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XXI.
Оглавление— Voilà la Bible. C’est un beau livre, plein de récits populaires comme l’enfance du genre humain; mais plein de mystères, de scandales de mœurs, de crimes et de férocités qui dépraveraient l’esprit, le cœur et les mœurs, si on la jetait non commentée et non châtiée dans les mains des enfants et dans l’inintelligence historique des masses. Voilà Homère, Platon, Sophocle, Eschyle! Mais ce sont d’autres époques, d’autres mœurs, une autre langue; c’est du grec. Rien! Voilà Virgile, Horace, Cicéron, Juvénal, Tacite! Mais c’est du latin! le peuple ne le sait pas. Rien! Voilà Milton, Shakespeare, Pope, Dryden, lord Byron, Crabbe, surtout! C’est de l’anglais. Rien! Voilà le Tasse, le Dante, Pétrarque, trois admirables poëtes. Mais c’est de l’italien. Rien! Voilà Schiller, Goëthe, Wiéland, Gessner! Il y a en eux de belles pages pour le peuple; la poésie allemande y descend parce que le peuple monte à elle. Mais c’est en allemand. Rien! Voilà Cervantès, Caldéron, Lope de Véga! Mais ce sont des parodies du génie chevaleresque dont ce temps-ci n’a pas à se corriger; d’ailleurs c’est espagnol. Rien! Voilà les grandes et sublimes poésies orientales, indiennes, persanes, arabes. Il y a là des trésors enfouis d’imagination et de sagesse humaine dont on pourrait monnayer les lingots pour l’humanité à venir! Mais c’est en persan, en arabe, en sanscrit; il faut des mineurs et des monnayeurs de ces poëmes; ils ne sont pas venus encore. Rien!
Voilà nos vieux poëtes français; ce ne soin que romans de chevalerie, aventures cyniques, rimes galantes et fades à des Amaryllis de fantaisie ou à des beautés de cour. Rien! Voilà Pascal; des polémiques scolastiques sur des raffinements de dogmes inintelligibles au simple bon sens, ou quelques pensées sublimes d’expression, mais sublimes comme l’abîme est sublime d’inconnu, de profondeur, de désespoir! Ce livre ferait des fous s’il ne faisait pas des anachorètes! Rien! Voilà Bossuet; langue prophétique, éloquence biblique, histoire systématique, faisant rouler les mondes autour d’une peuplade de désert, orateur tonnant sur la tète des rois, mais faisant luire, avec une complaisance à la fois sévere et habile, sus éclairs sur les cours, et ne foudroyant que le peuple, qu’il livre corps et âme au moderne Cyrus; un choix, des fragments, des échantillons du génie de la langue et du discours. Rien autre! Voilà Fénelon; beaucoup à prendre dans Télémaque et dans les Correspondances. L’âme religieuse, la philosophie humaine, la grâce, l’onction, l’odeur de vertu: mais des pages et pas de livre pour le peuple! Voilà Corneille; mais c’est un génie politique et résumeur, qui éclate trop haut pour le cœur humain. Quelques scènes, quelques maximes, quelques explosions en vers! Rien de plus. Le peuple vit de détails de sentiments et non de résumés. Le génie, pour lui, est dans l’âme; celui de Corneille est comme celui de Tacite, dans le mot! Voilà Racine; celui-là était ne pour devenir le poète du peuple; malheureusement il n’y avait pas de peuple de son temps. Les cours l’ont pris, qu’elles le gardent. On ne. peut extraire de lui, pour les masses, que ses deux tragédies bibliques, Athalie et Esther, parce que là sa poésie s’est faite populaire en se faisant religieuse. Le reste est aux salons.
Voilà Voltaire! esprit encyclopédique, mais toujours esprit, bon sens, lumière, critique, satire, finesse, raillerie, enjouement, quelquefois cynisme! Jamais âme, tendresse, amour, pitié et piété, ces dons du génie à ceux qui souffrent. Philosophe des heureux, aristocrate des intelligents, poëte de demi-jour, peu à prendre pour les simples de cœur, lustre des bibliothèques s’éteignant dans le champ en plein soleil, ou déplacé dans la mansarde de l’indigent!
Voilà tous nos historiens. Pas un pour le peuple depuis les chroniqueurs! Montesquieu, trop haut; Rollin, excellent, mais trop servile traducteur de l’antiquité et trop long pour des lecteurs qui comptent le temps!
Voilà nos romanciers! Tous prenant leurs personnages dans les rangs élevés de la société et donnant au sentiment le jargon du salon au lieu de la langue de la nature illettrée! Rien, ou presque rien!
Voilà nos philosophes! Descartes, Malebranche, Condillac, et tous les modernes; vous pouvez les réimprimer tant que vous voudrez, je vous défie de les faire lire au peuple, parce que la philosophie du peuple ne raisonne pas, elle sent. Sa dialectique, c’est un instinct; sa logique, c’est une impression; sa conclusion, c’est une larme! Il n’y en a point là pour lui, Il ne connaît de J.-J. Rousseau que les cent premières pages du Vicaire savoyard et quelques chapitres des Confessions, où il voit un horloger de génie aux prises avec ses misères et des sentiments qu’il reconnaît en lui-même. De Chateaubriand il ne lit que René et Atala, où la philosophie est délayée de larmes et où la piété est fondue dans l’amour. Rien!
Voilà nos théâtres. Ils ont été écrits pour les cours ou pour les classes exclusivement lettrées. La preuve que le peuple ne les sent pas assez faits pour lui, c’est qu’il les laisse aux scènes académiques et qu’il a inventé pour lui les mélodrames, parce que son vrai drame n’a pas encore été inventé pour lui. Rien!
Voilà nos savants! Ils sont écrits en algèbre et voilés d’une terminologie gallo-grecque qui laisse les sciences naturelles à l’état de mystères pour tout ce qui n’est pas initié. Celui qui mettra la science usuelle en langue vulgaire et sensible aux ignorants, n’est pas encore venu. Je me trompe, il commence à poindre en Angleterre dans le fils d’Herschell. Rien encore ici!