Читать книгу Dictionnaire de la langue verte - Alfred Delvau - Страница 5
ОглавлениеABLOQUER ou Abloquir, v. n. Acheter,—dans l'argot des voleurs, qui n'achètent cependant presque jamais, excepté en bloc, à l'étalage des marchands.
ABOMINER, v. a. Avoir de l'aversion pour quelque chose et de l'antipathie pour quelqu'un,—ce que dit clairement l'étymologie de ce mot: ab, hors de, et omen, d'omentum, estomac.
Expression du vieux français et des jeunes Parisiens.
ABONNÉ AU GUIGNON (Être). Être poursuivi avec trop de régularité par la déveine. Argot des faubouriens.
ABOULER, v. a. Donner, remettre à quelqu'un. Argot des voyous.
Signifie encore Venir, Arriver sans délai, précipitamment, comme une boule.
ABOYEUR, s. m. Crieur public ou particulier qui se tient dans les marchés ou à la porte des théâtres forains.
ABRACADABRA, adv. D'une manière bizarre, décousue, folle,—dans l'argot du peuple, qui a conservé ce mot du moyen âge en oubliant à quelle superstition il se rattache. Les gens qui avaient foi alors dans les vertus magiques de ce mot l'écrivaient en triangle sur un morceau de papier carré, qu'ils pliaient de manière à cacher l'écriture; puis, ayant piqué ce papier en croix, ils le suspendaient à leur cou en guise d'amulette, et le portaient pendant huit jours, au bout desquels ils le jetaient derrière eux, dans la rivière, sans oser l'ouvrir. Le charme qu'on attachait à ce petit papier opérait alors,—ou n'opérait pas.
Faire une chose abracadabra. Sans méthode, sans réflexion.
ABRACADABRANT, E, adj. Etonnant, extraordinaire, merveilleux, épatant,—dans l'argot des gens de lettres, qui ont emprunté cette expression à l'abracadabra du Romantisme.
«Satan vous verra.
De vos mains grossières,
Parmi des poussières,
Ecrivez, sorcières,
Abracadabra!»
dit Victor Hugo dans la pièce des Odes et Ballades intitulée le Sabbat.
Cet abracadabra était en effet assez singulier, et je comprends qu'on l'ait raillé en en faisant un adjectif,—sans se douter que depuis longtemps le peuple en avait fait un adverbe.
ABREUVOIR, s. m. Cabaret,—d'où l'on sort plus altéré qu'on n'y est entré.
D'où l'expression proverbiale: Un bon cheval va bien tout seul à l'abreuvoir, pour dire: Un ivrogne n'a pas besoin d'y être invité pour aller au cabaret.
ABRUTI, s. m. Élève assidu, acharné à l'étude,—dans l'argot des Polytechniciens, dont la plupart sont encore trop jeunes pour ne pas être un peu fous.
ABS, s. m. Apocope d'Absinthe, créée il y a quelques années par Guichardet, et aujourd'hui d'un emploi général.
Les apocopes vont se multiplier dans ce Dictionnaire. On en trouvera à chaque page, presque à chaque ligne: abs, achar, autor, aristo, eff, délass-com, démoc, poche, imper, rup, soc, liquid, bac, aff, Saint-Laz, etc., etc., etc. Il semble, en effet, que les générations modernes soient pressées de vivre qu'elles n'aient pas le temps de prononcer les mots entiers.
ABSINTHAGE, s. m. Action de boire l'absinthe, ou de la faire.
ABSINTHE (Faire son). Verser de l'eau sur l'absinthe, afin de la précipiter et de développer en elle cette odeur qui grise tant de cerveaux aujourd'hui.
Signifie aussi Cracher en parlant. On a dit à propos d'un homme de lettres connu par son bavardage et ses postillons: «X... demande son absinthe, on la lui apporte, il parle art ou politique pendant un quart d'heure,—et son absinthe est faite.»
ABSINTHE (Heure de l'). Le moment de la journée où les Parisiens boivent de l'absinthe dans les cafés et chez les liquoristes. C'est de quatre à six heures.
ABSINTHER (S'), v. réfl. S'adonner à l'absinthe, faire sa boisson favorite de ce poison.
ABSINTHEUR, s. m. Buveur d'absinthe.
ABSINTHIER, s. m. Débitant d'absinthe, c'est-à-dire de poison.
ABSORBER, v. n. et a. Manger ou boire abondamment.
ABSORPTION, s. f. Cérémonie annuelle qui a lieu à l'Ecole polytechnique, et «qui a été imaginée, dit Emile de la Bédollière, pour dépayser les nouveaux, les initier aux habitudes de l'Ecole, les accoutumer au tutoiement».
Le nom a été donné à cette fête de réception, parce qu'elle précède ordinairement l'absorption réelle qui se fait dans un restaurant du Palais-Royal, aux dépens des taupins admis.
ACABIT DE LA BÊTE, s. m. Bonne ou mauvaise qualité d'une chose ou d'une personne. Argot du peuple.
Être de bon acabit. Avoir un excellent caractère, ou jouir d'une excellente santé.
ACAGNARDER (S'), v. réfl. Se plaire dans la solitude, vivre dans son coin, comme un vieux chien las d'aboyer à la lune et de courir après les nuages,—ce gibier que nous poursuivons tous sans pouvoir même en jouir comme Ixion.
J'ai souligné à dessein coin et chien: c'est la double étymologie de ce verbe, que n'osent pas employer les gens du bel air, quoiqu'il ait eu l'honneur de monter dans les carrosses du roi Henri IV. (V. les lettres de ce prince.) S'acagnarder vient en effet du latin canis, chien, ou du vieux français cagnard, lieu retiré, solitaire,—coin.
On dit aussi s'acagnarder dans un fauteuil.
ACALIFOURCHONNER (S'), v. réfl. Se mettre à califourchon sur n'importe quoi,—dans l'argot du peuple, qui parle comme Cyrano de Bergerac écrivait.
ACCENTUER SES GESTES, v. a. Donner un soufflet ou un coup de poing,—ce qui est une manière de se prononcer suivant les règles de l'accent tonique.
ACCESSOIRES, s. m. pl. Matériel servant à meubler la scène; tous les objets dont l'usage est nécessaire à l'action d'une pièce de théâtre, depuis la berline jusqu'à la croix de ma mère.
Les acteurs emploient volontiers ce mot dans un sens péjoratif et comme point de comparaison. Ainsi, du vin d'accessoires, un poulet d'accessoires, etc., sont du mauvais vin, un poulet artificiel, etc.
ACCOLADE, s. f. C'était jadis un baiser que recevait sur la joue gauche l'homme qu'on ordonnait chevalier; c'est aujourd'hui un soufflet que peut recevoir tout le monde sur n'importe quelle joue.
ACCOMMODER QUELQU'UN A LA SAUCE PIQUANTE, v. a. Se moquer de lui,—et même se livrer sur sa personne à des voies de fait désagréables.
ACCOMMODER QUELQU'UN AU BEURRE NOIR, v. a. Lui pocher les yeux à coups de poing.
ACCORDÉON, s. m. Chapeau Gibus,—dans l'argot des faubouriens, par allusion au soufflet placé à l'intérieur de ce chapeau.
Se dit aussi d'un chapeau ordinaire sur lequel on s'est assis par mégarde.
ACCOUCHER, v. n. Avouer,—dans l'argot du peuple.
Accoucher de quelque chose. Divulguer un secret; faire paraître un livre; prendre un parti.
ACCOUFFLER (S'). v. réfl. S'accroupir, s'asseoir sur les talons,—dans l'argot du peuple, qui a emprunté ce mot aux patois du Centre, où l'on appelle couffles des balles de coton, sièges improvisés.
On dit aussi s'accrouer.
ACCROCHE-CœURS, s. m. pl. Petites mèches de cheveux bouclées que les femmes fixent sur chaque tempe avec de la bandoline, pour donner du piquant à leur physionomie.
Les faubouriens donnent le même nom à leurs favoris,—selon eux irrésistibles sur le beau sexe, comme les favoris temporaux du beau sexe sont irrésistibles sur nous.
ACCROCHER, v. a. Engager quelque chose au mont-de-piété. Argot des faubouriens.
A CHAILLOT! Exclamation populaire, passée dans l'argot des drôlesses de Breda-Street, et par laquelle on se débarrasse de quelqu'un qui gêne.
ACHETOIRES, s. m. pl. Argent,—dans le même argot.
Maurice Alhoy trouvait le mot trivial. Il est au contraire charmant et bien construit. Montaigne n'a-t-il pas écrit: «Je n'ai pas de gardoire»? Garder, gardoire; acheter, achetoires.
ACœURER, v. a. Accommoder, arranger de bon cœur. Argot des voleurs.
ACRÉE ou ACRIE, s. f. Méfiance, cousine germaine de l'acrimonie. Même argot.
Acrée donc! Cette interjection, qui signifie «Tais-toi!» se jette à voix basse pour avertir qu'un nouvel arrivant est ou peut être suspect. On dit aussi Nibé donc!
ACTEUR-GUITARE, s. m. Acteur qui ne varie pas assez ses effets et n'obtient d'applaudissements que dans certains rôles larmoyants, par exemple Bouffé et Mme Rose Chéri. Argot des coulisses.
ACTIONNAIRE, s. m. Homme crédule et simple, qui s'imagine que tout ce qu'on lui raconte est arrivé, que toutes les offres qu'on lui a faites sont sincères, etc. Argot des gens de lettres.
ADDITION, s. f. Ce que nos pères appelaient la carte à payer, ce que les paysans appellent le compte, et les savants en goguettes le quantum.
ADJECTIVER QUELQU'UN, v. a. Lui adresser des injures, qui ne peuvent être en effet que des adjectifs.
ADROIT DU COUDE, adj. m. Qui a plus l'habitude de boire que celle de travailler. Argot du peuple.
AFF, s. f. pl. Apocope d'Affaires,—dans l'argot des petites dames.
AFFAIRE, s. f. Vol à commettre. Argot des prisons.
AFFAIRE (Avoir son). Avoir son compte, soit dans un duel, soit dans un souper,—être presque tué ou presque gris. Argot du peuple.
AFFAIRE JUTEUSE, s. f. D'un bon rapport. Argot des Mercadets.
AFFAIRES, s. f. pl. Se dit de l'indisposition menstruelle des femmes. Argot des bourgeois.
AFFALER (S'). Tomber,—dans l'argot du peuple.
AFFE, s. f. La vie,—dans l'argot des voleurs, qui me font l'effet d'avoir à dessein confondu avec affres, leur existence étant un perpétuel effroi de la justice et des gendarmes.
Eau d'affe, Eau-de-vie.
AFFOLER, v. a. Accabler de coups, blesser, endommager,—dans l'argot du peuple, fidèle à l'étymologie (à et fouler) et à la tradition: «Vous nous affolerez de coups, monsieur, cela est sûr,» dit Rabelais.
«. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ce qui me console, C'est que la pauvreté comme moi les affole,»
dit Mathurin Regnier.
AFFOURCHER SUR SES ANCRES (S'), v. réfl. Prendre du repos; se retirer du service. Argot des marins.
AFFRANCHI, s. et adj. Corrompu, qui a cessé d'être honnête. Argot des voleurs.
AFFRANCHIR, v. a. Initier un homme aux mystères du métier de voleur, faire d'un voyou un grinche.
AFFRANCHIR, v. a. Châtrer,—dans l'argot du peuple.
On dit aussi Couper.
AFFRANCHISSEUR, s. m. Homme qui rend hongres les animaux entiers.
On dit aussi Coupeur.
AFFRES, s. m. pl. Reproches,—dans l'argot du peuple.
L'expression se trouve dans Restif de la Bretonne.
AFFUR, s. m. Profit,—dans l'argot des voleurs.
Le mot vient en ligne droite de ad furem (même signification), qui vient lui-même du fur (voleur de nuit), de Cicéron.
AFFURER, v. a. Tromper, faire un profit illicite.
AFFUT (D'). Rusé, malin, habile. Argot du peuple.
On dit aussi homme d'affût.
AFFÛTER, v. a. Tromper quelqu'un, le surprendre. Argot des voleurs.
AFFUTER SES PINCETTES. Courir, ou seulement marcher. Argot des faubouriens.
AFFUTIAUX, s. m. pl. Bagatelles, brimborions quelconques,—dans l'argot des ouvriers, qui ont emprunté cette expression au patois des paysans.
AGATE, s. f. Faïence quelconque,—dans l'argot des voleurs.
AGATER, v. n. Recevoir des coups, être pris,—étrenner de n'importe quelle façon. Argot des faubouriens.
AGOBILLE, s. f. Outil,—dans l'argot des voleurs.
AGONIR, v. n. Accabler d'injures et de sottises. Argot des bourgeois et du peuple.
Ne serait-ce pas une corruption d'abonir, faire honte, un vieux verbe français encore employé en Normandie ainsi qu'agonir.
On dit aussi Agoniser.
AGOUA, s. f. Eau,—dans l'argot des canotiers, qui parlent espagnol (agua) on ne sait pas pourquoi.
AGRAFER, v. a. Arrêter, consigner. Argot des soldats et du peuple.
Se faire agrafer. Se laisser prendre.
AGRIPPER, v. a. Prendre à l'improviste, subitement. Argot du peuple.
Signifie aussi filouter, dérober adroitement.
Agripper (S'). Se prendre aux cheveux avec quelqu'un.
AHURI DE CHAILLOT, s. m. Imbécile, homme un peu braque. Argot des faubouriens.
(V. A Chaillot!)
AÏ, s. m. Vin de Champagne,—dans l'argot des vaudevillistes de la Restauration.
AIDE-CARGOT, s. m. Aide de cuisine,—dans l'argot des troupiers, par corruption d'aide-gargot.
AIE-AIE, s. m. Omnibus,—dans l'argot des faubouriens.
AIGLEFIN, s. m. Chevalier d'industrie, escroc du grand et du petit monde, vivant aux dépens de quiconque l'écoute.
C'est à dessein que je donne cette orthographe, qui est aussi véritable,—c'est-à-dire aussi problématique,—que l'orthographe officielle, aigrefin. Le peuple prononce le nom comme je l'écris: est-ce par euphonie, est-ce par tradition? je l'ignore, et les savants n'en savent pas plus que moi là-dessus «Aigre faim, faim très vive (homme affamé)», dit Littré. Sans doute, mais il y a eu jadis une monnaie dite aiglefin, et les escrocs ne sont pas moins affamés d'argent que d'autre chose.
AIGUILLE, s. f. Clé,—dans l'argot des voleurs.
AILE, s. f. Bras,—dans l'argot des faubouriens, l'homme étant considéré par eux comme une oie.
On dit aussi Aileron.
AIMANT, s. m. Embarras, manières, épate. Même argot.
Faire de l'aimant. Faire des embarras, protester hypocritement de son amitié pour quelqu'un, afin de l'attirer à soi.
AIMER A CRÉDIT, s. a. Être l'amant de cœur d'une femme entretenue,—dans l'argot de Breda-Street, où cependant,
«Tout en chantant Schubert et Webre,
On en vient à réaliser
L'application de l'algèbre
A l'amour, à l'âme, au baiser.»
On dit aussi Aimer à l'œil.
AIMER QUELQU'UN COMME SES PETITS BOYAUX, v. a. l'aimer extrêmement.—Argot du peuple.
On dit aussi Aimer quelqu'un comme la prunelle de ses yeux.
A LA CLÉ. Façon de parler explétive des comédiens, qui entendent fréquemment leur chef d'orchestre leur dire: «Il y a trois dièzes ou trois bémols à la clé,» et qui ont retenu l'expression sans en comprendre le sens exact. Ainsi: Il y a des femmes, ou des côtelettes à la clé, signifie simplement: Il y a des femmes,—ou des côtelettes.
ALARMISTE, s. m. Chien de garde. Argot des voleurs.
ALÈNES, s. f. pl. Outils de voleur, en général,—sans doute à cause de leur forme subulée.
ALENTOIR, adv. Aux environs, alentour. Argot des voleurs.
ALIGNER, v. n. Mettre le couvert,—dans l'argot des francs-maçons.
ALIGNER (S'). Se battre en duel,—dans l'argot des troupiers.
ALLER (S'en). Vieillir,—dans l'argot de Breda-Street, où l'on s'en va aussi vite que les roses.
ALLER A LA CHASSE AVEC UN FUSIL DE TOILE, v. n. Mendier, porter la besace. Argot du peuple.
ALLER A LA COUR DES AIDES. Se dit d'une femme qui trompe son mari en faveur d'un ou de plusieurs amants.
L'expression date de l'Histoire comique de Francion.
ALLER A L'ARCHE, v. n. Aller chercher de l'argent. Argot des voyous.
ALLER A LA RETAPE, v. n. Attendre quelqu'un sur une route pour l'assassiner. Argot des prisons.
ALLER A L'ASTIC. Astiquer son fourniment. Argot des soldats.
ALLER A NIORT, v. a. Nier,—dans l'argot des voleurs, qui semblent avoir lu les Contes d'Eutrapel.
ALLER A SES AFFAIRES. Ce que les Hébreux appellent hesich raglaw, les Anglais to shit, les Espagnols cagar, les Flamands schijten, les Italiens cacare, et les Grecs χεζειν [grec: chezein].
«Autrefois, chez le roi, on appelait chaise d'affaires, la chaise percée, et brevet d'affaires le privilège d'entrer dans le lieu où le roi est sur sa chaise d'affaires.»
ALLER AU CARREAU, v. n. Aller pour se faire engager,—dans l'argot des musiciens de barrières, qui chaque dimanche ont l'habitude de se réunir sur le trottoir de la rue du Petit-Carreau, où les chefs d'orchestre savent les rencontrer.
ALLER AU PERSIL. Sortir pendant le jour, aller se promener,—dans l'argot des filles libres, qui, à leur costume de grisettes d'opéra-comique, ajoutent l'indispensable petit panier pour avoir l'air d'acheter... rien du tout, le persil se donnant pour rien chez les fruitières, mais en réalité pour se faire suivre par les flâneurs amoureux.
On dit également: Cueillir du persil et Persiller.
ALLER AU POT. Prendre dans des dominos restants. Argot des joueurs.
On dit aussi Fouiller au pot.
ALLER AU SAFRAN. v. n. Manger son bien,—dans l'argot des bourgeois qui disent cela depuis longtemps.
ALLER AU TROT, v. n. Se dit—dans l'argot des faubouriens—d'une fille en toilette de combat qui va «faire le boulevard».
ALLER AU VICE. Hanter les mauvais lieux,—dans l'argot des bourgeois.
ALLER AUX PRUNEAUX. Plaisanterie qu'on fait à l'hôpital, à tout nouveau venu qui paraît un peu naïf; elle consiste à l'engager à aller demander son dessert dans une salle voisine, à tels ou tels malades qu'on désigne. Celui qui a l'imprudence d'aller aux pruneaux est alors accueilli à coups de traversin, comme l'innocent qui va le 1er avril chez l'épicier chercher de l'huile de cotrets est accueilli à coups de balai.
ALLER DE SA LARME (Y). Ne pas craindre de se montrer ému, au théâtre ou dans la vie, à propos d'un événement touchant, réel ou fictif. Argot des gens de lettres et des faubouriens.
ALLER EN RABATTANT. Vieillir, sentir ses forces s'épuiser. Argot du peuple.
ALLER FAIRE FAIRE (S'). Expression injurieuse—de l'argot des bourgeois par laquelle on se débarrasse de quelqu'un qui vous gêne ou vous ennuie. Le second verbe faire en remplace un autre qui est tantôt paître, tantôt un autre plus énergique.
ALLER OÙ LE ROI VA A PIED. V. Aller à ses affaires dans l'argot du peuple.
C'est précisément pour y avoir été que Henri III fut blessé mortellement par Jacques Clément, qui le frappa sur sa chaise d'affaires.
ALLER QUE D'UNE FESSE (N'). Se dit—dans le même argot—de quelqu'un qui n'est pas très bien portant, ou de quelque affaire qui ne marche pas à souhait de celui qui l'a entreprise.
C'est l'ancienne expression, plus noble: N'aller que d'une aile.
ALLER SON PETIT BONHOMME DE CHEMIN. Aller doucement; se conduire prudemment—pour aller longtemps.
ALLER SUR UNE JAMBE (Ne pas s'en). Boire un second verre ou une seconde bouteille,—dans l'argot des ouvriers, qui ont une manière à eux de marcher et de faire marcher les gens.
ALLER VOIR DÉFILER LES DRAGONS. Dîner par cœur, c'est-à-dire ne pas dîner du tout,—dans l'argot du peuple, qui se rappelle le temps où, ne pouvant repaître son ventre, il allait repaître ses yeux, sous la République, des hussards de la guillotine, et sous l'Empire des dragons de l'Impératrice. Qui admire, dîne!
ALLER VOIR MORICAUD, v. n. Aller au Dispensaire,—dans l'argot des filles, qui disent cela depuis une vingtaine d'années, par allusion au nom de M. Marécot, sous-chef du bureau des mœurs, chargé de statuer sur le sort des visitées, après le rapport du médecin visiteur M. Denis.
Elles disent aussi Aller à saint DENIS.
Les femmes corrompues corrompent naturellement tout—jusqu'aux noms des gens avec qui elles sont en contact.
ALLEZ DONC VOUS LAVER! Interj. de l'argot des voyous, pour signifier: Allez-vous-en donc! vous me gênez!
On dit aussi Allez donc vous asseoir!
ALLIANCES, s. f. pl. Poucettes avec lesquelles les gendarmes joignent les mains des malfaiteurs pour gêner leurs mouvements.
ALLONGER (S'). Payer, se fendre,—dans l'argot des faubouriens.
ALLUMÉ (Être). Être sur la pente de l'ivresse, soit parce qu'on a bu plus que de raison, soit parce qu'on a trop regardé une jolie fille. Même argot.
ALLUMER, v. n. Exciter un cheval à coups de fouet. Argot des cochers.
ALLUMER, v. a. Provoquer l'admiration; jeter le trouble dans le cœur d'un homme, comme font certaines femmes avec certains regards.
Se dit aussi du boniment que font les saltimbanques et les marchands forains pour exciter la curiosité des badauds.
L'expression est vieille.
ALLUMER, v. a. et n. Voir, regarder,—dans l'argot des voleurs.
Allumer le miston. Regarder quelqu'un sous le nez.
Allumer ses clairs. Regarder avec attention.
Allumer son pétrole, v. a. S'enflammer l'imagination,—dans l'argot des petites dames, qui savent combien l'homme est inflammable.
On dit aussi Allumer son gaz,—ce qui, en effet, est une manière de prendre feu.
ALLUMEUR, s. m. Compère, homme qui fait de fausses enchères,—dans l'argot des habitués de l'hôtel Drouot.
ALLUMEUSE, s. f. Marcheuse, dans l'argot des filles.
ALPAGA, s. m. Habit, dans l'argot des voleurs et des faubouriens.
ALPHONSE, s. m. Nom d'homme qui est devenu—dans l'argot des filles—celui de tous les hommes assez peu délicats pour se laisser aimer et payer par elles.
ALPIOU, s. m. Homme qui triche au jeu,—par allusion au nom donné autrefois à la marque que l'on faisait à sa carte en jouant à la bassette.
ALTÈQUE, ad. Beau, brave, excellent,—dans l'argot des voleurs, qui ont emprunté ce mot (altus) à Virgile.
AMADOU, s. m. «C'est dequoy les argotiers se frottent pour se faire devenir jaunes et paraistre malades,»—c'est-à-dire pour amadouer et tromper les bonnes âmes.
AMADOU, s. et adj. Homme qui prend aisément feu—afin d'être aimé, amatus. Argot du peuple.
AMADOUAGE, s. m. Mariage—dans l'argot des voleurs.
AMADOUÉ, s. m. Homme marié.
AMADOUER (S') v. réfl. Se grimer pour tromper. Même argot.
AMANDES DE PAIN D'ÉPICE, s. f. pl. Dents noires et rares. Argot des faubouriens.
L'expression a été employée par le duc de Grammont-Caderousse qui, le soir de la 1re représentation du Cotillon, au Vaudeville, avait cassé trois dents à un quidam.
AMANT DE CARTON, s. m. Amant sans conséquence,—dans l'argot des petites dames.
AMANT DE CœUR, s. m. Jeune monsieur qui aime une jeune dame aimée de plusieurs autres messieurs, et qui, le sachant, ne s'en fâche pas,—trouvant au contraire très glorieux d'avoir pour rien ce que ses rivaux achètent très cher. C'est une variété du Greluchon au XVIIIe siècle.
On disait autrefois: Ami de cœur.
AMATEUR, s. m. Bourgeois,—dans l'argot des troupiers.
AMATEUR, s. m. Homme du monde qui ne fait pas payer sa copie. Argot des gens de lettres.
AMBASSADEUR, s. m. Cordonnier—dans l'argot des voyous.
Se dit aussi pour Souteneur de filles.
AMBES, s. f. pl. Les jambes—dans l'argot des voleurs, qui serrent de près une étymologie: αμφω [grec: amphô] en grec, ambo en latin, d'où ambes dans l'ancien langage français,—trois mots qui ont la même signification, deux: les jambes vont par paire.
AMBIER, v. n. Fuir, jouer des ambes.
AMÉRICAIN, s. m. Compère du jardinier dans le vol appelé charriage.
AMÉRICAINE, s. f. Voiture découverte à quatre roues. Argot des carrossiers.
AMICABLEMENT, adv. Avec plaisir, affectueusement, de bonne amitié,—dans l'argot du peuple, dont les bourgeois auraient tort de rire. Je ne conseille à personne de cesser de prononcer amicalement; mais je trouve qu'en prononçant amicablement, les ouvriers serrent de plus près l'étymologie, qui est amicabilis, amicable. Amicabilem operam dare, dit Plaute, qui me rend un service d'ami en venant ainsi à la rescousse.
AMIS COMME COCHONS, s. m. pl. Inséparables.
AMITEUX, adj. Amical, aimable, doux, bon.
AMOCHER, v. a. Blesser, meurtrir. Argot des faubouriens.
S'amocher la gueule. Se meurtrir mutuellement le visage à coups de poing.
AMOUR D'HOMME, s. m. Homme dont raffolent les femmes—dans l'argot de Breda-Street, où M. Taine devrait bien aller faire son cours d'esthétique, car on y a des idées biscornues sur la beauté et sur l'amour.
AMUNCHE, s. m. Ami,—dans l'argot des voleurs.
AMUSATIF, adj. Drôle, plaisant, amusant,—dans l'argot des faubouriens.
AMUSER A LA MOUTARDE (S'), v. réfl. Se laisser distraire de son devoir ou de sa besogne par des niaiseries, des frivolités—dans l'argot du peuple, qui trouve sans doute que la vie pourrait se passer de ces condiments.
ANCIEN, s. m. Élève de première promotion,—dans l'argot des Saint-Cyriens et des Polytechniciens.
ANDALOUSERIE, s. f. Romance mi-cavalière, mi-sentimentale, comme on en chante dans les cafés-concerts, et où il est toujours question du «beau ciel de l'Andalousie», des «beaux yeux des brunes Andalouses», et où le héros s'appelle toujours Pédro et l'héroïne Paquita. Argot des bourgeois.
ANDOUILLE, s. m. Homme sans caractère, sans énergie,—dans l'argot du peuple, qui emprunte volontiers ses comparaisons à la charcuterie.
ANGE GARDIEN, s. m. Homme dont le métier—découvert, ou tout au moins signalé pour la première fois par Privat d'Anglemont—consiste à reconduire les ivrognes à leur domicile pour leur éviter le désagrément d'être écrasés ou dévalises—par d'autres.
ANGLAIS, s. m. Créancier,—dans l'argot des filles et des bohèmes, pour qui tout homme à qui l'on doit est un ennemi.
Le mot est du XVe siècle, très évidemment, puisqu'il se trouve dans Marot; mais très évidemment aussi, il a fait le plongeon dans l'oubli pendant près de trois cents ans, puisqu'il ne paraît être en usage à Paris que depuis une trentaine d'années.
ANGLAIS, s. m. Entreteneur,—dans l'argot des petites dames, qui donnent ce nom à tout galant homme tombé dans leurs filets, qu'il soit né sur les bords de la Tamise ou sur les bords du Danube. Elles ajoutent à leur manière des pages nombreuses à notre livre des Victoires et Conquêtes.
ANGLAIS (Avoir ses). Avoir ses menses,—dans l'argot des filles, qui font ainsi allusion à la couleur de l'uniforme des soldats d'Albion.
Elles disent aussi: Les Anglais ont débarqué.
ANGLAISE, s. f. Écot, part de chacun dans une affaire ou dans un dîner. Argot des saltimbanques.
Faire une anglaise. Payer chacun son écot.
ANGLAISE, s. f. Jeu de gouapeurs qui consiste à jeter les sous de chacun et à garder pour soi les faces; un second prend les piles qui restent et rejette, etc.
Jouer à l'anglaise. Jouer aux sous.
ANGLUCE, s. f. Oie,—dans l'argot des voleurs.
ANGOULÊME, s. f. La bouche—dans l'argot des voleurs, qui ont emprunté ce mot à l'argot du peuple, par corruption du verbe français engouler, avaler, et non, comme le voudrait M. Francisque Michel, par une allusion plus ou moins ingénieuse et plus ou moins fondée à la réputation de goinfrerie de la capitale de l'Angoumois.
ANGUILLE, s. f. Ceinture,—dans l'argot des voleurs.
ANGUILLE, s. f. Fouet à sabot,—dans l'argot des enfants.
ANONCHALI, adj. Découragé, abattu par l'ennui ou le chagrin—dans l'argot du peuple, fidèle à la tradition du vieux langage.
ANSE, s. f. Bras,—dans l'argot des faubouriens.
Offrir son anse. Offrir son bras.
Faire le panier à deux anses. Se promener avec une femme à chaque bras.
ANSES, s. f. pl. Oreilles,—parce qu'elles sont de chaque côté de la tête comme les anses de chaque côté d'un pot.
ANTIF, s. m. Marche,—dans l'argot des voleurs.
Battre l'antif. Marcher. Signifie aussi Tromper, dissimuler.
ANTIFFE, s. f. Eglise,—dans le même argot.
On dit aussi Antiffle et Antonne.
ANTIFFLER, v. n. Se marier à l'église.
ANTIPATHER, v. a. Avoir de l'aversion, de l'antipathie pour quelqu'un ou pour quelque chose. Argot des lorettes et des bourgeoises.
Le mot est de Gavarni.
ANTIQUE, s. m. Élève qui sort de l'Ecole. Argot des Polytechniciens.
ANTONISME, s. m. Maladie morale introduite dans nos mœurs par Alexandre Dumas, vers 1831, époque de la première représentation d'Antony, et qui consistait à se poser en homme fatal, en poitrinaire, en victime du sort, le tout avec de longs cheveux et la face blême. Cette maladie, combattue avec vigueur par le ridicule, ne fait presque plus de ravages aujourd'hui. Cependant il y a encore des voltigeurs du Romantisme comme il y a eu des voltigeurs de la Charte.
ANTONY, s. m. Un nom d'homme qui est devenu un type, celui des faux poitrinaires et des poètes incompris.
APASCLINER (S'), v. réfl. S'acclimater,—dans l'argot des voleurs.
(V. Paclin.)
APIC, s. m. Ail,—dans le même argot.
APLOMBER, v. a. Étonner, étourdir par son aplomb. Même argot.
APOPLEXIE DE TEMPLIER, s. f. Coup de sang provoqué par une ingestion exagérée de liquide capiteux. Argot du peuple.
APOTHICAIRE SANS SUCRE, s. m. Ouvrier qui est mal outillé; marchand qui est mal fourni des choses qui concernent son commerce.
APÔTRES, s. m. pl. Les doigts de la main,—dans l'argot des voleurs, qui font semblant d'ignorer que les disciples du Christ étaient douze.
APPAREILLER, v. n. Sortir, se promener,—dans l'argot des marins.
APPAS, s. m. pl. Gorge de femme,—dans l'argot des bourgeois.
APPELER AZOR, v. a. Siffler un acteur comme on siffle un chien. Argot des comédiens.
APPLIQUE, s. f. Partie de décors qui se place à l'entrée des coulisses, sur les portants. Même argot.
APPRENTI, s. m. Premier grade de la maçonnerie symbolique.
APPRENTIF, s. m. Jeune garçon qui apprend un métier,—dans l'argot du peuple, fidèle à l'étymologie (Apprehendivus) et à la tradition: «Aprentif jugleor et escrivain marri,» dit le Roman de Berte.
APPUYER, v. a. et n. Abaisser un décor, le faire descendre des frises sur la scène. Argot des coulisses. (V. Charger.)
APPUYER SUR LA CHANTERELLE, v. n. Toucher quelqu'un où le bât le blesse; prendre la cigale par l'aile: insister maladroitement sur une chose douloureuse, souligner une recommandation. Argot du peuple.
AQUIGER, v. a. Prendre,—dans l'argot des faubouriens.
Cependant ils disent plus volontiers quiger, et quelquefois ils étendent le sens de ce verbe selon la nécessité de leur conversation.