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MÉMOIRES DE NAPOLÉON
§ VI
ОглавлениеAvant de se rendre à l'armée d'Italie, Napoléon arma les côtes de la Provence et les îles d'Hyères, aussitôt après leur évacuation par les Anglais.
On n'a en France aucun principe fixe sur l'armement des côtes. Ce qui donne lieu à des discussions perpétuelles, entre les officiers d'artillerie et les autorités locales; celles-ci en voudraient partout, les officiers d'artillerie en voudraient trop peu.
Il n'y a pas de règles certaines sur le tracé des batteries de côtes. On établit des magasins à poudre et des corps-de-garde dans de mauvaises positions; ils sont souvent mal construits, quoique coûtant beaucoup, exigent de fréquentes réparations, sont inutiles à la défense, et ne durent qu'une ou deux campagnes. On construit des fourneaux à reverbère, on établit des grils à rougir les boulets, sans discernement; on les place dans des positions où, pendant le feu, il est impossible aux canonniers de les approcher sans danger, etc., etc.
On doit distinguer trois espèces de batteries de côtes, savoir: 1o celles destinées à défendre l'entrée d'un grand port et à protéger des escadres de guerre;
2o Celles destinées à protéger l'entrée d'un port marchand, des rades, des mouillages et l'arrivage des convois marchands;
3o Celles établies sur les extrémités des promontoires pour favoriser le cabotage et défendre un débarquement sur une plage.
Les batteries de la première classe doivent être armées d'un grand nombre de bouches à feu. Elles doivent avoir leur gorge fermée par une tour (1er modèle), capable de contenir sur sa plate-forme quatre pièces de campagne, ou caronades de vingt-quatre; et dans son intérieur, un logement pour 60 hommes, et les vivres nécessaires pour douze à quinze jours, ainsi que l'approvisionnement en poudre pour les bouches à feu. De semblables tours ont été construites pour soixante mille francs; et, comme on le voit, elles remplacent le magasin à poudre, le corps-de-garde, et le magasin des vivres. Il y a donc économie. Les batteries défendues par de pareilles tours se trouvent à l'abri d'un coup de main, et ne craignent point un débarquement de plusieurs milliers d'hommes qui les auraient tournées. Ces batteries doivent avoir un fourneau ou un gril à rougir les boulets: mais ce fourneau ou ce gril ne doivent point être placés au centre de la batterie et en arrière des plates-formes; car c'est là que frappent tous les projectiles ennemis. Il faut placer les fourneaux à reverbère ou les grils contre l'épaulement, en augmentant à cet effet la ligne de la batterie: dans cette position on est à l'abri des boulets ennemis, et l'on peut faire le service avec sûreté. Le service du tir à boulets rouges est par lui-même dangereux, pénible et difficile; les canonniers y répugnent tant, que pour peu qu'il y ait encore d'autres dangers, ils y renoncent et ne tirent qu'à boulets froids. La tour à la gorge doit être éloignée de trente à quarante toises au moins des plates-formes, afin que les éclats et les boulets qui la frappent, ne retombent pas sur la plate-forme.
Les batteries de la deuxième espèce doivent, comme celles de la première, avoir à leur gorge une tour en maçonnerie (2e modèle), ne contenant sur la plate-forme que deux pièces de campagne ou caronades de dix-huit, et ayant dans son intérieur des magasins et des logements pour 25 à 30 hommes. On en a construit pour 40,000 francs. Les batteries de la seconde espèce n'ont pas besoin d'être armées de beaucoup de bouches à feu. Elles sont rarement susceptibles d'être attaquées. Quelque intérêt que l'ennemi ait à les prendre, il n'emploiera jamais autant de moyens ni autant d'opiniâtreté que pour prendre des bâtiments de guerre.
Enfin, les batteries de la troisième classe doivent être armées de peu de pièces. Dans de semblables batteries, un gril est inutile; car aucun bâtiment ne viendra s'exposer assez long-temps à son feu, pour que l'on puisse en faire usage: une tour à la gorge est nécessaire comme aux deux premières classes; mais moins grande, et de troisième modèle, n'ayant qu'un canon ou caronade de douze sur la plate-forme. Une pareille tour peut résister à toute attaque de vive force; on en a fait pour 6,000 francs; elles remplacent, comme les autres, le magasin à poudre, le corps-de-garde, et ces tours de troisième espèce n'ont ni contre-coupe ni chemin couvert.
Lorsque ce systême sera établi sur toutes les côtes de l'empire, il n'y aura plus de discussions à chaque guerre sur la nature de l'armement.
En temps de paix, on opérera un prompt désarmement en entrant les affûts dans les tours; ce qui évitera des frais considérables de transport. On a l'habitude aujourd'hui de ramener les affûts dans les arsenaux. D'après la nouvelle méthode, le réarmement peut être aussi rapide que les besoins peuvent l'exiger.
C'est faute de classer ainsi les batteries de côtes d'après leur but, que l'on voit des batteries de cinq à six pièces pour protéger le cabotage; on en voit d'autres destinées à protéger le mouillage accidentel de bâtiments marchands, armées comme s'il était question de protéger une escadre de guerre.
La première dépense de l'armement des côtes, d'après ces principes, serait compensée bien au-delà par l'économie qui en résulterait, tant par la durée des affûts qui en serait beaucoup augmentée, que par la non-construction et l'entretien des magasins à poudre et des corps-de-garde.
L'artillerie a construit les affûts de côtes de manière à ne pouvoir tirer que sous l'angle de 17°; elle a eu raison. Il ne fallait pas mettre les canonniers à même de tirer trop loin, ce qui abîme l'affût sans produire un grand effet. Cela a constamment donné lieu à des réclamations qui ont jeté l'alarme; c'est à cela qu'on doit la plupart des plaintes contre la poudre, la portée de nos pièces, etc. Les boulets des vaisseaux arrivaient, et les nôtres n'arrivaient pas aux vaisseaux. Mais cela vient de ce que les canons des vaisseaux peuvent tirer sur les affûts marins à 25°. Cet angle, combiné avec celui que donne souvent la bande des bâtiments, en produit quelquefois un de 30 à 40°. Le général d'artillerie, chargé de réarmer les côtes de la Méditerranée, voyant que les officiers d'artillerie étaient dénoncés partout, parce que les boulets français n'allaient pas si loin que ceux des Anglais, prit le parti de faire disposer quelques affûts de côte pour tirer à 43°; de sorte que s'il arrivait une dénonciation, on prouvait, à l'instant, que la poudre et la portée des boulets étaient aussi bonnes que celles des Anglais. Mais ces affûts, ainsi disposés, sont bien plutôt hors de service que ceux qui tirent à 17°. Il n'en faut faire usage que dans les batteries qui défendent des mouillages éloignés de plus de 1,500 toises. Un vaisseau ne mouille jamais là où il peut tomber des boulets à son bord. Les mortiers que M. de Gribeauval a fait couler, n'ont qu'une faible portée, parce qu'on la trouvait suffisante pour bombarder les places, et qu'avec une plus grande portée le tir devient trop incertain. Il se présente pourtant des circonstances où les mortiers à grande portée sont utiles. La rade d'Hyères, par exemple, a un mouillage éloigné de 1,800 toises de la côte, et est par conséquent hors de portée des pièces sur affûts de côte ordinaire, des mortiers à la Gomer, et de ceux de dix pouces. L'ennemi a donc pu impunément mouiller dans cette rade sans y être inquiété; mais, aussitôt qu'on eut placé aux batteries quelques pièces de 24 ou de 36 sur affût, à 43°, et des mortiers à la Villantroys, ou de ceux de Séville qui envoient des bombes à deux mille cinq cents et trois mille toises, les ennemis cessèrent de mouiller dans cette rade. Il en est de même du golfe de la Spezzia; les ennemis pourraient, sans rien craindre, mouiller au milieu de ce golfe, si les batteries des côtes n'étaient pas armées ainsi qu'on vient de l'indiquer.
Ces principes ont reçu, depuis, les plus grands développements, et ont été appliqués en grand, principalement pour défendre de grandes rivières, comme l'Escaut, la Gironde, les rades foraines de Brest, de l'île d'Aix, etc. Ces principes ne sont point contraires à ceux de l'artillerie de M. de Gribeauval; car il sera toujours vrai que l'artillerie est de mauvais service, quand elle tire trop loin; elle fait peu d'effet, et a l'inconvénient de briser les affûts, les plates-formes, et les pièces même. Notre métal n'a pas assez de ténacité pour résister long-temps à une explosion de vingt à trente livres de poudre.