Читать книгу Premières poésies, 1828-1833. - Alfred de Musset - Страница 20

I

Оглавление

Table des matières

Je n’ai jamais aime, pour ma part, ces bégueules

Qui ne sauraient aller au Prado toutes seules,

Qu’une duègne toujours de quartier en quartier

Talonne, comme fait sa mule un muletier;

Qui s’usent, à prier, les genoux et la lèvre,

Se courbant sur le grès, plus pales, dans leur fièvre,

Qu’un homme qui, pieds nus, marche sur un serpent,

Ou qu’un faux monnayeur au moment qu’on le pend.

Certes, ces femmes-là, pour mener cette vie,

Portent un cœur châtré de toute noble envie;

Elles n’ont pas de sang et pas d’entrailles. — Mais,

Sur ma tête et mes os, frère, je vous promets

Qu’elles valent encor quatre fois mieux que celles

Dont le temps se dépense en intrigues nouvelles.

Celles-là vont au bal, courent les rendez-vous,

Savent dans un manchon cacher un billet doux,

Serrer un ruban noir sur un beau flanc qui ploie,

Jeter d’un balcon d’or une échelle de soie,

Suivre l’imbroglio de ces amours mignons,

Poussés en une nuit comme des champignons;

Si charmantes, d’ailleurs! aimant en enragées

Les moustaches, les chiens, la valse et les dragées.

Mais, oh! la triste chose et l’étrange malheur,

Lorsque dans leurs filets tombe un homme de cœur!

Frère, mieux lui vaudrait, comme ce statuaire

Qui pressait dans ses bras son amante de pierre,

Réchauffer de baisers un marbre; mieux vaudrait

Une louve affamée en quelque âpre forêt.

Ce que je dis ici, je le prouve en exemple.

J’entre donc en matière, et, sans discours plus ample,

Ecoutez une histoire:

Un mardi, cet été,

Vers deux heures de nuit, si vous aviez été

Place San-Bernardo, contre la jalousie

D’une fenêtre en brique, à frange cramoisie,

Et que, le cerveau mû de quelque esprit follet,

Vous eussiez regardé par le trou du volet,

Vous auriez vu, d’abord, une chambre tigrée,

De candélabres d’or ardemment éclairée;

Des marbres, des tapis montant jusqu’aux lambris;

Çà et la, des flacons d’un souper en débris;

Des vins, mille parfums; à terre, une mandore

Qu’on venait de quitter, et frémissant encore,

De même que le sein d’une femme frémit

Après qu’elle a dansé. — Tout était endormi;

La lune se levait; sa lueur souple et molle,

Glissant aux trèfles gris de l’ogive espagnole,

Sur les pales velours et le marbre changeant,

Mêlait aux flammes d’or ses longs rayons d’argent.

Si bien que, dans le coin le plus noir de la chambre,

Sur un lit incrusté de bois de rose et d’ambre,

En y regardant bien, frère, vous auriez pu,

Dans l’ombre transparente, entrevoir un pied nu.

— Certes, l’Espagne est grande, et les femmes d’Espagne

Sont belles; mais il n’est château, ville, ou campagne,

Qui, contre ce pied-là, n’eût en vain essayé

(Comme dans Cendrillon), de mesurer un pied.

Il était si petit, qu’un enfant l’eût pu prendre

Dans sa main. — N’allez pas, frère, vous en surprendre;

La dame dont ici j’ai dessein de parler

Etait de ces beautés qu’on ne peut égaler:

Sourcils noirs, blanches mains, et pour la petitesse

De ses pieds, elle était Andalouse et comtesse.

Cependant les rideaux, autour d’elle tremblant,

La laissaient voir pâmée aux bras de son galant;

Œil humide, bras morts, tout respirait en elle

Les langueurs de l’amour, et la rendait plus belle.

Sa tête avec ses seins roulait dans ses cheveux;

Pendant que sur son corps mille traces de feux,

Que sa joue empourprée, et ses lèvres arides,

Qui se pressaient encor, comme en des baisers vides,

Et son cœur gros d’amour, plus fatigué qu’éteint,

Tout d’une folle nuit vous eût rendu certain.

Près d’elle, son amant, d’un œil plein de caresse,

Cherchant l’œil de faucon de sa jeune maîtresse,

Se penchait sur sa bouche, ardent à l’apaiser,

Et pour chaque sanglot lui rendait un baiser.

Ainsi passait le temps. — Sur la place moins sombre,

Déjà le blanc matin faisant grisonner l’ombre,

L’horloge d’un couvent s’ébranla lentement;

Sur quoi le jouvenceau courut, en un moment,

D’abord à son habit, ensuite à son épée;

Puis, voyant sa beauté de pleurs toute trempée:

«Allons, mon adorée, un baiser, et bonsoir.

— Déjà partir, méchant! — Bah! je viendrai vous voir

Demain, midi sonnant: adieu, mon amoureuse!

— Don Paez! don Paez! Certe, elle est bien heureuse,

La galante pour qui vous me laissez si tôt!

— Mauvaise! vous savez qu’on m’attend au château,

Ma galante, ce soir, mort-Dieu! c’est ma guérite.

— Eh! pourquoi donc alors l’aller trouver si vite?

Par quel serment d’enfer êtes-vous donc lié ?

— Il le faut. Laisse-moi baiser ton petit pied!

— Mais regardez un peu, qu’un lit de bois de rose,

Des fleurs, une maîtresse, une alcôve bien close,

Tout cela ne vaut pas, pour un fin cavalier,

Une vieille guérite au coin d’un vieux pilier!

— La belle épaule blanche, ô ma petite fée!

Voyons, un beau baiser! — Comme je suis coiffée!

Vous êtes un vilain! — La paix! Adieu, mon cœur;

Là, là, ne faites pas ce petit air boudeur.

Demain c’est jour de fête! un tour de promenade,

Veux-tu? — Non, ma jument anglaise est trop malade.

— Adieu done; que le diable emporte ta jument!

— Don Paez! mon amour, reste encor un moment.

— Ma charmante, allez-vous me faire une querelle?

Ah! je m’en vais si bien vous décoiffer, ma belle,

Qu’à vous peigner, demain, vous passerez un jour!

— Allez-vous-en, vilain! — Adieu, mon seul amour!»

Il jeta son manteau sur sa moustache blonde,

Et sortit; l’air était doux, et la nuit profonde;

Il détourna la rue à grands pas, et le bruit

De ses éperons d’or se perdit dans la nuit.

Oh! dans cette saison de verdeur et de force,

Où la chaude jeunesse, arbre à la rude écorce,

Couvre tout de son ombre, horizon et chemin,

Heureux, heureux celui qui frappe de la main

Le col d’un étalon rétif, ou qui caresse

Les seins étincelants d’une folle maîtresse!

Premières poésies, 1828-1833.

Подняться наверх