Читать книгу Premières poésies, 1828-1833. - Alfred de Musset - Страница 22

III

Оглавление

Table des matières

Connaîtriez-vous point, frère, dans une rue

Déserte, une maison sans porte, à moitié nue,

Près des barrières, triste; — on n’y voit jamais rien,

Sinon un pauvre enfant fouettant un maigre chien;

Des lucarnes sans vitre, et par le vent cognées,

Qui pendent comme font des toiles d’araignées;

Des pignons délabrés, où glisse par moment

Un lézard au soleil; — d’ailleurs, nul mouvement.

Ainsi qu’on voit souvent, sur le bord des marnières,

S’accroupir vers le soir de vieilles filandières,

Qui, d’une main calleuse agitant leur coton,

Faibles, sur leur genou laissent choir leur menton;

De même l’on dirait que, par l’âge lassée,

Cette pauvre maison, honteuse et fracassée,

S’est accroupie un soir au bord de ce chemin.

C’est là que don Paez, le lendemain matin,

Se rendait. — Il monta les marches inégales,

Dont la mousse et le temps avaient rompu les dalles.

— Dans une chambre basse, après qu’il fut entré,

Il regarda d’abord d’un air mal assure.

Point de lit au dedans. — Une fumée étrange

Seule dans ce taudis atteste qu’on y mange.

Ici, deux grands bahuts, des tabourets boiteux,

Cassant à tout propos quand on s’assoit sur eux;

— Des pots; — mille haillons; — et sur la cheminée,

Où chantent les grillons la nuit et la journée,

Quatre méchants portraits pendus, représentant

Des faces qui feraient fuir en enfer Satan.

«Femme, dit don Paez, es-tu là ?» Sur la porte

Pendait un vieux tapis de laine rousse, en sorte

Que le jour en tout point trouait le canevas;

Pour l’écarter du mur, Paez leva le bras.

«Entre!» répond alors une voix éraillée.

Sur un mauvais grabat, de lambeaux habillée,

Une femme, pieds nus, découverte à moitié,

Gisait. — C’était horreur de la voir, — et pitié.

Peut-être qu’à vingt ans elle avait été belle;

Mais un précoce automne avait passé sur elle;

Et noire comme elle est, on dirait, à son teint,

Que sur son front hale ses cheveux ont déteint.

A dire vrai, c’était une fille de joie.

Vous l’eussiez vue un temps en basquine de soie,

Et l’on se retournait quand, avec son grelot,

La Belisa passait sur sa mule au galop.

C’étaient des boléros, des fleurs, des mascarades.

La misère aujourd’hui l’a prise. — Les alcades,

Connaissant le taudis pour triste et mal hanté,

La laissent sous son toit mourir par charité.

Là, depuis quelques ans, elle traîne une vie

Que soutient à grand peine une sale industrie:

Elle passe à Madrid pour sorcière, et les gens

Du peuple vont la voir à l’insu des sergents.

Don Paez, cependant, hésitant à sa vue,

Elle lui tend les bras, et sur sa gorge nue,

Qui se levait encor pour un embrassement,

Elle veut l’attirer.

DON PAEZ.

Quatre mots seulement,

Vieille. — Me connais-tu? Prends cette bourse, et songe

Que je ne veux de toi ni conte ni mensonge.


BELISA.

De l’or, beau cavalier? Je sais ce que tu veux;

Quelque fille de France, avec de beaux cheveux

Bien blonde! — J’en connais une.

DON PAEZ.

Elle perdrait sa peine;

Je n’ai plus maintenant d’amour que pour ma haine.

BELISA.

Ta haine? Ah! je comprends. — C’est quelque trahison?

Ta belle t’a fait faute, et tu veux du poison.

DON PAEZ.

Du poison, j’en voulais d’abord. — Mais la blessure

D’un poignard est, je crois, plus profonde et plus sûre.

BELISA.

Mon fils, ta main est faible encor; — tu manqueras

Ton coup, et mon poison ne le manquera pas.

Regarde comme il est vermeil; il donne envie

D’y goûter; — on dirait que c’est de l’eau-de-vie.

DON PAEZ.

Non. — Je ne voudrais pas, vois-tu, la voir mourir

Empoisonnée; — on a trop longtemps à souffrir.

Il faudrait rester là deux heures, et peut-être

L’achever. — Ton poison, c’est une arme de traître;

C’est un chat qui mutile et qui tue à plaisir

Un misérable rat dont il a le loisir.

Et puis cet attirail, cette mort si cruelle,

Ces sanglots, ces hoquets... — Non, non; elle est trop belle!

Elle mourra d’un coup.

BELISA.

Alors, que me veux-tu?

DON PAEZ.

Ecoute. — A-t-on raison de croire à la vertu

Des philtres? — Dis-moi vrai.

BELISA.

Vois-tu sur cette planche

Ce flacon de couleur brune, ou trempe une branche?

Approches-en ta lèvre, et tu sauras après

Si les discours qu’on tient sur les philtres sont vrais.

DON PAEZ.

Donne. — Je vais t’ouvrir ici toute mon âme:

Après tout, vois-tu bien, je l’aime, cette femme.

Un cep, depuis cinq ans planté dans un rocher,

Tient encore assez ferme à qui veut l’arracher.

C’est ainsi, Belisa, qu’au cœur de ma pensée

Tient et résiste encor cet amour insensée.

Quoi qu’il en soit, il faut que je frappe. — Et j’ai peur

De trembler devant elle. —

BELISA.

As-tu si peu de cœur?

DON PAEZ.

Elle mourra, sorcière, en m’embrassant.

BELISA.

Écoute.

Es-tu bien sûr de toi? Sais-tu ce qu’il en coûte

Pour boire ce breuvage?

DON PAEZ.

En meurt-on?

BELISA.

Tu seras

Tout d’abord comme pris de vin. — Tu sentiras

Tous tes esprits flottants, comme une langueur sourde

Jusqu’au fond de tes os, et ta tête si lourde,

Que tu la croirais prête à choir à chaque pas. —

Tes yeux se lasseront, — et tu t’endormiras, —

Mais d’un sommeil de plomb, sans mouvement, sans rêve;

C’est pendant ce moment que le charme s’achève.

Dès qu’il aura cessé, mon fils, quand tu serais

Plus cassé qu’un vieillard, ou que dans les forêts

Sont ces vieux sapins morts qu’en marchant le pied brise,

Et que par les fossés s’en va poussant la bise,

Tu sentiras ton cœur bondir de volupté,

Et les anges du ciel marcher à ton côté !

DON PAEZ.

Et souffre-t-on beaucoup pour en mourir ensuite?

BELISA.

Oui, mon fils.

DON PAEZ.

Donne-moi ce flacon. — Meurt-on vite?

BELISA.

Non. — Lentement.

DON PAEZ.

Adieu, ma mère!

Le flacon

Vide, il le reposa sur le bord du balcon. —

Puis, tout à coup, stupide, il tomba sur la dalle,

Comme un soldat blessé que renverse une balle.

«Viens, dit la Belisa l’attirant, viens dormir

Dans mes bras, et demain tu viendras y mourir.»

Premières poésies, 1828-1833.

Подняться наверх