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XXIV.

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Or, pendant que le besoin de lire s’accroît par tant de motifs chez le peuple, le besoin et la faculté il ecrire s’accroisent aussi dans une égale proportion dans les classes lettrées. Pour un écrivain qu’il y avait autrefois, il y eu a cent ou mille aujourd’hui.

— Pourquoi donc? me demanda-t-elle avec un air d’étonnement.

— Par la raison qui vous a fait écrire vous-même vos vers au chardonneret et vos autres petites compositions; parce qu’il y a plus de pensée, plus de sentiment, plus d’inspiration, plus d’instruction, plus de loisir, plus de nécessité de produire dans la masse lettrée du pays, qu’il n’y en avait il y a un siècle. La révolution a défriché plus de parties incultes du sol dans l’humanité. Ce qui ne végétait pas, végète; ce qui ne produisait pas, produit. On a semé des idées, il a poussé des intelligences.

Et puis, comme l’éducation classique s’est immensément multipliée, il est sorti d’année en année, des études, une élite de jeunes hommes de talent, de pensée, de style, qui ne savent que faire de tous ces dons, à moins d’en faire de la réputation, de la fortune, de la gloire. L’Église, qui les absorbait en grande quantité dans l’ancien régime, qui les enrichissait par ses bénéfices et ses fonctions lucratives de toute espèce, ne les absorbe plus; l’Empire, qui les dévorait dans ses armées, ne les fauché plus en coupes réglées. Ils n’ont plus que deux carrières: les fonctions publiques ou la littérature. Ils font des journaux, des articles, des romans, des poésies, des livres. La grande multitude de ces écrivains qui se pressent ainsi aux portes de la renommée, empêche de remarquer combien il y a de talents de toute espèce noyés dans cette foule, et combien ce siècle, qu’on accuse de stérilité, comme on a accusé ainsi tous les siècles, est plein de sèves nouvelles, de vigueur, de variété, d’originalité et de génie! Il se dépense chaque matin aujourd’hui, en France et en Europe, plus de travail et plus de talent littéraire dans les fragments qui jonchent, le soir, le pavé d’un café ou d’un cabinet littéraire, qu’il n’en faudrait pour faire un excellent livre et pour fonder la renommée d’un grand écrivain. Moi qui vous parle, je reçois, par semaine, plus de poésie, plus de politique ou plus de philosophie confidentielles par la poste, qu’un gros volume n’en contiendrait dans ses pages. Là tête humaine et le cœur humain sont deux ateliers en activité et en formation plus grandes qu’ils ne l’ont été peut-être à aucune autre époque de l’humanité. Eh bien, tout ce travail intellectuel cherche naturellement son emploi. Il ne l’a pas trouvé encore, et voilà pourquoi souvent il remue, il inquiète, il menace d’explosion le pays; mais il le trouvera, car il y a une providence des esprits comme il y a une providence des saisons, ne l’oubliez pas: Dieu ne fait pas naître plus de bouches qu’il n’y a d’épis, ni plus d’épis qu’il n’y a de bouches. Tout se correspond dans la nature intellectuelle comme dans la nature physique Quand vous voyez apparaître un grand besoin, soyez certaine que vous allez voir apparaître une grande force pour le satisfaire; et quand vous voyez naître une grande force sans emploi, soyez sûre aussi que vous allez voir naître un grand besoin pour remployer.

Les livres pour le peuple, aussitôt qu’on aura compris que le peuple a besoin de lire, vont être, sous toutes les formes, l’emploi utile, honorable et sain, de cette multitude de talents qui ont besoin d’écrire. De même que les droits politiques prendront leur niveau par les institutions libérales, électorales, constitutionnelles, républicaines, de même les intelligences prendront aussi leur niveau par l’éducation, l’instruction, la littérature populaires.

— Tiens! c’est juste, dit Reine, je n’y avais jamais pensé. Pourquoi donc, en effet, à présent que nous savons tous lire, n’écrirait-on que pour les salons et les académies? Est-ce que le peuple des villes et des campagnes n’est pas un plus grand public que l’autre, puisqu’on dit que nous sommes tant de millions de laboureurs, d’artisans, d’ouvriers, de domestiques, de femmes et d’enfants dans le pays?

Geneviève

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