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II
Les bas-fonds de Paris

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C’était un endroit d’aspect sinistre mais indéniablement pittoresque que le caveau dit de l’Ange Gabriel.

Situé tout au fond de la cour d’un immeuble de la rue de la Grande-Truanderie, tout proche des Halles centrales, il servait à cette époque de lieu de réunion à la fameuse bande des Enfants du Soleil, dont les exploits terrorisaient la capitale, au point que les Parisiens, à la tombée du jour, ne s’aventuraient dans les quartiers un peu douteux qu’armés jusqu’aux dents, et, le soir venu, se barricadaient solidement dans leurs domiciles.

Commandés par un chef mystérieux, insaisissable, connu sous le sobriquet de l’Aristo et auquel ses affiliés obéissaient avec un aveugle fanatisme, elle avait jusqu’alors victorieusement tenu tête à la véritable armée d’argousins que le baron Pasquier, préfet de police, ne cessait de lancer à ses trousses.

C’est à peine si les agents de M. Henry, qui n’en dormait plus, avaient réussi à capturer quelques vagues comparses qui, d’ailleurs, s’étaient obstinés dans un farouche silence.

Et, chaque nuit, Paris s’était alarmé de quelque acte nouveau de brigandage : attaques nocturnes, pillages de boutiques, cambriolages de maisons particulières, assassinats, qui, tous, portaient la marque de fabrique des Enfants du Soleil !

Cette redoutable association de malfaiteurs, la plus puissante qui eût peut-être jamais existé, avait été fondée par un mystérieux personnage uniquement connu sous le sobriquet de l’Aristo.

D’aucuns prétendaient qu’il avait réellement du sang de gentilhomme dans les veines.

Mais nul n’avait jamais pu pénétrer le secret de sa naissance, ni connaître son véritable nom.

Recrutant ses affiliés parmi les bagnards libérés et les forçats en rupture de ban, l’Aristo, véritable général de cette armée du crime, la manœuvrait avec une habileté, une audace qui tenaient du prodige… Sa tête avait été mise à prix : mille écus !

C’était pourtant une somme…

Mais il exerçait sur ses troupes un tel ascendant, il leur inspirait aux uns une telle frayeur, aux autres un tel attachement que pas un des bandits enrôlés sous sa bannière n’avait jamais eu la pensée de le trahir.

Tous, au contraire, lui obéissaient avec l’aveuglement du plus ardent fanatisme.

Divisés en dix sections correspondant aux principaux quartiers de la capitale, disséminés, terrés pendant le jour dans les bouges, les tapis francs, les coupe-gorge et les guinguettes interlopes de Paris et de la banlieue, chaque soir les Enfants du Soleil, dont le nom semblait un ironique défi lancé aux agents chargés de les poursuivre, se rassemblaient au siège social de ce qu’ils appelaient leur district !…

C’était presque toujours chez l’un d’entre eux, dont le logement avait été aménagé, truqué de telle sorte qu’aucune surprise n’était à craindre, et qu’en cas d’irruption inopinée de la police le groupe pouvait disparaître ou plutôt se volatiliser en quelques secondes.

Là… ils attendaient les ordres de leur chef qui, suivant un plan méticuleusement préparé, leur distribuait la besogne de la nuit.

Pour les coups importants, l’Aristo se mettait lui-même à la tête de la brigade qu’il avait mobilisée et confiait à ses lieutenants dressés à son école la conduite des opérations de moindre envergure.

Tout était si bien réglé, si bien organisé, il régnait parmi les Enfants du Soleil un si rigoureux esprit de discipline, une si parfaite cohésion, une si intangible solidarité que, malgré tous ses efforts, la police s’était toujours trouvée jusqu’alors, en face de ces dangereux ennemis de la société ; impuissante et désarmée.

Elle avait bien, parfois, réussi quelques arrestations isolées… mais elle n’avait pu en retirer aucun profit sérieux.

En effet — où le sentiment de l’honneur allait-il se nicher ? — aucun des Enfants du Soleil arrêtés n’avait jamais consenti à lui fournir le moindre renseignement…

Tous avaient résisté aux promesses aussi bien qu’aux menaces… Et lorsque, chaque soir, minuit sonnait, l’Aristo pouvait légitimement se vanter d’être le maître de la capitale !

Ce soir-là, à l’Ange Gabriel, lieu du rendez-vous fixé la veille par l’Aristo, l’assemblée était particulièrement nombreuse et choisie…

Elle formait un mélange invraisemblable d’hommes de toutes catégories, pour la plupart des bagnards libérés ou en rupture de ban, habillés de la façon la plus disparate, buvant, fumant, jouant aux cartes, à la marelle et, surtout, au jeu de tonneau, fort en faveur à l’époque où se déroule cette histoire, et tout cela au milieu d’une atmosphère de tabac, d’alcool, de vin et de crasse… dans un perpétuel concert de cris, de jurons… d’imprécations qui faisaient de ce bouge une sorte d’antichambre de l’enfer.

À travers le tumulte, un individu, tout en loques et le Visage ravagé par le Vice autant que par la misère, après avoir descendu lentement l’escalier de pierre qui donnait accès au caveau, s’était approché d’un autre bandit de sa tournure et de son espèce et qui, mélancolique et solitaire, avalait, d’un air renfrogné, les dernières gorgées d’un punch depuis longtemps refroidi dans son verre.

Après avoir jeté un regard méfiant autour de lui, le nouvel arrivant tirait son camarade par la manche et lui montrait un article du Moniteur de l’Empire, souligné grossièrement à l’encre rouge et ainsi conçu : La tête de l’Aristo, le fameux chef de la bande des Enfants du Soleil, est mise à prix à mille écus !

Et d’une voix rauque, il ajouta :

— Qué que tu dis de ça, mon vieux Tire-la-Ficelle ?

— C’est-y des fois que tu voudrais vendre not’chef ?… grommela le voleur morose.

— Dame ! mille écus…

— Gredin !…

Et, se levant d’un bond, Tire-la-Ficelle clama d’une voix de stentor :

— Hé ! les « fanandiers » (amis), c’est Croque-Mitou, c’est ce feignant qui veut « donner » l’Aristo !

— C’est pas vrai ! cherchait à nier celui-ci, en faisant disparaître le journal dans sa poche.

Mais, interrompant brusquement leurs jeux, les Enfants du Soleil entouraient déjà Croque-Mitou qui, pâle, défait, suant la peur, continuait à nier et à se battre…

Mais Tire-la-Ficelle vociférait :

— Montre-leur donc ton papier. Le Moniteur de l’Empire ! Mille écus pour la tête du chef !… Rien que cela !… Mais montre donc, crapule ! Ah ! tu ne veux pas ? Eh bien, attends un peu !

Tire-la-Ficelle saisit Croque-Mitou à la gorge.

Mais celui-ci, se baissant, empoigna son adversaire par la taille et tous deux roulèrent sur les dalles, s’étreignant avec frénésie au milieu des hurlements de démons que poussaient les spectateurs… lorsque tout à coup une voix métallique, claironnante, lança, dominant le tumulte : — Eh bien ! qu’est-ce que cela signifie ?…

— L’Aristo ! firent plusieurs bandits sur un ton plein de respect et de crainte.

Instantanément, toutes les clameurs s’apaisèrent, en même temps que les regards se tournaient vers un jeune homme vêtu d’un costume de cavalier entièrement noir, mais dont la coupe parfaite faisait ressortir l’impeccable élégance.

Agé d’environ vingt-cinq ans, racé de la tête aux talons, les traits d’une régularité qui donnait à son profil une allure de médaille frappée à la romaine, la bouche dessinée en un sourire d’une incomparable ironie, il réalisait à merveille le type de l’aventurier de grande envergure qui, par appétit ou pour toute autre raison inconnue, se serait fait le général des malandrins de son temps.

Embrassant d’un coup d’œil d’aigle ses troupes qui, recueillies, muettes, graves, attendaient ses ordres, il lança avec la gravité d’un maître qui se sent sur tous une autorité absolue : — Pourquoi tout ce tapage ?… Vous savez bien que j’ai défendu, sous peine de mort, toute rixe entre les Enfants du Soleil !

— Oui, général, répliquait Tire-la-Ficelle. Et il lança d’une voix vibrante :

— Si je me suis battu avec Croque-Mitou, c’est parce que c’est un traître qui voulait vous livrer à la police !

— Est-ce vrai ? demanda l’Aristo, en toisant avec mépris le bandit effondré à ses pieds…

Croque-Mitou, fasciné, incapable de se défendre même par un grossier mensonge, eut un grognement de détresse qui était tout un aveu.

— Gredin ! fit l’Aristo, avec un calme effroyable.

Et, tirant un pistolet de sa ceinture, froidement, il l’arma et brûla la cervelle du bandit.

Puis, dans un tragique silence, et sans plus s’occuper de sa victime, il lança sur un ton plein d’entrain et de désinvolture : — Camarades, je vous apporte une bonne nouvelle !

Tous, sans doute, avez-vous entendu parler de Vidocq ?

À ce nom, un murmure d’admiration circula dans la foule, tandis que, de bouche en bouche, circulait ce nom qui semblait jouir parmi toute cette pègre d’une popularité surprenante : — Vidocq… Vidocq !

L’Aristo poursuivait du ton calme, distant, hautain d’un grand seigneur qui haranguerait ses manants : — Quelques-uns d’entre vous ont même dû connaître ce Vidocq à Toulon ou à Brest…

— Oui, général ! affirmaient plusieurs voix chaleureuses.

— Je n’ai donc pas besoin de vous vanter l’énergie, la force, le courage, l’habileté de cet homme qui a réussi à s’évader de toutes les geôles et de tous les bagnes où on l’avait envoyé !

« Or, je viens d’apprendre que Vidocq se cachait dans Paris et je sais où le trouver !

« Par suite de l’extension de nos opérations et de la lutte acharnée que nous sommes obligés de soutenir quotidiennement contre la police, j’ai besoin d’un autre moi-même, d’un second, d’un lieutenant, qui s’occupe tout particulièrement d’amuser, de jouer, de berner ces messieurs de la préfecture, tandis que nous travaillons, et qui nous permette de nous livrer à nos occupations sans avoir sans cesse la crainte d’être dérangés par les bellâtres, les intrus que sont ces vils argousins !

Et l’Aristo scanda d’une voix pleine d’autorité :

— J’ai décidé que Vidocq serait celui-là !

— Très bien ! Bravo ! Vive François Vidocq ! Vive l’Aristo ! notre général, clamaient avec enthousiasme les Enfants du Soleil.

— C’est entendu…, concluait le chef. De ce pas, je vais le trouver.

« En attendant, rappelez-vous que nous avons tous rendez-vous demain soir à dix heures à la sortie du village de Saint-Denis, au cabaret de La Truite qui file.

« Il s’agit de… déménager en douceur un château qui contient, paraît-il, des merveilles…

« Je vous donnerai sur place toutes les instructions nécessaires.

« En attendant, défense de vous griser et de vous battre, sous peine de mort !

« Riez, chantez, dansez… amusez-vous.

« Mais soyez d’attaque pour la bataille !

— Nous le serons !

— À demain ! camarades… à La Truite qui file !

— À demain, général.

Et l’Aristo se retirait, lorsque son pied heurta le cadavre de Croque-Mitou qui gisait dans une mare sanglante.

— Jetez-moi cela à l’égout, ordonna-t-il avec son plus gracieux sourire. Les rats se chargeront des funérailles.

« Quant à toi, Tire-la-Ficelle, tu auras une part de plus dans notre prochaine prise.

« Espérons que le butin sera royal !…

Au milieu d’une tempête d’acclamations, l’Aristo, drapé dans son manteau noir, et le chapeau légèrement sur l’oreille, gravit, en chantonnant une ariette à la mode, l’escalier qui conduisait au-dehors.

À la même heure, au Panthéon des Élégances, Coco Lacour et Bibi la Grillade, enfermés dans leur boutique, semblaient attendre les événements, le premier en fumant sa pipe, le second en cherchant à rectifier devant un morceau de glace cassé le nœud de l’énorme cravate qui lui entourait le cou décharné, lorsqu’un coup ébranla la porte.

— C’est lui ! fit Bibi la Grillade en entrouvrant l’un des vantaux.

Dissimulée dans l’ombre, une vieille pauvresse attendait.

— Entrez donc, la petite mère, invita gaiement Bibi.

D’un bond… Vidocq pénétra dans le magasin, enlevant en un clin d’œil son bonnet, son « caraco » et sa jupe ; et, visiblement harassé, il se laissa tomber sur un tabouret en paille, murmurant simplement : — Bibi… donne-moi un verre d’eau… j’ai soif !

— Attendez une minute, monsieur Vidocq, reprenait la Grillade.

« Je vais vous chercher une bonne bouteille…

« Un coup de vin, rien de tel pour vous remettre en place…

« Car, vrai, vous n’avez pas l’air d’en mener bien large !

Et, prestement, Bibi la Grillade disparut.

Vidocq demeura silencieux, le corps légèrement penché en avant, les bras ballants, les traits tirés, en proie à une visible dépression nerveuse.

Coco Lacour s’avança, et, lui mettant la main sur l’épaule, fit :

— Alors quoi, ça ne va pas ?

— Si… ça va…, répliqua Vidocq d’une voix sourde.

— Les agents de M. Henry vous ont encore donné du fil à retordre ?

— Oh ! ceux-là, je ne les crains pas !… et je suis de taille à les semer encore bien des fois sur ma route.

— Alors ?

— Alors… rien !

Vidocq se tut… Son regard avait une expression tragique que, même aux heures les plus sinistres du bagne, ses deux amis ne lui avaient jamais connue…

Coco Lacour, qui semblait avoir envers son hôte une déférence au moins égale à celle que Bibi la Grillade professait à l’égard de ce dernier, n’insista pas.

Jamais encore, depuis qu’il lui avait été donné asile, Vidocq ne lui avait paru plus anxieux et plus sombre.

C’est qu’en effet le forçat évadé récapitulait le bilan de la tragique journée qu’il venait de vivre.

« Ainsi, se disait-il, j’ai deux fils qui sont mon sang et ma chair… deux anges dont le souvenir si pur a été le seul rayon de lumière qui ait éclairé l’abîme de ténèbres qu’a été ma vie… et l’espoir de les retrouver, de les revoir, ne fût-ce qu’un instant, m’a rendu assez fort pour m’évader cinq fois et mettre en défaut la meute de mouchards lancés à mes trousses !

« Et il faut que j’apprenne, tout à coup, qu’ils ont été abandonnés, perdus et qu’ils sont peut-être en train de devenir des bandits comme ceux parmi lesquels je vis depuis plusieurs années, ou des épaves, des êtres de misère, des déchets d’humanité, comme ces deux pauvres héros qui m’ont accueilli sous leur toit.

« Ah ! je sens s’éveiller en moi des ardeurs inquiétantes et nouvelles.

« Une soif inextinguible de révolte me dessèche… Un désir fou de me venger me saisit !

« En effet, que puis-je faire pour ces pauvres petits, moi, le forçat évadé, moi, le condamné à mort par contumace, moi, la bête traquée qui, toujours sur le qui-vive, doit à chaque minute de son existence ne songer qu’à son propre salut, avant même que de penser à sa pâture !

« Oui, que ferai-je, moi, quand cette femme riche à millions, et ne reculant devant même aucun scrupule, disposant de toutes les influences, a échoué si misérablement ?

« Je suis à bout de ressources. J’ai changé avant-hier la dernière des pistoles que ces braves paysans m’avaient données.

« Je ne puis rester à la charge de ces deux malheureux qui ont tant de mal eux-mêmes à vivre.

« Qui sait si, dans quelques heures, je ne serai pas arrêté par les agents de M. Henry ?

« Eh bien ! non, cela ne peut pas durer ainsi !

« Il faut que je choisisse : ou me rendre et m’avouer vaincu et offrir moi-même ma tête au bourreau ou devenir un bandit qui met en coupe réglée la société qui terrorise les populations, qui vole sans vergogne et qui tue sans pitié !

« N’ai-je pas déjà dans la pègre, dans les bas-fonds de Paris, une de ces réputations qui font d’avance une auréole de gloire et d’autorité au chef qui veut s’imposer et conduire victorieusement ses troupes à la bataille ?…

« Mais quelles batailles !…

« Moi qui en ai vu de si belles lorsque j’étais un soldat et que je m’enthousiasmais de beaux rêves de gloire… Moi qui en avais rêvé une autre… la plus noble de toutes celles du droit contre l’erreur, de l’innocence contre l’injustice !…

« Moi qui consentirais à souffrir de toutes les blessures, à verser mon sang jusqu’à la dernière goutte, pourvu que l’on me rendît mes enfants !

« Mais non, Vidocq, tu t’illusionnes, tu te leurres…

« Tes petits, tu ne les reverras jamais… tu m’entends… jamais !

« Alors, à quoi bon t’obstiner dans une lutte où, d’avance, tu es vaincu ?

« Pourquoi, à ton tour, te rebellant contre le fardeau qui t’accable, ne cherches-tu pas, pendant qu’il en est temps encore, à le soulever avant qu’il t’ait écrasé tout à fait ?

« Pourquoi ne déclares-tu pas ouvertement la guerre à cette société qui, en te rejetant de son sein, te met aujourd’hui en face de cet atroce dilemme : mourir ou être un scélérat ?

« Eh bien ! soyons un scélérat !

La porte se rouvrait, livrant passage à Bibi la Grillade, qui revenait portant une bouteille dans chaque main et un paquet assez volumineux sous le bras.

— Alors, quoi, c’est l’orgie, lança Coco Lacour, l’œil pétillant de gourmandise.

— Parfaitement, déclarait Bibi, c’est l’orgie.

— Ah çà ! tu veux donc nous faire faire banqueroute ?

— T’occupe pas… Il fera clair demain… Goûte-moi d’abord un verre de cet excellent « reginglard » que la patronne du Canon d’Or, cette vieille royaliste de mère Pigeon, a bien voulu m’octroyer en échange du vieux cadran de montre que je lui ai juré avoir appartenu jadis au défunt roi Louis XVI.

« Pendant ce temps, je mets le couvert.

Tandis que Coco Lacour, redevenu guilleret, fringant, s’emparait des fioles que lui tendait son associé, celui-ci sortait un cornet de papier du véritable sac à provisions que formait l’unique basque de la trop longue et trop large redingote d’incroyable dans laquelle il flottait, le lui lança en disant : — Ça, c’est du bon tabac… que ce vieux sans-culotte de père la Carotte a bien voulu me livrer, non sans discussion, contre une vieille breloque que je lui ai garanti venir en droite ligne de l’héritage de feu Robespierre !

Et développant soigneusement sur la table-clavecin un paquet qui laissa apparaître un véritable bloc de pâte encore fumante, il s’écria triomphalement : — Et ça, c’est un morceau de « flan », que cette sainte femme qu’est Mme Durandeau, la pâtissière de la rue du Poteau, a bien voulu troquer avec moi contre une médaille que je lui ai garanti avoir été portée par la patronne de Paris, la bonne sainte Geneviève !

Et, content de lui, avec cette verve qui ne l’abandonnait jamais, même aux heures les moins gaies de sa difficile existence, Bibi la Grillade conclut, en tapant ses mains l’une contre l’autre : — Et maintenant, à table, monsieur Vidocq… à table, Coco Lacour… Le dîner est servi !

À peine avait-il prononcé ces mots qu’un coup violent retentissait contre la devanture.

Vidocq s’était dressé, l’œil étincelant, tandis que Coco Lacour et Bibi la Grillade échangeaient un regard angoissé.

Un nouveau coup, encore plus brutal, suivait aussitôt le premier.

Vidocq s’était dirigé vers un rideau et, le soulevant, il se faufila dans une étroite soupente.

Alors, Bibi la Grillade s’en fut vers la porte, interrogeant :

— Qui est là ?

— Le général ! fit une voix brève, impérieuse.

— Le général, grommela Coco Lacour en fronçant les sourcils.

— Y a pas…, murmura Bibi la Grillade, faut lui ouvrir. Sans enthousiasme, presque craintivement, il s’en fut entrebâiller l’huis.

Et pénétrant délibérément dans la boutique, l’Aristo lança d’un ton décisif, gouailleur : — Ah ça ! les agneaux… vous ne vous attendiez pas à ma visite ?…

« Mais si les amis me négligent, moi, je ne les oublie pas. Et, jetant un regard circulaire, il ajouta : — Personne ici ?

— Non… personne, affirma Coco Lacour, tandis que son associé verrouillait scrupuleusement la porte.

Et, choisissant un fauteuil un peu moins défoncé que les autres, l’Aristo, croisant les jambes et bombant le torse, en une attitude de maître incontestable et incontesté, fit de sa voix mordante : — Et maintenant, mes petits, causons !

Vidocq

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