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SCENE V

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Une salle à manger très riche.

GARUCI, à table avec l’abbé ANNIBAL;

MUSICIENS.

RAFAEL.

Oui, mon abbé, voilà comme, une après dinée,

Je vis, pris et vainquis la Camargo, l’année

Dix-sept cent soixante-un de la nativité

De Notre-Seigneur.

L’ABBÉ.

— Triste! oh! triste, en vérité ! —

RAFAEL.

Triste, abbé ? — Vous avez le vin triste? — Italie,

Voyez-vous, à mon sens, c’est la rime à folie.

Quant à mélancolie, elle sent trop les trous

Aux bas, le quatrième étage, et les vieux sous.

On dit qu’elle a des gens qui se noyent pour elle.

— Moi, je la noie.

Il boit.

L’ABBÉ.

Et quand vous eûtes cette belle

Camargo, vous l’aimiez fort?

RAFAEL.

Oh! très fort! — et puis,

A vous dire le vrai, je m’y suis très bien pris.

Contre un doublon d’argent un cœur de fer s’émousse.

Ce fut, le premier mois, l’amitié la plus douce

Qui se puisse inventer. Je m’en allais la voir,

Comme ça, tout au saut du lit, — ou bien le soir

Après le spectacle. — Oh! c’était une folie,

Dans ce temps-là ! — Pauvre ange! — Elle était bien jolie!

Si bien, qu’après un mois, je cessai d’y venir.

Elle de remuer terre et ciel, — moi de fuir. —

Pourtant je fus trouvé ; — reproches, pleurs, injure,

Le reste à l’avenant. — On me nomma parjure,

C’est le moins. — Je rompis tout net. — Bon. — Cependant

Nous nous allions fuyant et l’un l’autre oubliant. —

Un beau soir, je ne sais comment se fit l’affaire,

La lune se levait cette nuit-là si claire,

Le vent était si doux, l’air de Rome est si pur! —

C’était un petit bois qui côtoyait un mur,

Un petit sentier vert, — je le pris, — et, Jean comme

Devant, je m’en allai l’éveiller dans son somme.

L’ABBÉ.

Et vous l’avez reprise?

RAFAEL, cassant son verre.

Aussi vrai que voilà

Un verre de cassé. — Mon amour s’en alla

Bientôt. — Que voulez-vous? moi, j’ai donné ma vie

A ce dieu fainéant qu’on nomme fantaisie.

C’est lui qui, triste ou fou, de face ou de profil,

Comme un polichinel me traîne au bout d’un fil;

Lui qui tient les cordons de ma bourse et la guide

De mon cheval; jaloux, badaud, constant, perfide,

En chasse au point du jour dimanche, et vendredi

Cloué sur l’oreiller jusque et passé midi.

Ainsi je vais en tout, — plus vain que la fumée

De ma pipe, — accrochant tous les pavés. — L’année

Dernière, j’étais fou de chiens d’abord, et puis

De femmes. — Maintenant, ma foi, je ne le suis

De rien. — J’en ai bien vu, des petites princesses!

La première surtout m’a mangé de caresses;

Elle m’a tant baisé, pommadé, balloté !

C’est fini, voyez-vous: celle-là m’a gâté.

Quant à la Camargo, vous la pouvez bien prendre

Si le cœur vous en dit; mais je me veux voir pendre

Plutôt que si ma main de sa nuque approchait.

L’ABBÉ.

Triste!

RAFAEL.

Encor triste, abbé ?

Aux musiciens.

Hé ! messieurs de l’archet,

En ut! égayez donc un peu Sa Courtoisie.

Musique.

Ma foi! voilà deux airs très beaux.

Il parle en se promenant, pendant que l’orchestre joue piano.

La poésie,

Voyez-vous, c’est bien. — Mais la musique, c’est mieux.

Pardieu! voilà deux airs qui sont délicieux;

La langue sans gosier n’est rien. — Voyez le Dante;

Son Séraphin doré ne parle pas, — il chante!

C’est la musique, moi, qui m’a fait croire en Dieu.

— Hardi, ferme, poussez; — crescendo!

Mais, parbleu!

L’abbé s’est endormi. — Le voilà sous la table.

C’est vrai qu’il a le vin mélancolique en diable.

O doux, ô doux sommeil! ô baume des esprits!

Reste sur lui, sommeil! dormir quand on est gris,

C’est après le souper, le premier bien du monde.

PALFORIO, entrant.

Une lettre, seigneur.

RAFAEL, après avoir lu.

Que le ciel la confonde!

Dites que je n’irai, certes, pas. — Attendez!

Si — c’est cela, — parbleu! — je — non — si fait, restez.

Dites que l’on m’attende.

Exit Palforio.

Hé, l’abbé ! — Sur mon âme,

Il ronfle en enragé.

L’ABBÉ.

Pardonnez-moi, madame;

Est-ce que je dormais?

RAFAEL.

Hé ! Voulez-vous avoir

La Camargo, l’ami?

L’ABBÉ, se levant.

Tête et ventre! ce soir?

RAFAEL.

Ce soir même. — Écoutez bien: — elle doit m’attendre

Avant minuit. — Il est onze heures, — il faut prendre

Mon habit,

L’abbé se déboutonne.

Me donner le vôtre;

L’abbé ôte son manteau.

Vous irez

A la petite porte, et là vous tousserez

Deux fois; toussez un peu.

L’ABBÉ.

Hum! hum!

RAFAEL.

C’est à merveille.

Nous sommes a peu près de stature pareille.

Changeons d’habit.

Ils changent.

Parbleu! cet habit de cafard

Me donne l’encolure et l’air d’un Escobard.

Le marquis Annibal! l’abbé Garuci! — Certe,

Le tour est des meilleurs. Or donc, la porte ouverte,

On vous introduira piano. — Mais n’allez pas

Perdre la tête là. Prenez-la dans vos bras,

Et tout d’abord du poing renversez la chandelle. —

L’alcôve est à main droite en entrant. — Pour la belle,

Elle ne dira mot; ne réponds rien. —

L’ABBÉ.

J’y vais.

Marquis, c’est à la vie, a la mort. — Si jamais

Ma maîtresse te plaît, a tel jour, à telle heure

Que ce soit, écris-moi trois mots, et que je meure

Si tu ne l’as le soir!

Il sort.

RAFAEL lui crie par la fenêtre.

L’abbé, si vous voulez

Qu’on vous prenne pour moi tout à fait, embrassez

La servante en entrant. — Holà ! marauds, qu’on dise

A quelqu’un de m’aller chercher la Cydalise!

Premières poésies, 1828-1833.

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