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MÉMOIRES DE NAPOLÉON
§ III
ОглавлениеDe l'ancien directoire, il ne restait que Barras: les autres membres étaient Roger-Ducos, Moulins, Gohier, et Siéyes.
– Ducos était un homme d'un caractère borné et facile.
– Moulins, général de division, n'avait pas fait la guerre, il sortait des gardes-françaises, et avait reçu son avancement dans l'armée de l'intérieur. C'était un honnête homme, patriote chaud et droit.
– Gohier était un avocat de réputation, d'un patriotisme exalté, jurisconsulte distingué; homme intègre et franc.
– Siéyes était depuis long-temps connu de Napoléon. Né à Fréjus, en Provence, il avait commencé sa réputation avec la révolution; il avait été nommé à l'assemblée constituante par les électeurs du tiers-état de Paris, après avoir été repoussé par l'assemblée du clergé, qui se tint à Chartres. C'est lui qui fit la brochure, Qu'est-ce que le tiers? qui eut une si grande vogue. Il n'est pas homme d'exécution: connaissant peu les hommes, il ne sait pas les faire agir. Ses études ayant toutes été dirigées vers la métaphysique, il a les défauts des métaphysiciens, et dédaigne trop souvent les notions positives; mais il est capable de donner des avis utiles et lumineux dans les circonstances et dans les crises les plus sérieuses. C'est à lui que l'on doit la division de la France en départements, qui a détruit l'esprit de province. Quoiqu'il n'ait jamais occupé la tribune avec éclat, il a été utile au succès de la révolution par ses conseils dans les comités.
Il avait été nommé directeur, lors de la création du directoire; mais, ayant refusé alors, Lareveillère le remplaça. Envoyé depuis en ambassade à Berlin, il puisa dans cette mission une grande défiance de la politique de la Prusse.
Il siégeait depuis peu au directoire, mais il avait déja rendu de grands services, en s'opposant aux succès de la société du manège, qu'il voyait prête à saisir le timon de l'état. Il était en horreur à cette faction; et, sans craindre de s'attirer l'inimitié de ce puissant parti, il combattait avec courage les menées de ces hommes de sang, pour sauver la république du désastre dont elle était menacée.
A l'époque du 13 vendémiaire, le trait suivant avait mis Napoléon à même de le bien juger. Dans le moment le plus critique de cette journée, lorsque le comité des quarante avait perdu la tête, Siéyes s'approcha de Napoléon, l'emmena dans une embrasure de croisée, pendant que le comité délibérait sur la réponse à faire à la sommation des sections. «Vous les entendez, général; ils parlent quand il faudrait agir: les corps ne valent rien pour diriger les armées, car ils ne connaissent pas le prix du temps et de l'occasion. Vous n'avez rien à faire ici: allez, général, prenez conseil de votre génie et de la position de la patrie: l'espérance de la république n'est qu'en vous.»