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CHAPITRE IV.

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TROP BELLE.

Cependant les fâcheuses impressions qu’avaient produites sur l’esprit des poupées les révélations de Tête-Fendue ne tardèrent pas à s’affaiblir. Quand ces demoiselles virent, au bout de quelques jours, la vieille blessée s’en retourner jeune et pimpante avec une tête neuve, une charmante toilette, et l’air de ne plus se souvenir de ses mésaventures, elles se sentirent toutes rassérénées. Le moyen d’ailleurs d’avoir longtemps peur des enfants! c’est comme si l’on avait peur des roses; et, quoique les uns aient des défauts, les autres des épines, ils sont bien trop charmants pour inspirer un autre sentiment que la sympathie. Quand les mignonnes petites filles qui venaient au magasin attachaient leurs beaux grands yeux sur les pensionnaires de Mlle Charmotte, et disaient en joignant leurs petites mains potelées: «0 maman, je t’en prie, achète-moi celle-là !» quand, ayant obtenu l’objet de leurs désirs, elles le couvraient de baisers passionnés, Satin-Bleu se disait qu’il était bien impossible qu’elles fissent du mal à ces poupées qu’elles aimaient tant; que sûrement la vieille avait calomnié ces chers petits anges; qu’après tout, avec une tête fendue, il n’était pas étonnant qu’elle n’eût pas le jugement des plus sains et qu’elle eût un peu radoté.

Et, ainsi rassurée, elle souhaitait plus que jamais de quitter le bercail.

La vente marchait bien. Chaque jour voyait partir des douzaines de poupées; mais c’étaient les bon marché qui se débitaient le mieux; une vingtaine de petites et de moyennes pour une grande, c’était la proportion. Quant aux très belles, on les marchandait beaucoup, on les achetait peu; il y eut bien cent personnes qui s’informèrent du prix de Crêpe-Vert et de Peluche-Rose; on ne songeait même pas à demander celui de Satin-Bleu.

«Nous resterons probablement ici, se disaient les trois voisines; eh bien, nous ne serons pas malheureuses, nous nous aimons tant!»

En parlant ainsi, elles ne pouvaient s’empêcher de soupirer. L’amitié remplace bien des choses; mais elle n’a jamais pu contenir l’envie de voir du nouveau; le pigeon de la fable l’a bien prouvé.

Peluche-Rose et Crêpe-Vert n’eurent pas à s’affliger trop longtemps; elles furent achetées le même jour par deux grands-papas qui étaient les deux frères et qui avaient chacun une petite fille.

Ces demoiselles avaient déclaré que c’étaient ces deux poupées-là qu’elles voulaient, et pas d’autres, et les grands-pères s’étaient exécutés. Il est à remarquer que, si les mamans font passablement ce que veulent les enfants, les papas, surtout les papas militaires, le font davantage, les grand’- mamans plus encore, et les grands-papas plus que tous.

La pauvre Satin-Bleu, isolée dans sa vitrine après le départ de ses amies, se sentit bien triste; mais, dès le lendemain, soit que Mlle Charmotte eût deviné son chagrin, soit pour tout autre raison, la belle affligée fut mise à l’étalage, avec son trousseau déployé autour d’elle.

Il était magnifique, ce trousseau; le linge était de toute beauté, et les toilettes du dernier goût. Il y avait des peignoirs de batiste brodée; il y en avait en cachemire blanc, en cachemire rose; il y avait une robe de ville en popeline grise, une robe de grand dîner en velours rubis, une robe de petite soirée en ottomane lilas pâle, une toilette de bal en crêpe blanc semée de roses pompon, une autre en tulle mauve ornée de lilas blanc, une troisième en crêpe maïs, avec des touffes de bleuets. L’heureuse Satin-Bleu possédait en outre un habit de cheval, un costume de chasse, un costume de voyage, un costume de bains de mer et jusqu’à un costume pour la gymnastique; elle avait enfin des toilettes pour toutes les occasions, sans oublier l’occasion suprême du mariage, qui se présente dans la vie des poupées comme dans celle des jeunes filles. C’est une nouveauté, par parenthèse, car jamais autrefois il n’avait été question de cela, et nos grand’mamans, quand elles étaient petites, auraient bien ri si quelque beau petit personnage en habit noir et gilet ouvert, ganté de blanc, fût venu demander la main de leur poupée.

Satin-Bleu avait des châles de dentelle, des mantelets de jais, des cachemires, des fourrures; elle avait une provision de chaussures, depuis la mule de Smyrne jusqu’au patin de Pétersbourg; des gants assortis à chacune de ses toilettes; elle avait une série de chapeaux; elle avait deux ombrelles et trois éventails; elle avait une parure de corail, une parure de turquoises, une parure de perles; enfin rien ne lui manquait de ce qu’il faut à une jeune personne destinée à la vie élégante, à la high-life, comme on dit à présent.

La vue de toutes ces belles choses qui lui appartenaient augmentait beaucoup son envie de quitter le magasin et de faire admirer ses toilettes les unes après les autres; elle commençait à s’ennuyer de porter perpétuellement la même robe et le même chapeau.

La riche clientèle se pressait de plus en plus chez Mlle Charmotte. On demandait maintenant le prix de Satin-Bleu; mais il était si élevé que même les grands-papas les plus papas-gâteaux reculaient devant une telle dépense. La marchande avait beau détailler, avec son plus gracieux sourire, les mérites, les perfections de sa jolie pensionnaire, on répondait: «Elle est trop belle,» et on en choisissait une autre.

Trop belle! La pauvre petite commençait à se dire que cela pouvait être un malheur, tout au moins un désavantage.

Rose et Rosette : odyssée d'une trop belle poupée

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