Читать книгу Mademoiselle Figaro : indiscrétions d'une Parisienne - Anonyme - Страница 9
ОглавлениеVII
Dans une grande chambre d’une maison meublée de la rue des Batignolles, assise dans un fauteuil voltaire, Pauline de Vertval regardait d’un œil morne tomber de grosses gouttes de pluie, qui faisaient cloche dans les flaques d’eau du mauvais pavé de la rue.
Les voitures, les omnibus, les charrettes de toutes formes, montaient et descendaient avec fracas la rue, en éclaboussant impitoyablement les piétons.
La pensée de la jeune femme était loin de ce tableau de boue et de bruit que son œil regardait sans le voir. Elle se rappelait la nuit néfaste de certain bal de l’Opéra, suivi d’un souper à la Maison-Dorée. Bien souvent déjà elle avait évoqué ce souvenir fatal; bien des fois elle s’était demandé comment elle avait pu, elle, l’épouse respectée d’André de Vertval, tomber en une heure de gaîté inconsciente, au niveau des femmes perdues, sur l’inconduite desquelles son regard ne s’était jamais arrêté sans les flétrir. Hélas! elle, Pauline, qui adorait son mari; qui, même en songe n’aurait pas égaré sa pensée sur un autre homme, avait-joué follement son honneur, son repos, le bonheur de sa vie entière pour retenir près d’elle, pendant une heure, un libertin, qui lui était non seulement indifférent, mais à peine connu.
Elle attendait dans cette misérable chambre meublée la naissance de l’enfant, fruit de cette heure d’égarement.
Le docteur Nerton avait essayé vainement de décider la jeune femme à se séparer de son pauvre enfant, innocent d’une faute dont il serait le vivant et éternel reproche.
Elle avait résisté aux conseils du docteur. Pauline ne voulait pas tromper davantage, ni rendre le pauvre enfant responsable du crime de sa mère; elle était décidée à le garder pour se punir elle-même dans cette personnification de sa faute.
Elle sentait d’avance ce qu’elle allait souffrir en voyant son mari caresser l’enfant d’un autre; elle comptait supporter cette torture en expiation, comme on porte un cilice qui écorche et meurtrit la peau du pénitent.
Les yeux obcurcis par des larmes qu’elle n’essuyait même pas, elle commençait à sentir les premières douleurs de sa prochaine délivrance, et quelques heures plus tard, elle donna le jour à une fille.
Le lendemain matin, le docteur Nerton accompagné d’Héloïse, tenant l’enfant dans ses bras, monta ostensiblement dans une voiture de place, et se dirigea vers la mairie du quartier. Le docteur paya le fiacre et entra avec Héloïse dans la loge du concierge.
–Un grand monsieur, à barbe noire, n’est-il pas venu demander M. Dupont, dit-il.
–Non, monsieur; personne ne vous a demandé. Montez au premier; je dirai à ce monsieur que vous êtes là.
–Je préfère revenir. Priez-le de nous attendre en haut, s’il vous plaît.
Suivi d’Héloïse, le docteur s’achemina vers la rue des Dames. Au milieu de la rue, ils rencontrèrent une voiture libre. Ils y montèrent, et, après avoir ordonné au cocher de s’arrêter devant la porte d’un de ses malades, auquel le docteur fit sa visite du matin, ils rentrèrent près de la mère de l’enfant.
Deux mois plus tard, par une nuit froide et pluvieuse, une dame malade, accompagnée d’une femme de chambre, portant dans ses bras un petit enfant soigneusement enveloppé, descendit de la diligence qui faisait alors le trajet du Havre à Bainville. Le docteur Nerton, conduisant lui-même un tilbury, les attendait. Il aida la dame et sa compagne à y monter. On attacha tout le bagage derrière le tilbury, sauf un grand panier oblong que le docteur mit devant lui.
Après une heure environ, on arriva en vue d’un bourg.
Le docteur arrêta la voiture, ouvrit le panier, et après y avoir couché confortablement le bébé endormi, le plaça sur les genoux de la femme de chambre.
Ils arrivèrent bientôt devant la grille d’une grande habitation. Le docteur sauta à terre, ouvrit cette grille et, conduisant le cheval par la bride, enfila une longue allée de peupliers, dépouillés de feuillage.
Personne ne vint à la rencontre des voyageurs; personne ne les avait entendus arriver, les chemins étant détrempés par les pluies d’automne.
Aidé par une paysanne, le docteur avait d’avance approvisionné l’habitation de bois et de vivres, et fait tout préparer pour la réception des voyageurs.
Le lendemain, à onze heures du matin, il attela le cheval au tilbury, et accompagné d’Héloïse portant l’enfant, il alla cette fois déclarer à la mairie de Canteleu la naissance d’une fille, qu’il fit inscrire sur les registres comme étant née de Louis-André de Vertval et de Louise-Marie-Pauline N., son épouse.
Le soir du même jour, la cuisinière, la nourrice et le petit Louis arrivèrent à leur tour de Rouen.
Bientôt la maison s’anima de la vie de famille, du rire et des pleurs des enfants, du va-et-vient des amis, et il ne vint à l’idée de personne de supposer qu’on avait déclaré à la mairie la naissance d’une enfant, âgée déjà de deux mois.