Читать книгу La gymnastique : notions physiologiques et pédagogiques, applications hygiéniques et médicales - Alfred Collineau - Страница 4
INTRODUCTION GÉNÉRALITÉS. — DÉFINITIONS. — DIVISIONS
ОглавлениеL’homme naît; la lutte commence. Il pousse son premier vagissement; il a fait acte d’initiative. L’air a pénétré dans les profondeurs de la poitrine et vivifié le sang dont les poumons sont gorgés.
Par un mouvement instinctif de succion, il exprime le lait du sein qu’on lui présente.
Il respire et il se nourrit. Les deux fonctions fondamentales de l’existence s’accomplissent.
Soudain, il sourit. C’est qu’il reconnaît qui prend soin de lui; et qui prend soin de lui, il l’aime. Déjà, il a observé, comparé, conclu. Déjà, il a raisonné, le petit enfant. Voici donc qu’une nouvelle fonction s’éveille, voici que les rapports avec l’entourage s’échangent et que s’enchaînent les relations.
L’acte physiologique qui vient de s’effectuer a le cerveau pour siège. Il va désormais se répéter à l’infini. Invariablement identique à elle-même, sa modalité est UNE.
Tout raisonnement implique, en effet, un parallèle à établir entre deux faits, et une conclusion à formuler. Simple ou composé, quel que soit le sujet sur lequel cette faculté de raisonner s’exerce, elle n’a point, jusqu’à la fin de la vie, deux manières de procéder. Elle acquiert, avec les années, une activité sans bornes. Apanage de la virilité, quand elle se prend à languir, la mort est proche, l’éclipsé irrémédiable, tout ou moins, des lumières de l’entendement.
A travers les complexités, les contradictions, les absurdités, les périls de la vie, le penchant naturel qui distingue l’homme à accoupler les idées et à en tirer des déductions, est sa boussole.
Elle lui sert, s’il s’égare, à retrouver le droit chemin. Elle assure sa marche et rapproche les étapes que l’humanité a à fournir pour parvenir au faîte de sa longue évolution. Par son irrésistible puissance, cette aptitude maîtresse est cause que, dans l’animalité, l’être humain est ce qu’il est.
Voilà pourquoi les conditions essentielles de la vie étant réalisées le jour même de la naissance, les fonctions cérébrales entrent en jeu si peu de temps après, et, dès l’abord, révèlent un caractère générique.
Autre caractère générique, un jour, l’enfant se tient en équilibre, debout. Sa tête, ses épaules, ses hanches, ses jambes, ses bras occupent le même plan. Spontanément, il a pris l’attitude verticale; or ce que Rabelais a dit du rire, s’applique à l’attitude verticale: C’est le propre de l’homme aussi.
Le singe anthropoïde, il est vrai, la prend assez volontiers; mais, par circonstance, sous l’empire, par exemple, de la passion. En face de l’ennemi, pour défendre sa femelle, le gorille se redresse, se frappe la poitrine, et s’avance bravement, tête haute et debout. Tout autre, en réalité, est son allure accoutumée; c’est l’obliquité. Il s’en va les jambes pliées, les bras allongés et les avant-bras ballants.
Quelle conquête physiologique que l’attitude verticale; que d’efforts accumulés, et, dans l’échelle animale, combien de degrés laborieusement gravis!
L’enfant marche. Ceci prouve deux choses: d’abord que ses nerfs ont acquis la puissance nécessaire à la coordination des mouvements; ensuite, que ses muscles ont atteint le degré de tonicité qui en fait les agents à la fois dociles et alertes, des déterminations volontaires.
Observez-le désormais. Sans relâche, en tout sens, à tort et à travers bien souvent, il exerce les aptitudes dominantes dont il se sent doué.
Il en possède deux dont la conscience encore lui échappe; et il les possède à un degré très haut.
La première, la curiosité, tient en éveil toutes les autres. La seconde, l’esprit d’imitation, livre les procédés pour l’exécution pratique des actes.
Dans le but de satisfaire à la fois et son impérieux besoin de locomotion, et sa curiosité ardente, l’enfant fait ce qu’il voit faire; et, comme il. est, de nature, essentiellement imitateur, ainsi qu’il le voit faire, il le fait. L’activité qu’il déploie est incessante. Les sujets qui viennent flatter son goût pour l’observation n’en sont que plus nombreux et inattendus. Les aliments qui s’offrent à son insatiable appétence de raisonnement n’en sont que plus substantiels et variés. Alors, vous le voyez porter sur les choses.... et... sur les gens.... des jugements décisifs.
Forcément, ils sont bornés, tranchants, sans nuances — le bagage de ses connaissances est encore si léger — ; mais, la plupart du temps, leur justesse étonne.
De la sorte, s’épanouit dans l’entendement l’intuition de la justice. La rapidité que ce sentiment met à se développer est surprenante. De prime saut, il est. lucide, altier, inaccessible aux compromis. C’est cette sincérité sans mélange qui fait l’auréole de l’enfance. C’est à l’affermir, en la justifiant, que doit tendre la culture des sentiments moraux. Toute affirmation hasardée, toute contradiction doctrinale, tout mensonge lui sont funestes. N’affirmer pour vrai rien que ce dont on est en état de faire scientifiquement la preuve; — présenter comme douteux tout ce que l’on tient pour tel; — répudier comme faux tout ce qu’on est en droit de taxer d’erreur; flétrir le mensonge; — par-dessus tout, grâce à l’enchaînement logique de ses agissements personnels, donner l’exemple, il n’est pas de meilleur secret pour cimenter dans le caractère de l’enfant, la sincérité native qui, en lui, rayonne; il n’en est pas de meilleur pour se concilier, disons mieux, pour mériter cette confiance enfantine dont on fait, il faut le dire, un étrange abus; et pour laquelle, trop communément, on professe plus de sympathie platonique qu’on n’observe au fond de respect.
Vierge de toute culture, voilà le terrain. L’Enseignement s’en empare. Sur un semblable sol, l’Enseignement peut beaucoup: beaucoup de mal, comme beaucoup de bien.
Que va-t-il devenir, cet être rempli d’initiative et d’expansion?
Sera-t-il dieu, table ou cuvette, comme le marbre de la fable?
En fera-t-on du moins un HOMME dans l’acception élevée du mot?
Qu’on ne s’y trompe pas, c’est de l’éducation désormais que dépend sa destinée.
Mais d’abord, pas d’illusion. Si rationnelle, si ingénieuse que soit la méthode pédagogique, si malléable, si perfectible que soit l’élève, quel que soit le point de vue auquel on se place, que l’objectif soit physique, moral ou intellectuel, jamais on ne parviendra à susciter la germination d’aptitudes absentes. On cultivera, on développera, on règlera celles dont la Nature a doué le sujet; voilà tout. Voilà tout, mais c’est assez. «Donner aux facultés leur juste développement, solliciter les moins actives, corriger, réprimer dans les autres les excès ou les écarts qui pourraient nuire, l’éducation, observe le docteur Delasiauve , l’éducation tout entière est là.»
C’est à amplifier les ressources existant en puissance dans l’organisme et à en régulariser l’emploi que l’Enseignement doit s’attacher.
De la culture de chacune de ces dispositions, en particulier, dépend l’essor de l’ensemble. Du surcroit de soins accordé à celles dont on ne constate que le rudiment, dépend pour l’ensemble encore, et l’harmonie et l’ampleur.
De même (pour emprunter au docteur F. Voisin un judicieux rapprochement) que la vue n’est pas l’ouïe, que l’ouïe n’est pas le goût, que le goût n’est pas le toucher, ni le toucher l’odorat, et que le développement de ces sens spéciaux réclame des moyens appropriés à leur nature spéciale, de même, dirons-nous, chaque aptitude organique demande à être exercée, à part, dans le sens précis de ses attributions.
Dans cet ordre d’idées, l’instruction proprement dite peut être regardée comme la gymnastique des centres nerveux; et la gymnastique proprement dite, comme l’instruction des organes locomoteurs. Elles ne vont point l’une sans l’autre. Isolées, les résultats en sont nécessairement tronqués. Combinées, on en peut espérer une transfiguration complète.
Une aussi étroite connexité implique une exacte pondération entre les différents exercices pédagogiques. Et la détermination des limites à atteindre et à respecter, dans la pratique, soulève un des problèmes les plus complexes, les plus subtils de l’Enseignement. Il n’entre dans notre sujet ni de l’aborder, n°, à fortiori, de le résoudre. Nous ne pouvions, pourtant, ne pas l’indiquer.
Avant tout, nous avions à poser ce principe: la mission de l’Enseignement consiste dans la mise en œuvre de toutes les forces vives, sans exception, que l’organisme recèle. Paralyser l’expansion des unes, sous prétexte de favoriser l’expansion des autres est, du coup, fausser tous les rouages; c’est, en réalité, agir au préjudice aussi bien de celles-ci que de celles-là. Sous peine d’être vicieuse, la culture de l’être humain demande à être intégrale. Or, pour être intégrale, elle se doit, avec une sollicitude égale, à toute aptitude native qu’elle a le pouvoir de fertiliser.
Pour nous, le soin qui nous incombe est celui de faire comprendre pour quels motifs, sous quelles formes, dans quelle mesure la culture rationnelle des organes locomoteurs contribue à l’amélioration de l’individu, à celle de la race et au progrès même de la civilisation.
«Quand l’hygiène scientifique se sera emparée des méthodes d’entraînement gymnastique, quand elle les aura éclairées, dirigées par une attentive et minutieuse observation, j’ai la ferme conviction, a dit le professeur Bouchardat , qu’il en surgira des découvertes aussi utiles qu’inattendues qui nous permettront de consolider et de perfectionner des santés, avec autant de certitude qu’on peut en espérer lorsqu’il s’agit d’un être vivant. C’est la voie dans laquelle on doit s’engager pour combattre efficacement nos ennemis les plus redoutables: la vieillesse et la mort prématurées.»
Voilà qui est sans ambages et qui corrobore, singulièrement, nos propres allégations.
Au demeurant, qu’est-ce donc que la Gymnastique? — Les définitions ne manquent pas.
Pour faire saisir dans quel esprit la Science a envisagé la question, relatons-en quelques-unes.
La Gymnastique, selon Barbier est une partie de l’hygiène qui enseigne à régler l’usage des divers exercices du corps, soit pour conserver la santé, soit pour aider à son rétablissement lorsqu’elle est altérée.
«Ce mot, ajoute-t-il, désignait, chez les Anciens, un art que l’antiquité tenait en grande faveur, et qui apprenait aux jeunes gens à exceller dans l’exercice de la lutte, du javelot, du disque, de la course et du saut. Ce terme vient de γυμνος, nu, parce que, au moment de se livrer à ces jeux ou à ces combats, on se mettait nu ou presque nu, pour que les mouvements fussent plus libres.»
Selon Rostan , c’est cette partie de l’hygiène qui traite des effets des différents exercices sur l’économie animale. A ses yeux, «la Gymnastique est un des plus puissants modificateurs du corps humain.»
Boerhaave et Hallé l’avaient désignée sous le nom latin de gesta ou acta,: exercices. Par exercice, ces illustres physiologistes donnaient à entendre l’action, le travail de nos divers organes; mais plus spécialement de ceux de la locomotion.
En 1819, un des hommes qui ont le plus fait pour la propagation de l’enseignement de la gymnastique en France, Clias, professeur à l’Académie de. Berne, eut l’ingénieuse idée de résumer sous forme d’un cours analytique et gradué d’exercices propres à développer et à fortifier l’organisation humaine, les principes de la Gymnastique élémentaire. Ce titre renferme la définition même du sujet.
Chargée d’un rapport sur le manuscrit de Clias, la Société de médecine de Paris institua, à cet effet, une commission. Des notoriétés scientifiques la composaient, c’étaient Nacquart, Merat, Roux, Villermay, Esquirol, Gasc et Bally rapporteur. «La Gymnastique, ont-ils dit, est l’art de régler les mouvements du corps de manière à augmenter son agilité, sa souplesse, sa stabilité ; à entretenir ou à rétablir la santé ; à servir enfin au développement des aptitudes tant physiques que morales.»
Pour le docteur Proust , c’est l’éducation, la culture des fonctions de locomotion et de la vie animale.... C’est cette partie de l’hygiène qui régularise le développement et l’entretien des fonctions de l’appareil locomoteur, par l’exercice artificiel. Le terme d’exercice artificiel est employé ici, par opposition à celui d’exercice naturel, lequel comprend les mouvements de la vie ordinaire tenant aux nécessités, aux habitudes et aux instincts spontanés.
Pour Littré , la Gymnastique est l’art, l’action d’exercer le corps pour le fortifier.
Pour le docteur Rouhet , c’est une science raisonnée des mouvements propres à développer le système musculaire en tout ou en partie, dans un but d’hygiène, de thérapeutique ou d’éducation.
Enfin, le docteur Hillairet , en a donné la définition que voici: LA GYMNASTIQUE EST LA SCIENCE RAISONNÉE DES MOUVEMENTS; ELLE A POUR BUT LE DÉVELOPPEMENT [RÉGULIER DU CORPS, L’ACCROISSEMENT ET L’ÉQUILIBRATION DE TOUTES LES FORCES DE L’ORGANISME.
A nos yeux, on ne saurait trouver une définition à la fois plus scientifique, plus générale, plus concise.
C’est celle que nous adoptons.
L’étude de la Gymnastique comporte des considérations d’ordre très multiple et très distinct.
Vieux comme le monde, l’Art d’exercer le corps pour le fortifier a son histoire. Il a eu ses vicissitudes, ses éclipses, ses rayonnements. En honneur dans les civilisations primitives, il reçoit des civilisations avancées ses règles définitives, et se plie à merveille au génie des nations. Par leur précision, les recherches physiologiques contemporaines lui ouvrent des horizons inattendus.
Variables à l’infini, ses procédés peuvent être ramenés à deux grands types. Les uns s’appliquent à l’aide d’engins dont le maniement est ordonnancé. Les autres consistent en des exercices naturels, mais pratiqués avec méthode.
Cet art, en outre, se prête à certaines applications d’un caractère tout à fait spécial, et plutôt en rapport avec des cas exceptionnels qu’avec la généralité.
Sous peine enfin d’être impraticable, il a à se modeler sur les exigences du milieu social pour lequel il peut, d’ailleurs, être un inestimable bienfait.
Nous avons donc à faire, dans une première partie, l’histoire de la Gymnastique depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours.
Une seconde partie comprendra l’exposé des notions anatomiques et physiologiques indispensables à qui entend se rendre compte des modifications profondes, définitives, variées, que les pratiques gymnastiques apportent dans l’ensemble de l’économie et dans certains organes en particulier.
L’examen analytique et critique des exercices sera l’objet de la troisième.
La quatrième embrassera un examen critique analogue du gymnase et des appareils qui y sont en usage. L’analyse de diverses formes spéciales que la Gymnastique peut revêtir en sera le complément.
Dans une cinquième partie enfin, nous nous attacherons à distinguer, parmi les exercices, ceux qui rencontrent en médecine quelque application heureuse et à en préciser les indications.
En dernier lieu, nous exposerons nos vues sur la place qui sied à la Gymnastique au sein d’une société démocratique et sous un régime de liberté.