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SCÈNE II

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Chez la Camargo.

RAFAEL, couché sur une chaise longue;

LA CAMARGO, assise.

CAMARGO.

Rafael, avouez que vous ne m’aimez plus.

RAFAEL.

Pourquoi? d’où vient cela? — Vous me voyez perclus,

Salé comme un hareng! — Suis-je, de grâce, un homme

A vous faire la cour? — Quand nous étions à Rome,

L’an passé...

CAMARGO.

Rafael, avouez, avouez

Que vous ne m’aimez plus

RAFAEL.

Bon! comme vous avez

L’esprit fait! — Pensez-vous, madame que j’oublie

Vos bontés?

CAMARGO.

C’est le vrai défaut de l’Italie,

Que ses soleils de juin font l’amour passager.

— Quel était près de vous ce visage étranger,

Dans ce yacht?

RAFAEL.

Dans ce yacht?

CAMARGO.

Oui.

RAFAEL.

C’était, je suppose,

Laure. —

CAMARGO.

Non. —

RAFAEL.

C’était donc la Cydalise, — ou Rose —

Cela vous déplaît-il?

CAMARGO.

Nullement. — La moitié

D’un violent amour, c’est presque une amitié,

N’est-ce pas?

RAFAEL.

Je ne sais. D’où vous vient cette idée?

Philosopherons-nous?

CAMARGO.

Je ne suis pas fâchée

De vous voir. — A propos, je voulais vous prier

De me permettre...

RAFAEL.

A vous? — Quoi?

CAMARGO.

De me marier.

RAFAEL.

De vous marier?

CAMARGO.

Oui.

RAFAEL.

Tout de bon? — Sur mon âme,

Vous m’en voyez ravi. — Mariez-vous, madame!

CAMARGO.

Vous n’en aurez nul ombre, et nul déplaisir?

RAFAEL.

Non.

Et du nouvel époux peut-on dire le nom?

Foscoli, je suppose?

CAMARGO.

Oui, Foscoli lui-même.

RAFAEL.

Parbleu! j’en suis charmé ; c’est un garçon que j’aime,

Bonne lignée, et qui vous aime fort aussi.


CAMARGO.

Et vous me pardonnez de vous quitter ainsi?

RAFAEL.

De grand cœur! Ecoutez, votre amitié m’est chère!

Mais parlons franc. Deux ans! c’est un peu long. Qu’y faire?

C’est l’histoire du cœur. — Tout va si vite en lui!

Tout y meurt comme un son, tout, excepté l’ennui!

Moi qui vous dis ceci, que suis-je? une cervelle

Sans fond. — La tête court, et les pieds après elle!

Et, quand viennent les pieds, la tête au plus souvent

Est déjà lasse, et tourne où la pousse le vent!

Tenez, soyons amis, et plus de jalousie.

Mariez-vous. — Qui sait? s’il nous vient fantaisie

De nous reprendre, eh bien! nous nous reprendrons — hein?

CAMARGO.

Très bien.

RAFAEL.

Par saint Joseph! je vous donne la main

Pour aller à l’église et monter en carrosse!

Vive l’hymen! — Ceci, c’est mon présent de noce,

Il l’embrasse.

Et j’y joindrai ceci, pour souvenir de moi.

CAMARGO.

Quoi! votre éventail!

RAFAEL.

Oui. N’est-il pas beau, ma foi?

Il est large à peu près comme un quartier de lune, —

Cousu d’or comme un paon, — frais et joyeux comme une

Aile de papillon, — incertain et changeant

Comme une femme. — Il a des paillettes d’argent

Comme Arlequin. — Gardez-le, il vous fera peut-être

Penser à moi; c’est tout le portrait de son maître.

CAMARGO.

Le portrait en effet! — O malédiction!

Misère! — Oh! par le ciel, honte et dérision!...

Homme stupide, as-tu pu te prendre à ce piège

Que je t’avais tendu? — Dis! — Qui suis-je? — Que fais-je? —

Va, tu parles avec un front mal essuyé

De nos baisers d’hier. — Oh! c’est honte et pitié !

Va, tu n’es qu’une brute, et tu n’as qu’une joie

Insensée, en pensant que je lâche ma proie!

Quand je devrais aller, nu-pieds, t’attendre au coin

Des bornes, si caché que tu sois et si loin,

J’irai. — Crains mon amour, Garuc’, il est immense

Comme la mer! — Ma fosse est ouverte, mais pense

Que je viendrai d’abord par le dos t’y pousser.

Qui peut lécher peut mordre, et qui peut embrasser

Peut étouffer. — Le front des taureaux en furie,

Dans un cirque, n’a pas la cinquième partie

De la force que Dieu met aux mains des mourants.

Oh! je te montrerai si c’est après deux ans,

Deux ans de grincements de dents et d’insomnie,

Qu’une femme pour vous s’est tachée et honnie,

Qu’elle n’a plus au monde, et pour n’en mourir pas

Que vous, que votre col où pendre ses deux bras,

Qu’elle porte un amour à fond, comme une lame

Torse, qu’on n’ôte plus du cœur sans briser l’âme;

Si c’est alors qu’on peut la laisser, comme un vieux

Soulier qui n’est plus bon à rien.

RAFAEL.

Ah! les beaux yeux!

Quand vous vous échauffez ainsi, comme vous êtes Jolie!

CAMARGO.

Oh! laissez-moi, monsieur, ou je me jette

Le front contre ce mur!

RAFAEL, l’attirant.

Là, là, modérez-vous.

Ce mur vous ferait mal; ce fauteuil est plus doux.

Ne pleurez donc pas tant. — Ce que j’ai dit, mon ange,

Après votre demande, était-il donc étrange?

Je croyais vous complaire, en vous parlant ainsi;

Mais — je n’en pensais pas une parole. —

CAMARGO.

Oh! si

Si! vous parliez franc.

RAFAEL.

Non. L’avez-vous bien pu croire?

Vous me faisiez un conte, et j’ai fait une histoire!

Calmez-vous. — Je vous aime autant qu’au premier jour,

Ma belle! — mon bijou! — mon seul bien! — mon amour!

CAMARGO.

Mon Dieu, pardonnez-lui, s’il me trompe!

RAFAEL.

Cruelle!

Doutez-vous de ma flamme, en vous voyant si belle?

Il tourne la glace.

Dis, l’amour! qui t’a fait l’œil si noir, ayant fait

Le reste de ton corps d’une goutte de lait?

Parbleu! quand ce corps-là de sa prison s’échappe,

Gageons qu’il passerait par l’anneau d’or du pape!

CAMARGO.

Allez-voir s’il ne vient personne.

RAFAEL, à part.

Ah! quel ennui!

CAMARGO, seule un moment, le regardant s’éloigner.

— Cela ne se peut pas. — Je suis trompée. Et lui

Se rit de moi. Son pas, son regard, sa parole,

Tout me le dit. Malheur! Oh! je suis une folle!

RAFAEL, revenant.

Tout se tait au dedans comme au dehors. — Ma foi,

Vous avez un jardin superbe.

CAMARGO.

Ecoutez-moi;

J’attends de votre amour une marque certaine.

RAFAEL.

On vous la donnera.

CAMARGO.

Ce soir je pars pour Vienne;

M’y suivrez-vous?

RAFAEL.

Ce soir! — Etait-ce pour cela

Qu’il fallait regarder si l’on venait?

CAMARGO.

Holà !

Lætitia! Lafleur! Pascariel!

LÆTITIA, entrant.

Madame?

CAMARGO.

Demandez des chevaux pour ce soir.

Exit Lætitia.

RAFAEL.

Sur mon âme,

Vous avez des vapeurs, madame, assurément.

CAMARGO.

Me suivrez-vous?

RAFAEL.

Ce soir! à Vienne? — Non, vraiment,

Je ne puis.

CAMARGO.

Adieu donc, Garuci. Je vous laisse. —

Je pars seule. — Soyez plus heureux en maîtresse.

RAFAEL.

En maîtresse? heureux: moi? — Ma parole d’honneur, Je n’en ai jamais eu.

CAMARGO, hors d’elle

Qu’étais-je donc?

RAFAEL.

Mon cœur,

Ne recommencez pas à vous fâcher.

CAMARGO.

Et celle

De tantôt? Quels étaient ces gens? — Que faisait-elle,

Cette femme! — J’ai vu! — Voudrais-tu t’en cacher?

Quelque fille, à coup sûr. — J’irai lui cravacher

La figure! —

RAFAEL.

Ah! tout beau, ma belle Bradamante.

Tout à l’heure, voyez, vous étiez si charmante!

CAMARGO.

Tout à l’heure j’étais insensée; — à présent

Je suis sage!

RAFAEL.

Eh! mon Dieu, l’on vous fâche en faisant

Vos plaisirs! — J’étais là, près de vous. — Vous me dites

D’aller là regarder si l’on vient. — Je vous quitte,

Je reviens. — Vous partez pour Vienne. Par la croix

De Jésus! qui saurait comment faire?

CAMARGO.

Autrefois,

Quand je te disais: «Va!» c’était à cette place!

Montrant sur son lit.

Tu t’y couchais — sans moi. — Tu m’appelais par grâce!

Moi, je ne venais pas. — Toi, tu priais. — Alors

J’approchais lentement, — et tes bras étaient forts

Pour me faire tomber sur ton cœur! — Mes caprices

Etaient suivis alors, — et tous étaient justices.

Tu ne te plaignais pas! — c’était toi qui pleurais!

Toi qui devenais pâle, et toi qui me nommais

Ton inhumaine! — Alors, étais-je ta maîtresse?

RAFAEL, se jetant sur le lit.

Mon inhumaine, allons! Ma reine, ma déesse!

Je vous attends, voyons! Les champs clos sont rompus!

M’osez-vous tenir tête?

CAMARGO, dans ses bras.

Ah! tu ne m’aimes plus!

Premières poésies, 1828-1833.

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