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SARA, L’ABBESSE, L’ARCHIDIACRE, puis SOEUR ALOYSE.

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L’ABBESSE

Sara! le minuit de Noël va sonner, remplissant nos âmes d’allégresse! L’autel va s’illuminer, tout à l’heure, comme une arche d’alliance! nos prières vont s’envoler sur l’aile des cantiques! Avant que cette heure passe dans les cieux, il importe que je vous notifie la résolution sacrée que j’ai prise touchant votre avenir.

Souvenez-vous, Sara. Votre père et votre mère, aux approches de la mort, me mandèrent en leur manoir pour vous confier à moi. Depuis sept ans vous vivez en ce cloître, libre comme une enfant dans un jardin. Cependant, les jeux des enfants vous furent toujours étrangers et je ne vous ai jamais vue sourire. Que peut signifier une nature aussi studieuse et aussi solitaire? — Est-ce de relire sans cesse tous nos vieux livres qui vous humiliera l’esprit?

Écoutez, Sara, vous êtes une âme obscure. Sur votre visage toujours pâle brille le reflet d’on ne sait quel orgueil ancien. Il sommeille en vous... — oh! les harmonies que vous tirez de l’orgue vous ont trahie!... Elles sont tellement sombres que j’ai dû prier sœur Aloyse de le tenir à votre place. — Malgré la réserve et la simplicité de vos rares paroles et de tous vos actes, je vous ai méditée longtemps et attentivement. Je sens que je ne vous connais pas. Vous vous’ soumettez avec une sorte d’indifférence taciturne aux pratiques de notre obédience. — Prenez garde à l’endurcissement du cœur!

Ma fille, vous êtes une lampe dans un tombeau: je veux vous raviver pour l’Espérance. Vanité que la vie sans la prière! La vingt-troisième année de vos jours s’est accomplie; ce qu’il faut, pour vous secourir, c’est l’onction, — c’est l’onction! et que vous soyez toute à Dieu, qui pacifie les cœurs inquiets. Certes, selon les hommes, je devrais admettre que vous êtes libre de nous quitter; mais, selon Dieu, moi, qui ai charge de votre âme, puis-je vous laisser rentrer dans le monde, seule, riche et aussi belle, au milieu de ces tentations (dont je n’ignore pas les séduisantes violences, non plus que le désenchantement mortel)? — Ai-je le droit, alors que vous m’avez été confiée, de ne pas agir, en cette circonstance, pour le mieux de votre bonheur réel, incapable que vous êtes de le discerner? — L’expérience des voluptés conduit au désespoir: plus tard, malgré votre volonté, vous seriez sans force pour revenir; je dois le prévoir pour vous. Quoi! le vertige vous guette au bord du gouffre et je n’aurais pas le droit de vous préserver de son attirance! Mon abstention serait une faiblesse proditoire dont vous sauriez me demander compte au dernier jour. — Ne point vous retenir quand vous voulez plonger dans les ténèbres! sans directeur, ni famille! et avec l’esprit ardent que je devine sous vos paupières baissées? Non! non. Vous ne sauriez vous conduire, là-bas, selon Dieu. — Je vais donc vous offrir à Lui ce soir même. Oui cette nuit. Un silence.

Ma fille, lorsqu’il y a trois mois je vous fis des ouvertures à ce sujet, j’essuyai, de votre part, un refus. J’eus recours à l’in-pace, aux privations sévères, aux mortifications... Et pendant que vous subissiez, résignée d’ailleurs, votre pénitence, je faisais prier pour vous et j’intercédais moi-même avec ferveur, offrant mes larmes à Celui qui est tout pardon.

Ne me forcez donc plus à recourir à des rigueurs pour vous faire rentrer en vous-même et vous pousser, pour ainsi dire, vers le Ciel. Aujourd’hui, en ce beau soir de fête, je vous ai tirée de votre cachot; j’ai choisi cette nuit bienheureuse pour vous consacrer au Seigneur, au milieu des fleurs, des lumières et de l’encens. Vous serez la fiancée amère de ce soir nuptial.

Ainsi la grâce descendra sur vous; l’oubli vous rendra l’esprit moins inquiet; vous sentirez bientôt le poids de l’amour divin; et, un jour (il n’est pas loin, peut-être!) tressaillant au souvenir de cette heure sainte, vous m’embrasserez, les joues baignées de pleurs d’extase et de joie. — Et ce sera le touchant, l’édifiant spectacle, réservé aux vierges qui demeurent à l’ombre de cet autel. Et vous comprendrez, alors, ce que j’ai osé faire, ce que j’ai pris sur moi d’accomplir. — Allons, soyez en paix. Elle se détourne.

— Sœur Laudation, allumez les cierges. L’autel s’illumine peu à peu durant la fin de la scène.

Maintenant, ma sœur et ma fille, je vous l’ai dit: — vous êtes une riche de ce monde. Ici l’on entre en se dépouillant de tout orgueil et de toute richesse. Nous sommes pauvres; mais ce que nous avons, nous le donnons, la pauvreté ne s’ennoblissant que par la charité. On vous a légué châteaux, palais, forêts et plaines. Voici le parchemin dans lequel vous faites abandon de tous vos biens à la communauté. Voici une plume. Signez.

Sara décroise les bras, prend la plume et signe impassiblement.

Bien. C’est cela même.

Elle regarde Sara qui est rentrée dans son immobilité.

Merci. A elle-même en se dirigeant vers l’Archidiacre: Que Dieu me voie — et me juge!

Arrivée auprès du vieux prêtre, elle lui touche l’épaule et, inclinée, chuchote quelques paroles.

L’ARCHIDIACRE, se levant et à voix basse

Le jeûne, le cachot et le silence font de la lumière en ces âmes orgueilleuses: il fallait cela! il faut cela. Haut, s’approchant de Sara: Sara, sœur Emmanuèle en Dieu! les quelques doutes se sont dissipés qui nous faisaient appréhender autour de vous la présence du malin esprit. Bien est-il vrai qu’en un tel jour nous eussions écarté de nos pensées, à votre sujet, toute supposition inquiète: mais l’aumône que Dieu vous a donné de pouvoir nous faire achève de vous purifier, à nos yeux, de tout soupçon de tiédeur. Elle militera pour vous dans les abandonnements et dans les dérélictions. Je vais vous recevoir dans un instant parmi celles qui, dorénavant, sont vos sœurs. Dès longtemps vous fûtes considérée par elles, et par nous, comme une appelée et comme une élue. Votre noviciat est fini.

L’ABBESSE

Ma fille, nous allons vous revêtir de la robe nuptiale et ceindre ce front de la couronne des vierges sacrées, en symbole des noces futures. Puis, vous viendrez ici, à cette place, au milieu des cantiques. Là, vous vous étendrez, en signe de mort: et sur vous sera jeté le drap de nos trépassées. Sous cette dalle, repose la Bienheureuse qui fonda ce monastère, et que vous prierez particulièrement avant l’offertoire. Une fois les vœux prononcés, votre chevelure mondaine tombera sous le ciseau de notre règle. Puis, on vous revêtira du saint habit que vous garderez, jusqu’à la fin de vos jours d’épreuve, ici-bas.

Une jeune religieuse, une enfant, d’une figure charmante, en vêtements blancs et bleus, apparaît derrière l’autel. Elle semble un peu pâlie. Elle regarde Sara.

Moi, je partirai bientôt pour mon éternité ; vous hériterez de ma crosse d’ivoire et vous ferez, à votre tour... ce que je fais. Se détournant: Venez, sœur Aloyse! La religieuse s’approche.

Axël

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