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III

Table des matières

Ainsi qu’il avait été convenu entre les deux jeunes femmes, Mme de Vertval avait écrit au comte quelques lignes et était allée prendre possession de sa loge à l’Opéra.

A l’époque où se passent les événements que nous racontons, le bal de l’Opéra n’était pas ce qu’il est maintenant. Les fils de familles ne dédaignaient pas de se rencontrer dans un tournoi homérique avec les joyeux clodoches, dont la folle gaîté animait de son entrain endiablé les quadrilles, aux sons de l’orchestre de Musard.

Les «belles petites» ne songeaient pas, comme aujourd’hui, à intriguer sous le couvert d’un masque, et ne voilaient aucun de leurs charmes sous un domino discret. Elles laissaient aux femmes du monde ces occupations de second intérêt pour elles, et se mêlaient avec un joyeux entrain aux cascades de leurs gais compagnons de plaisir.

De nos jours, tout est changé. Le niveau des demi-mondaines s’est élevé. Elles sont parvenues, la jeunesse masculine aidant, à se faire illusion sur elles-mêmes. Il leur semble, dans leur vanité comique que, se mêler ainsi qu’autrefois, aux groupes des danseurs et leur donner franchement la réplique, serait manquer de tact et du dernier mauvais ton.

On les voit dans de premières loges, entourées d’une demi-douzaine de jeunes gens plus ou moins frisés, faisant sur le spcctacle qu’elles ont devant les yeux, des réflexions auxquelles la galerie de leurs adorateurs ne manque pas de se pâmer d’aise. Jouant ainsi à la femme du vrai monde, en dédaignant de se promener à travers les groupes enrubanés, la «belle petite» de la haute ne quitte plus maintenant sa loge que pour se rendre en voiture aux restaurants fashionables du jour, escortée d’une foule de curieux, que son domino de bon goût et son masque impénétrable attirent sur son passage.

Au moment où Mme de Vertval entra dans sa loge, masquée, voilée, et, surtout, un peu tremblante, le bal commençait à s’animer. Les quadrilles bariolés devenaient bruyants.

Le coup-d’œil de cette salle illuminée à giorno, et pleine de monde, avait un aspect vraiment féerique.

Ce spectacle, si nouveau pour ses yeux, ravissait Pauline. Elle avait, comme toute femme du monde, rêvé quelques fois de venir, en cachette, faire une petite escapade innocente dans cet antre du plaisir défendu.

La réalisation de ce désir dépassait de beaucoup ce que la jeune femme avait osé rêver. Elle suivait d’un œil ravi et avec une joie d’enfant les ébats joyeux de la foule bariolée, et se complaisait dans la contemplation de cette personnification de la vie parisienne à laquelle elle n’était pas initiée. Elle attendait avec impatience que Clotilde et le comte vinssent pour pouvoir épancher ses impressions.

Enfin le comte, très intrigué, était venu seul la rejoindre dans sa loge.

Ne voyant pas arriver Clotilde et se souvenant qu’il fallait, à tout prix, empêcher M. de Roncelay de se trouver au foyer à une heure et demie, Pauline employa tout son esprit et toute sa séduction pour le retenir auprès d’elle.

Connaissant les relations de ses amis, elle le taquina si bien qu’elle excita au plus haut degré son étonnement et sa curiosité.

–Que regardez-vous donc, lui demanda-t-elle, en le voyant fixer dans une loge de face, un domino qui donnait à chaque instant des signes visibles d’impatience, et lorgnait avec insistance Pauline et le comte.

Mais rien, fit ce dernier avec embarras; auprès de vous je ne puis voir personne, et suis on ne peut plus charmé que vous m’y ayez fait venir. Cependant, si vous vouliez bien me le permettre, j’irais dire un mot à un de mes amis que j’aperçois là-bas, et je reviendrais ensuite me remettre à votre entière disposition.

Pauline s’aperçut de suite que le comte était partagé entre le désir de commencer avec elle une intrigue qui lui paraissait originale, et la crainte assez naturelle de voir se rompre une liaison, à laquelle pourtant, son amour–propre seul était encore engagé par les liens de la vanité, masculine. Mme de Vertval comprit qu’il comptait s’excuser près de sa maîtresse, d’un retard possible occasionné par la présence d’une connaissance de sa femme.

–Hé! quoi, dit Pauline, vous oseriez, pour un ami, m’abandonner ainsi? et cela au moment même où j’allais vous prier de m’offrir votre bras pour faire un tour dans le bal?–Vraiment, vous n’êtes pas galant, votre ami m’est suspect; ne serait-ce pas plutôt d’une amie qu’il s’agit?

–Je vous jure, s’écria le comte.

–Allons! ne mentez pas, et avouez-moi franchement ce que je sais, d’ailleurs, aussi bien que le reste.

–Pouvez-vous croire, madame, que je sois venu ici pour une autre femme que vous? Non! Je n’avais nullement l’intention de venir à ce bal et ne m’y suis décidé que par le désir de connaître l’auteur du charmant billet que vous m’avez adressé. Je suis votre esclave et ferai ce que vous voudrez.

–Hé bien! prouvez-le moi, en ne me quittant pas. Restez, et, si vous êtes sage, je vous donnerai en récompense le bout de mon gant à baiser. Le comte, déjà levé, se rassit en souriant et voulut anticiper sur la promesse qu’on venait de lui faire; mais on lui retira sans pitié une main finement gantée.

Au bout d’une heure, Pauline, jugeant le délai accordé au comte par Lina de B… passé, voulût bien alors rendre à M. de Roncelay, sa liberté. Mais cela ne fut pas l’avis du comte, qui, se trouvant en présence d’une intrigue près de s’interrompre et la certitude d’avoir manqué le rendez-vous assigné par Lina, insista vivement pour que Mme de Vertval acceptât de souper à la Maison-Dorée.

Bien que la jeune femme jugeât inutile de prolonger une situation qui ne manquait pourtant pas d’un certain charme pour elle, celui de la nouveauté, le souvenir de l’inquiétude et des larmes de son amie Clotilde, son expresse recommandation d’empêcher l’entrevue de son mari avec Lina de B. «à tout prix,» et enfin, la crainte qu’une fois partie, le comte ne courût apaiser la colère de cette femme, et de faire ainsi échouer tout l’échafaudage de sa petite intrigue, fit céder finalement Mme de Vertval aux sollicitations de M. de Roncelay.–Elle mit comme condition expresse à ce consentement qu’elle conserverait son masque, et fit donner au comte sa parole d’honneur de ne pas la suivre, ni de chercher à la connaître.

Le comte jura tout ce qu’elle voulut, et ils quittèrent le bal pour se rendre à la Maison-Dorée.

Ce ne fut pas sans appréhension que Pauline franchit le seuil de cet endroit redoutable et mystérieux pour les femmes du monde, qu’on nomme: un cabinet particulier.

Dans la situation certainement très nouvelle où elle se trouvait, Mme de Vertval, se promettait de tenir le comte à distance, car elle comprenait, tout-à-coup, le danger auquel elle s’était exposée.–Elle aurait bien voulu reculer au dernier moment, mais M. de Roncelay, empressé, galant, et, comme toujours, homme du monde, finit par la rassurer par la nouvelle promesse qu’il respecterait son incognito.

Ils commencèrent donc à souper.

Le comte se tenait toujours dans les limites les plus strictes des convenances. Avec le flair particulier aux libertins, il avait, sans peine, deviné à qui il avait affaire. Aussi, se doutant que, pour réussir, il ne lui fallait rien risquer qui pût effaroucher sa conquête nouvelle, compta-t-il, avec raison, sur la gaîté qu’excite la variété des vins, et principalement le champagne.

Ses prévisions se réalisèrent au delà de ce qu’il pouvait espérer, et en séducteur habile, il sut profiter de tous les avantages de la situation singulière dans laquelle Mme de Vertval se trouvait vis-à-vis de lui.

Enfin, le comte se leva pour sonner.

A la vue du garçon, Pauline cacha sa tête dans les coussins du divan et fondit en larmes.

Brusquement rappelée à elle-même et à la conscience de sa faute, elle se leva soudain: ma voiture, s’écria-t-elle, je veux partir; vous paierez après; de grâce, laissez-moi partir, je reviendrai dans huit jours,–dans la même loge,–ajouta-t-elle, folle de terreur à la pensée que le comte pourrait la suivre, et chercher à la connaître.

M. de Roncelay, quoique à regret, accompagna la jeune femme à sa voiture.

Elle s’y précipita sans dire adieu au comte, sans même le regarder.

Arrivée chez elle, Pauline se laissa tomber sur un siège avec accablement, sans force, le cœur brisé, la conscience en proie aux remords.

Elle comprit, trop tard, hélas! qu’elle avait commis une faute irréparable, qu’elle avait laissé au cabinet particulier de la Maison-Dorée–le bonheur de toute sa vie.

Mademoiselle Figaro : indiscrétions d'une Parisienne

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