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III
L’aristo

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La visite de l’Aristo, qui eût peut-être été très flatteuse pour d’autres, ne semblait guère réjouir les deux amis.

Coco Lacour, l’air renfrogné, en oubliait de bourrer sa pipe…

Quant à Bibi la Grillade, il faisait une véritable mine d’enterrement.

— Tout d’abord, mes agneaux, attaquait l’Aristo, sans paraître remarquer l’attitude plutôt embarrassée des deux associés, laissez-moi vous adresser un amical reproche : « Vous vous faites vraiment trop rares.

« Vous ne répondez même plus aux convocations que je vous fais adresser… par mes agents.

« En un mot, vous me lâchez !

— C’est que, grommelait Coco Lacour, nous sommes très occupés.

— Notre commerce nous absorbe entièrement…, s’excusait Bibi la Grillade.

— Croyez, gouaillait l’Aristo, en jetant autour de lui un regard ironique, croyez que je suis le premier à me féliciter de la prospérité de vos affaires…

« Nul doute que d’ici peu vous ne fassiez fortune et que vous n’ayez votre maison de campagne à Saint-Cloud et votre hôtel au faubourg Saint-Germain !

« Mais cette fortune, vous ne devriez pas oublier que vous me la devez entièrement !

« N’est-ce pas moi qui, à votre retour du bagne, vous ai fourni les premiers fonds grâce auxquels vous avez pu vous établir ?

— Ça, général, c’est la vérité !

— Et que diriez-vous, mes moutons, si je vous réclamais le remboursement de la somme que je vous ai avancée sur la caisse de notre association, et si j’exigeais, conformément à nos statuts, un petit intérêt de dix pour cent en plus du capital ?

— Nous avons beaucoup d’argent dehors, hasardait Coco.

— Nous sommes obligés de vendre beaucoup à crédit, appuyait Bibi.

— Trêve de plaisanterie ! scandait fortement le chef… Vous avez voulu échapper à ma tutelle…

— Général !

— Et si vous ne m’avez pas encore livré aux mouchards de la préfecture, c’est uniquement parce que vous savez très bien que vous n’eussiez pas survécu une heure à votre trahison.

— Oh ! général…, s’écriait Coco.

— Pour qui nous prenez-vous ? protestait Bibi.

— Pour deux lâches qui, parce qu’ils n’ont pas réussi une première fois dans la carrière de voleurs qu’ils avaient choisie, ont trouvé plus simple et surtout moins dangereux de chercher à redevenir des honnêtes gens.

« Libre à vous, mes brebis, de végéter dans vos loques pouilleuses et votre bric-à-brac de chiffonniers… et ce n’est pas pour vous arracher à votre bêtise et à votre crasse que je suis ici.

« Je suis venu voir un de vos amis auquel, avec une générosité dont je vous félicite, vous avez assuré, à défaut d’une hospitalité princière, un asile… que vous croyez sûr entre tous !

— Un de nos amis ! répéta Coco, dont le visage avait des teintes d’ivoire.

— Vidocq ! précisa l’Aristo, le célèbre Vidocq, avec lequel j’ai le plus vif désir et la plus grande hâte de faire connaissance.

— Comment, vous savez ? laissa échapper Bibi la Grillade tout tremblant.

— Croyez, affirmait l’Aristo d’un ton de suprême autorité, que je suis beaucoup mieux renseigné que M. le préfet de police… sur les arrivées des forçats qui, ainsi que votre ami, ont eu la bonne fortune de s’évader du bagne.

— Général ! balbutiait Coco très indécis.

— Vidocq n’est pas ici…, se hâtait d’achever Bibi avec courage…

— Ah ! vraiment…, ponctua l’Aristo en se levant.

Et il se mit à humer autour de lui, tel un chien de chasse en quête de gibier.

Puis, tout à coup, sans la moindre hésitation, à la surprise et à l’effroi des deux associés, il se dirigea vers le rideau et pénétra dans la soupente.

Elle était vide !

L’Aristo se mordit les lèvres et, se tournant vers Coco et Bibi qui avaient eu le temps d’échanger un rapide coup d’œil d’intelligence, il fit… légèrement décontenancé : — Je m’aperçois, drôles, que, pour une fois, vous ne m’avez pas menti. Je regrette que Vidocq ne soit pas là !… J’eusse été enchanté de faire sa connaissance.

— On lui fera la commission, s’empressait Coco.

— D’ailleurs, il ne va pas tarder à rentrer, déclarait Bibi.

— Assez ! coupait impérieusement le chef.

Puis, après un bref instant de silence, il reprit avec la même autorité : — Vous direz de ma part à Vidocq que je l’attendrai demain soir à La Truite qui file, la dernière auberge qui se trouve à droite, sur la route de Compiègne, en sortant de Saint-Denis…

« Les Enfants du Soleil seront là au complet… Je serai heureux de le présenter à nos camarades.

— C’est entendu, général !…

— Et vous, mes agneaux, ne profiterez-vous pas de l’occasion pour rentrer au bercail ?…

— C’est-à-dire que… général, éludait Bibi tout en poussant le verrou.

— Ah ça ! clampin.

— Ne vous fâchez pas, général, on viendra peut-être…

Mais Coco Lacour s’empressait de déclarer :

— On viendra sûrement… général…

Et, désignant Bibi qui le regardait tout effaré, il ajouta : — J’en réponds comme de moi-même !

— Le mot de passe est Tout pour tous ! reprenait l’Aristo…

— Bien, général, accentuait Coco.

— Alors, à demain soir, avec Vidocq.

— Avec Vidocq !

Dès que l’Aristo eut disparu, et que la porte se fut refermée, Bibi, se précipitant vers son ami, s’écria : — Ah çà ! par exemple, tu en as de bonnes.

« Non seulement tu promets à cette crapule d’Aristo que nous irons le retrouver, mais tu t’engages aussi pour monsieur Vidocq.

— Parbleu ! s’écriait Coco, puisque c’est lui qui me l’a ordonné.

— Lui !…

— Regarde ! fit Coco Lacour, en désignant la tête de Vidocq qui apparaissait à travers les oripeaux suspendus au-dessus du rideau derrière lequel il avait disparu…

Et il ajouta :

— N’est-ce pas, monsieur Vidocq, que vous m’avez fait signe d’accepter ?…

— Parfaitement ! répliquait l’évadé qui, de sa cachette improvisée, avait assisté, dissimulé derrière les guenilles, à toute la scène que nous venons de rapporter.

Lâchant la solide tringle de fer qui, faisant l’office de barre fixe, lui avait permis, grâce à un habile rétablissement, d’échapper à l’attention de l’Aristo, Vidocq sauta lestement à terre et courut vers ses amis…

Il était entièrement transformé.

Ce n’était plus l’homme épuisé, aux abois, qui, quelques instants auparavant, affalé sur un siège, ruminait dans son cerveau tout un monde de douleurs et de pensées.

La tête haute, le corps nerveux, le regard brillant d’une flamme intense, les traits empreints d’une énergie surhumaine, il émanait de lui une force, une intelligence, une puissance et même une jeunesse inouïes.

On eût dit qu’en quelques minutes, il avait rajeuni de dix années…

— Comment, s’exclamait Bibi, c’est vous, vous qui, au bagne, nous donniez de si bons conseils et nous engagiez, quand nous serions libérés, à vivre proprement, honnêtement, comme nous l’avons fait jusqu’à présent ?

« Vous qui, hier encore, nous félicitiez de notre bonne conduite et qui, aujourd’hui, acceptez un rendez-vous de l’Aristo ?

— Eh bien ! oui, c’est moi, lançait Vidocq, dont les yeux brillaient d’un singulier éclat.

— C’est pas possible ! s’exclamait Coco.

— Vous voulez nous faire une farce, opinait Bibi.

— Pas du tout camarades ! affirmait Vidocq. J’ai simplement changé d’avis.

— Si vite que ça.

— Mais oui !

— C’est pas possible !

Et Coco ajouta :

— Sûr que vous avez quelque idée de derrière la tête.

— Mais non ! ripostait Vidocq avec un étrange sourire, je veux simplement vivre la seule vie qui m’est désormais permise.

Bibi reprenait sur un ton à la fois plein de déférence et d’affection : — Vous savez bien, monsieur Vidocq, que nous vous sommes tout dévoués, qu’on a toute confiance en vous et qu’on vous suivrait jusqu’au bout du monde ?

— En ce cas, ponctua le forçat évadé, laissez-moi tranquille.

— Alors, c’est entendu, conclut Bibi, tandis que Coco, largement, remplissait son verre… On sera demain soir avec vous à La Truite qui file…

Et Vidocq, avec un sourire énigmatique, s’écria :

— Oui… on y sera et je crois, mes amis, que d’ici peu vous n’aurez pas à vous repentir d’avoir écouté mes conseils.

Vidocq

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