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IV

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Comme elle est belle au soir, aux rayons de la lune,

Peignant sur son col blanc sa chevelure brune!

Sous la tresse d’ébène, on dirait, à la voir,

Une jeune guerrière avec un casque noir!

Son voile déroulé plie et s’affaisse à terre.

Comme elle est belle et noble! et comme, avec mystère,

L’attente du plaisir et le moment venu

Font sous son collier d’or frissonner son sein nu!

Elle écoute. — Déjà, dressant mille fantômes,

La nuit comme un serpent se roule autour des dômes;

Madrid, de ses mulets écoutant les grelots,

Sur son fleuve endormi promène ses falots.

— On croirait que, féconde en rumeurs étouffées,

La ville s’est changée en un palais de fées,

Et que tous ces granits dentelant les clochers

Sont aux cimes des toits des follets accrochés.

La señora pourtant, contre sa jalousie

Collant son front rêveur à sa vitre noircie,

Tressaille chaque fois que l’écho d’un pilier

Répète derrière elle un pas dans l’escalier.

— Oh! comme à cet instant bondit un cœur de femme!

Quand l’unique pensée où s’abîme son âme

Fuit et grandit sans cesse, et devant son désir

Recule comme une onde, impossible à saisir!

Alors, le souvenir excitant l’espérance,

L’attente d’être heureux devient une souffrance;

Et l’œil ne sonde plus qu’un gouffre éblouissant,

Pareil à ceux qu’en songe Alighieri descend.

Silence! — Voyez-vous, le long de cette rampe,

Jusqu’au faîte en grimpant tournoyer une lampe?

On s’arrête; — on l’éteint. — Un pas précipité

Retentit sur la dalle et vient de ce côté.

— «Ouvre la porte, Inès: eh! vois-tu pas, de grâce,

Au bas de la poterne un manteau gris qui passe?

Vois-tu sous le portail marcher un homme armé ?

C’est lui, c’est don Paez! — Salut, mon bien-aimé !

DON PAEZ.

Salut; — que le Seigneur vous tienne sous son aide!

JUANA.

Etes-vous donc si las, Paez, ou suis-je laide,

Que vous ne venez pas m’embrasser aujourd’hui?

DON PAEZ.

J’ai bu de l’eau-de-vie à dîner, je ne puis.

JUANA.

Qu’avez-vous, mon amour? pourquoi fermer la porte

Au verrou? don Paez a-t-il peur que je sorte?

DON PAEZ.

C’est plus aisé d’entrer que de sortir d’ici.

JUANA

Vous êtes pâle, ô ciel! Pourquoi sourire ainsi?

DON PAEZ.

Tout à l’heure, en venant, je songeais qu’une femme

Qui trahit son amour, Juana, doit avoir l’âme

Faite de ce métal faux dont sont fabriqués

La mauvaise monnaie et les écus marqués.

JUANA.

Vous avez fait un rêve aujourd’hui, je suppose?

DON PAEZ.

Un rêve singulier. — Donc, pour suivre la chose,

Cette femme-là doit, disais-je assurément,

Quelquefois se méprendre et se tromper d’amant.

JUANA.

M’oubliez-vous, Paez, et l’endroit où nous sommes?

DON PAEZ.

C’est un péché mortel, Juana, d’aimer deux hommes.

JUANA.

Hélas! rappelez-vous que vous parlez a moi.

DON PAEZ.

Oui, je me le rappelle; oui, par la sainte foi,

Comtesse!

JUANA.

Dieu! vrai Dieu! quelle folie étrange

Vous a frappé l’esprit, mon bien-aimé ! mon ange!

C’est moi, c’est ta Juana. — Tu ne le connais pas,

Ce nom qu’hier encor tu disais dans mes bras?

Et nos serments, Paez, nos amours infinies!

Nos nuits, nos belles nuits! nos belles insomnies!

Et nos larmes, nos cris dans nos fureurs perdus!

Ah! mille fois malheur, il ne s’en souvient plus!

Et, comme elle parlait ainsi, sa main ardente

Du jeune homme au hasard saisit la main pendante.

Vous l’eussiez vu soudain pâlir et reculer,

Comme un enfant transi qui vient de se brûler.

«Juana, murmura-t-il, tu l’as voulu!» Sa bouche

N’en put dire plus long, car déjà sur la couche

Ils se tordaient tous deux, et sous les baisers nus

Se brisaient les sanglots du fond du cœur venus.

Oh! comme, ensevelis dans leur amour profonde,

Ils oubliaient le jour, et la vie, et le monde!

C’est ainsi qu’un nocher, sur les flots écumeux,

Prend l’oubli de la terre à regarder les cieux!

Mais, silence! écoutez. — Sur leur sein qui se froisse,

Pourquoi ce sombre éclair, avec ces cris d’angoisse?

Tout se tait. — Qui les trouble, ou qui les a surpris?

— Pourquoi donc cet éclair, et pourquoi donc ces cris?

— Qui le saura jamais? — Sous une nue obscure,

La lune a dérobé sa clarté faible et pure. —

Nul flambeau, nul témoin que la profonde nuit

Qui ne raconte pas les secrets qu’on lui dit.

— Qui le saura? — Pour moi, j’estime qu’une tombe

Est un asile sûr ou l’espérance tombe,

Où pour l’éternité l’on croise les deux bras,

Et dont les endormis ne se réveillent pas.

1829.


Premières poésies, 1828-1833.

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