Читать книгу Premières poésies, 1828-1833. - Alfred de Musset - Страница 21

II

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Don Paez, l’arme au bras, est sur les arsenaux;

Seul, en silence, il passe au revers des créneaux;

On le voit comme un point; il fume son cigare

En route, et d’heure en heure, au bruit de la fanfare,

Il mêle sa réponse au qui-vive effrayant

Que des lansquenets gris s’en vont partout criant.

Près de lui, çà et là, ses compagnons de guerre,

Les uns, dans leurs manteaux, s’endormant sur la terre,

D’autres jouant aux dés. — Propos, récits d’amours,

Et le vin (comme on pense), et les mauvais discours

N’y manquent pas. — Pendant que l’un fait, après boire,

Sur quelque brave fille une méchante histoire,

L’autre chante à demi, sur la table accoudé.

Celui-ci, de travers examinant son dé,

A chaque coup douteux grince dans sa moustache.

Celui-là, relevant le coin de son panache,

Fait le beau parleur, jure; un autre, retroussant

Sa barbe à moitié rouge, aiguisée en croissant,

Se verse d’un poignet chancelant, et se grise

A la santé du roi, comme un chantre d’église.

Pourtant un maigre suif, allumé dans un coin,

Chancelle sur la nappe à chaque coup de poing.

Voici donc qu’au milieu des rixes, des injures,

Des bravos, des éclats qu’allument les gageures,

L’un d’eux: «Messieurs, dit-il, vous êtes gens du roi,

Braves gens, cavaliers volontaires. — Bon. — Moi,

Je vous déclare ici trois fois gredin et traître

Celui qui ne va pas proclamer, reconnaître,

Que les plus belles mains qu’en ce chien de pays

On puisse voir encor de Burgos à Cadix

Sont celles de doña Cazalès, de Séville,

Laquelle est ma maîtresse, au dire de la ville!»

Ces mots, à peine dits, causèrent un haro

Qui du prochain couvent ébranla le carreau.

Il n’en fut pas un seul qui de bonne fortune

Ne se dit passé maître, et n’en vantât quelqu’une:

Celle-ci pour ses pieds, celle-là pour ses yeux;

L’autre c’était la taille et l’autre les cheveux.

Don Paez cependant, debout et sans parole,

Souriait; car, le sein plein d’une ivresse folle,

Il ne pouvait fermer ses paupières sans voir

Sa maîtresse passer, blanche avec un œil noir!

«Messieurs, cria d’abord notre moustache rousse,

La petite Inésille est la peau la plus douce

Où j’aie encor frotté ma barbe jusqu’ici.

— Monsieur, dit un voisin rabaissant son sourcil,

Vous ne connaissez pas l’Arabelle; elle est brune

Comme un jais. — Quant à moi, je n’en puis citer une,

Dit quelqu’un, j’en ai trois. — Frères, cria de loin

Un dragon jaune et bleu qui dormait dans du foin,

Vous m’avez éveillé ; je rêvais à ma belle.

— Vrai, mon petit ribaud! dirent-ils, quelle est-elle?»

Lui, bâillant à moitié : «Par Dieu! c’est l’Orvado,

Dit-il, la Juana, place San-Bernardo.»

Dieu fit que don Paez l’entendit; et, la fièvre

Le prenant aux cheveux, il se mordit la lèvre:

«Tu viens là de lâcher quatre mots imprudents,

Mon cavalier, dit-il, car tu mens par tes dents!

La comtesse Juana d’Orvado n’a qu’un maître,

Tu peux le regarder, si tu veux le connaître.

— Vrai? reprit le dragon; lequel de nous ici

Se trompe? Elle est à moi, cette comtesse, aussi.

— Toi? s’écria Paez; mousqueton d’écurie,

Prendras-tu ton épée, ou s’il faut qu’on t’en prie?

Elle est à toi, dis-tu? Don Étur! sais-tu bien

Que j’ai suivi quatre ans son ombre comme un chien?

Ce que j’ai fait ainsi, penses-tu que le fasse

Ce peu de hardiesse empreinte sur ta face,

Lorsque j’en saigne encore, et qu’à cette douleur

J’ai pris ce que mon front a gardé de pâleur?

— Non; mais je sais qu’en tout, bouquets et sérénades,

Elle m’a bien coûté deux ou trois cents cruzades.

— Frère, ta langue est jeune et facile à mentir.

— Ma main est jeune aussi, frère, et rude à sentir.

— Que je la sente done, et garde que ta bouche

Ne se rouvre une fois, sinon je te la bouche

Avec ce poignard, traître, afin d’y renfoncer

Les faussetés d’enfer qui voudraient y passer.

— Oui-da! celui qui parle avec tant d’arrogance,

A défaut de son droit, prouve sa confiance;

Et quand avons-nous vu la belle? Justement

Cette nuit?

— Ce matin.

— Ta lèvre sûrement

N’a pas de ses baisers si tôt perdu la trace?...

— Je vais te les cracher, si tu veux, à la face!

— Et ceci, dit Étur, ne t’est pas inconnu?»

Comme, à cette parole, il montrait son sein nu,

Don Paez, sur son cœur, vit une mèche noire

Que gardait sous du verre un médaillon d’ivoire;

Mais, dès que son regard, plus terrible et plus prompt

Qu’une flèche, eut atteint le redoutable don,

Il recula soudain de douleur et de haine,

Comme un taureau qu’un fer a piqué dans l’arène:

«Jeune homme, cria-t-il, as-tu dans quelque lieu

Une mère, une femme? ou crois-tu pas en Dieu?

Jure-moi par ton Dieu, par ta mère et ta femme,

Par tout ce que tu crains, par tout ce que ton âme

Peut avoir de candeur, de franchise et de foi,

Jure que ces cheveux sont à toi, rien qu’à toi!

Que tu ne les as pas volés à ma maîtresse,

Ni trouvés, — ni coupés par derrière à la messe!

— J’en jure, dit l’enfant, ma pipe et mon poignard!

— Bien! reprit don Paez, le traînant à l’écart,

Viens ici, je te crois quelque vigueur à l’âme.

En as-tu ce qu’il faut pour tuer une femme?

— Frère, dit don Étur, j’en ai trois fois assez

Pour donner leurs paiements à tous serments faussés.

— Tu vois, prit don Paez, qu’il faut qu’un de nous meure.

Jurons donc que celui qui sera dans une heure

Debout, et qui verra le soleil de demain,

Tuera la Juana d’Orvado, de sa main.

— Tope, dit le dragon, et qu’elle meure, comme

Il est vrai qu’elle va causer la mort d’un homme!»

Et sans vouloir pousser son discours plus avant,

Comme il disait ce mot, il mit la dague au vent.

Comme on voit dans l’été, sur les herbes fauchées,

Deux louves, remuant les feuilles desséchées,

S’arrêter face à face, et se montrer la dent;

La rage les excite au combat; cependant

Elles tournent en rond lentement, et s’attendent;

Leurs mufles amaigris l’un vers l’autre se tendent.

Tels, et se renvoyant de plus sombres regards,

Les deux rivaux, penchés sur le bord des remparts,

S’observent; — par instants, entre leur main rapide,

S’allume sous l’acier un éclair homicide.

Tandis qu’à la lueur des flambeaux incertains,

Tous viennent à voix basse agiter leurs destins,

Eux, muets, haletants vers une mort hâtive,

Pareils à des pêcheurs courbés sur une rive,

Se poussent à l’attaque, et, prompts à riposter,

Par l’injure et le fer tâchent de s’exciter.

Étur est plus ardent, mais don Paez plus ferme.

Ainsi que sous son aile un cormoran s’enferme,

Tel il s’est enfermé sous sa dague; — le mur

Le soutient; à le voir, on dirait à coup sûr

Une pierre de plus dans les pierres gothiques

Qu’agitent les falots en spectres fantastiques.

Il attend. — Pour Étur, tantôt d’un pied hardi,

Comme un jeune jaguar, en criant il bondit;

Tantôt calme à loisir, il le touche et le raille,

Comme pour l’exciter à quitter la muraille.

Le manège fut long. — Pour plus d’un coup perdu,

Plus d’un bien adresse fut aussi bien rendu,

Et déjà leurs cuissards, où dégouttaient des larmes,

Laissaient voir clairement qu’ils saignaient sous leurs armes.

Don Paez le premier, parmi tous ces débats,

Voyant qu’à ce métier ils n’en finissaient pas:

«A toi, dit-il, mon brave! et que Dieu te pardonne!»

Le coup fut mal porté, mais la botte était bonne;

Car c’était une botte à lui rompre du coup,

S’il l’avait attrapé, la tête avec le cou.

Étur l’évita donc, non sans peine, et l’épée

Se brisa sur le sol, dans son effort trompée.

Alors, chacun saisit au corps son ennemi,

Comme après un voyage on embrasse un ami.

— Heur et malheur! On vit ces deux hommes s’étreindre

Si fort, que l’un et l’autre ils faillirent s’éteindre,

Et qu’à peine leur cœur eut pour un battement

Ce qu’il fallait de place en cet embrassement.

— Effroyable baiser! — où nul n’avait d’envie

Que de vivre assez long pour prendre une autre vie;

Où chacun, en mourant, regardait l’autre, et si,

En le faisant râler, il râlait bien aussi:

Où pour trouver au cœur les routes les plus sûres,

Les mains avaient du fer, les bouches des morsures.

— Effroyable baiser! — Le plus jeune en mourut.

Il blêmit tout à coup comme un mort, et l’on crut,

Quand on voulut après le tirer à la porte,

Qu’on ne pourrait jamais, tant l’étreinte était forte,

Des bras de l’homicide ôter le trépassé.

— C’est ainsi que mourut Étur de Guadassé.

Amour, fléau du monde, exécrable folie,

Toi qu’un lien si frêle à la volupté lie,

Quand par tant d’autres nœuds tu tiens à la douleur,

Si jamais, par les jeux d’une femme sans cœur,

Tu peux m’entrer au ventre et m’empoisonner l’âme,

Ainsi que d’une plaie on arrache une lame,

Plutôt que comme un lâche on me voie en souffrir,

Je t’en arracherai, quand j’en devrais mourir!

Premières poésies, 1828-1833.

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