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SCENE VI

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Chez la Camargo.

CAMARGO, entrant.

Déc hausse-moi. — J’étouffe! — A-t-on mis mon billet?

LÆTITIA.

Oui, madame.

CAMARGO.

Et qu’a-t-on répondu?

LÆTITIA.

Qu’il viendrait.

CAMARGO.

Était-il seul?

LÆTITIA.

Avec un abbé. —

CAMARGO.

Qui se nomme...?

LÆTITIA.

Je ne sais pas. — Un gros, joufflu, court, petit homme.

CAMARGO.

Lætitia!

LÆTITIA.

Madame?

CAMARGO.

Approchez un peu. — J’ai,

Depuis le mois dernier, bien pâli, bien changé,

N’est-ce pas? Je fais peur. — Je ne suis pas coiffée;

Et vous me serrez tant, je suis tout étouffée.

LÆTITIA.

Madame a le plus beau teint du monde ce soir.

CAMARGO.

Vous croyez? — Relevez ce rideau. — Viens t’asseoir

Près de moi. — Penses-tu, toi, que, pour une femme,

C’est un malheur d’aimer, — dans le fond de ton âme?

LÆTITIA.

Un malheur quand on est riche!

L’ABBÉ, dans la rue.

Hum!

CAMARGO.

N’entends-tu pas

Qu’on a toussé ? — Pourtant ce n’était pas son pas.

LÆTITIA.

Madame, c’est sa voix. — Je vais ouvrir la porte.

CAMARGO.

Verse-moi ce flacon sur l’épaule.

La Camargo reste un moment seule, en silence. Lætitia ventre, accompagnée de l’abbé sous le manteau de Garuci, puis se retire aussitôt. Le coin du manteau accroche en passant la lampe et la renverse.

L’ABBÉ, se jetant à son cou.

Oh!

La Camargo est assise; elle se lève et va à son alcôve. L’abbé la suit dans l’obscurité. Elle se retourne et lui tend la main; il la saisit.

CAMARGO.

Main-forte!

Au secours! ce n’est pas lui!

Tous deux restent immobiles un instant.

L’ABBÉ.

Madame, en pensant...

CAMARGO.

Au guet! — Mais quel est donc cet homme?

L’ABBÉ, lui mettant son mouchoir sur la bouche.

Ah! tête et sang!

Ma belle dame, un mot. — Je vous tiens, quoi qu’on fasse;

Criez si vous voulez; mais il faut qu’on en passe

Par mes volontés.

CAMARGO, étouffant.

Heuh!

L’ABBÉ.

Écoute! — Si tu veux

Que nous passions une heure à nous prendre aux cheveux,

A ton gré, je le veux aussi; mais je te jure

Que tu n’y peux gagner beaucoup, — et sois bien sûre

Que tu n’y perdras rien. — Madame, au nom du ciel,

Vous allez vous blesser. — Si mon regret mortel

De vous offenser, si...

CAMARGO, arrachant la boucle de sa ceinture et l’en frappant au visage.

Tu n’es qu’un misérable

Assassin. — Au secours!


L’ABBÉ.

Soyez donc raisonnable.

Madame! calmez-vous. — Voulez-vous que vos gens

Fassent jaser le peuple, ou venir les sergents?

Nous sommes seuls, la nuit, — et vous êtes trompée

Si vous pensez qu’on sort à minuit sans épée.

Lorsque vous m’aurez fait éventrer un valet

Ou deux, m’en croira-t-on moins heureux, s’il vous plaît?

Et n’en prendra-t-on pas le soupçon légitime,

Qu’étant si criminel, j’ai commis tout le crime?

CAMARGO.

Et qui donc es-tu, toi, qui me parles ainsi?

L’ABBÉ.

Ma foi! je n’en sais rien. — J’étais le Garuci

Tout à l’heure; à présent...

CAMARGO, le menant à l’endroit de la fenêtre où donne la lune.

Viens ici. — Sur ta vie

Et le sang de tes os, réponds. — Que signifie

Ce chiffre?

L’ABBÉ.

Ah! pardonnez, madame, je suis fou

D’amour de vous. — Je suis venu sans savoir où.

Ah! ne me faites pas cette mortelle injure,

Que de me croire un cœur fait à cette imposture.

Je n’étais plus moi-même, et le ciel m’est témoin

Que de vous mériter nul n’a pris plus de soin.

CAMARGO.

Je te crois volontiers, en effet, la cervelle

Troublée. — Et cette plaque, enfin, d’où te vient-elle?

L’ABBÉ.

De lui.

CAMARGO.

Lui? — L’as-tu donc égorgé ?

L’ABBÉ.

Moi? Non point;

Je l’ai laissé très vif, une bouteille au poing.

CAMARGO.

Quel jeu jouons-nous donc?

L’ABBÉ.

Eh! madame, lui-même

Ne pouvait-il pas seul trouver ce stratagème?

Et ne voyez-vous point que lui seul m’a donné

Ce dont je devais voir mon amour couronné ?

Et quel autre que lui m’eût dit votre demeure?

M’eût prêté ses habits? m’eût si bien marqué l’heure?

CAMARGO.

Rafael! Rafael! le jour que de mon front

Mes cheveux sur mes pieds un à un tomberont,

Que ma joue et mes mains bleuiront comme celles

D’un noyé, que mes yeux laisseront mes prunelles

Tomber avec mes pleurs, alors tu penseras

Que c’est assez souffert, et tu t’arrêteras!

L’ABBÉ.

Mais...

CAMARGO.

Et quel homme encor me met-il à sa place?

De quelle fange est l’eau qu’il me jette à la face?

Viens, toi. — Voyons, lequel est écrit dans tes yeux,

Du stupide ou du lâche, ou si c’est tous les deux?

L’ABBÉ.

Madame!

CAMARGO.

Je t’ai vu quelque part.

L’ABBÉ.

Chez le comte

Foscoli.

CAMARGO.

C’est cela. — Si ce n’était de honte,

Ce serait de pitié qu’à te voir ainsi fait

Comme un bouffon manqué, le cœur me lèverait!

Voyons, qu’avais-tu bu? dans cette violence,

Pour combien est l’ivresse, et combien l’impudence?

Va, je te crois sans peine, et lui seul sûrement

Est le joueur ici qui t’a fait l’instrument.

Mais, écoute. — Ceci vous sera profitable. —

Va-t’en le retrouver, s’il est encore à table;

Dis-lui bien ton succès, et que lorsqu’il voudra

Prêter à ses amis des filles d’Opéra...

L’ABBÉ.

D’Opéra! — Hé parbleu! vous seriez bien surprise

Si vous saviez qu’il soupe avec la Cydalise.

CAMARGO.

Quoi! Cydalise!

L’ABBÉ.

Eh oui! Gageons que l’on entend

D’ici les musiciens, s’il fait un peu de vent.

Tous deux prêtent l’oreille à la fenêtre. On entend une symphonie lente dans l’éloignement.

CAMARGO.

Ciel et terre! c’est vrai!

L’ABBÉ.

C’est ainsi qu’il oublie

Auprès d’elle, qui n’est ni jeune ni jolie,

La perle de nos jours! Ah! madame, songez

Que vos attraits surtout par là sont outragés.

Songez au temps, à l’heure, à l’insulte, à ma flamme;

Croyez que vos bontés...

CAMARGO.

Cydalise!

L’ABBÉ.

Eh! madame,

Ne daignerez-vous pas baisser vos yeux sur moi?

Si le plus absolu dévoûment...

CAMARGO.

Lève-toi.

As-tu le poignet ferme?

L’ABBÉ.

Hai!

CAMARGO.

Voyons ton épée.

L’ABBÉ.

Madame, en vérité, vous vous êtes coupée!

CAMARGO.

Eh quoi! pâle avant l’heure, et déjà faiblissant?

L’ABBÉ.

Non pas; mais, têtebleu! voulez-vous donc du sang?

CAMARGO.

Abbé je veux du sang! J’en suis plus altérée

Qu’une corneille, au vent d’un cadavre attirée.

Il est là-bas, dis-tu! — cours-y donc, — coupe-lui

La gorge, et tire-le par les pieds jusqu’ici.

Tords-lui le cœur, abbé, de peur qu’il n’en réchappe.

Coupe-le en quatre, et mets les morceaux dans la nappe;

Tu me l’apporteras, et puisse m’écraser

La foudre, si tu n’as par blessure un baiser.

Tu tressailles, Romain? C’est une faute étrange,

Si tu te crois ici conduit par ton bon ange!

Le sang te fait-il peur? Pour t’en faire un manteau

De cardinal, il faut la pointe d’un couteau.

Me jugeais-tu le cœur si large, que j’y porte

Deux amours à la fois, et que pas un n’en sorte?

C’est une faute encor; mon cœur n’est pas si grand,

Et le dernier venu ronge l’autre en entrant.

L’ABBÉ.

Mais, madame, vraiment, c’est... Est-ce que?... Sans doute,

C’est un assassinat. — Et la justice?

CAMARGO.

Écoute.

Je t’en supplie à deux genoux.

L’ABBÉ.

Mais je me bats

Avec lui demain, moi. Cela ne se peut pas;

Attendez à demain, madame. —

CAMARGO.

Et s’il te tue? —

Demain! et si j’en meurs? — Si je suis devenue

Folle? — Si le soleil, se prenant à pâlir,

De ce sombre horizon ne pouvait pas sortir?

On a vu quelquefois de telles nuits au monde. —

Demain! le vais-je attendre à compter par seconde

Les heures sur mes doigts, ou sur les battements

De mon cœur, comme un Juif qui calcule le temps

D’un prêt? — Demain ensuite, irai-je pour te plaire

Jouer à croix ou pile, et mettre ma colère

Au bout d’un pistolet qui tremble avec ta main?

Non pas. — Non! Aujourd’hui est à nous, mais demain

Est à Dieu!

L’ABBÉ.

Songez donc... —

CAMARGO.

Annibal, je t’adore!

Embrasse-moi!

Il se jette à son cou.

L’ABBÉ.

Démons!! —

CAMARGO.

Mon cher amour, j’implore

Votre protection. — Voyez qu’il se fait tard. —

Me refuserez-vous? — Tiens, tiens, prends ce poignard.

Qui te verra passer? il fait si noir!

L’ABBÉ.

Qu’il meure,

Et vous êtes à moi?

CAMARGO.

Cette nuit.

L’ABBÉ.

Dans une heure.

Ah! je ne puis marcher. — Mes pieds tremblent. — Je sens,

Je — je vois...

CAMARGO.

Annibal! je suis prête, et j’attends.

Premières poésies, 1828-1833.

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