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CHAPITRE VI.

Table des matières

LE GENTIL COMMISSIONNAIRE.

Le lendemain, de bonne heure, une jeune femme, très modestement vêtue, entrait au magasin:

«Pardon, madame, dit-elle à Mlle Charmotte, mon petit garçon m’a parlé d’un arrangement pris avec vous, qui m’a paru si extraordinaire que j’ai voulu vous demander ce qu’il en est.

— Ah! vous êtes la mère de Jacques? Asseyez-vous, madame Imbert. Vous avez là un enfant tout à fait gentil.

— Oui, madame; avec sa soeur, c’est ma seule consolation. Par malheur, il est possédé, comme son père, du démon de l’invention.

— Il veut vous enrichir en trouvant le mouvement perpétuel.

— Hélas! c’est en le cherchant que son pauvre père nous a ruinés.

— Peut-être sera-t-il plus heureux!

— Ah! madame, le mouvement perpétuel est impossible!

— Je le sais, ou plutôt je n’en sais rien; sinon pour l’avoir entendu dire. Parfois aussi, en cherchant des choses impossibles, on en découvre d’autres possibles et utiles. Je suis sûre que cela arrivera à Jacques; il a un front si intelligent! —C’est vrai, nous avons un arrangement ensemble au sujet d’une poupée que sa sœur désire. Si, au jour de l’an, elle est encore ici, il l’aura. Si elle est vendue, je vous remettrai ce qu’il aura gagné. —Veuve, avec deux enfants, l’occupation ne doit pas vous manquer.

— Nous vivons si modestement que je m’en tire. Cela ira tant que j’aurai mes yeux. Dieu veuille me les conserver jusqu’à ce que les enfants soient élevés! c’est tout ce que je lui demande dans mes prières.

— Il vous exaucera, j’en suis sûre, dit Mlle Charmotte; il n’abandonne pas les braves gens.

— Non, répondit la veuve, il n’abandonne personne; mais il envoie des épreuves à chacun. Peut-être m’en réserve-t-il de nouvelles; les yeux me font souvent mal... Enfin, il a ses raisons en nous frappant; c’est encore pour notre bien.

— Oui, madame Imbert; quand on pense comme cela, on n’est jamais tout à fait malheureux, quoi qu’il advienne; ce qui ne m’empêche pas de vous souhaiter du bonheur à vous et à vos enfants. Si jamais je puis vous être utile, j’en serai contente, je vous assure.»

La veuve remercia cordialement Mlle Charmotte, et la quitta en promettant de laisser venir Jacques autant qu’il le pourrait.

Jacques, ou plutôt Petit-Frisé, comme les poupées continuèrent à le désigner entre elles, tint ce qu’il avait promis. A peine avait-il dîné qu’il accourait au magasin, puis s’envolait à ses commissions. Certes, il n’avait pas surfait ses jambes; à peine parti, il était de retour; c’était à croire qu’il avait des ailes. Et il était toujours si aimable, si poli!

«Vous nous enverrez cela par votre gentil petit commissionnaire, disaient à Mlle Charmotte les dames qui faisaient des emplettes chez elle; c’est lui que nous voulons, et pas un autre.»

Il arriva plus d’une fois qu’une cliente, marchandant un objet qu’on ne pouvait céder à meilleur marché, finissait par dire:

«Soit! je vous en donne ce que vous voulez., à condition toutefois que ce soit votre petit commissionnaire qui vienne me l’apporter.»

Il n’aurait dépendu que de Jacques de s’amasser un petit magot, car on voulait lui donner la bonne-main partout où il allait; mais il était fier, nous le savons, et n’acceptait point de cadeaux.

EN APPROCHANT DU MAGASIN, ROSE DÉTOURNANT LA TÊTE.

(page 48.)


«Je vous remercie infiniment, disait-il; je ne puis rien recevoir; Mlle Charmotte me paye mes commissions.

— Eh bien, moi aussi, je veux te payer, lui dit un jour une jeune maman.

— Cela ne se peut pas, madame, répondit-il; je ne dois pas être payé deux fois pour la même chose.»

Il était inutile d’insister; Jacques, toujours souriant, doux et poli, savait se défendre, et ne faisait jamais que ce qu’il voulait faire. En tout il suivait le précepte de sa mère, et il ne voulait que ce qui était bien.

Dans les pauvres familles, on n’a guère de secrets les uns pour les autres; quoiqu’il ne semble pas, il faut de la place à un secret pour se conserver. Quand parents, enfants sont réunis dans une toute petite chambre, les cœurs sont si proches que, sans qu’il soit besoin de paroles, les pensées se glissent de l’un à l’autre comme les dépêches le long du fil télégraphique. Rose avait su, sans qu’on le lui dît, ce que son Jacques faisait pour elle; elle l’avait embrassé et assuré que, si elle n’avait pas la belle poupée, elle n’en verserait pas une larme. Mais, à cet âge, l’espérance est tellement une certitude que tous les matins, en passant devant le magasin, elle criait à sa belle convoitée:

«Bonjour, ma Satin-Bleu!»

Cependant, à midi, au retour de l’école, elle avait un moment d’angoisse. En approchant du magasin, elle détournait la tète, fermait les yeux. et, toute tremblante, demandait à son frère:

«Y est-elle encore, dis?

Jacques jetait un regard anxieux sur la devanture de glaces:

«Oui, Rose, elle y est.»

Alors Rose, ravie, rouvrait ses yeux tout grands et riait en saluant sa future poupée.

Mlle Charmotte, qui avait remarqué ce petit drame, entr’ouvrait bien souvent sa porte quand les enfants apparaissaient, et disait avec gaieté :

«Oui, Rose, ta poupée est encore là.»

La bonne marchande prenait de plus en plus Jacques en amitié. Le jeudi, quand il n’y avait guère de commissions à faire et pas beaucoup de clients, elle l’emmenait dans l’arriere-magasin et, sachant qu’il aimait la mécanique, elle remontait, pour l’amuser, quelques jouets à mouvements.

«Est-ce que vraiment, lui disait-elle, tu comprends quelque chose à cela?

— Oui, mademoiselle; et il me semble presque que je saurais en faire autant.

— Tu es donc un prodige?

— Oh! pas du tout; c’est que j’ai vu travailler papa. Avec des ressorts, des roues, des poulies et des contrepoids, on peut accomplir bien des choses, allez.

— Même le mouvement perpétuel?

— Oui, mademoiselle. On a beau dire que c’est impossible, mon père ne le croyait pas, puisqu’il le cherchait, et mon père était très savant. Il disait qu’il ne s’agissait que de trouver une compensation à la déperdition des forces, et il était sur la voie quand il est mort.

— Je ne comprends pas du tout ce que tu me racontes là, disait Mlle Charmotte; ce dont je suis sûre, c’est que, si le mouvement perpétuel est possible, c’est toi qui le trouveras.»

Jacques ne se vantait pas en disant qu’il s’entendait au mécanisme des jouets, et il lui arriva plus d’une fois d’en réparer à merveille certains qui s’étaient détraqués. Mlle Charmotte admirait ce précoce talent; elle voyait un grand homme futur dans cet enfant, et elle se promettait de l’aider à suivre des études qui lui permettraient de parcourir une carrière utile. Il ne faut pas croire pourtant que son affection croissante pour son petit protégé l’empêchât de s’efforcer pour vendre Satin-Bleu. Elle l’offrait à tous ses riches clients; elle la vantait de son mieux; bref, elle exerçait son métier de marchande en conscience; mais, quand elle voyait ses tentatives inutiles, elle s’en consolait en pensant à la joie de Jacques et de Rose s’ils obtenaient l’objet tant désiré.

Le soir, au logis, le frère et la sœur ne cessaient de parler de Satin-Bleu, ou plutôt de Rosette, car il avait été convenu qu’on lui donnerait ce joli nom. Jacques, qui la voyait de près, avait toujours quelque chose de nouveau à en dire; il en savait long sur sa beauté. Il avait remarqué que ses yeux étaient changeants et, suivant les heures du jour, paraissaient tantôt très bleus, tantôt un peu verts, et tantôt couleur de violette; que ses cheveux n’étaient pas d’un blond si uniforme que ceux des autres poupées, qu’ils avaient des nuances plus riches, plus dorées, plus semblables à des rayons de soleil. Il avait découvert qu’elle avait des fossettes aux épaules, et même, car il l’avait vue en petite robe de dessous, un jour qu’on la changeait de toilette, qu’elle avait au bras gauche, tout près du coude, un petit signe brun pareil à un grain de beauté, sans doute une parcelle d’émail qui s’était trouvée prise dans la cire. Ce petit signe amusait beaucoup Rose, qui en avait elle-même un sur le cou: «Grâce à cela, disait-elle, si des Bohémiens nous volaient, Rosette ou moi, comme ces enfants dont nous avons lu l’histoire, ils auraient beau nous déguiser, on pourrait toujours nous reconnaître.»

Rose et Rosette : odyssée d'une trop belle poupée

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