Читать книгу Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1 - Baron Gaspard Gourgaud - Страница 3
MÉMOIRES DE NAPOLÉON
§ II
ОглавлениеAu commencement de l'hiver de 1793, l'armée d'Italie avait éprouvé un autre échec: la première expédition maritime que tenta la république, l'expédition de Sardaigne tourna à notre confusion. Jamais expédition ne fut conduite avec plus d'imprévoyance et moins de talent.
L'amiral Truguet, qui commandait l'escadre, était maître de la mer: il avait attaqué et brûlé la petite ville d'Oneille, qui appartient au roi de Sardaigne; ses équipages y avaient commis des excès qui avaient révolté toute l'Italie.
Les uns croient que l'expédition de Sardaigne fut proposée par cet amiral; d'autres, qu'elle le fut par le conseil exécutif: mais, dans tous les cas, il fut chargé en chef de la concerter et de la diriger.
Le général de l'armée d'Italie devait lui fournir des troupes; il ne voulut point lui donner celles qui avaient passé le Var: il mit à la disposition de l'amiral 4 à 5,000 hommes de la phalange marseillaise, qui étaient encore à Marseille. Le général Paoli, qui commandait en Corse, mit aussi à sa disposition trois bataillons de troupes de ligne, qui étaient dans cette île. La phalange marseillaise était aussi indisciplinée que lâche, la composition des officiers aussi mauvaise que celle des soldats; ils traînaient avec eux tous les désordres et les excès révolutionnaires. Il n'y avait rien à attendre de pareilles gens: mais les trois bataillons, tirés de la vingt-troisième division, étaient des troupes d'élite.
Dans le courant de décembre, l'amiral mena sa flotte en Corse, manœuvra malheureusement, et perdit plusieurs frégates et vaisseaux de haut-bord, entre autres le Vengeur, vaisseau tout neuf de quatre-vingts canons, qui toucha en entrant à Ajaccio. Cependant cet amiral, croyant pouvoir suffire à tout, ne s'était point occupé du soin de désigner le général qui devait commander les troupes à terre; ce qui était pourtant l'opération la plus importante et la plus décisive pour l'expédition. Il trouva en Corse le général de brigade Casa-Bianca, depuis sénateur, brave homme, mais sans expérience, et qui n'avait jamais servi dans les troupes de ligne: l'amiral, sans le connaître, le prit avec lui, et lui donna le commandement des troupes. C'est avec de telles troupes et de tels généraux que l'expédition se dirigea sur Cagliari.
Cependant, comme cette escadre avait séjourné plus de deux mois en Corse, et que d'ailleurs le plan de l'expédition était public dans le port de Marseille, toute la Sardaigne fut en alarme, toutes ses troupes furent mises sur pied, et toutes les dispositions prises pour repousser cette attaque.
Dans le courant de février 1793, les troupes de l'expédition française furent mises à terre malgré le feu des batteries, qui défendaient les plages de Cagliari. Le lendemain, à la pointe du jour, un régiment de dragons sardes chargea les avant-postes marseillais, qui, au lieu de tenir, prirent la fuite en criant à la trahison: ils massacrèrent un bon officier de la ligne, qui leur avait été donné pour les conduire. Ce régiment de dragons aurait enlevé toute la phalange marseillaise; mais les trois bataillons de la ligne, venant de la Corse, arrêtèrent cette charge, et donnèrent le temps à l'amiral de venir rembarquer ses troupes sans aucune perte. L'amiral regagna Toulon, après avoir perdu plusieurs vaisseaux, qu'il brûla lui-même sur les plages de Cagliari.
Cette expédition ne pouvait avoir aucun but; elle eut lieu sous prétexte de faciliter l'arrivée des blés de l'Afrique en Provence, où l'on en manquait, et même de s'en procurer dans cette île abondante en grains. Mais alors le conseil exécutif aurait dû faire choix d'un officier-général propre à ce commandement, lui donner les officiers d'artillerie et de génie nécessaires: il aurait fallu quelques escadrons de cavalerie et quelques chevaux d'artillerie; et ce n'était point des levées révolutionnaires qu'il fallait y envoyer, mais bien 15,000 hommes de bonnes troupes.
On rejeta depuis la faute sur le général commandant l'armée d'Italie, et ce fut à tort: ce général avait désapprouvé l'expédition; et il avait agi conformément aux intérêts de la république, en conservant les troupes de ligne pour défendre la frontière et le comté de Nice. Il fut jugé, et il périt sur l'échafaud sous le prétexte de trahison, tant en Sardaigne qu'à Toulon; il était aussi innocent d'un côté que de l'autre.
L'escadre était composée de bons vaisseaux, les équipages complets, les matelots habiles, mais indisciplinés et anarchistes, à la manière de la phalange marseillaise, se réunissant en clubs et sociétés populaires: ils délibéraient et pesaient les intérêts de la patrie; dans tous les ports, ils signalaient leur arrivée en voulant pendre quelques citoyens, sous prétexte qu'ils étaient nobles ou prêtres: ils portaient partout la terreur.