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Arthur.
HISTOIRE D’AUJOURD’HUI.

Table des matières

I.

Par une belle nuit d’été, dans les jardins immenses du château de Mersan, errait lentement un couple jeune et amoureux; ils étaient’deux, l’un avec une passion frénétique au cœur, l’autre avec une passion de boudoir, un caprice d’une semaine, d’un jour, d’un moment.

Ils étaient deux, le paradis et l’enfer. Depuis trois grandes heures ils devisaient en suivant allées et bosquets; ils se promenaient, et le temps glissait si rapide pour eux qu’ils ne s’apercevaient pas de ce long espace de félicité épuisé en paroles d’une suave galanterie, en aveux et sermens répétés et redits sans cesse, en extases d’amour profond.

Ils étaient sur la terre, et leur ame sillonnait le ciel; car l’amour c’est un céleste envoyé, un reflet du bonheur d’en haut.

L’horloge de l’église vibra, mais si sombre, mais si lente qu’on ’eût dit la dernière plainte d’un mourant à l’agonie.

–Une heure, déjà une heure! murmura d’une voix éteinte la jeune femme. Une heure! Et elle répéta ces deux mots avec angoisse et déchirement.

N’avait-elle pas raison? Ce fatal retentissement de l’horloge brisait sa félicité présente. Et le présent, n’est-ce pas tout?

–Quoi! sitôt? quoi! déjà séparés? Oh! pardonnez-moi, j’ai besoin de pardon; car à cette heure je vous aime avec frénésie

–Ne me parlez pas ainsi, Ernest; chacune de vos paroles est un réseau qui m’enlace, un ouragan qui me bouleverse!... Ernest, soyez généreux; vous êtes un homme, vous pouvez tout sur vous; moi, je ne suis qu’une faible femme, qui n’ai de force que pour vous aimer!

–Léontine, ce que vous dites est bien; vous m’avez jeté dans l’ame une passion démesurée, et vous voulez que j’étouffe cette passion dans mon ame, que je la tue! Mon amour ne vous est pas indifférent: vos regards vous ont trahie. Qu’importe! il faudra que vous étouffiez aussi cet amour.... Ah! ce que vous dites est bien!

–Ernest, je n’exige pas tant... j’en mourrais...

–Soit: vous me sacrifiez, malgré vous, à ce qu’on nomme devoir; je vous approuve. Il est au monde des femmes qui ne pensent pas si sévèrement que vous; je m’adresserai à l’une de ces femmes, je me persuaderai que je l’aime, et alors je vous oublierai. Vous êtes belle, j’en choisirai une aussi belle que vous. Bonté, talens, tout ce qui étonne, émerveille, séduit, vous le possédez: j’en choisirai une qui possédera beauté, talens, et alors je vous oublierai.

Mais si par hasard je ne me souviens plus que je cherche à me détacher de vous: si par hasard cette femme que j’aurai choisie par devoir, par distraction, je l’aime, ne venez pas vous placer entre elle et moi, en me disant:–Me voici; je suis la baronne de Lussac!...–car alors je détournerais avec chagrin mes yeux de vous; car alors je renierais l’amour que vous m’avez inspiré.

–Ernest, vous ne m’avez jamais aimée!

–C’est vous qui me forcez de le dire

–Ernest, le ciel est sur moi, qu’il m’écrase s il me juge coupable! Ernest, l’opinion du monde m’a respectée jusqu’à cette nuit, qu’elle me traite d’infâme!... Ernest, je t’aime; à moi donc toute seule ton amour! Dieu, hommes, réputation, je brave tout, je marche sur tout... je suis à toi, rien qu’à toi, à toi pour toujours...

–A moi pour toujours!...

–A toi!... à toi!...

Ce qui petit broyer le cœur, lui retirer lentement l’existence, la baronne l’avait ressenti, l’avait usé; son sang se glaça, ses genoux faiblirent, ses yeux se fermèrent.

Elle tomba lourdement à terre. Ernest la contempla quelques minutes en souriant:

–Voilà bien les femmes, murmura-t-il enfin. On leur dit qu’on les aime, elles vous repoussent; on leur dit qu’on ne les aime pas, elles se livrent frénétiquement à vous

Et il se baissa lentement, prit dans ses bras la baronne évanouie, traversa le jardin, entra dans l’appartement, la déposa sur un canapé, et ferma la porte de la chambre à coucher.

Il s’approcha d’elle, la regarda avec indifférence, et dit assez haut:

–Je ne la croyais pas si belle...

L’évanouissement de madame de Lussac fut long. Quand elle revint à elle, elle fut effrayée de se trouver les vêtemens en désordre, et dans son appartement avec le chevalier de Savigny.

Elle voulut lui adresser d’amers reproches, il lui ferma la bouche avec des baisers; elle voulut le repousser de ses bras, il l’enlaça dans les siens; elle voulut se lever, il se jeta à ses genoux.

Elle fut forcée de croire à l’amour de celui qui avait assez de place dans le cœur pour adorer vingt femmes à la fois, l’ame trop aride, trop usée pour en aimer une seule.

Madame de Lussac aimait profondément un homme ingrat.

Cet homme était à ses genoux, la suppliait.

Le lendemain, les yeux chargés de langueur, elle attirait contre elle Ernest, lui prodiguait les plus tendres sermens, lui disait qu’elle ne se repentait pas de ce qui leur était advenu; que cette nuit délicieuse lui laisserait des souvenirs pour toute la vie; et puis elle se taisait, l’enlaçait sur son sein, l’enivrait de purs baisers.

Et voilà que tout à coup la porte s’ouvrit avec fracas; un jeune homme, à la pâle figure, aux yeux flamboyans, aux cheveux en désordre, parut...

Léontine jeta un cri d’effroi.

Et le jeune homme pâle demeurait toujours sur le seuil de la porte.

–Adultère! Adultère! prononça-t-il enfin d’une voix étouffé. Adultère!...

Alors il sortit de la chambre, tirant la porte sur lui.

Et quelque temps après il reparut en dehors de la chambre à coucher: elle faisait partie du rez-de-chaussée, et donnait sur le jardin. Il en ferma bruyamment les volets, puis les barricada avec une échelle énorme, malgré les clameurs et les efforts d’Ernest, qui dans sa fureur, brisait les vitres et cherchait à casser les volets....

Une voix s’entendit au dedans... Pas d’issue pour fuir: c’était madame de Lussac qui parlait.

–Que n’ai-je tué ce misérable! répondit le chevalier; et un long soupir de rage s’élança rauquement de sa poitrine.

–Adultères, adultères! répéta deux fois le jeune homme. Je reviendrai!

Un coin du salon

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