Читать книгу Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1 - Baron Gaspard Gourgaud - Страница 24
MÉMOIRES DE NAPOLÉON
§ IX
ОглавлениеTout se passa comme il avait été convenu. Sur les sept heures du matin, le conseil des anciens s'assembla sous la présidence de Lemercier. Cornudet, Lebrun, Fargues, peignirent vivement les malheurs de la république, les dangers dont elle était environnée, et la conspiration permanente des coryphées du manège pour rétablir le règne de la terreur. Régnier, député de la Meurthe, demanda, par motion d'ordre, qu'en conséquence de l'article 102 de la constitution, le siège des séances du corps-législatif fût transféré à Saint-Cloud, et que Napoléon fût investi du commandement en chef des troupes de la 17e division militaire, et chargé de faire exécuter cette translation. Il développa alors sa motion: «La république est menacée, dit-il, par les anarchistes et le parti de l'étranger: il faut prendre des mesures de salut public; on est assuré de l'appui du général Bonaparte; ce sera à l'ombre de son bras protecteur, que les conseils pourront délibérer sur les changements que nécessite l'intérêt public.» Aussitôt que la majorité du conseil se fut assurée que cela était d'accord avec Napoléon, le décret passa, mais non sans une forte opposition. Il était conçu en ces termes:
Décret du conseil des anciens
Le conseil des anciens, en vertu des articles 102, 103 et 104, de la constitution, décrète ce qui suit:
Art. 1er Le corps législatif est transféré à Saint-Cloud; les deux conseils y siégeront dans les deux ailes du palais.
2. Ils y seront rendus demain, 19 brumaire, à midi; toute continuation de fonctions, de délibérations, est interdite ailleurs et avant ce terme.
3. Le général Bonaparte est chargé de l'exécution du présent décret. Il prendra toutes les mesures nécessaires pour la sûreté de la représentation nationale. Le général commandant la 17e division militaire, les gardes du corps-législatif, les gardes nationales sédentaires, les troupes de ligne qui se trouvent dans la commune de Paris, et dans toute l'étendue de la 17e division militaire, sont mis immédiatement sous ses ordres, et tenus de le reconnaître en cette qualité; tous les citoyens lui prêteront main-forte à sa première réquisition.
4. Le général Bonaparte est appelé dans le sein du conseil pour y recevoir une expédition du présent décret, et prêter serment; il se concertera avec les commissions des inspecteurs des deux conseils.
5. Le présent décret sera de suite transmis par un messager au conseil des cinq-cents, et au directoire exécutif; il sera imprimé, affiché, promulgué, et envoyé dans toutes les communes de la république par des courriers extraordinaires.
Ce décret fut rendu à huit heures; et à huit heures et demie, le messager d'état qui en était porteur arriva au logement de Napoléon. Il trouva les avenues remplies d'officiers de la garnison; d'adjudants de la garde nationale, de généraux, et des trois régiments de cavalerie. Napoléon fit ouvrir les battants des portes; et sa maison étant trop petite pour contenir tant de personnes, il s'avança sur le perron, reçut les compliments des officiers, les harangua, et leur dit qu'il comptait sur eux tous pour sauver la France. En même temps, il leur fit connaître que le conseil des anciens, autorisé par la constitution, venait de le revêtir du commandement de toutes les troupes; qu'il s'agissait de prendre de grandes mesures, pour tirer la patrie de la position affreuse où elle se trouvait; qu'il comptait sur leurs bras et leur volonté; qu'il allait monter à cheval, pour se rendre aux Tuileries. L'enthousiasme fût extrême: tous les officiers tirèrent leurs épées, et promirent assistance et fidélité. Alors Napoléon se tourna vers Lefèvre, lui demandant s'il voulait rester près de lui, ou retourner près du directoire. Lefèvre, fortement ému, ne balança pas. Napoléon monta aussitôt à cheval, et se mit à la tête des généraux et officiers, et des 1,500 chevaux auxquels il avait fait faire halte sur le boulevard, au coin de la rue du Mont-Blanc. Il donna ordre aux adjudants de la garde nationale de retourner dans leurs quartiers, d'y faire battre la générale, de faire connaître le décret qu'ils venaient d'entendre, et d'annoncer qu'on ne devait plus reconnaître que les ordres émanés de lui.