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II.

Le lendemain, c’était fête à Venise, tout semblait y vivre doublement: le marbre des palais et de quelques splendides maisons s’animait sous les retentissemens publics, sous les clameurs de plaisir; les larges dalles des rues brûlaient sous les pas d’une foule de cavaliers vêtus d’habits de fête; enfin à voir Venise ce jour-là belle et parée, avec ses faubourgs encombrés de riches toilettes et de soie, on aurait dit les détours d’un vaste édifice.

Puis, à droite, à gauche, sur les places, dans les gondoles, ce n’étaient que cris de gentilshommes se donnant rendez-vous aux plus riches hôtels garnis de la ville, à Giacomo, à Margarita. Mais c’était surtout aux environs de l’ancienne demeure des doges, à la place Saint-Marc, que le peuple tourbillonnait; les longues arcades de l’édifice s’emplissaient incessamment; on ne respirait pas, on étouffait... et c’était en hiver.

A plusieurs pas de là on apercevait l’église du même nom, ouverte déjà, et d’où personne n’était surpris de voir des figures dévotes sortir pour se mêler à la fête, comme s’il leur appartenait de rapprocher ainsi la terre de la divinité.

L’église Saint-Marc est bâtie en marbre; elle se divise en cinq constructions, chacune d’elle haute et surmontée d’un dôme. Ces dômes sont tous à l’extérieur, couverts de plomb doré autrefois, ce qui leur donne un air de mosquées orientales.

L’architecture du temple est grecque, le pavé en mosaïque de jaspe et de porphyre; enfin on comprend d’abord, en voyant l’église Saint-Marc à Venise, ce que l’ame d’un Italien peut contenir de frénétique religion, de bizarre amour pour Dieu. De la petite place contiguë à la place Saint-Marc on aperçoit la mer.

La mer bleue et calme, et qui regarde avec amour les merveilles d’Italie.

Cependant le plaisir avec ses clameurs et ses tourbillons de peuple ne s’était pas réfugié dans un seul quartier della bella Venezia. Ainsi qu’un océan en démence, il avait tout occupé; ainsi que les laves échevelées d’un volcan, il avait tout incendié.

Le pont du Rialto occupe le grand canal de Venise; là aussi l’on s’était donné rendez-vous; jamais fête n’avait été plus solennelle: femmes, enfans, vieillards, encombraient la longue avenue du pont, passaient et repassaient comme un flux éternel!

Pour l’étranger qui aurait vu tout ce peuple tourbillonner, et le Rialto, long de deux cents pas, soutenu par une seule arche, il n’eût pas accordé deux minutes d’existence au pont qui soutenait le peuple, à l’arche qui soutenait le pont, et il se serait signé en priant Dieu de ne pas condamner au feu l’autre vie de ceux dont il allait anéantir la vie temporelle.

Les clameurs redoublent, la ville s’agite, s’émeut, et cependant le soleil perd, un à un, ses rayons; le jour s’éteint, et la nuit qui tombe semble envelopper Venise d’un deuil universel.

Ainsi la mort ternit les félicités humaines, et les détruit inopinément.

Mais Venise est une ville belle entre toutes les villes; la capricieuse n’est point lasse de plaisirs, il lui en faut de nouveaux.

Le jour tombe, un autre jour le remplace.

Dans toutes les rues ce ne sont qu’illuminations; elles pleuvent de l’intérieur des salons, elles pleuvent des croisées, elles pleuvent des balcons, si resplendissantes qu’on dirait que de la terre au soleil il n’existe en ce jour qu’un intervalle de quelques coudées!..

Vive la nuit à Venise pour un carnaval! vive la nuit! c’est alors seulement qu’il commence, c’est alors seulement que mille rivalités charmantes, rivalités d’amour, rivalités de débauche, se jettent le gant. Vive la nuit à Venise pour les galans qui n’ont que le carnaval pendant l’année afin de voir leur maîtresse préférée! vive surtout le théâtre de la Fenice pour ceux qui se couvrent d’un masque et volent, au nez des maris complaisans, l’honneurs de leurs dames!

Les gondoles cessent d’encombrer la ville; la foule diminue par intervalles; les gentilshommes ne se mêlent que rarement au peuple, qui n’a qu’un jour dans l’année pour marcher de niveau avec la noblesse.

Il est une heure du matin.

Le théâtre de la Fénice est l’idole du moment.

Depuis quelque temps, la salle, les loges, la scène, les corridors sont pleins de gentilshommes, de femmes et de jeunes cavaliers, acteurs d’un genre bizarre, qui, en une nuit, ébauchent pour une année de chagrins ou de joies; qui, en une nuit, commencent vingt drames qui exigeront de longs instans de félicité ou du sang pour dénouement.

Ici le plaisir est calme et naïf; un jeune homme et une jeune femme masqués se promènent et causent d’amour devant un millier de témoins, et se troublent sitôt qu’un cavalier les aborde. Pauvres enfans! qui ne savent point que l’amour est une occupation provisoire, un jeu qui ne dure que peu d’instans.

Là le plaisir est bruyant, il a des cris, il a des ailes, il bondit, il tressaille; des rondes se forment, il se mêle aux rondes, il danse avec les danseurs, il bruït avec les violons; il est partout dans les regards, dans les gestes, dans la voix, dans les amours qui commencent, dans les haines qui se continuent; être insaisissable, il est partout.

Ailleurs, un galant s’est affublé d’un costume de Mars, et vient offrir la main à sa maîtresse, femme d’un vieux jaloux déguisé en Vulcain.

Les déguisemens mythologiques font fureur à Venise.

L’Italie, qui a renié sa vieille gloire, abâtardi ses vieux monumens, a conservé ses divinités païennes.

Dérision que cette ville qui s’est déshéritée de son passé, qui est morte pour l’avenir!

Plus loin Jupiter se promène gracieusement avec une Junon, moins surannée et moins maussade que celle de l’Olympe.

Un dieu Pan renverse à droite et à gauche les divinités inférieures qui entravent sa course; il a aperçu de loin une fraîche et jolie comtesse auprès de son mari qui, par amour pour sa femme, est venu au bal sous un costume de Minautore!...

Tout à coup des clameurs de surprise se font entendre au loin, chacun se presse sur les pas de la foule et ne peut apercevoir la personne qui a assez de puissance, de beauté ou de bizarrerie, pour bouleverser les plaisirs de quelques milliers d’hommes.

–C’est Erato elle-même, disait un sigisbé en délaissant sa dame, c’est Erato elle-même; elle aura déserté ce soir l’Olympe et les dieux, afin de visiter la terre et ses habitans. Amis, c’est Erato elle-mème; ce parfum qui l’environne et ruissèle dans les tresses de sa coiffure, c’est de l’encens, l’enceus des immortels!

–Bella, reprenait un autre, si votre patrie est éternelle, et votre puissance suprême, tâchez de vous prendre d’amour pour moi. Je suis duc et riche: tâchez que je ne vous aime pas moi tout seul, car l’amour que vous inspirez est pur comme l’éclair de votre regard.

–Viva la divinita di Venezia! murmura une voix.

–Viva! crièrent deux cents voix.

La dame parvint enfin à se dégager des flots de cavaliers qui l’entouraient.

Elle était ravissante à voir.

Et certes, si la muse mythologique, dont elle avait emprunté le costume, fût ressuscitée de la tombe, elle serait une seconde fois morte, non plus de vieillesse, mais de désespoir de se voir dépassée en beauté par une Vénitienne.

Quelques jeunes seigneurs se rapprochèrent, et, après avoir inutilement dépensé toutes les ressources d’une galanterie délicieuse afin de lever le mystère de son déguisement, quittèrent la place.

L’un d’eux s’attacha à elle comme son ombre, ou son mauvais génie, la poursuivant d’éloges, l’abreuvant de sarcasmes; lassé enfin, il voulut arracher le masque de cire qui lui couvrait la figure.

La dame masquée porta avec effroi la main à son visage, et jeta un cri.

D’autres jeunes gens approchèrent; on se donna rendez-vous pour le lendemain.

Cependant l’inconnue avait disparu quelque temps, semblable à une vision céleste qui nous quitte après nous avoir fait espérer le bonheur.

Elle revint bientôt; elle donnait le bras à un étranger.

Et chacun la reconnut.

Et plus d’un gentilhomme de Venise fut tenté de chercher querelle à ce cavalier.

La dame masquée l’entraîna dans une loge séparée de celle du théâtre, et, après en avoir fermé la porte, alla s’asseoir dans l’ombre.

L’étranger restait debout:

–Mylord, asseyez-vous, lui dit-elle d’une si douce voix qu’on aurait cru à un accord des cieux; mylord, asseyez-vous.

Byron s’assit.

–Mylord, il paraît que vous n’êtes que depuis peu à Venise, et c’est peut-être votre première aventure amoureuse?

Byron ne répondit rien.

Et le sein de la jeune femme se gonfla, et de violens soupirs s’en échappèrent.

–Ecoutez, mylord, c’est la première fois que vous allez en Italie, cette terre de feu, où l’amour est une fureur. Aucune dame italienne ne vous a pris sans doute la main comme je prends la vôtre!.... Aussi êtes-vous étonné de votre aventure de ce soir?

Et la voix de la jeune femme devint tremblante d’émotion.

Byron ne fit pas semblant de s’en apercevoir, et demeura muet comme par le passé.

–Une femme vous a dit cependant qu’elle vous aimait: ne vous souvenez-vous plus de cette femme?

–Je ne veux pas m’en souvenir.

–Mylord, ajouta la dame masquée se rapprochant tout-à-fait de lui, on ne vous a donc pas murmuré à l’oreille ces mots: A demain?

Et le cœur de l’inconnue palpitait en ce moment, mais bien fort; et si quelqu’un avait été assez hardi pour ôter le masque qui lui recouvrait la figure, il aurait aperçu sur cette figure des traces d’amour et de crainte.

Byron ne répondit pas.

–Cependant, cette nuit-là, la rue était illuminée de flambeaux, il y eut du sang répandu sur le pavé, continua-t-elle.

–Je ne me souviens de rien, madame.

–A demain, mylord, à demain; vous serez à mes pieds, et je vous repousserai du pied.

La dame masquée entr’ouvrit violemment la porte de la loge, et disparut.

Byron voulut la joindre! il ne la vit plus.

Alors il pensa à ce qui lui était advenu, et il ne se reprocha pas de n’avoir point soulevé, comme il l’avait résolu d’abord, le masque de l’Italienne.

Quelques minutes après, il oublia ce commencement d’ aventure.

Il retourna au bal.

Et il admira du profond de son ame l’étrange et bel aspect d’un carnaval de Venise, et cédant à l’entraînement, il se confondit aux groupes, hasarda quelques paroles aux dames.

A cinq heures du matin il sortit.

A peine dehors, il crut s’apercevoir qu’on le suivait.

–Au revoir! Byron, lui cria une voix.

Byron regarda.

A quelques pas de lui, il vit un groupe de cavaliers masqués et costumés bizarrement.

Il appela un gondolier, et se prépara à descendre dans une gondole.

–Au revoir! Byron, lui cria encore la même voix...

Byron fit un mouvement convulsif, et se détourna pour découvrir qui lui parlait ainsi.

Les cavaliers l’entourèrent tout à coup....

La porte d’un hôtel se referma sur lui; il avait disparu comme par enchantement, et, deux heures après, toute la ville racontait que Byron venait d’être enlevé au sortir d’un bal.

Un coin du salon

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