boulay de la Meurthe, prit la décision d’introduire la Gymnastique dans les établissements scolaires communaux de la ville.
En 1847, Amoros dotait la Science d’un traité de gymnastique fort étendu, très consulté, et où l’on trouve la description de la plupart des exercices en pratique de son temps, dans les divers gymnases de l’Europe .
Autant, grâce à la simplicité et à la douceur des procédés, la méthode essentiellement pédagogique de Clias est applicable à l’éducation physique de l’enfance, autant, par son caractère plus athlétique, l’enseignement d’Amoros répond aux exigences de l’entraînement militaire, et convient aux sujets d’un âge plus avancé.
Dans l’histoire de la Gymnastique moderne, Clias et Amoros occupent une place de premier rang. C’est eux, en somme, qui sont les maîtres de l’École française, et ce sont leurs élèves qui forment en France la troisième génération.
Pourtant, avant de passer outre, une observation: Clias est venu de Suisse, Amoros d’Espagne. Est-ce à dire que les principes fondamentaux qui régissent l’enseignement de la Gymnastique soient d’importation étrangère chez nous? L’erreur serait lourde. On les trouve nettement indiqués, dès la première partie du siècle dernier, dans un livre de Nicolas Andry, doyen de la Faculté de médecine de Paris. L’exercice modéré est-il le meilleur moyen de se conserver en santé ? tel est le titre de l’ouvrage.
Pour la rédaction de son Traité de Gymnastique, le docteur Tissot y a fait de larges emprunts. Publiée en 1780, cette dernière œuvre est remarquable. Explication y est donnée d’une foule de mouvements. Discussion y est ouverte relativement à l’influence de chacun d’eux sur le développement du corps. Description y est faite d’un choix d’exercices devenus classiques aujourd’hui.
Le nom de l’auteur a prêté à une confusion qui doit cesser. Deux médecins du nom de Tissot ont marqué, dans la Science, au siècle dernier. Le premier, S.-A.-D. Tissot, docteur de la Faculté de médecine de Montpellier (1749), professeur à Lausanne, est l’auteur de la Dissertation bien connue sur l’Onanisme, publiée en 1769, et d’un Essai sur la santé des gens du monde, publié en 1782. Le second, le docteur J.-C. Tissot, chirurgien-major des chevau-légers, et qui conquit plus tard dans le corps de santé des armées françaises, un grade très élevé, est celui qui fit paraître en 1780 le Traité de Gymnastique dont nous parlons; traité qui a été maintes fois attribué à tort à son homonyme et devancier.
Il était bon d’éclaircir ce point, car c’est des écrits de deux auteurs français, Nicolas Andry et J.-C. Tissot que, selon toute probabilité, se sont inspirés les Nachtigall, en Danemark, les Gultsmuths, les Salzmann, en Saxe, aussi bien qu’en Suisse, les Fellemberg et les Pestalozzi.
Ce n’est pas la seule fois que la France ait été la génératrice de l’Idée, et que l’Idée ait pris son vol pour aller bien loin porter fruit.
Clias et Amoros ont continué Pestalozzi. Leurs continuateurs, à eux pour ne parler que des plus directs, ont été, en France, Napoléon Laisné, le colonel d’Argy, le capitaine Vergnes, le lieutenant de Féraudy.
De cette époque, la pratique des exercices du corps commença à se généraliser chez nous. Dans bon nombre de grandes villes, il se fonda des gymnases. Grâce à la sollicitude de l’Assistance publique à Paris, les hôpitaux d’enfants en furent pourvus. Ce fut Napoléon Laisné qui en eut longtemps la direction. Cédant aux exhortations réitérées que les voix les plus autorisées ne se lassaient pas de lui adresser, l’Université elle-même suivit, non sans une timidité excessive, l’exemple; et la Gymnastique cessa d’être aussi dédaignée que par le passé dans les établissements scolaires dépendants de sa direction.
Comment résister indéfiniment aux écrits si persuasifs, si probants des Londe , des Broussais , des Begin , des Bouvier , des Pravaz , des Foissac , des Legrand , des Thierry , des Dally ?
L’avènement de la République, en 1848, ne pouvait qu’imprimer à l’enseignement populaire de la Gymnastique l’impulsion qu’il attendait. Clias venait, dans la dernière œuvre qu’il ait laissée, d’en formuler les principes. Son livre intitulé : la Gymnastique populaire avait été l’objet d’un élogieux rapport à l’Académie de médecine de Paris . En outre, il avait été publié, en 1847 et 1848, des Instructions pour l’enseignement de la Gymnastique dans les corps de troupes, dans la division des équipages et à bord des bâtiments de la flotte. C’est un modèle de méthode qui a servi plus tard, chez les puissances étrangères, de base à l’instruction gymnastique du soldat. Coïncidence à noter, c’est peu après — de 1847 à 1850 — que M. Rothstein, directeur de l’Institut royal de gymnastique militaire, à Berlin, a publié son grand ouvrage, un des plus complets, au point de vue tant philosophique que théorique, qui existe sur le sujet.
Bref, le terrain était merveilleusement préparé.
Pendant ce temps là, le cléricalisme battu en brèche, poursuivait obscurément son œuvre. Les aspirations généreuses qui, au 24 février 1848, s’étaient fait jour, étaient, une à une, comprimées, étouffées, conspuées, honnies.
Entre tous les fauteurs de réaction, il se signait un pacte. De propos délibéré, froidement, en haine de la liberté et du peuple, on jetait la patrie dans les bras d’un César blasé, altéré de plaisirs.
C’en était fait de l’avenir moral, intellectuel, physique de toute une génération de Français. On le savait... On s’en riait... On allait jouir. — Cela pourrait bien durer quelque vingt ans... Après? — Eh bien, on verrait... Le cri de la conscience parfois perçait... Le réveil serait sinistre, sanglant, horrible... On ne pouvait se faire illusion là-dessus... On le sentait... Qu’importe? Féroces et bêtes, l’égoïsme et la peur étaient portés par le servilisme sur le même pavoi.
Cyniquement, on supputait le nombre d’années, de mois, de jours qu’on avait devant soi... «pour s’amuser » ; et sans souci du lendemain, à la ronde, on venait jouer son rôle, dans la saturnale échevelée que ce fut.
Pourtant, «Sa Majesté l’Empereur, dans sa haute sagesse» (style du temps), promulgua en 1854 un décret rendant la Gymnastique obligatoire dans tous les lycées de l’Empire.
L’année d’avant, il avait été institué une commission chargée d’indiquer les exercices les plus propres à développer les forces des enfants et à les douer d’une bonne constitution. Le professeur Ph. Bérard, rédacteur du rapport de la commission, avait fait observer, avec une grande justesse, que la Gymnastique, en France, manquait de bases, et que l’enseignement en était, trop souvent, confié à des maîtres peu capables de le rendre fécond.
Quelle fut la destinée et de ce rapport et de ce décret?
Le rapport?... Il est allé prendre place dans les Archives comme un modèle de style, d’érudition et de sens . Le décret?... Autant en a emporté le vent. La preuve, la voici: en 1858, dans une séance du conseil de la Société pour l’instruction élémentaire, son président honoraire, le vénérable Jomard, crut de son devoir d’intervenir. Une fois de plus, il appelait l’attention de ses collègues sur l’importance extrême de l’éducation physique du jeune âge; une fois de plus, «il déplorait l’abandon presque absolu dans lequel, pour le malheur de la jeunesse contemporaine», était tombée cette partie fondamentale de l’enseignement.
Nonobstant le décret de 1854, cet abandon était, en 1858, si profond que Jomard proposait, sans hésitation, à la Société pour l’instruction élémentaire, de reprendre une campagne analogue à celle qu’elle avait menée trente ans auparavant: «Les exercices gymniques, faisait-il remarquer, semblent partout tombés en désuétude. Il y a urgence à en réintroduire l’usage dans tous les établissements scolaires, dans les écoles communales notamment, qui en sont totalement dépourvues». — Voilà un témoignage qu’il est malaisé de réfuter.
L’incurie administrative n’était pas, à tout prendre, pour refroidir l’ardeur des hommes de science et d’observation. De 1854 à 1868, Blache , Laisné, Schreber , Dally père , De France , Dally fils , Bouchardat , Pimparey , Verdier , Tardieu , Pichery , Carue , Paz ont apporté chacun son contingent d’expérience et contribué, chacun dans la mesure de ses aptitudes, à réhabiliter la culture rationnelle des forces du corps.
Malgré tant d’efforts répétés, la Gymnastique, il faut bien le dire, n’a pas pénétré dans les coutumes, en France, avec la même rapidité que dans beaucoup d’autres pays.
Le 3 février 1868, il était promulgué par, Napoléon III, un nouveau décret portant organisation de l’enseignement de la Gymnastique, et institué une nouvelle commission chargée de l’examen des questions relatives à son enseignement dans les écoles de l’empire. Composée, sous la présidence de M. Duruy, ministre de l’instruction publique, de MM. Larrey, membre du conseil de santé des armées, vice-président; Mourier, vice-recteur de l’Académie de Paris; Pillet, chef de la division de l’enseignement primaire au ministère de l’instruction publique; Roux, commandant du 9e régiment de ligne; Jullien, proviseur du lycée de Vanves; Gautrelet, chef de bataillon; Vergnes, capitaine-instructeur de gymnastique du régiment de sapeurs-pompiers; Bouvier, membre de l’Académie de médecine; de Fontaine de Resbecq, sous-chef de cabinet du ministre de l’instruction publique et Hillairet, médecin de l’hôpital Saint-Louis et du lycée Saint-Louis, cette commission choisit le docteur Hillairet pour rapporteur.
L’enquête fut complète et portée, non seulement sur la France, mais sur l’Étranger.
Le rapport dressé au nom de la commission, par M. Hillairet, livre sur l’état de la question en Europe, en 1868, des renseignements aussi instructifs que précis.
Mais, avant d’aborder ce sujet plein d’actualité, n’omettons pas de signaler parmi les hommes qui, à une époque bien antérieure, ont le plus fait, après Ling, Jahn, Amoros et Clias, pour la propagation de la Gymnastique, Adolphe Spiess.
En 1842, Adolphe Spiess avait fondé, dans le canton de Berne, l’école de Burgdorff. Son système, associé ou non à celui de Ling, n’a pas tardé à devenir classique en Allemagne et à y être suivi presque partout. Mentionnons encore, à Pétersbourg, de Ron, préposé au grand gymnase, à l’édification duquel l’empereur de Russie contribua, en 1847, par une subvention de 10,000 roubles, et le docteur Bergholm chargé de l’enseignement officiel de la gymnastique à l’Université de Helsingfords.
Vers la même époque, le goût de la Gymnastique fut propagé d’Europe en Amérique. C’est à l’émigration allemande aux États-Unis qu’en est due l’importation.
Arrivons en 1868, et jetons un coup d’œil sur l’état de la Gymnastique à ce moment précis. Le rapport de M. Hillairet, au nom de la commission instituée à ce sujet par le ministre de l’instruction publique, repose sur des documents officiels. Les allégations qu’il renferme offrent donc toutes les garanties d’exactitude que l’on est en droit d’exiger.
Dans l’exposé qui va suivre, nous nous appuierons presque exclusivement sur le rapport déposé au ministère par la commission.
D’abord, pour simplifier, notons ceci: Les faits énoncés dans ce travail et relatifs à l’état de la Gymnastique — en 1868 — dans les différents pays de l’Europe peuvent être ramenés à un certain nombre de chefs et fournir la réponse aux questions que voici:
1° A l’égard de la Gymnastique, quelles sont les dispositions, favorables ou non, dans lesquelles se trouvent les populations?
2° En quels pays, l’enseignement de la Gymnastique est-il obligatoire dans toute école sans restriction, ou seulement dans certaines catégories d’écoles; en quels pays, est-il facultatif dans certaines écoles ou dans toute école sans restriction?
3° Dans quels pays, existe-t-il des gymnases publics ou privés?
4° Quel est le mode usité dans les divers pays, pour le recrutement des maîtres?
5° Quel est, selon les pays, le caractère de l’enseignement; est-il pédagogique, militaire ou athlétique exclusivement; est-il l’un et l’autre à la fois?
6° Quelles sont les méthodes positives adoptées?
7° Quelles sont les dispositions spéciales à tel ou tel peuple, qu’il y ait lieu de relater?
Eh bien, les dispositions manifestées par les populations à l’égard de la Gymnastique sont généralement favorables dans les pays de l’Europe où les pouvoirs constitués ont réalisé la somme d’efforts nécessaires pour en propager l’enseignement.
La Suisse, dans les temps modernes, a été le berceau de la Gymnastique; elle l’a en grand honneur.
En Belgique, en Hollande, elle est particulièrement recherchée.
Anglais, Ecossais, Irlandais ont pour elle une attraction irrésistible.
En Suède, où elle est cultivée avec ardeur, elle n’a pas tardé à être, de la part du gouvernement, l’objet d’une sollicitude toute particulière. En Norvège, où elle est accueillie favorablement, elle serait encore plus goûtée, si l’enseignement en pouvait être dispensé avec plus de largesse.
En dépit des efforts, très localisés d’ailleurs, tentés en sa faveur, en 1847 par le Pouvoir, l’enseignement de la Gymnastique en Russie est peu répandu. Il n’en faudrait pas conclure, toutefois, (fait auquel le savant rapporteur de la commission ministérielle de 1868 semble être resté étranger) que le peuple russe soit indifférent à ses pratiques. Nous reviendrons sur ce point.
En Prusse, en Saxe, dans le Wurtemberg, dans la Hesse-Darmstadt, dans le duché de Bade, à Hambourg, à Brême, en Bavière, elle s’est identifiée aux mœurs des populations qui montrent, pour elle, un goût prononcé et s’y livrent avec un extrême plaisir.
L’Autrichien et le Hongrois la traitent avec indifférence. Depuis la guerre austro-prussienne de 1866, l’État s’ingénie à faire naître un goût qui se développe avec lenteur. Les villes de Szeged et de Baja sont dotées de cercles pour l’éducation populaire et l’enseignement gymnastique et militaire que, dans un discours prononcé à Buda-Pest, le général Turr a proposé de généraliser.
Traditionnelle en Grèce, elle y est cultivée avec passion.
Il n’en est de même ni en Italie, ni en Espagne, où elle ne suscite qu’un très médiocre intérêt.
En 1868, la Gymnastique était obligatoire en Suisse, dans toutes les écoles de deux cantons: celui de Zurich et celui d’Argovie; dans les écoles dites moyennes, (c’est-à-dire correspondant à nos écoles secondaires), de dix cantons; et facultative pour toute école, dans dix autres; «dans les cantons catholiques et forestiers, non-seulement elle n’est pas obligatoire pour les établissements d’instruction publique; mais elle reste tout à fait en dehors de l’intervention de l’État.»
En Belgique, la loi du 23 septembre 1842, en rend, par son article 37, l’enseignement obligatoire dans les écoles primaires supérieures.
En Hollande, on se livre à de très actifs efforts pour faire pénétrer cet enseignement dans les divers établissements d’instruction.
En Angleterre, au contraire, il est dégagé de tout caractère officiel. L’organisation très soignée de cet enseignement, comme l’installation très confortable des gymnases sont exclusivement le fait de l’initiative privée. L’État n’y participe en rien.
En Suède, une circulaire royale, en date du 9 janvier 1863, rend la Gymnastique obligatoire de fait, et ordonne d’y consacrer trois à six heures par semaine dans les classes du degré même le plus inférieur.
L’obligation, en Norwège, se restreint au contraire aux écoles militaires et normales en dehors desquelles l’enseignement de la Gymnastique est facultatif et irrégulier.
Obligatoire, dans les régiments de la garde impériale et dans les écoles militaires seulement, il est, en Russie, fort peu répandu.
Dans les États allemands, c’est autre chose. En 1868, nous trouvons la Gymnastique obligatoire dans toute école publique ou privée indistinctement en Prusse, par ordonnance du 21 mars 1862, d’abord, puis du 29 mars 1866; en Saxe, depuis 1863; en Wurtemberg, à partir de la même année, par ordonnance en date du 5 février; dans la Hesse-Darmstadt, depuis 1865, époque de la fondation d’une école normale de gymnastique; dans le duché de Bade, en vertu de l’article 25 d’une loi promulguée en 1868.
A Brême, la Gymnastique n’est obligatoire qu’au Seminar seulement. Le Seminar est, qu’on y fasse attention, l’établissement destiné à l’instruction des instituteurs primaires.
En Bavière, inscrite au programme des études depuis 1825, facultative jusqu’en 1861, elle est devenue, à cette époque, obligatoire dans les écoles de garçons tout en restant facultative dans celles de filles où elle est remplacée, à tort ou à raison, par des travaux manuels. Enfin, en 1866, une loi en a étendu l’obligation des écoles normales primaires aux écoles préparatoires.
Encore facultatif à Hambourg, l’enseignement de la Gymnastique était sur le point de cesser de l’être, en 1868.
Les revers essuyés par l’Autriche, deux années auparavant, furent l’occasion d’un réveil en faveur des exercices du corps. Absolument négligée jusque-là, la culture en a été réglementairement introduite dans toutes les écoles à partir de 1869. (Circulaire du 26 janvier 1868).
Traditionnelle, avons-nous dit, en Grèce, elle n’en est pas moins imposée dans les écoles secondaires et spéciales du gouvernement.
Essentiellement facultatif, enfin, en Italie comme en Espagne, l’enseignement en est fort peu suivi, fort peu goûté en ces deux pays.
Décréter que tel enseignement demeurera facultatif, ou bien deviendra une obligation pour une catégorie de citoyens, est facile. Organiser sur des bases rationnelles le même enseignement, l’est beaucoup moins. L’organisation de celui de la Gymnastique embrasse une série de points se rattachant au matériel (immeuble et mobilier), au personnel, au choix des méthodes, au caractère de l’enseignement même. Il règne, entre ces divers points, une connexité étroite. Ils forment un ensemble dont l’examen, par pays, va donner, en bloc, la réponse aux 3e, 4e, 5e et 6e questions que nous venons de poser.
En Suisse, la Gymnastique, très répandue, répond, en quelque sorte, à un besoin. Chose singulière, l’installation des gymnases y laisse fort à désirer. L’enseignement y manque d’unité. Pédagogique et militaire, il a par dessus tout en vue le développement normal des forces corporelles, et l’école du soldat. Mouvements élémentaires, marches et contre-marches, exercices aux agrès, tels que trapèze, barres, mâts, cordes à nœuds, mais surtout évolutions d’ordre et d’ensemble, tir à l’arc, natation, en constituent les procédés. En général, il a pour guide le Manuel de Niggeler.
Beaucoup d’écoles, en Belgique et en Hollande, étaient encore, en 1868, dépourvues de gymnases. En revanche, depuis 1864 ou 1865, la ville de Bruxelles est en possession d’une école normale de gymnastique dirigée avec une méthode et une habileté peu communes. «Un médecin, rapporte M. Hillairet , est attaché à cet établissement pour démonstrations anatomiques, physiologiques et médicales, dans leurs applications à la Gymnastique. Une commission médicale est chargée des examens pour l’obtention des diplômes.» Le Gouvernement néerlandais, de son côté, a créé plusieurs écoles normales où se forment des professeurs spéciaux et où la culture des forces du corps reçoit des encouragements. Quant au caractère propre de la gymnastique belge et hollandaise, en 1868, il est impossible, faute de documents, de porter sur lui une appréciation positive.
Dans les îles Britanniques, nous le répétons, tout est confié aux soins de l’initiative personnelle. Il n’y a ni professeurs spéciaux, ni écoles normales de gymnastique, et pourtant, il n’est pas de grande ville en Angleterre, qui ne soit pourvue de gymnases très confortablement installés.
En Écosse, à Glascow, deux institutions privées, la Glascow Academy et le Glascow Collegiale, possèdent chacune le sien. Une institution publique, la High’school, n’est pas moins bien partagée; et, si les écoles populaires en sont dépourvues, «la municipalité a fait établir sur une promenade publique (L’Green), située dans une des parties les plus populeuses de la ville, un gymnase complet dont l’entrée est gratuite, et qui est destiné spécialement aux enfants et aux adultes des classes laborieuses. «C’est, dit M. Hillairet, un lieu d’exercice plutôt que d’enseignement régulier.»
L’irrésistible entraînement du peuple anglais pour les exercices du corps est un fait ethnique digne de remarque. Dans le programme d’éducation des écoles publiques, ils tiennent une place telle, qu’à Winchester, à Eton, à Harrow, à Rugby, à Saint-Paul, à Oxford, à Cambridge, à Westminster, etc., on n’y consacre, par semaine, pas moins de quinze, vingt et vingt-sept heures. Les écoles dites de demi-temps sont, entre toutes, bien organisées sous le rapport de l’éducation physique. Gymnastique proprement dite, instruction militaire, instruction navale, y sont l’objet d’une sollicitude à toute épreuve. En Écosse, il n’est guère de maison particulière où l’on ne trouve trapèzes, anneaux, barres simples et parallèles, cordes d’ascension et autres agrès.
Ce qu’on peut reprocher à l’enseignement de la Gymnastique, en Angleterre, (disons plutôt, ce qu’on lui pouvait reprocher en 1868, car il s’est produit, à cet égard, une réaction depuis), c’est le défaut de méthode. Essentiellement athlétique — trop exclusivement athlétique — la Gymnastique anglaise manque de bases physiologiques. Nous aurons plus tard à insister sur ce point.
Le gouvernement suédois est le premier, en Europe, à avoir eu la pensée d’instituer une école normale de gymnastique. Nous avons pu apprécier la part qui revient à Ling dans la prospérité de cette fondation. Toujours est-il que, grâce à sa virile initiative, le goût de la Gymnastique se propageant en Suède, il s’édifia rapidement des gymnases publics dans la plupart des grandes villes.
En Suède, l’enseignement de la Gymnastique, ayant pour base les doctrines de Ling, est d’abord pédagogique, c’est-à-dire, conduit dans le sens d’un développement physiologique intégral des forces du corps; ensuite et surtout militaire. Au rapport de M. Hillairet, il est prescrit de ne faire exécuter aux plus jeunes enfants que des exercices tout à fait élémentaires. Plus tard, sont démontrés les mouvements les plus simples de l’infanterie, le maniement des armes, l’exercice à la baïonnette; et, à un âge plus avancé, l’escrime au sabre, à l’épée, l’exercice à feu et le tir. Il n’y a pas de professeurs spéciaux de gymnastique en Suède. Les instituteurs primaires, dressés de longue main à cet effet, sont chargés des cours de gymnastique.
Il en est de même en Norwège où, hors l’instruction gymnastique donnée dans les écoles militaire et normale, tout, en 1868, était à créer.
Il existe à Moscou, à Pétersbourg, à Helsingfords de grands gymnases. Il est donné dans les écoles militaires de Russie un enseignement exclusivement approprié au métier des armes. A part cela, dans les écoles populaires et moyennes, en 1868, il n’y avait rien de fait. Et pourtant, le peuple russe montre pour les jeux et les exercices du corps les dispositions les plus heureuses: «Les Russes, font observer J. Richter et G. G. H. Geissler , sont connus pour une nation éveillée et adonnée au plaisir. Leur penchant irrésistible pour tous les amusements quelconques est si digne de remarque que la plupart des auteurs qui ont écrit sur la Russie n’ont pu s’empêcher d’en faire mention. Déjà, dans un ouvrage publié avec le concours de Hempel, d’après des documents recueillis par de Pallas , et dont celui qui leur est propre peut être regardé comme le complément, les mêmes auteurs avaient appelé l’attention sur le goût prononcé des nations de l’empire russe pour certains exercices d’adresse et de force tels que le ballon, l’escarpolette, la glissoire, et avaient signalé leur passion pour la danse en en décrivant les variétés (danse russe, tartare, cosaque, tzigane) et le caractère.
Dans leur exposé des Jeux et Divertissements du peuple russe, J. Richter et G. Geissler mentionnent, entre autres exercices exigeant une grande vigueur et auxquels on se livre en Russie avec ardeur, une lutte à coups de poings, sorte de boxe anglaise dont le principe de demeurer courtoise, n’est pas toujours, hélas! rigoureusement observé ; ainsi qu’un jeu — Le Gorodki — presque exclusivement national et abordable seulement pour des hommes très vigoureux.
En Prusse, en Saxe, dans le Wurtemberg, en Bavière, à Brème, on constate, en 1868, l’existence de gymnases publics.
La ville de Berlin en possède deux: le gymnase Central dans lequel l’enseignement revêt un caractère particulièrement militaire, et le gymnase Municipal à l’édification duquel a été affectée une somme de 450,000 francs. Il existe des maîtres spéciaux formés à l’École centrale; et ceux qui, sans avoir passé par l’École centrale, se destinent au même enseignement, subissent, avant de pouvoir s’y livrer, le contrôle d’un examen dit gouvernemental d’une grande sévérité.
Quant à cet enseignement en lui-même, voici, aux termes d’une note adressée par le professeur Lohmüller au Consulat de France, à Cologne, et transmise par dépêche, le 9 avril 1868, à M. Hillairet, dans quel esprit il est conduit: «Les exercices, dans les écoles, sont aussi simples que possible, et on a soin d’en bannir tout ce qui pourrait ressembler, même de loin, à des productions athlétiques. Quand les enfants ont suivi le cours de gymnastique dès l’âge de huit ans, pendant six années consécutives, ils sont parfaitement, en ce qui concerne la marche et les évolutions, à la hauteur des soldats les mieux exercés. Il ne leur reste plus qu’à apprendre le maniement du fusil... A la fin de la plupart des leçons, les élèves défilent en colonne serrée en entonnant un de leurs chants de gymnastes; et, plusieurs fois par an, ils se réunissent dans la campagne pour s’y livrer à des jeux dirigés par les maîtres et propres à développer la souplesse, l’adresse, la force, partant la confiance des jeunes gens en eux-mêmes; et quand on a assisté à ces leçons, on comprend que les gymnastes s’efforceront de rester fidèles à leur devise, les quatre F formant carré que l’on remarque au-dessus de la porte d’entrée de chaque gymnase ainsi que sur leurs bannières et qui signifient: Fresch, frais; Frei, libre; Frölich, gai; Fromm, pieux...
«La Gymnastique, en réalité, pratiquée dès l’enfance, fortifie les races, les empêche de dégénérer physiquement et forme des populations viriles également propres aux travaux de la paix et à ceux de la guerre»
A l’instar de Berlin, la plupart des grandes villes de Prusse sont pourvues de gymnases publics et privés parfaitement organisés.
Il en est de même, en Saxe. Leipzig se distingue par la belle installation de ses gymnases, Dresde, par la supériorité de l’enseignement donné dans son École normale, dans laquelle sont formés des professeurs spéciaux à qui il est délivré diplôme, et par laquelle passent, chaque année, les instituteurs primaires soumis, à leur sortie, à de sérieux examens de capacité.
Dans le Wurtemberg, Stuttgard possédait, bien avant 1868, une École normale de gymnastique en plein air et un (turnhall) gymnase couvert pour la construction duquel les Chambres wurtembergeoises n’avaient pas hésité à voter un crédit de 60,000 florins. Des établissements analogues s’étaient successivement construits à Fremdenstadt, à Goppingen et à Heilbraun. En 1868, il s’en édifiait de semblables à Esslingen, à Gmumd et à Nurtingen. Les années suivantes, le ministère de l’instruction publique affectait des sommes de 22, 23 et jusqu’à 24,000 florins à subventionner les communes qui entretenaient des gymnases, et à décerner des récompenses aux professeurs.
L’enseignement de la Gymnastique en Bavière n’est que très exceptionnellement confié à des maîtres spéciaux. En général, ce sont les professeurs attachés, pour d’autres facultés, aux institutions scolaires qui en sont chargés. Il existe à Munich une École normale de gymnastique dans laquelle ceux-ci vont tour à tour acquérir les aptitudes nécessaires à cet effet. Les élèves les plus avancés sont exercés à l’escrime, à la tactique militaire et au maniement des armes. En 1868, ainsi que le fait remarquer M. Hillairet dans son rapport; les exercices militaires étaient encore facultatifs dans les écoles moyennes; mais, ajoute-t-il, il est très probable qu’avant peu ils seront rendus obligatoires pour toutes les écoles populaires ou moyennes sans distinction.
La natation est inscrite au programme scolaire et démontrée gratuitement.
Ajoutons que chaque école supérieure est pourvue d’un gymnase fort bien organisé dont la pratique est libre et gratuite pour les étudiants, qui peuvent ainsi entretenir les aptitudes physiques acquises pendant leurs années antérieures de scolarité.
A Brême, ainsi qu’en Bavière, ce sont les professeurs d’histoire, de géographie, de littérature ou autres qui sont en même temps maîtres de gymnastique. Obligatoire au Seminar, (école normale pour l’instruction des instituteurs primaires) l’enseignement en était encore, en 1868, facultatif à la Burgerschule, mais elle n’en était pas moins pratiquée avec ardeur, dans ce dernier établissement par 456 élèves sur 485. Sur les 29 qui s’abstenaient, on n’en comptait qu’un seul qui le fit sans raisons plausibles.
Hambourg ne le cède pas à Brème pour la belle installation de ses gymnases particuliers. Ses écoles primaires, pourtant, en étaient pauvres en 1868; mais, on doit le dire, à cette date l’introduction de la Gymnastique dans le programme de toute école était en projet.
Enseignée par des maîtres particuliers, elle l’est avec un tact exquis et une grande simplicité de procédés. Essentiellement pédagogique jusqu’à seize ans, elle prend, à partir de cet âge, un caractère militaire.
Dans le duché de Bade, nous trouvons, en 1868, la plupart des écoles de garçons et bon nombre des écoles de filles pourvues de gymnases. Les gymnases particuliers, par ailleurs, abondent. Leur installation ne laisse rien à désirer. Les exercices y sont réglés, comme à Hambourg, avec beaucoup de tact et de réserve. Ils sont très méthodiquement appropriés à l’un et à l’autre sexe, et, en général, confiés aux instituteurs primaires. Carlsruhe, en effet, possède une école normale où ceux-ci sont envoyés tour à tour, par séries de 80 à 90, pour y recevoir, sur la Gymnastique, les instructions nécessaires à l’accomplissement de leurs fonctions.
Nous n’avons rien à dire de l’état des choses, en 1868, dans la Hesse-Darmstadt, les documents demandés, n’étant pas parvenus à la commission ministérielle dont le rapport est la source de nos propres informations.
En résumé, essentiellement pédagogique jusqu’à seize ans, la Gymnastique prend, à partir de cet âge, en Prusse, en Saxe, dans le Wurtemberg, en Bavière, à Brème, à Hambourg, dans le duché de Bade, un caractère décidément militaire. Ainsi, l’espérance de Gutsmuths, à la fin du siècle dernier: à savoir que la Gymnastique est la meilleure préparation au métier des armes, est devenue, en celui-ci, une réalité. Les méthodes de préférence employées sont celles de Speiss et de Ling combinées en Prusse et en Saxe, et celle de Spiess officiellement imposée en Bavière et dans le Wurtemberg; c’est la même encore, plus ou moins simplifiée et adoucie, dans le sens physiologique, qui est en vigueur dans le duché de Bade, à Brême et à Hambourg. En aucun de ces pays, disons-le, enfin, on ne tolère quoi que ce soit d’athlétique dans les exercices.
On trouve en Autriche, des gymnases nombreux. Ils sont peu fréquentés. Les écoles normales, les maîtres spéciaux manquent. Les méthodes usitées sont défectueuses. L’enseignement pèche par un point fondamental: la discipline dans les exercices. Inscrite au programme des études depuis le 31 octobre 1867, la Gymnastique, en Autriche, n’a nul caractère, ni athlétique, ni militaire. Elle ne remplit pas, par ailleurs, le but que la physiologie doit se proposer.
Dépourvue de gymnases (dans ses écoles primaires tout au moins), de maîtres spéciaux, d’écoles normales, de méthodes positives, la Grèce n’en cultive pas moins avec passion une Gymnastique essentiellement militaire et athlétique. La Gymnastique est de tradition chez le peuple grec. Le jeu du disque pesant lancé de pied ferme ou à la course, l’exercice de la fronde, la lutte corps à corps, la course, le saut, le combat simulé, la natation, les danses héroïques, etc., la constituent et sont dans les mœurs. «Les femmes, dit M. Nicolaïdy y prennent part et s’en tirent avec honneur. Soulever des fardeaux, grimper sur les arbres, aux murailles, aux rochers escarpés; se suspendre par les mains et les pieds; se laisser tomber à terre de hauteurs considérables, sont, pour les femmes comme pour les hommes, des exercices très familiers. Cette éducation n’est point imposée aux Grecs; elle est inhérente à leur constitution, à leur sang, (αiμα ϰελɩνòν).»
Les grandes villes d’Italie possèdent des gymnases. En Espagne, Amoros en avait créé un remarquablement agencé. Ces établissements sont peu fréquentés.
Ni en Italie, ni en Espagne, on ne rencontre, en 1868, d’écoles normales ou de professeurs spéciaux de gymnastique. Ne reposant sur aucune méthode déterminée, l’enseignement de cette science n’y a aucun caractère défini.
Pour terminer, signalons l’existence, en 1868, d’une institution propre à l’Allemagne du Nord: le Turnverein.
Le Turnverein est une association entre gymnastes.
La plupart des villes ont leur Turnverein.
Dans le duché de Wurtemberg, il existe, entre tous les maîtres de gymnastique, une association analogue.
Très puissant et très suivi, le Turnverein de Leipzig admet dans son sein tout gymnaste sans distinction de condition sociale.
Ceux de Hambourg et du duché de Bade ne manifestent pas une moindre activité.
Toutes ces associations d’hommes jeunes, vigoureux, rompus aux exercices du corps, ont entre elles, cela est de toute évidence, des points de contact, des liens d’affiliation.
On aurait dû comprendre plus tôt quel faisceau, dans des circonstances données, elles sont capables de former .
Nous aurions voulu faire figurer la France dans l’exposé qui précède. A l’impossible, nul n’est tenu. En 1868, l’empire tirait à sa fin. Le désarroi était partout. L’incohérence qui présidait alors à l’enseignement de la Gymnastique en est le reflet.
Qu’on en juge.
D’après la statistique dressée par M. de Fontaine de Resbecq, sous-chef de cabinet du ministre de l’instruction publique, secrétaire de la commission ministérielle, 29 écoles normales seulement sur 78, 90 collèges seulement sur 254, 67 lycées sur 82 étaient en possession d’une collection d’appareils et d’agrès....... complète ou incomplète? la statistique ne le dit pas.
Il n’existait de gymnase couvert que dans 6 écoles normales seulement sur 78, que dans 22 collèges seulement sur 254, que dans 42 lycées seulement sur 82.
Quant au personnel enseignant il était distribué avec l’uniformité que voici:
61 lycées ont un professeur de gymnastique;
4 en ont deux;
3 en ont trois
1 en a quatre;
1 en a cinq;
1 en a dix.
Leurs émoluments ne présentent pas des écarts moins étonnants.
Dans les écoles normales, ils varient entre 600 et 35 francs; dans les lycées, ils sont: ici, de 90 francs, là, de 1,000 francs; dans les collèges, tantôt ils descendent à 60 francs, tantôt ils s’élèvent à 1,200 francs. Pourquoi le maximum des émoluments des professeurs de gymnastique dans les collèges dépasse-t-il d’un sixième le maximum de ceux qui leur peuvent être attribués dans les lycées? — Mystère.
Mais il y a plus: un certain nombre d’établissements ont un gymnase et pas de professeurs; un certain nombre d’autres ont un professeur, mais point de gymnase.
Ici, la Gymnastique est enseignée pendant le temps des études; là, pendant celui des récréations. Ailleurs, on est encore plus accommodant; le temps qu’on y consacre est pris indifféremment sur celui des récréations ou sur celui des études.
C’est de ce train qu’allaient les choses dans les établissements d’instruction supérieure et secondaire; mais, dans les écoles primaires, comment pouvaient-elles bien se passer? Ici, commence l’embarras. «Il serait difficile, dit en propres termes le rapport rédigé par M. Hillairet au nom de la commission, d’établir actuellement une statistique des écoles primaires où la Gymnastique est régulièrement et méthodiquement démontrée».
Pourtant, en France, partout où l’on parle de faire de la gymnastique, la proposition — le fait est constaté — est accueillie avec empressement.
Plus jalouses que l’Administration supérieure, sans doute, d’appliquer le décret de 1854, différentes communes: celles notamment de Péronne, de Saint-Omer, de Lille, de Laon, de Hazebrouck, de Compiègne avaient, à une date antérieure à 1868, introduit la Gymnastique à titre obligatoire dans les écoles primaires et fait construire des gymnases communaux-types, destinés également à toutes les parties de la population.
Entre tous, le département de l’Aisne s’était distingué. Il s’y était organisé dans les écoles primaires 242 gymnases; 3,200 enfants les fréquentaient. Les frais d’installation s’étaient réduits à la modeste somme de 8,679 francs, soit la moyenne de 37 à 40 francs par école. Des ressources communales, des souscriptions particulières, des allocations sur un crédit spécial de 3,000 francs voté par le conseil général avaient suffi à couvrir cette dépense. Les instituteurs primaires n’avaient pas été les derniers à prêter leur concours actif et éclairé pour installer ces gymnases et en assurer le bon fonctionnement.
A Épinal, une société particulière, formée en 1864, au capital de 10,000 francs, par MM. de Jarry et Conegliano, avait, avec l’appui de la municipalité, suppléé aux lenteurs officielles, en fondant un gymnase, qui prit une rapide et vaste extension.
Dans une petite localité de l’arrondissement de Gaillac (Tarn), à Puiceley, un instituteur primaire avait organisé un gymnase avec une somme minime. Il s’était d’abord occupé d’enseigner à ses élèves les exercices préparatoires, les mouvements d’assouplissement, les marches, les sauts auxquels les enfants prennent un vif plaisir et qui n’entraînent aucune dépense. Puis, peu à peu, avaient été achetés les barres de suspension, la corde à nœuds, les poignées brachiales, les barres parallèles, le trapèze. Bref, frappés des progrès que faisaient les enfants sous son intelligente direction, les adultes eux-mêmes étaient venus solliciter de lui des leçons.
Voilà ce que sait faire l’initiative privée en France, quand, par impossible, la sacro-sainte Routine n’en comprime pas l’expansion.
Les lignes qui suivent sont tristes. Nous les transcrivons du rapport de la commission ministérielle de 1868, sans y rien changer.
«En Alsace, la Gymnastique est depuis plusieurs années établie dans le lycée de Strasbourg et fort bien organisée dans le gymnase protestant. Mais, les écoles primaires ne sont pas aussi avancées qu’on aurait pu le croire. Cependant, un professeur habile, auteur d’un manuel très méthodique de gymnastique allemande, Neiser, est chargé de cet enseignement dans les écoles communales. Il en est de même à Colmar, où, il faut bien le dire, la grande masse, malgré toute l’insistance des personnes chargées de la direction de l’enseignement public, n’a pas, jusqu’à présent, profité de ces leçons aussi complètement qu’on aurait pu le désirer.
«Mais, on s’organise, on se prépare, et des conférences pédagogiques dans lesquelles seront traitées, devant les instituteurs primaires, toutes les questions afférentes à la gymnastique pédagogique, doivent avoir lieu à Strasbourg vers la fin du présent mois d’octobre. »
..... On s’organise, on se prépare..... Il doit s’ouvrir des conférences..... Cela, douze ans après le décret promulguant l’inscription de la Gymnastique aux programmes scolaires et moins de deux ans avant l’invasion allemande et le démembrement de la Patrie.....
«Cependant, continue le rapport, il ne faudrait pas conclure de ce qui précède que les populations de l’Alsace soient indifférentes à cette partie de l’éducation, car beaucoup d’écoles mixtes ont établi des gymnases où les leçons sont données pendant les récréations, et, dès le 1er octobre, les écoles de garçons et de filles de l’arrondissement de Wissembourg doivent être munies de gymnases. Les instituteurs et les institutrices y sont très disposés; il est question d’en doter toutes les écoles rurales. Déjà même, depuis quelques années, les élèves des écoles communales de Wissembourg et leurs maîtres prennent souvent part aux fêtes d’écoliers de leurs voisins les Allemands. Ces fêtes consistent en des excursions dans les Vosges, avec dîner en forêt, chants en chœur, jeux et courses, en exercices et manœuvres et, selon la communication de M. l’inspecteur de cet arrondissement, les enfants reviennent joyeux, pleins d’entrain et très disposés à reprendre leurs études.....»
Naïve sérénité, confiance aveugle!
Au point de vue militaire, il existait, en 1868, des gymnases au Prytanée de La Flèche, à l’École de Saint-Cyr, à l’École polytechnique, au régiment des sapeurs pompiers de Paris, et à l’École militaire de la Faisanderie, près Joinville-le-Pont.
Cette dernière institution dont nous aurons plus tard à parler longuement, à propos notamment de la gymnastique dite d’entraînement, n’est autre que la transformation de celle de Grenelle, et dont Amoros avait été directeur. L’organisation, en avait été confiée en 1852 à Napoléon Laisné et au colonel d’Argy.
Sous le rapport de l’enseignement, elle avait été, dans les dernières années de l’empire, l’objet de soins tout spéciaux; aussi y admettait-on, non sans fierté, des officiers de tous grades et de tous pays.
L’hospitalité, même, y était si large que M. le major de Stein y pouvait, à son gré, prendre des notes qu’il expédiait ensuite en Prusse, où l’on s’en servait pour introduire dans l’instruction et dans le matériel des gymnases allemands diverses modifications avantageuses.
En somme, défaut d’unité dans l’enseignement, défectuosités rédhibitoires dans l’installation du matériel, pénurie dans le recrutement du personnel, absence totale de méthode, tel était, il y a quinze ans, l’état de la Gymnastique en France. Et cela, en dépit de travaux théoriques et pratiques d’une valeur hors ligne, d’initiatives privées d’une énergie sans borne (Dally père, Triat, Paz, Pascaud), des dispositions les plus sympathiques, les plus empressées de la part des populations.
Et pourtant, ainsi que le fait remarquer, dans une conclusion d’une justesse inattaquable, M. Hillairet «partout où l’instruction populaire est très répandue, l’enseignement de la Gymnastique l’est également. Ainsi, en prenant la carte de l’Europe marquée par des teintes diverses qui correspondent au développement de l’instruction populaire, on voit sur un même plan et en première ligne, la Prusse, la Saxe, la Bavière, le duché de Bade, le Wurtemberg, etc., la Suisse, la Hollande, le Danemark et la Suède; ce sont précisément les pays où la Gymnastique est le plus en honneur, où elle fait partie du programme de la plus grande partie des écoles, où l’on a su l’élever au niveau de l’éducation intellectuelle en lui imprimant une direction toute scientifique et rationnelle. Sur un deuxième plan, on trouve la France, l’Angleterre (Écosse et Irlande), la Belgique; sur un troisième, l’Autriche, l’Italie et la Grèce; sur un quatrième, la Russie, l’Espagne et les États pontificaux. Toujours même parallélisme. Il y a là, un enseignement».
Oui, il y avait là un enseignement, et si l’on avait su, à temps, le mettre à profit, quelques années plus tard, le docteur Proust n’eût pas eu a faire la pénible observation que voici: «Lors du siège de Paris, en 1870, nous avons vu arriver la garde mobile de la province dans un singulier état d’ignorance des moindres mouvements du corps, marchant mal, se tenant mal, très rebelle aux mouvements d’ensemble, dépourvue, en un mot, de toute culture musculaire.»
Il a été publié, en 1874, sur l’état de la Gymnastique scolaire en Hollande, en Allemagne, dans les pays du nord de l’Europe et en France, un document des plus curieux. Il émane de MM. Braun, Brouwers et Docx. C’est un rapport au ministre de l’intérieur de Belgique. La plupart des faits signalés dans le travail de M. Hillairet s’y trouvent confirmés et y acquièrent, grâce à des investigations minutieuses, une précision nouvelle. Cette enquête approfondie est de nature à édifier sur les hautes proportions prises par la conception de la gymnastique outre-Rhin.
A propos de l’Institut spécial de Stuttgart, en particulier, dont la direction avait été confiée, de 1814, au docteur Jaeger, MM. Braun, Brouwers et Docx rapportent qu’à ses yeux «la Gymnastique touche à l’éducation générale de la nation, non seulement par la santé des jeunes gens qu’elle entretient ou qu’elle répare, mais par leur caractère qu’elle trempe et par leur esprit qu’elle élargit comme leur poitrine.»
Quelques pages plus loin, dans une judicieuse critique des exagérations germaniques, les rédacteurs du rapport rendent un hommage mérité aux efforts dont les gymnastes français avaient dès longtemps pris l’initiative en vue d’en modérer les excès. «Nous ne sommes pas les premiers, font-ils remarquer , à constater que les Allemands ont été trop loin dans l’emploi des instruments. M. E. Paz, envoyé de France en Allemagne pour étudier l’enseignement de la Gymnastique, dit, en parlant des exercices libres de Gutsmuths: «Nous ne sommes pas éloignés de
«croire que la vérité est davantage du côté de cette
«scolastique simple et naturelle que dans les éléments
«un peu trop périlleux qui font l’orgueil
«actuel des gymnastes allemands et suisses. Pour
«que la Gymnastique soit bonne, efficace, accessible
«aux deux sexes et à tous les âges, il faut, avant
«tout, qu’elle soit exempte de dangers; point d’exercices
«périlleux (à l’exception de ceux qui trouveront
«leur application pratique dans la vie), mais bien
«des mouvements sagement ordonnés et rigoureusement
«basés sur la conformation du corps humain
«et sur les besoins particuliers de chacun de ses
«organes.»
En ce qui concerne notre pays, MM. Braun, Brouwers et Docx relatent les décrets promulgués et les circulaires ministérielles lancées dans le but de favoriser l’expansion des exercices du corps de 1869 à 1872. Dans la circulaire, en date du 2 novembre 1871, et sous la signature de M. J. Simon, ministre de l’instruction publique et des cultes, il est fait appel à l’urgence d’observer strictement, sur ce sujet, les règlements, et il est prescrit aux recteurs d’Académie d’organiser sans retard l’enseignement de la Gymnastique partout où des instructeurs capables se pourront rencontrer.
En France, depuis lors, qu’a-t-il été fait? — Peu et beaucoup.
Peu, si l’on considère le but à atteindre. La Gymnastique n’occupe point encore aujourd’hui la place qui lui appartient dans les programmes scolaires d’un Etat démocratique.
Beaucoup, car il a été publié, depuis 1868, nombre d’écrits intéressants sur le sujet: Citons entre autres, ceux de M. Paz , du docteur Gallard , de Schmitz , du docteur Dally fils , des docteurs Chassagne et Dally , du docteur Schenstrom , du capitaine Barthès . Mentionnons d’une manière toute spéciale, d’abord, une publication confiée aux soins de la commission centrale de gymnastique et faite sous les auspices des ministres de l’instruction publique et de la guerre: celle d’un Manuel de Gymnastique et des Exercices militaires à l’usage des instituteurs . Mentionnons encore l’ouvrage de M. Michel Bréal dans lequel les considérations relatives à l’enseignement de la Gymnastique en Allemagne sont traitées avec autant de lucidité que d’à-propos .
Beaucoup, car aujourd’hui que l’attention publique s’arrête plus que jamais sur l’importance capitale des exercices du corps, aujourd’hui que de toutes parts se fondent des sociétés de gymnastes et que l’émulation s’alimente dans de brillants concours, aujourd’hui une vérité d’une portée considérable se fait jour. Cette vérité est celle-ci: En dehors de l’anatomie et de la physiologie, il n’est pas, pour la Gymnastique, de base solide. Déserter ce terrain, celui de la science, est courir gros risque de choir des exagérations dans les timidités de l’empirisme. Dès lors, sous le rapport des résultats tout autant que des préceptes, il ne resterait guère à attendre que contradiction, que confusion.
De nos jours, en France, la culture des forces corporelles est une urgence plus pressante que jamais, un objet, pour tous, de préoccupation constante.
Si, donc, sincèrement, nous mettons un espoir dans les bienfaits que l’instruction physique comporte, si, vraiment, nous avons à cœur de voir s’amplifier encore un essor dont on est, de toutes parts, frappé,. n’hésitons pas.
Pour ardu que puisse être le sujet, pénétrons-nous des notions anatomiques et physiologiques à défaut desquelles, nous serions dans l’impuissance d’apprécier, en matière de gymnastique, la valeur de tel procédé, de telle méthode; à défaut desquelles, à plus forte raison, nous serions dans l’incapacité de donner, aucun conseil, de diriger aucun enseignement.
Aux esprits frivoles, l’étude des questions afférentes aux connaissances techniques auxquelles nous faisons allusion semblera, peut-être, aride. L’intérêt qu’y prennent les esprits réfléchis est, d’ordinaire, sérieux.