Читать книгу Surcouf, roi des corsaires, roman d'aventures - Arthur Bernede - Страница 8
IV : UN CŒUR DE BRETONNE
ОглавлениеLorsque le matin, de bonne heure, Marie-Catherine apparut dans la salle commune où, depuis un moment déjà, la bonne-maman Surcouf, en parfaite maîtresse de maison, présidait en personne aux soins du ménage et activait le zèle de deux jeunes et gentilles chambrières, la pauvre petite qui, durant toute la nuit, n’avait cessé de pleurer, avait les yeux encore tout gros de larmes.
Elle s’en fut, aussitôt, tendre son front à sa marraine dont l’affection vraiment maternelle l’avait toujours si doucement consolée de la disparition prématurée des siens.
Mme Surcouf qui la chérissait tendrement, car elle appréciait tout le véritable trésor de vertus et de qualités que renfermait l’adorable écrin qu’était sa jolie âme, l’attira dans ses bras et, la regardant avec bonté, elle fit :
— Toi aussi, tu as du chagrin !
Marie-Catherine baissa la tête en rougissant… et la bonne vieille maman reprit :
— Voilà de pauvres yeux qui en racontent plus long que bien des paroles.
— Marraine ! murmurait Marie-Catherine… J’ai travaillé hier soir très tard ; je voulais terminer la nappe que je brode en ce moment pour l’autel de notre bonne mère sainte Arme.
— Chère petite ! … Allons… dis-moi la vérité… Tu as des yeux rouges parce que tu as pleuré, et tu as pleuré parce que ton cousin t’inquiète comme il nous inquiète tous ici.
Et comme Marie-Catherine se taisait, Mme Surcouf reprit :
— Tu l’aimes bien, toi aussi !
— Oui, marraine.
— Je le comprends !… Il y a tant de souvenirs entre vous deux… des souvenirs d’enfance… les meilleurs de tous… Et puis, nous avons toutes deux si souvent parlé de lui, qu’il est tout naturel que tu te sois prise à l’aimer comme un grand frère.
« Et nous qui étions si heureuses de le revoir !
« Le jour de son arrivée, quand je l’ai retrouvé si beau, si plein d’entrain, si bon avec nous tous et surtout si simple, malgré toute la gloire et toute la fortune qu’il avait conquises, j’ai cru que le bonheur allait refleurir pour toujours à la maison et qu’il allait ensoleiller les quelques armées qui me restent à vivre.
— Moi aussi, je le croyais, soupirait l’orpheline.
— Ah ! reprenait Mme Surcouf, ton instinct ne te trompait pas lorsque tu cherchais à l’empêcher de se rendre chez Marcof… Oui, tu avais raison d’avoir peur, puisque c’est à partir de ce moment qu’il a changé envers nous ! Dès le lendemain je m’en suis bien aperçue… Il n’avait plus le même visage, les mêmes yeux, la même voix !
Et sans se douter jusqu’à quel point elle exaspérait le chagrin de sa pauvre petite filleule, la bonne dame ajouta :
— C’est à se demander si cette étrangère n’aurait pas ensorcelé aussi notre Robert.
Marie-Catherine ne répondit pas. Elle craignait, en effet, par des phrases imprudentes, de révéler le secret qu’elle gardait pudiquement enfoui au fond de son cœur.
Et, tandis que sa marraine passait dans une pièce voisine, la jolie Bretonne, demeurée seule, et toujours obsédée par la hantise d’un rêve qu’elle jugeait à présent irréalisable, se prit à murmurer tristement :
— Oui… elle l’a ensorcelé !
Marie-Catherine comprit que c’était pour elle un dur calvaire qui allait commencer.
Mais, dans sa noble souffrance, il n’y avait pas la moindre rancœur, l’ombre d’une jalousie. Elle ne ressentait aucune haine, envers cette inconnue en laquelle, sans l’avoir jamais vue, sans avoir jamais rien entendu, rien appris d’elle, uniquement guidée par une sorte de divination qui était mieux que de l’instinct, elle avait tout de suite deviné une rivale victorieuse.
Avant tout, par-dessus tout, elle plaignait Robert… Elle s’épouvantait de cet amour deux fois coupable, puisqu’il était inspiré par une femme qui d’abord était celle d’un autre, et qui, ensuite, n’était ni de son sang, ni de sa race… et risquait, de ce double fait, de l’entraîner vers les plus irréparables péchés et de ternir à tout jamais la radieuse auréole qui nimbait le front du jeune conquérant.
Ah ! pourquoi ne l’avait-il pas choisie… elle… qui ne demandait qu’à se dévouer à lui… qu’à lui donner ce bonheur clair et charmant qui doit fêter le retour du vainqueur ?
Elle n’eût été, en effet, ni sa maîtresse, ni son esclave, mais sa compagne, celle dont le sourire tout de confiance, de tendresse et d’abandon l’eût accueilli sans cesse !
Plus fière encore de partager avec Surcouf son âme que son nom, son amour que sa gloire, ne lui eût-elle pas fait la plus riche des offrandes en lui donnant entièrement son cœur de Bretonne attachée, fidèle et dévouée jusqu’à la mort ?
Mais hélas ! Robert n’avait pas cessé de voir en elle la petite cousine que l’on est tout prêt à aimer comme une sœur… Et il était passé à côté du trésor qui se cachait, timide et modeste, et que ne faisait valoir aucune parure volontaire…
Il s’était laissé éblouir par un mirage qui, pour la croyante sincère qu’était Marie-Catherine, n’était qu’un piège tendu par le démon. Et, dans sa déception, dans sa peine, s’apitoyant sur Robert plus que sur elle-même, elle se disait :
— Comme je vais prier pour lui, pour qu’il ne soit pas trop malheureux et surtout pour qu’il ne compromette pas le salut de son âme !
Depuis un instant déjà, Jacques Morel, qui s’était faufilé sans bruit dans la pièce, observait la jeune fille. Celle-ci, plongée dans ses réflexions, n’avait pas remarqué sa présence.
Son visage ingrat, au regard fuyant, à la bouche mauvaise, exprimait une sorte de convoitise haineuse qui le rendait encore plus antipathique.
On devinait qu’il désirait plus la jolie Bretonne qu’il ne l’aimait, et que son âme, incapable de donner asile à tout autre sentiment qui n’eût point été de la méchanceté et de l’égoïsme, était déjà ulcérée par la rancœur que lui inspirait la dédaigneuse indifférence de l’orpheline à son égard.
— Bonjour, Marie-Catherine, fit-il d’une voix mielleuse.
Marie-Catherine tressaillit. Son front se barra d’un léger pli… et dans ses yeux il y eut une ombre de méfiance.
— Bonjour, Jacques, répondit-elle avec froideur.
Robert n’est pas là ? Demandait insidieusement le commis aux écritures.
— Non… il n’est pas là.
— Comme vous avez l’air triste aujourd’hui, Marie-Catherine… Auriez-vous quelque chagrin ?
La jolie Bretonne se taisait… Mais une larme qu’elle n’avait pu refouler roula lentement sur sa joue.
Jacques Morel se rapprocha d’elle et reprit sur un ton d’hypocrite compassion :
— Je vois que vous avez appris la grande nouvelle et je comprends que vous soyez très affligée à la pensée que Robert va de nouveau s’embarquer sur la Confiance.
— Vous dites que Robert va partir ? Sursauta la pauvre enfant.
— Comment ! Vous ignoriez ! Pardonnez-moi de vous avoir révélé si brusquement…
— Il va partir !… Il va partir !… répétait Marie-Catherine en joignant les mains.
— Je suis navré… feignait de s’excuser Jacques… Si j’avais pu prévoir !… Mais ne vous désolez pas ainsi… Il fallait bien vous attendre à ce que Robert ne reste pas longtemps au pays et qu’il s’ennuie ici… Il lui faut la mer, les grands horizons, les batailles.
« Hier, il me disait encore : “Moi, je ne suis pas fait pour vivre à terre, pour me marier, pour mener une existence banale de bourgeois et pour mourir bêtement dans mon lit… mais pour me battre encore… toujours, et pour expirer sur le pont de mon navire en criant à mes marins : En avant En avant !“
« Ah ! ce Robert, ce n’est pas du sang, c’est du feu qu’il a dans les veines.
Ces paroles, distillées cruellement par Jacques Morel, achevèrent de bouleverser Marie-Catherine. Maintenant, de grosses larmes sillonnaient son visage devenu tout blanc… sous la morsure de la douleur.
Et, le misérable, qui éprouvait une sorte de joie sadique à torturer celle qu’il désirait, accentuait, de plus en plus insinuant, sournois et lâche :
— Je comprends votre peine… Et moi qui voudrais ne voir que de la joie dans vos yeux… du sourire sur vos lèvres…
Vous qui avez déjà tant souffert de n’avoir pas connu les vôtres, vous qui pourtant méritez tant et plus que toute autre d’être heureuse en ce monde.
Mais un cri échappait à la jeune Bretonne :
— Robert !
Surcouf venait de pénétrer dans la salle… Il avait revêtu son uniforme de commandant corsaire… Il était grave, presque solennel… Son visage, empreint d’une grande sérénité, ne portait plus aucune trace de l’orage intérieur qui l’avait ravagé, et ce fut à peine si un léger clignotement de ses paupières révéla l’émotion qui s’était emparée de lui en se trouvant en face de sa petite cousine en pleurs et en voyant apparaître son père et sa vieille grand-maman qui, tout de suite, rien qu’au costume et à l’attitude de Robert, avaient deviné que l’heure d’une nouvelle séparation allait sonner.
— Alors c’est vrai, tu t’en vas ?… haletait Marie-Catherine au milieu de ses sanglots.
— Il le faut… répondait Surcouf… J’ai réfléchi que je n’avais pas terminé ma tâche… Mon devoir est de partir… je pars.
— Mon Robert !… reprochait tendrement l’aïeule… Je suis bien vieille et sans doute je ne te reverrai plus jamais… Pourtant, tu nous avais promis de rester avec nous.
— L’amour des aventures, ponctuait douloureusement M. Surcouf.
Surcouf, l’air sombre, embrassa tour à tour sa grand-mère et Marie-Catherine… Puis il tendit la main à son père et à Jacques Morel qui s’efforçait de dissimuler la joie que lui causait le départ de son cousin.
Et, saisissant en une dernière étreinte la pauvre bonne-maman qui, en sanglotant, lui murmurait encore de ces mots tels qu’un cœur maternel sait seul en trouver quand elle voit s’éloigner son enfant pour longtemps, pour toujours peut-être, il gagna le dehors et disparut d’un pas rapide… suivi par plusieurs matelots qui portaient ses bagages.
Marie-Catherine se cacha la tête entre les mains… N’était-ce pas toute son âme que le beau corsaire emportait avec lui ?
Jacques Morel s’approcha d’elle.
— Marie-Catherine ! fit-il d’un ton doucereux, laissez-moi, Oh ! oui, je vous en supplie, laissez-moi vous consoler…
Et vous… laissez-moi souffrir !… s’écria l’orpheline.
Elle s’en fut tomber sur un siège, écroulée, anéantie.
Et lentement elle murmura :
— Je savais bien que cette femme portait avec elle le malheur !