Читать книгу Mademoiselle Figaro : indiscrétions d'une Parisienne - Anonyme - Страница 3
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Dans un pavillon, au fond de la cour d’un des grands hôtels du Faubourg-Saint-Honoré, situé entre la rue de Berri et l’ambassade d’Angleterre, habitait, en 1840, un charmant ménage de la haute société parisienne.
Dire que le comte de Roncelay était d’une fidélité exemplaire eût été lui prêter une vertu contre laquelle il se fût empressé de protester le premier. Mais il passait pour un mari aimable, bon et généreux.
Il était certainement un des meilleurs de sa coterie, et cela à une époque qui vit éclore toute une pléiade de spéculateurs matrimoniaux et de chasseurs de dots.
Il avait épousé, à l’âge de vingt-quatre ans, une des plus charmantes et des plus pauvres filles nobles du noble faubourg.
Deux enfants, un garçon de six ans et une petite fille d’environ deux, complétaient le bonheur de ce ménage parfait.
La jeune comtesse, instruite pourtant de certains écarts de fidélité de son mari, ne lui en montrait pas la moindre humeur. Trop fière, trop intelligente surtout, pour aventurer la paix de son ménage en feignant une jalousie qu’elle n’éprouvait pas, elle dédaignait de remarquer les assiduités de son mari près des actrices célèbres ou des lionnes du jour.
Au moment où nous allons la présenter à nos lecteurs, elle était assise, un livre sur ses genoux, devant le berceau de sa petite fille, qui venait d’échapper miraculeusement à une attaque du croup.
Il était huit heures du matin. Elle avait envoyé la nourrice, avec laquelle elle veillait l’enfant depuis plusieurs nuits déjà, prendre quelques heures de repos. Elle tenait dans ses mains une lettre trouvée dans le livre qu’elle avait pris, la nuit, sur la table-bureau du comte.
Des traces de larmes marbraient les couleurs délicates de ses joues.
Pour la première fois de sa vie, elle se sentait mordue au cœur par la jalousie, le dépit et l’amour-propre froissé.
Après avoir lu et relu la lettre, elle la remit à la page marquée d’un élégant coupe-papier et se disposait à reporter le livre à sa place, lorsqu’elle entendit s’ouvrir la double porte de la chambre.
Elle glissa vivement le volume sous son fauteuil dont la longue frange touchait à terre, et se pencha sur le berceau de l’enfant pour épier sa respiration encore oppressée.
Le comte entra sur la pointe des pieds. Il était en tenue de chasse.
A trente et un ans le comte de Roncelay était dans tout le développement de sa force; grand, blond, aux yeux bons et riants, à la physionomie ouverte et sympathique.
Il posa un baiser sur le front de sa femme, prit une chaise et s’assit à côté d’elle.
– Fallait-il que je fusse fatigué, dit-il, pour ne m’être pas aperçu que vous êtes encore venue ici, veiller une partie de la nuit. Dieu merci! l’enfant est sauvée; j’espère que vous allez enfin vous reposer.
–Vous êtes bien las, et vous voilà déjà parti pour la chasse, cher Hugues. Pour combien de jours?
–Oh! pour trois ou quatre jours seulement. Je serai ici vendredi soir ou samedi matin.
–Vendredi soir! pourquoi pas dire demain, alors.
–Tiens, c’est vrai; c’est jeudi aujourd’hui. Diable! cela ne fait pas mon compte. J’ai promis de donner trois jours, au moins, à mon cousin de Vertval.
–Et pourquoi ne lui tiendriez-vous pas parole? Au lieu de revenir samedi matin, restez jusqu’à dimanche.
–Je pourrais trouver excessive la facilité avec laquelle vous m’octroyez un congé plus long que je ne le demande, mais je suis bon prince, et ne m’en formaliserai pas. Je serai de retour samedi matin, au plus tard.
La comtesse baissa ses beaux yeux bleus, et tortilla fiévreusement la cordelière de son peignoir.
–Mais, qu’avez-vous donc, Clotilde, reprit le comte, en prenant gentiment les mains de sa femme entre ses mains gantées?–Vous êtes pâlie par les veillées;–un peu fiévreuse même, ajouta-t-il après avoir retiré un gant. Voulez-vous que je reste avec vous? dites, le désirez-vous?
–Non, oh! non, mon ami, allez. Je n’ai rien qu’un peu de fatigue.
–Bien vrai?
–Bien vrai!
–Adieu alors, et au revoir, ma chérie!
–Au revoir, à dimanche?
Mais non, à samedi matin.
Et d’un pas rapide, le comte s’éloigna non sans se retourner un instant à la porte pour jeter encore, en souriant, un baiser à sa femme.
Il y a tout un langage dans la démarche de l’homme comme dans celle de la femme, Le mariage qui allie aujourd’hui la fille du banquier, ou mieux, du roturier qui a commencé sa fortune en vendant des bouts de rubans sous les portes cochères,–aux princes authentiques,–rend l’étude de la démarche des femmes infiniment plus difficile que celle de l’homme. La demi-mondaine, intelligente et parvenue, sait prendre merveilleusement l’allure de la vraie dame. Avec le tact dont les femmes sont infiniment plus douées que les hommes, bien des impures enrichies, retirées des «affaires», savent se faire prendre, à un moment donné, pour la veuve d’un grand personnage dont elle dépense charitablement l’héritage en bonnes œuvres. Mais si la femme sait adopter telle ou telle tenue, la démarche n’en révèle pas moins certaines qualités ou certains défauts essentiels.–
Chez l’homme, elle est un indice presque infaillible de sa valeur morale.
La franchise, le courage, la droiture, le bonheur ou l’infortune, la simplicité ou l’affectation, c’est-à-dire la fausseté, se devinent dans la démarche. L’homme du vrai monde, le parvenu, le fanfaron ou l’humble employé, l’artiste ou le poseur, l’ouvrier honnête ou le pâle coureur des bals de barrière, se reconnaissent à leur démarche. La comtesse suivit du cœur les pas de son mari; ce pas fier, digne, aristocratique; ce pas qu’elle connaissait si bien; qui ramenait en tout temps le bonheur dans son âme, l’orgueil sur son front.–Elle le suivit du cœur, même, lorsqu’elle ne l’entendit plus, et sa pensée se reporta vers le temps heureux où tout était calme et confiance en elle. Maintenant elle se sentait inquiète, agitée, malheureuse.
Clotilde devait tout à son mari. Il l’avait épousée par amour, non sans avoir essayé de tous les moyens de séduction pour arriver à ses fins, sans se donner le ridicule d’un mariage d’inclination. La beauté de la jeune fille l’avait fasciné.
Quoique pauvre, Clotilde avait, à dix-sept ans, refusé déjà plusieurs bons partis. Sa beauté était souveraine, entraînante. Ses cheveux châtains tombaient en longues boucles naturelles dans son filet de chenille. Ses yeux bleus, frangés de noir, avaient des rayonnements extraordinaires; des sourcils, d’un dessin hardi, tranchaient sur son front grec d’une pureté charmante. Le nez droit, fin, aux narines éloquentes; le contour correct de son visage à teintes vermeilles comme un pastel de Watteau, et sa taille d’Hébé, faisaient de Clotilde une beauté sans conteste. Elle était irrésistible.
On a discuté, on discute et on discutera éternellement le problème des amours à première vue. Non-seulement l’amour né d’un seul regard est possible, mais il est le plus violent, sinon le plus profond. Il y a des femmes qui semblent se mouvoir dans une atmosphère d’amour, émanée d’elles-mêmes, et dont aucun homme n’approche sans en être immédiatement pénétré.
Clotilde était de ces femmes-là; fascinant, subjugant d’un seul regard ceux qui, pareils aux papillons, venaient brûler leurs ailes à la flamme pure de cette âme d’enfant.
L’innocence de Clotilde avait été, près du comte, son véritable bouclier. Elle n’avait même pas compris ce qu’il osait espérer d’elle. Dans leur monde, la déclaration d’amour faite avant la demande en mariage, eût éclairé tout autre jeune fille que Clotilde. Mais telle était la pureté de son cœur, la chasteté de sa pensée, qu’une fois cette déclaration reçue, elle attendit tranquillement que le comte la demandât à sa mère.
Il l’avait suppliée longtemps de répondre à son amour; et elle lui avait enfin et tout naïvement avoué qu’elle l’aimait et qu’elle l’autorisait à demander sa main. Hugues de Roncelay, désarmé, avait fait faire cette demande par son père. Favorablement accueilli, il était devenu l’époux de Clotilde.
Grâce à la noble et touchante confiance de la comtesse dans les meilleurs sentiments de son mari, le ménage avait été jusque-là parfaitement heureux. Mais la preuve indiscutable d’une intrigue, ayant tout le caractère d’une liaison sérieuse, quoique menacée d’une rupture, jetait la pauvre jeune femme dans un dédale d’inquiétudes, de doutes et d’appréhensions pour son bonheur.
Un voile de tristesse se répandit sur ses traits charmants; une larme mouilla sa paupière. Elle l’essuya lentement de sa main blanche et fine sur laquelle elle sentait encore la caresse de l’homme aimé. Puis, elle se baissa, ramassa le livre et relut encore une fois attentivement la lettre qu’elle y avait trouvée: «Samedi, bal de l’Opéra. A une heure et demie précise vous me trouverez près de la cheminée du foyer. –Je considérerai votre absence comme une rupture définitive et je partirai à huit heures du matin pour Nice, avec le comte de P…
» LINA.»
Cette preuve visible de l’infidélité de son mari avait bouleversé Clotilde jusqu’au fond de son être. Elle se leva enfin, pâle de colère contenue, prête à éclater en sanglots.
–Maman!–dit en ce moment une petite voix un peu enrouée. Oh! doux nom adorable! Quelle consolation tu apportes à l’âme froissée? Tu as le don merveilleux de relever le courage, de rappeler l’espoir, d’affermir l’honneur vacillant!
Cet appel à sa sollicitude maternelle ramena Clotilde près du berceau de sa fille. Elle vit ses grands yeux attachés sur elle et l’innocent sourire de sa bouche rose. L’enfant tendit vers sa mère ses menottes nacrées.–Viens, mon ange, dit Clotilde, viens! Nous allons reporter ce vilain livre là où nous n’aurions jamais dû le prendre. Et, sa fille sur les bras, la comtesse alla remettre le livre sur la table de son mari.
De retour près du berceau, elle recoucha l’enfant et sonna.
Une femme de chambre parut.
–Appelez la nourrice, puis venez m’habiller.