Читать книгу La gymnastique : notions physiologiques et pédagogiques, applications hygiéniques et médicales - Alfred Collineau - Страница 7
ANTIQUITÉ
ОглавлениеA). Temps préhistoriques: Pratiques gymnastiques instinctives ou raisonnées des races inférieures. — Conclusions. — B). Civilisations chinoise, indoue et indo-chinoise: Origine, immutabilité du peuple chinois. — Les empereurs Chin-Nong et Hoang-Ti. — Pratiques et théories gymnastiques des Chinois. — Le Cong-Fou. — Origine du peuple indou. — Ses contacts avec les races mongoliques. — Méthode de gymnastique médicale des Indous. — Ses rapports avec le Cong-Fou. — Siamois, Birmans, Annamites, Laotiens; influence des mœurs chinoises sur ces différents peuples. — C) Antiquité grecque et romaine: Les Grecs. — La Gymnastique, institution nationale. — Les Jeux Olympiques, Isthmiques, etc. — Divisions de la Gymnastique chez les Grecs. — Les gymnases à Athènes et à Sparte, — Herodicus, Iccus; leurs doctrines. — Hippocrate, Platon; leurs réserves. — Influence des médecins sur le développement de la Gymnastique en Grèce. — Les Romains. — Importation des pratiques gymnastiques chez les Romains, ses conséquences. — Asclépiade de Bythinie. — Titus Aufidius et Themison. — Musa. — Celse. — Galien. — Influence des médecins sur le développement de la Gymnastique à Rome. — L’empereur Julien. — Oribaze, son œuvre. — La décadence.
A). TEMPS PRÉHISTORIQUES. — Aux temps préhistoriques, à l’époque miocène, à l’âge tertiaire, où l’homme, contemporain du grand singe anthropomorphe, luttait pour l’existence, armé d’une pierre taillée et d’un bâton grossièrement ouvré, quelles conceptions plus ou moins confuses ont bien pu germer dans son cerveau en vue d’entretenir et d’accroître les aptitudes organiques que la nature lui avait dévolues; aptitudes dont l’incessant emploi était alors une condition péremptoire de vie ou de trépas?
Dans l’état actuel de la science, le problème n’est pas inaccessible.
Il faut en demander la solution aux observations positives auxquelles se prêtent les populations qui, à notre époque, demeurent stationnaires, rebelles à tout contact avec le monde civilisé et irrémédiablement frappées d’un arrêt de développement.
Australiens, Papous, Mélanésiens, Nègres de Guinée, Bochimans, Hottentots, Cafres, Andanamites, Weddahs de Ceylan, Botocudos, Dravidiens, Aïnos, Esquimaux, peuples dits Mongoliques, Javanais, Malais, Polynésiens, Delawares, Sioux, Pawnis, Caraïbes, Péruviens, Araucans, Patagons, Fuégiens reflètent de nos jours la vivante image de bon nombre de ces étapes antérieures franchies par nos ancêtres, avant d’être parvenus, sous le rapport intellectuel et social, à un degré supérieur d’évolution.
Deux livres projettent une vive lumière sur le sujet. C’est celui de M. Alphonse Bertillon: Les races sauvages et celui de M. Abel Hovelacque: Les races humaines considérées surtout dans leurs types inférieurs. Les caractères anthropologiques et ethnographiques qui les distinguent y sont exposés avec une précision rigoureuse, et ces descriptions livrent des documents propres à élucider l’obscure question que nous posons.
Le défilé auquel M. Alphonse Bertillon et M. Abel Hovelacque font assister suggère plus d’une remarque. Les aptitudes et les coutumes de ces races dont les unes ont franchi les premiers degrés seulement de l’Évolution et dont les autres sont entrées dans la voie de la régression depuis une époque déjà reculée, donnent une idée générale des préoccupations dont est tourmentée et de l’ingéniosité dont est capable l’Humanité à ses débuts.
Le besoin commande. Il y a pénurie de moyens d’action. Les forces intrinsèques dont l’organisme dispose reçoivent un appel pressant.
Dans la lutte pour la vie, on cherche en soi les éléments de résistance. Ainsi que l’Australien, le Nègre, le Peau-rouge, l’Araucan, le Patagon, on devient chasseur et guerrier. Des hordes de chevaux sauvages hantent le pays; Patagon, Araucan, Peau-rouge, en s’en empare. Des cours d’eau le sillonnent, l’Océan bat ses rives; on se fait pécheur comme l’Australien, l’Andamanite, l’Esquimau. Il faut vivre.
Mais vivre n’est pas tout. Une curiosité d’enfant vous aiguillonne; on aime ce qui brille, ce qui paraît; on se sent enclin à tout imiter. Et puis, familiarisé dès l’enfance, avec l’intempérie des saisons, rompu de longue main aux exercices de force, on est vigoureux. Vigoureux, on est hardi. Alors, sans souci du danger, pour satisfaire ses goûts, on affronte, comme le Nègre de Guinée, comme le Caraïbe, comme le Malais, d’aventureuses traversées, et les forces corporelles se développent soit dans le sens de la marine, soit dans ceux de la pêche, de la natation, de l’équitation, de la chasse.
Parfois, ainsi que le Weddah et l’Andamanite en sont des exemples, l’aversion pour le travail trouve dans les dispositions natives pour la Gymnastique un allié, et pour garantir sa sécurité personnelle durant le repos, on préfère grimper au sommet des arbres, plutôt que de se construire un logis.
Est-ce l’esprit militaire qui domine? on en arrive — le Cafre le prouve — à réglementer avec une sévérité rigoureuse, à exécuter avec une précision irréprochable, les exercices spéciaux: saut, marche, course, évolutions, etc., à défaut desquels, même au sein des civilisations avancées, le mot de force armée est fiction.
La cohésion se fait; on en a conscience. Le sentiment de la solidarité s’éveille; on se sent ou l’on croit se sentir le plus fort. On rêve de conquêtes; et l’on se lève en masse pour de lointaines campagnes.
Rebelles à toute organisation sociale, d’autres vivent sans famille, sans vêtements, sans logis. Le Bochiman en est le type le plus accompli . Sa curiosité ne connaît pas de bornes; mais ses idées restent puériles. Il compte jusqu’à deux, et s’arrête là.
Il a pour armes l’arc et la flèche empoisonnée. Il s’exerce à s’en servir; rien de plus. Mais il a acquis par l’exercice une qualité maîtresse: il est d’une incroyable agilité .
Parfois, on voit poindre le sens artistique dans ce qu’il a de plus exquis. Le Papou chante et sculpte. La danse, cette manifestation naïve entre toutes de l’art, la danse accompagnée d’une mimique plus ou moins expressive est cultivée presque partout.
Ailleurs, ce sont les dispositions au négoce, à l’industrie, à l’agriculture qui se révèlent.
De la sorte, la race franchit sa première étape. Les circonstances sont-elles adverses; elle s’y use et dépérit. Les Fuégiens, les Botocudos, les Polynésiens en sont, parmi tant d’autres, le triste témoignage. Les circonstances sont-elles propices; la race se perfectionne, et un jour vient qu’elle fait son entrée définitive dans la civilisation.
L’effort instinctif de résistance dont chaque individu la composant à ses débuts, a su faire preuve, mesure la puissance de son essor.
B). CIVILISATIONS CHINOISE, INDOUE ET INDO-CHINOISE. — Dès les premières pages de son livre: La Sociologie, le docteur Letourneau pose en principe ceci: nulle race inférieure au point de vue anatomique n’est parvenue, jamais, à fonder une civilisation supérieure. La. coïncidence entre un état social rudimentaire et l’infimité des caractères anthropologiques est en effet constante. «Jamais le noir abandonné à lui-même, sans mélange avec les races supérieures, n’a su créer de civilisation élevée. Sous ce rapport, l’homme jaune, le Mongol, est de beaucoup supérieur. De bonne heure, les meilleurs représentants de ce type, les Mongols asiatiques, ont formé de grandes sociétés, savamment organisées, qui, comme la Société chinoise, rivalisent avec les civilisations des races blanches, et, sous certains rapports, peuvent même leur servir de modèles....
«En dépit de ses imperfections, de ses faiblesses et de ses vices, la race blanche, sémitique et indo-européenne tient, cependant, pour le présent, la tête dans le Steeple-chase des groupes humains. C’est dans le sein des groupes ethniques de la race blanche, que l’énergie intellectuelle a pris l’essor le plus varié, le plus luxuriant; c’est là que l’art, la noblesse morale, la science, la philosophie se sont le plus largement épanouis.»
Aux temps les plus reculés de l’Histoire, ces deux fortes races furent se mettre en contact avec les noirs aborigènes de l’Archipel malais, de la presqu’île de Malacca, de Ceylan, de toute la moitié méridionale et orientale de l’Inde.
La race mongolique qui domine dans les trois quarts du continent asiatique a conservé ses caractères plus intacts encore dans le Thibet, la Chine, le Japon.
La race blanche aryenne, qui occupe le quart sud occidental de l’Asie a, dans le nord-ouest de l’Inde, gardé son ancienne pureté.
Grâce au culte que professent pour la tradition les Indous et les Chinois, leurs institutions se sont perpétuées à travers les âges, et il a été possible de recueillir sur leurs débuts aussi bien que sur leur état actuel, quelques documents précis.
CIVILISATION CHINOISE. — D’une manière générale, toute civilisation primitive tient en grand honneur la Gymnastique.
La civilisation chinoise n’a point failli à la règle. On peut même dire qu’à cet égard, elle a donné l’exemple, puisqu’elle est une des plus anciennes; — non la plus ancienne, car on trouve en Asie même, et en Amérique des vestiges de civilisations déjà peut-être éteintes alors que commençait à poindre celle de l’empire du Milieu. Mais elle a peu varié, c’est là le point intéressant.
«Le caractère le plus saisissant de la civilisation chinoise; dit le docteur Max Durand Fardel est sa durée. Toutes celles dont l’histoire a recueilli l’existence; aussi bien celles dont tout lien avec les temps modernes s’est brisé que celles dont la mémoire revit encore parmi nous, ont disparu. La Chine seule est restée debout. Elle est restée debout et en apparence immuable, car les changements que la succession des siècles apporte dans l’esprit et dans les habitudes des peuples ne semblent pas l’avoir atteinte. Telle elle était, il y a plusieurs milliers d’années, telle, à peu de chose près, elle paraît être aujourd’hui...»
Les renseignements modernes que l’on obtient sur ses origines offrent donc les plus sûres garanties d’authenticité. Chose curieuse! Deux des premiers empereurs de la Chine, Chin-Nong et Hoang-Ti, passent pour avoir posé les bases et fixé, de toutes pièces, les règles de la médecine et de l’hygiène. Ce serait près de 3000 ans avant l’ère actuelle que cette double institution aurait vu le jour.
D’après Cleyer un ouvrage ayant pour titre: Le secret du pouls résume, pour les Chinois, les préceptes fondamentaux de l’art de guérir. Cette sorte de compendium est, selon le docteur Bricheteau «une composition assez bizarre dont les parties sont mal coordonnées les unes par rapport aux autres et souvent opposées dans les principes qu’elles renferment, ce qui annonce manifestement qu’elles ont été rassemblées par des mains différentes». Toujours est-il qu’il a été écrit à satiété, en Chine, sur le pouls, au point de vue du diagnostic et du pronostic, tant dans l’état de santé que dans l’état de maladie; et que ces interminables traités, hérissés de métaphysique, sont, pour la plupart, incompréhensibles, de l’aveu même des médecins chinois.
Les préceptes de l’hygiène, dont l’empereur Hoang-Ti semble s’être spécialement préoccupé, embrassent ceux de la gymnastique. L’exposé des exercices que devait, à ses yeux, comprendre celle-ci a été publié en l’an 2698 avant notre ère, sous le titre de Cong-Fou . Les prêtres du Tao ne tardèrent pas à en obscurcir les doctrines en y mêlant le mystère et la superstition. C’est ce qui a conduit Bricheteau à passer très légèrement et à en comparer les adeptes aux convulsionnaires de Saint-Médard.
Pourtant, en 1779, Amyot avait publié sur le Cong-Fou un mémoire dans lequel ce... Manuel de gymnastique, si l’on peut s’exprimer ainsi, est présenté dégagé de tout le fatras d’inepties dont la supercherie des prêtres et la crédulité des fidèles l’a surchargé.
Le docteur Chancerel en a donné un extrait très détaillé. En voici les traits fondamentaux.
Les pratiques gymnastiques qui composent le Cong-Fou consistent dans différentes postures ou attitudes et dans différentes manières de respirer.
Les trois attitudes principales sont: 1° la station debout, les pieds rapprochés et les bras pendants, — un pied en l’air, — le corps penché, — les deux bras ou un seul tendus horizontalement, etc.; 2° la station assise, les jambes pendantes, tendues ou croisées, — le corps droit ou penché, etc.; 3° la station couchée, sur le dos, — sur le côté, etc.
«Nous ne craignons pas de le dire, fait observer Amyot, en réunissant toutes les postures et attitudes des comédiens, des danseurs, des sauteurs et des figures académiques, on n’aurait pas la moitié de celles qu’ont imaginées les prêtres du Tao.»
Le Cong-Fou distingue trois manières de respirer: par la bouche, par. le nez; par la bouche pour l’inspiration et par le nez pour l’expiration.
«Dans ces trois manières de respirer, tantôt c’est l’inspiration qui est précipitée, filée, pleine ou éteinte; tantôt c’est l’expiration; tantôt aussi elles le sont l’une et l’autre.»
Maintenant, quelle est l’action attribuée à ces pratiques sur l’organisme? D’après Amyot, M. Chancerel en dit ce qui suit: Aux yeux des Chinois, «le mouvement établit l’équilibre de la circulation.
«La respiration est le balancier qui entretient le mouvement de composition du sang.
«Le mouvement pratiqué de certaines manières augmente ou diminue les deux obstacles de la circulation: pesanteur et frottement.
«La respiration pratiquée d’après des règles spéciales, change le mode de vitalité de certains organes.
«Plus la circulation a été gênée en un endroit, plus elle s’active en cet endroit, une fois l’obstacle levé.
«La respiration change la composition et la proportion des principes du sang et agit sur les sécrétions. »
Sous le rapport physiologique, ces interprétations n’ont rien, on en conviendra, que de plausible. Si l’on tient compte du préjugé invincible qui, en interdisant la dissection, paralyse en Chine les progrès de l’anatomie, il en est même qui dénotent une rare sagacité d’observation.
En somme, réglementée avec la minutie par laquelle le Chinois se distingue, sa gymnastique est l’application de cette maxime: Perfectionne-toi toi-même; renouvelle-toi complètement chaque jour; fais-le de nouveau et toujours de nouveau.
CIVILISATION INDOUE. — Nous sommes loin de posséder sur la Gymnastique des Indous des renseignements aussi positifs. Jusqu’ici les explorateurs ne sont pas parvenus à rassembler les faits qui s’y rattachent.
D’après M. Hovelacque , «la population aryenne de l’Hindoustan a subi presque partout de sérieux métissages. Elle a dû s’implanter d’abord sur un fond Dravidien à peau plus ou moins noire; elle a eu ensuite à supporter plus d’une invasion de races de l’Asie centrale à type mongolique. Cependant le caractère vraiment aryen a persisté dans le pays des Radjpoutes, entre l’Indus au nord-ouest, le Gange à l’est et les monts Vindhya au sud.» Il s’ensuit qu’en matière d’hygiène et de médecine, les idées ayant eu cours en Chine ont dû prendre également racine dans l’Hindoustan; il s’ensuit encore qu’en raison des caractères tranchés de la race qui les adoptait, ces idées ont dû subir des transformations notables. Toujours est-il que les Indous possèdent une méthode positive de gymnastique et que l’époque de la promulgation de cette méthode concorde à peu près à celle du Cong-Fou.
En Inde comme en Chine, les prêtres se sont vite emparés d’un aussi puissant agent de suprématie; et les livres traitant des applications thérapeutiques ou physiologiques de cette science sont exclusivement entre leurs mains. Quant à cette science. elle-même, selon M. Chancerel elle comprend l’art de retenir son haleine, certains mouvements, le massage et les frictions de la peau.
Le côté médical proprement dit de la question paraît avoir particulièrement captivé l’attention des Indous; mais on aurait tort de croire que cette préoccupation les ait empêchés d’envisager les autres. Le massage, la friction, la percussion, les onctions sur la. peau sont employés, à titre purement hygiénique, par les nababs. Et ce n’est pas tout; ils se sont adonnés avec persévérance aux exercices gymnastiques de caractère guerrier; n’est-ce pas, en effet, de chez eux qu’a été importée l’escrime au bâton et au sabre?
CIVILISATIONS INDO-CHINOISES: Siamois, Birmans, Annamites, Laotiens. — Des haines féroces ont jeté les uns sur les autres les peuples qui habitent la partie orientale de la péninsule indo-chinoise. Avec la cruauté atroce des orientaux on s’est entre-déchiré durant des siècles. Il a coulé des flots de sang.
Aujourd’hui, grâce surtout à l’intervention française, l’animosité entre les plus puissants empires de la région, celui d’Annam et celui de Siam, est apaisée.
D’une crédulité sans bornes, le Siamois est, plus qu’aucun peuple, enclin à la soumission, et respectueux de la hiérarchie. «Cette conception de l’autorité, dit M. Hovelacque et du respect irraisonné qui lui est dû, s’associe aisément à une superstition vraiment incompréhensible. Tout ce que les religions de l’extrême Orient ont apporté à Siam de merveilleux et d’insensé a été accueilli avec enthousiasme et le peuple est exploité à fond par ses talapoins.» Si la métaphysique qui encombre le Cong-Fou en rend le texte indéchiffrable pour les médecins chinois eux-mêmes, quel inextricable tissu d’absurdités doivent être les doctrines scientifiques d’un peuple courbé sous le joug de la caste sacerdotale et prompt à accepter toute domination?
Mieux doué, le Birman se caractérise par une assez grande vivacité. Tempérant et industrieux, il se contente de peu, mais il n’est rien moins que laborieux. Ses besoins assurés, il ne songe qu’à flâner et à fumer l’opium.
Des habitants de la presqu’île, l’Annamite occupe, sous le rapport de l’intelligence et de l’activité, le premier rang; sous celui de l’origine, il se rapproche beaucoup du Siamois; il provient du Thibet.
Pendant plus de douze siècles, de 399 à 1650, son histoire n’est qu’une sanglante succession de luttes contre le peuple Malais. Il finit par triompher; mais ainsi qu’il arrive d’ordinaire, le vaincu laissa imprimée sur le vainqueur son ineffaçable empreinte.
A son tour, et à diverses reprises, l’Annamite eut à subir la domination chinoise. Il est résulté de tout cela d’innombrables croisements et, chose curieuse, sans qu’il ait été porté atteinte à l’homogénéité de la race, laquelle a fourni ainsi la preuve de sa vitalité propre.
D’après le docteur Harmand on peut dire qu’au point de vue des coutumes «la Chine a exercé sur la race annamite une action analogue (mais incomparablement plus forte encore) à celle que les Romains ont eue sur nous-mêmes dans les Gaules.»
Il est permis d’en inférer que les pratiques en matière d’hygiène et de gymnastique n’y sont pas sans similitude avec celles des Chinois. La longue carrière belliqueuse de l’Annamite a dû leur imprimer une direction guerrière dont la tradition n’a pas survécu, paraît-il, à la pacification.
Quant à l’habitant, enfin, de la vallée de Mé-Không, au Laotien, il a semblé à M. Harmand , notablement inférieur à l’Annamite... «Il n’y a, dit-il, aucun fond à faire sur cette race quasi-morte avant d’avoir vécu ou n’ayant jamais dépassé l’âge de l’enfance.»
Et pourtant, au rapport du même auteur, «bien que sans forces musculaires remarquables, le Laotien est apte à fournir de longs travaux tels que la nage, la marche, la course, sans autres aliments que quelques poignées de riz gluant.»
Il est impossible de ne pas voir là l’influence d’un dressage et d’exercices assidus. De même, en termes plus généraux, ces collisions incessantes dans lesquelles durant des siècles, les peuples de l’Indo-Chine se sont heurtés, n’ont pu manquer d’imprimer à la direction de leurs aptitudes physiques un sens particulier, et c’est nécessairement dans le sens de la guerre que ces aptitudes ont dû trouver leurs conditions de développement.
C). ANTIQUITÉ GRECQUE ET ROMAINE. — Les Grecs ont su élever la Gymnastique à la hauteur d’une institution nationale.
Par l’importance qu’ils attachaient et le temps qu’ils consacraient à ses pratiques, ils se proposaient un double but: un but physiologique, celui de faire des hommes bien portants, alertes et vigoureux; un but politique, celui de nouer des relations amicales de peuple à peuple, de citoyen à citoyen.
A époque fixe, la Grèce entière s’assemblait à Olympie, à Delphes, à Némée, dans l’isthme de Corinthe. On y engageait des luttes,... on y soumettait au jugement public les œuvres d’art... Les poètes, les philosophes y donnaient lecture de leurs productions..... Dans les gymnases, la jeunesse briguait toutes sortes de triomphes.
Les jeux olympiques, en particulier, étaient en faveur. Ils duraient cinq jours et, consistaient, d’après M. Dauban , dans: La lutte, où l’on cherchait à terrasser son adversaire; — le pugilat, combat à coups de poing; — le pancrace, mélange de la lutte et du pugilat, où on cherchait à frapper et à étreindre son adversaire; — le disque ou palet, auquel prenaient part les discoboles (lanceurs de disque); — le panathle, ensemble des exercices militaires; — la course à pied, à cheval, en char.
Quel que fût son rang, il n’était personne qui n’y attachât un grand prix, car chacun avait conscience des bienfaits inséparables d’une aussi virile impulsion.
«A quelle influence politique et morale, se demande Baillot , dans son style imagé, les peuples renommés de la Grèce durent-ils donc si longtemps leur prééminence sur les autres peuples, et les lauriers de la gloire, et les palmes des lettres et des arts? Aux institutions vigoureuses que Lycurgue alla puiser chez les Crétois, que Solon, que leurs plus grands philosophes ravirent à la sagesse des nations les plus éclairées alors; à ces institutions dont le type n’exista sans doute que dans la primitive Egypte avant que les Pharaons et les prêtres de Thèbes et de Memphis, ligués contre l’essor de la pensée, eussent créé deux langages, organisé deux cultes et séparé la race humaine en conducteurs avides, en bétail dégénéré. Ce qui nous a été transmis des longues épreuves que subissaient les initiés aux mystères d’Isis atteste le prix qu’on attachait à la force physique, aussi bien qu’à l’énergie morale, et qu’il fallait avoir exercé ses organes musculaires et son intelligence, pour sortir avec avantage de la lutte où toutes les facultés du néophyte se trouvaient si puissamment engagées.»
Au rapport de Cicéron, la victoire aux jeux olympiques était regardée comme aussi glorieuse que l’honneur du triomphe chez les Romains.
«La couronne qui ceignait le front du vainqueur, les esclaves, les chevaux, les vases d’airain, les coupes d’argent artistement ciselées, que Thèbes, Tégée, Argos, Sycione et d’autres villes accordaient aux athlètes victorieux, n’étaient, dit de son côté saint Jean Chrysostôme, que la moindre récompense de leur force et de leur dextérité ; ceux qui avaient mérité le prix, comblés d’éloges et de présents, devenaient en quelque sorte, l’objet de la vénération publique. Une palme à la main, vêtus d’une robe ornée de fleurs éclatantes, précédés d’un héraut qui proclamait leur nom, ils foulaient aux pieds, en parcourant le stade, les roses que l’allégresse semait sur leurs pas. Un triomphe plus flatteur encore les attendait dans leur patrie; montés sur un quadrige, environnés de l’élite des citoyens, ils entraient par une brèche dans la ville qui se glorifiait de leur avoir donné le jour. Trois cents chars attelés de chevaux blancs précédèrent celui de l’athlète Exanète.»
Les Grecs divisaient la Gymnastique en quatre parties:
1° La Palestrique, se composant des exercices dits naturels: course, saut, natation, ceste, lutte;
2° L’Hoplomachie comprenant le maniement des armes;
3° L’Orchestrique où l’on s’initiait aux danses religieuses;
4° La Gymnastique médicale, l’une des sources principales de la médecine grecque, selon Littré .
Athènes possédait un grand nombre de gymnases: l’Académie, le Lycée, le Canope, le Cynosarge (ce dernier réservé aux gens de basse condition). Il existait en outre, dans la ville même, des palestres où les athlètes et les concurrents aux jeux olympiques, en particulier, allaient s’exercer.
Le personnel attaché aux gymnases se composait: de directeurs appelés Gymnasiarques ou Palestrophylax que concernait le régime, l’hygiène des néophytes; de surveillants; de Gymnastes représentant plus spécialement l’élément médical, et chargés du traitement des malades qui venaient demander aux exercices corporels le retour de la santé ; enfin, de subalternes: les Aliptes (ils se décorèrent plus tard du titre de Iatraliptes) , ayant pour emploi de seconder les gymnastes dans le pansement des ulcères, des fractures et des plaies, de faire les saignées, de pratiquer frictions, massages, et d’administrer les bains .
Sparte, sous ce rapport, n’avait rien à envier à Athènes., La Gymnastique n’y était pas tenue en moins grand honneur. Même, elle y était pratiquée avec cette austérité devenue proverbiale dont les Spartiates faisaient preuve en tout. Dès l’enfance, on y préludait. Les jeunes filles, jusqu’au mariage, avaient leur entrée au gymnase. De leur personne, elles prenaient part aux exercices. Pour l’adresse et l’audace elles rivalisaient avec les hommes. Les devoirs de la famille seuls les tenaient à l’écart.
«Tous, hommes, adolescents, dit Baillot , passaient au gymnase une partie de leur vie. Réunis en troupes dans le plataniste , leurs combats dès l’âge de seize ans, ne se terminaient, sous les regards des magistrats, que lorsque ceux d’un parti se trouvaient réduits à traverser l’Eurotas à la nage.»
Un directeur de Palestre, Hérodicus avait remarqué que ceux d’entre ses élèves dont la constitution était naturellement débile, parvenaient, à la faveur des exercices corporels, à se fortifier; de même que ceux qui apportaient des dispositions premières plus avantageuses, ne tardaient pas à acquérir une vigueur surprenante. Valétudinaire lui-même, au rapport de Platon, et atteint d’une maladie réputée incurable, il en avait été délivré en pratiquant les jeux de son académie. «Ses premières observations et ses premiers succès décidèrent, dit Bally , sa vocation; et après avoir pris la résolution de renoncer à l’enseignement des jeux isthmiques , il conçut le plan d’une gymnastique toute médicinale dont il traça les règles.»
Grâce à l’initiative d’Hérodicus, la Gymnastique en Grèce entra dans une phase nouvelle. C’est à lui qu’en revient l’honneur. Il compte encore celui d’avoir été un des maîtres d’Hippocrate.
Iccus de son côté, se préoccupa beaucoup de réformes à apporter au régime des athlètes et ne cessa de préconiser la plus sévère sobriété.
Iccus à Tarente et Hérodicus à Athènes, ont fait faire un grand pas aux institutions relatives à l’enseignement de la Gymnastique.
Trop souvent, il arrive aux promoteurs d’une idée de s’en exagérer la portée et d’en outrer les conséquences. Cet écueil, Hérodicus ne sut pas l’éviter. D’une complexion débile, souffrant depuis longtemps d’une maladie grave, il avait fini par prendre le dessus. Les moyens dont il avait fait l’expérience sur sa propre personne lui avaient, — appliqués sur des tiers, — donné des résultats encourageants. Il se laissa emporter par l’enthousiasme. Il poussa les choses à l’excès.
Sous prétexte de les guérir de la fièvre, il n’hésitait pas à expédier à pied, ses malades d’Athènes à Éleusis, en leur recommandant de prendre par Mégare, puis, une fois en vue d’Éleusis, de rebrousser chemin et de revenir à Athènes sans s’arrêter.
La distance était de 180 stades,.... soit, en langage moderne, 33 kilomètres pour l’aller, autant pour le retour; total: 66 kilomètres. C’est excéder les forces d’un homme en santé, à plus forte raison celles d’un fébricitant; c’est jouer avec la vie des gens que de se laisser aller à des excentricités semblables. Les doctrines, si fécondes pourtant à tant d’égards, d’Hérodicus auraient dû en sombrer du coup.
Par bonheur, il avait eu Hippocrate pour élève. Le sens critique, l’indépendance de vues, l’incomparable génie d’observation qui l’ont immortalisé mirent Hippocrate en situation de discerner ce qui, dans les errements du maître, pouvait être scientifiquement applicable de ce qui n’était qu’empirisme, illusion, témérité. Dans la sûreté de son jugement, il fit la part. A ce sujet, du reste, voici en quels termes il s’exprime: «Hérodicus, dit-il, faisait périr les personnes atteintes de fièvre par des promenades et des exercices forcés, et bon nombre de ses malades se trouvaient fort mal de ses frictions sèches.»
Il est difficile de réagir contre une exagération qu’on blâme en termes plus catégoriques. Et pourtant la pensée d’Hippocrate se dégage plus accentuée encore, s’il se peut, dans plusieurs de ses aphorismes.
Exemple: Il est dangereux de parvenir au plus haut degré de vigueur dans les exercices gymnastiques, par la raison que cet état ne peut rester toujours au même point ni se soutenir sans variations. Puisqu’il ne peut se soutenir ainsi et que cependant il ne peut s’améliorer, il est inévitable qu’il s’empire. Donc, il est utile de dissoudre sans différer, cet excès de vigueur par des purgatifs et des saignées, afin que le corps se restaure de nouveau.
C’est de la proportion exacte entre l’exercice et la santé que résulte l’harmonie des fonctions.
Il ne faut pas que l’on s’y trompe; les athlètes tels que certains esprits exclusifs et étroits les avaient compris en Grèce, n’étaient en aucune façon un modèle à faire revivre, un idéal à proposer. «Impropres au service militaire, ils n’avaient, selon Littré , de supériorité qu’à la condition de conserver la régularité de leur nourriture et de leurs exercices; dès-qu’ils s’en écartaient leur vigueur s’évanouissait. La faim, la soif, les marches forcées, les nuits sans sommeil, les intempéries des saisons, ils ne pouvaient rien supporter. Ces corps puissants et d’une efficacité si grande quand ils étaient placés à Olympie ou à l’isthme de Corinthe, avec toutes les conditions de leurs succès, se détérioraient très promptement sous l’action des causes fortuites. C’étaient (l’expression n’est pas mal appliquée, bien qu’il s’agisse d’athlètes) des natures délicates qu’un rien troublait, des produits de l’art que l’art seul pouvait maintenir».
Tel est le genre d’abus contre lequel Hippocrate s’est élevé. Platon, dans une de ses lettres, déclare partager l’avis d’Hippocrate.
Ceci se passait quatre siècles environ avant Jésus-Christ, peu avant la guerre du Péloponèse.
Malgré tout, l’énergique effort d’Iccus à Tarente et d’Hérodicus à Athènes, eut le don de captiver les esprits. Leurs académies servirent de modèles à de nombreuses institutions analogues. La médecine déserta le mystère des temples pour élire domicile en pleine lumière dans les gymnases. Frappés des inestimables avantages de pratiques qu’ils voyaient de jour en jour se généraliser, des médecins tels que Polype, gendre d’Hippocrate, Dioclès, Praxagore, Philotime, Érosistrate, Hérophile, Théon se consacrèrent à les rendre, par une étude approfondie, et plus rationnelles et plus salutaires encore. «C’est ainsi, selon la judicieuse remarque de Bally , que peu à peu on se délivra du monopole et des jongleries exercés par les prêtres qui s’étaient attribué le droit exclusif d’appliquer l’art de guérir.»
Les Romains héritèrent du goût prononcé qu’on avait en Grèce pour la Gymnastique. Après la conquête, ils s’approprièrent les institutions qui y avaient trait. Ils importèrent notamment la coutume des jeux olympiques; mais ils en dénaturèrent l’esprit. L’organisation de la Gymnastique à Rome resta toujours moins méthodique qu’à Sparte et qu’à Athènes. Ce fut, plutôt qu’autre chose, le métier des armes qu’on se proposa de perfectionner, par l’application de ses procédés. Le caractère essentiellement militaire de la nation se reflétait en tout. Aussi, est-ce du mot exercitium (exercice) qu’est venu celui d’exercitus (armée) parce que plus les troupes sont exercées, plus elles sont aguerries. «Miles in mediâ pace, dit Sénèque, decurrit sine ullo hosti, telum jacet et supervacuo labore lassatur ut sufficere necessario possit.»
En pleine paix, en effet, dès que les jeunes Romains avaient revêtu la robe virile, on les conduisait au Champ-de-Mars; et là, on les exerçait selon toutes les règles de la discipline militaire. «Le Champ-de-Mars, font remarquer MM. Dauban et Grégoire , était le rendez-vous de toute la ville dans l’après-midi; les uns venaient s’y exercer à des évolutions militaires, ou jouer à la paume, les autres s’y promener...»
Ce déploiement des forces corporelles, auquel, dès leur jeunesse, étaient quotidiennement assujettis les Romains, les préparait d’ailleurs admirablement aux fatigues de la guerre. «Ce n’était plus qu’un jeu pour eux, au dire de Pitiscus, que de porter, outre leurs armes, de pesants fardeaux, d’entreprendre de longues marches, de creuser des fossés, de faire des circonvallations et tous les ouvrages nécessaires pour le siège et l’attaque d’une ville. Les jours que les soldats n’étaient pas de faction dans leur camp, ils se rompaient au maniement des armes, tiraient de l’arc, lançaient des pierres avec la fronde et, tout armés, disputaient le prix de la course. C’était le moyen de les tenir toujours en haleine et de ne pas laisser refroidir leur ardeur.
«Pendant la paix on leur faisait construire des chemins, ériger des édifices et bâtir même des cités entières.... Ces usages servaient en outre à rendre le soldat plus docile et à lui ôter l’envie de se révolter. Ce ne fut que la négligence de cette discipline qui causa la perte de la milice romaine.»
Rien d’admirable, en effet, pour emprunter à MM. Dauban et Grégoire leurs propres expressions, comme la discipline à laquelle les Romains durent leurs victoires. Le secret de leur puissance est dans la fréquence et la variété des exercices et des travaux auxquels le soldat était soumis.
Plus que jamais ces allégations et les faits sur lesquels elles reposent nous semblent à méditer.
Peu à peu, aux virils exercices du Champ-de-Mars, se substitua la dissolvante coutume des jeux du cirque. Un jour vint qu’ils tombèrent dans un complet oubli. Cette date marque celle de la décadence de l’empire romain.
Ce n’est pas, pourtant, que des voix autorisées aient failli de se faire entendre à Rome, en faveur des exercices du corps. Au temps de l’empire comme à celui de la république, les médecins les plus illustres n’ont cessé, au contraire, de les préconiser.
Contemporain de Pompée selon les uns (d’Alembert et Diderot), de Néron selon les autres (Curt Sprengel) Asclépiade de Bithynie usait très largement dans sa pratique, à titre d’agents thérapeutiques, des frictions qu’il s’ingénia à rendre agréables et faciles par des procédés à lui spéciaux, des courses modérées en voiture et sur l’eau, qu’il réglementait avec une rigueur extrême, des bains froids, des affusions d’eau froide, et surtout des douches, dont M. Chancerel pense être en droit de lui attribuer l’invention.
Titus Aufidius et Themison, ses élèves, le suivirent dans cette voie avec ardeur.
Musa, l’affranchi et le médecin d’Auguste, eut recours à son tour à l’hydrothérapie et lui dut de brillants succès.
Celse qui, au dire de Bianconi, fut secrétaire particulier de Tibère, a laissé sur l’art de guérir une œuvre justement estimée. Elle a pour titre: De re medicâ, Des choses de la médecine. Elle est divisée en huit livres, subdivisés eux-mêmes en chapitres, puis en sections ou paragraphes.
Eh bien, Celse attachait une telle importance à la Gymnastique qu’il ne termine jamais une section sans indiquer le genre d’exercices qui conviennent soit au point de vue curatif, soit simplement à celui de l’hygiène au sujet dont il traite , et il le fait avec la précision, avec la clarté dont il ne se départ en aucun cas. En voici du reste un exemple; nous le détachons de la traduction qu’a faite des œuvres de Celse le docteur Chaales des Etangs . «Celui que des devoirs civils ou privés retiennent tout le jour aura soin, cependant, de réserver quelques instants au maintien de sa santé. L’exercice pris constamment avant le repas doit se placer en première ligne; il sera plus actif si les occupations ont été modérées et les digestions faciles, et moins énergique s’il y a de la fatigue et si l’on n’a qu’imparfaitement digéré. Parmi les exercices salutaires figurent la lecture à haute voix, les armes, la paume, la course, la promenade. Celle-ci présente plus d’avantage quand le terrain est accidenté que lorsqu’il est uni, parce qu’il en résulte une plus grande variété de mouvements; mais il faut toutefois que le sujet ne soit pas trop faible. Elle est aussi plus favorable en plein air que sous un portique, et au soleil qu’à l’ombre si la tête peut le supporter. Il vaut mieux marcher à l’ombre des murs et du feuillage, et se promener dans une seule direction que dans une route sinueuse. Le terme de l’exercice sera marqué généralement par la sueur, ou par un commencement de lassitude qui ne doit pas aller jusqu’à la fatigue. A cet égard, la mesure sera plus ou moins forte, et l’on n’a pas, comme les athlètes, à s’imposer une règle fixe ou des efforts immodérés....»
On le voit, les réserves faites par Hippocrate et Platon à propos des exagérations auxquelles étaient enclins les athlètes, trouvèrent à Rome des adhérents.
Au premier rang de ceux-ci se place Galien, un des plus grands médecins de l’antiquité (180 à 201). Il met de l’insistance à mentionner les accidents subits: congestions, hémorrhagies etc., auxquels la violence excessive de leurs exercices exposait les athlètes. Il se joint à Hippocrate pour blâmer les gens qui négligent le soin de leur intelligence sous prétexte d’être occupés à développer les forces de leur corps. Il ne parle du pugilat que pour le flétrir .
Cælius Aurelianus, Soranus d’Éphèse, Rufus , Dioscoride, Pline l’ancien, Pline le jeune, Plutarque, Aulu-Gelle, Cassius l’iatrosophiste, Agathinus, Hérodotes, Antyllus, la plupart des médecins de l’antique Rome, dont le nom soit parvenu jusqu’à nous, se sont faits l’écho de la même opinion. Aretée est le seul, peut-être, à avoir conseillé le pugilat contre le vertige congestif.
Tant au point de vue hygiénique qu’au point de vue thérapeutique proprement dit, tous s’accordent à attribuer une importance de premier ordre à la Gymnastique.
Par malheur, le césarisme avait fait son œuvre.
Où que le césarisme prenne racine — quels que soient les temps, le milieu, le climat — la liberté violée, proscrite; le fétichisme prôné, protégé, subventionné ; la science en suspicion; la parole baillonnée; toute spontanéité d’action tenue pour hostile; le sentiment de la dignité personnelle bafoué, foulé aux pieds; l’humilité érigée en dogme; le servilisme en vertu; le népotisme pratiqué sans vergogne comme moyen de gouvernement; l’intrigue, le charlatanisme, la concussion avoués, honorés; l’aversion secrète, la peur niaise de toute réforme, qualifiées: prudence; l’égoïsme glorifié ;.... en deux mots, l’avilissement des caractères et la survivance des appétits.... panem et circences... en voilà les fruits empoisonnés.
Allez donc parler de se fortifier le corps et l’esprit à des gens en voie de ruiner, dans l’orgie, leurs aptitudes physiques et intellectuelles; allez donc prêcher la sobriété, les plaisirs virils, les aspirations élevées à un peuple qui n’a qu’à porter ses regards en haut lieu pour y prendre les plus savantes leçons de dépravation et de débauche?
Est-ce que, seulement, on vous écoutera?
Eh bien, après Constantin, et le partage de l’empire entre ses fils, après la mort de l’empereur Constance, en 361, il a surgi un homme d’un sens philosophique assez large, d’une volonté assez ferme pour tenter d’enrayer les maux sans nombre que le pouvoir personnel porte en soi. Dans son jeune âge, il lui avait été inculqué des croyances dont sa raison fut blessée plus tard: il abjura. Des sectaires agitaient l’empire; lui, qui détenait l’autorité..., il ne persécuta personne. Non, il se saisit de l’arme par excellence pour confondre tous les fanatismes et réduire à néant toutes les factions: la Liberté. Il entendit que chacun à sa guise pût, sans être inquiété, suivre sa religion. Il eut d’une manière très nette, une conception entre toutes humaine, moderne, une conception qui fait actuellement encore l’objet de nos revendications légitimes, celle de la liberté des cultes. Aux vertus, aux doctrines des uns, il ne voulut opposer rien que les doctrines plus pures, que les vertus plus éclatantes des autres, faisant appel de toutes parts aux sentiments de fraternité. A ses détracteurs, il répliquait par l’égalité d’âme du philosophe et la raillerie de l’homme d’esprit. Il avait entrepris de retenir la Puissance romaine sur la pente fatale de l’effondrement. Il a eu un tort, pour le vulgaire, impardonnable. Le succès n’est pas venu couronner ses patriotiques efforts. Au bout de trois années à peine, à l’âge seulement de trente-deux ans, en 363, il mourait. Il tomba en soldat, dans la mêlée, en se battant pour son pays. Cet homme, c’est l’empereur Julien.
Ses adversaires triomphants n’ont rien su imaginer de mieux que de stigmatiser sa mémoire d’infamie. Ils ont accolé à son nom l’épithète d’apostat.
Il est des marques d’infamie que lave un jour le tardif mais impartial verdict de la postérité.
A l’instigation de l’empereur Julien, son médecin, plus que son médecin, son ami Oribase, se mit à condenser, sous forme d’extraits, tous les ouvrages publiés jusque-là sur la médecine. Sorte de comptes rendus analytiques, ces extraits ne remplissent pas moins de soixante-dix volumes. Ils ont le précieux avantage de donner l’état de la science au temps où Oribase écrivait. Les judicieuses réflexions du commentateur leur font, bien souvent, gagner en clarté .
Un de ces volumes est consacré à la Gymnastique.
M. Chancerel en a fait le résumé : œuvre utile en ce qu’elle nous fixe d’une manière précise sur les procédés en usage chez les anciens. En voici, d’après ce dernier auteur, un très sommaire aperçu.
Sans entrer dans les considérations auxquelles se prêtent les différentes attitudes que l’on peut prendre pendant le repos, le sommeil, la veille: considérations que Galien et Antyllus englobent dans la Gymnastique, la déclamation, aux yeux de celui-ci, a pour avantage d’amplifier la respiration. Pour bien déclamer, selon lui, il faut parler d’abord lentement, puis plus vite et prendre une attitude qui permette à la cage thoracique de se dilater largement.
L’exercice, d’après Galien, est tout mouvement de nature à modifier la respiration. On doit se livrer à toute espèce d’exercices afin que chaque partie du corps exécute la fonction qui lui est propre. Il ne faut pas se livrer, dès l’abord, à des exercices violents. La course en vitesse, avec les épaules chargées de poids est du nombre.
Hippocrate et Celse divisent les frictions en rudes, moyennes, molles, courtes, et prolongées. Ils en recommandent l’usage dans une multitude de cas. Hérodotes y avait recours contre la fièvre, à titre de révulsif probablement.
Les médecins de l’antiquité, en général, préconisaient deux sortes de courses, la course simple en avant et la course en arrière.
L’exercice du cerceau, jeu analogue à celui de la corde à sauter, est recommandé avant le repas ou le bain, par Antyllus.
La natation, la naumachie, la lutte, le combat simulé, le saut, l’équitation sont fortement et unanimement conseillés. Ces exercices contribuent, à vrai dire, pour une bonne part à la gymnastique moderne dite sans appareils.
La marche sur un terrain accidenté afin de mettre en action un grand nombre de muscles; le combat en armes dont le principal avantage est d’agrandir la cavité thoracique; la danse, comme favorable à toutes les fonctions organiques complètent la série. Galien, toutefois, se plaint de ce que l’on abusait de la danse, de son temps. Le plaisir qu’on y trouvait faisait, dit-il, négliger les sciences et les arts.
Mentionnons en dernier lieu le corycos et les haltères.
Le corycos était une balle creuse remplie de farine ou de sable et qui, attachée au plafond, descendait à la hauteur de la taille. On la balançait avec les mains et l’on s’évertuait soit à l’éviter, soit à la recevoir. Cet exercice développait tous les muscles en général, et ceux de l’épaule en particulier.
Le jeu des haltères était, aux yeux des médecins de l’antiquité, un exercice rude, propre à développer les muscles de l’épaule, mais ne convenant ni à la poitrine ni au cerveau.
Comme le fait remarquer M. Chancerel , le mouvement constituait une des bases principales de la Gymnastique chez les anciens.
Après le règne de Julien et en dépit des efforts tentés par Oribase pour la maintenir en faveur, ses pratiques les plus salutaires furent abandonnées insensiblement.
Elle tomba en discrédit, et l’empire en décadence.