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IV.

La mort de la comtesse Héléna avait produit une grande stupeur dans la ville, et lord Byron, pour s’étourdir sur ce tragique événement, courut les bals, les spectacles, les promenades; il redevint bientôt ce qu’il fut en Angleterre, un homme affamé de plaisirs et d’orgies.

Et malgré tout cela, il pensait incessamment à Héléna, qui l’avait rendu heureux quelque temps, à Héléna morte pour lui!...

Le souvenir de cette femme le poursuivait surtout aux heures de l’inspiration; il prenait la plume pour écrire quelques strophes de Juan, son héros, et la plume lui tombait des mains, et des larmes ruisselaient sur ses joues flétries prématurément, et il rêvait malgré lui à tant d’amour éveillé chez une femme jusque-là sans amour, à tant de grâces dédaignées, à tant de beauté éteinte, à tant de jeunesse ensevelie avant le temps et couchée sous la pierre d’un cercueil!...

Byron retomba dans un accablement profond, et, comme si de hideuses visions agitaient leurs mains saignantes autour de lui, il ferma les yeux. Il aurait, dans ce moment, donné Don Juan pour une pensée consolatrice, sa gloire dans les siècles futurs pour une heure de sommeil, sa vie pour la mort!...

Pensée de consolations, sommeil d’une heure, mort ardemment invoquée, tout cela fut muet pour lui.

Byron voulut trouver le repos dans la méditation.

Alors il songea à remplir le vœu suprême d’une mourante, à éterniser cette femme qu’un souffle d’amour eût rendue presque céleste, qu’une parole d’indifférence avait impitoyablement tuée.

Il reprit la plume, et écrivit.

Et quelques minutes après il déchira ses deux strophes, comme si, à défaut des aveux du poète, les pavés de Venise et de la place Saint-Marc ne devaient pas se lever, et crier aux générations à venir qu’Héléna, comtesse d’Italie, s’était suicidée à vingt ans pour un Byron, lord d’Angleterre!...

Ce que la poésie et le recueillement n’avaient pu faire, une vie turbulente ne le fit point.

Byron allait-il à un bal, une femme lui souriait-elle délicieusement, son sourire lui rappelait celui d’Héléna: une autre lui parlait, c’était encore la voix d’Héléna qui glissait à son oreille épouvantée; alors il regardait si ses mains n’étaient pas sanglantes.

Venise devint pour lui une ville maudite, et bientôt il résolut d’en partir.

Ses préparatifs furent promptement achevés; l’homme qui ne laisse aucun regret, qui n’emporte aucune affection, qui dit adieu à une ville comme un condamné au bourreau; cet homme peut abandonner rapidement un pays, et sans regret porter sa destinée dans un autre.

Byron quitta Venise par un soir d’hiver, et il ne donna pas un souvenir à cette ville belle entre les villes.

Venise, ce soir-là, resplendissait entourée de fanaux et projetait sa grande ombre sur le golfe où elle se baigne, et le poète dédaigna de contempler ce spectacle, miraculeuse poésie.

Déjà il atteignait l’extrémité de la ville, suivi de son valet, lorsqu’un homme, à la haute stature et enveloppé tout entier dans les replis de son manteau, surgit de terre.

Byron recula involontairement; honteux bientôt de sa faiblesse, il marcha droit à l’apparition.

Et l’apparition s’approcha aussi de lui.

Et quand ils furent face à face, le duc Félippini se dégagea de son manteau.

–Byron, poète et lord d’Angleterre, ne t’ai-je pas dit que nous nous retrouverions?

–Nous nous sommes retrouvés!

–Écoute:

–Tu as méprisé une femme que j’aimais: je t’eusse pardonné de l’avoir aimée. Tu vas mourir pour être resté de glace devant elle.

Le duc alors lui lâcha, presque à bout portant, un coup de pistolet...

Mais, soit maladresse, soit épouvante, sa main dévia, Byron ne fut pas atteint.

–A mon tour, grand de Venise, duc d’Italie, au lieu d’un souvenir, j’en emporterai deux.

Et le poète se tourna impérieusement vers son valet, et lui dit:

–Williams, prenez ce pistolet, et maintenant tuez cet homme.

Et une détonation s’entendit.

Un cadavre roulait sur le pavé.

–Mylord, où allons-nous à présent?...

–En Grèce!...

Un coin du salon

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