Читать книгу Rose et Rosette : odyssée d'une trop belle poupée - Berthe Vadier - Страница 9

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CHAPITRE V.

Table des matières

PETIT-FRISÉ.

Cependant Satin-Bleu, à l’étalage, avait infiniment plus de distraction que lorsqu’elle était à son ancienne place. Elle voyait la rue et les magasins d’en face: un pâtissier où maints enfants entraient avec leurs parents, et d’autres tout seuls; — un pharmacien à qui le pâtissier envoyait force pratiques, car on est souvent obligé d’avaler des médecines amères pour avoir trop fêté les douceurs; un libraire qui étalait à foison de beaux livres dorés, et qui recevait aussi de nombreuses visites d’enfants et de parents, car il ne manque pas de familles où les livres sont aimés par-dessus tout. Elle voyait le temps qu’il faisait: quelquefois bleu avec un gai soleil comme en été, mais plus souvent gris et sombre; tantôt la pluie et la boue, tantôt la neige éblouissante, parfois le brouillard qui amenait la nuit à midi et obligeait d’allumer les becs de gaz du magasin.

Elle voyait se croiser du matin au soir les modestes fiacres et les beaux équipages; elle observait des passants de toute espèce: ouvriers en blouse qui, dès l’aube, se rendaient à leur travail; écoliers, le sac au dos comme des soldats, qui gagnaient leur collège; ménagères, le panier au bras, courant aux provisions; elle voyait des employés, des commis se dirigeant vers leurs bureaux, ou leurs comptoirs, et aussi des badauds qui n’allaient à rien et se plantaient devant les magasins, sans regarder, et à seule fin de tuer le temps dont ils ne savent que faire.

Parmi ces divers individus, elle avait remarqué un petit garçon et une petite fille, le frère et la sœur, très simplem ne figure charmante, ayant des cheveux bruns frisés comme la toison des moutons d’Astrakan. Lui, portait ses livres dans un carton suspendu à son épaule; elle, avait les siens dans un petit panier. C’étaient, à leur aspect, des enfants d’ouvriers, mais ils avaient une tenue que n’ont pas toujours les enfants plus riches, et ils paraissaient s’aimer extrêmement.

Sans jamais s’arrêter devant le magasin, chacun d’eux jetait à Satin-Bleu un timide regard d’admiration et de tendresse qui lui allait au cœur.

Un jour qu’à la sortie de l’école ils avaient passé comme à l’ordinaire, elle fut bien surprise de voir, un moment après, le petit garçon revenir tout seul, essoufflé, rouge, mais rayonnant, ouvrir la grande porte du magasin et entrer résolument:

«BONJOUR. MADAME.», DIT-IL A Mlle CHARMOTTE (page 35.)


«Bonjour, madame,» dit-il à Mlle Charmotte, en ôtant sa casquette.

Puis, désignant Satin-Bleu:

«Combien cette poupée, je vous prie?»

Si notre héroïne n’avait pas été bien solidement fixée, l’étonnement l’aurait fait tomber en arrière. Quoi! c’était à elle que ce petit en voulait! à elle que tant de beaux messieurs et de belles dames avaient convoitée, sans trouver dans leur bourse assez d’or pour l’obtenir!

Mlle Charmotte fut sans doute aussi étonnée, mais elle ne tomba point, quoique rien ne l’en empêchât; elle se borna à sourire:

«Elle est fort chère, mon petit ami.

— Plus de quarante sous, madame?

— Beaucoup plus.

— Cent sous, peut-être?

— Cinquante pièces de cent sous, mon garçon.

— Oh! mon Dieu!» soupira-t-il.

Toute la joie de son petit visage s’était effacée; on voyait au mouvement de ses lèvres qu’il avait le cœur très gros, mais il se retenait de pleurer:

«Je vous demande mille pardons, madame, de vous avoir dérangée.»

Comme il se dirigeait vers la porte, Mlle Charmotte lui fit signe de rester:

«Je te vois passer tous les jours avec une jolie petite fille. C’est ta sœur?

— Oui, madame.

— C’était pour elle, cette poupée?

— Pour ses étrennes, oui, madame; il y a longtemps que j’amasse, à cette intention, les petits sous que je gagne.

— Que tu gagnes, comment?

— En faisant des commissions pour les magasins de notre voisinage dans les heures que l’école me laisse libre.

— Tu t’appelles?

— Jacques Imbert, et ma sœur, Rose.

— Eh bien, mon petit Jacques, puisque tu n’es pas assez riche pour acheter cette poupée, prends-en une autre, nous en avons de tous les prix.»

Et, avisant une petite blonde aussi habillée de bleu:

«Tu peux avoir celle-là pour tes quarante sous.»

La poupée valait au moins douze francs; mais Mlle Charmotte était bonne; et puis elle avait perdu un neveu qu’elle idolâtrait, et Jacques lui rappelait cet enfant.

Cependant le petit garçon tournait sa casquette entre ses doigts d’un air embarrassé.

«Pourquoi ne dis-tu rien? lui demanda-t-elle, surprise de ce silence.

— C’est que, madame, je ne puis pas accepter. A présent que je sais le prix de la grande poupée, je comprends que celle-ci ne serait pas payée avec quarante sous.

— Qu’est-ce que cela fait, si je te la donne?

— Cela fait beaucoup; ce serait un cadeau, et je ne dois rien recevoir que je ne l’aie gagné.

— Tu es un drôle de garçon! Puisque tu ne veux pas de cadeau, je prends tes quarante sous comme à compte; tu me redevras trois francs, que tu m’apporteras quand tu les auras.

— Vous êtes trop bonne, madame; mais cela ne peut pas aller, parce que c’est l’autre poupée qui fait envie à ma sœur.

— Elle n’est pas dégoûtée, mademoiselle ta sœur. Tu crois qu’elle ne se contenterait pas de celle-ci?

— Oh! non, madame; Rose veut ce qu’elle veut.

— Elle n’est pas raisonnable alors?

— Si, elle est très raisonnable; elle se passe des choses qu’elle ne peut pas avoir, seulement elle n’en veut pas d’autres.

— Et toi, es-tu comme ça?

— Moi, je veux aussi ce que je veux.

— Qu’est-ce que vos parents disent de ces volontés-là ?

— Ma mère dit que c’est bien; qu’il faut vouloir ce que l’on veut, mais qu’il ne faut vouloir que de bonnes choses.

— Et ton père?

— Il est mort il y a deux ans.

— Qu’est-ce qu’il était?

— Horloger, mécanicien et inventeur. Il cherchait le mouvement perpétuel.

— Et ta mère, à quoi s’occupe-t-elle?

— Elle peint des porcelaines pour un marchand; mais, quand je serai grand, elle n’aura plus besoin de travailler, et Rose non plus ne travaillera qu’autant que ça lui fera plaisir.

— Que comptes-tu donc faire?

— Papa cherchait le mouvement perpétuel; je le trouverai, moi.»

Une grosse dame entra en ce moment:

«Ah! fit-elle, vous avez toujours votre grande poupée, mademoiselle Charmotte?

— Toujours, madame,» répondit la marchande.

Et, montrant Jacques:

«J’ai bien là, ajouta-t-elle en souriant, un acheteur à quarante sous. Nous sommes un peu loin de compte, comme vous voyez, en sorte que ma belle poupée me restera probablement.»

La grosse dame se mit à rire, et Jacques, qui tenait déjà le bouton de la porte, se rapprocha de la marchande:

«Pardon, madame, vous n’auriez pas de commissions à faire?

— Au contraire, en ce temps-ci, j’en ai beaucoup; mon personnel n’y suffit pas.

— J’ai de très bonnes jambes, madame, et je connais Paris. Je serais heureux si vous vouliez bien m’employer?

— Très volontiers; viens à la sortie de l’école, je te payerai tes courses.

— Oh! non, madame, je ne voudrais pas être payé, je voudrais...

— Quoi donc?

— Vous disiez que la belle poupée vous resterait peut-être. Si elle vous restait...

— Je devine. Tu voudrais la gagner? il faudrait, pour cela, terriblement de commissions.

— J’en ferai autant qu’il faudra, madame; je serais si heureux de contenter ma sœur!»

Mlle Charmotte le regarda d’un air attendri:

«Marché conclu, dit-elle; tu viendras tous les jours après l’école.

— Et tout le jeudi, si vous voulez.

— Le jeudi, soit. Je t’ouvrirai un compte. Si, au 1er janvier, la poupée n’est pas vendue, tu l’emporteras, et tu achèveras ensuite de la payer. Mais tes bonnes jambes n’ont qu’à se préparer, car je t’enverrai porter des paquets à tous les coins de Paris...

— Je les porterais au bout du monde!

— Et pendant plusieurs années.

— Toute ma vie! Ah! madame, que vous êtes bonne!»

Il s’empara de la main de Mlle Charmotte, la baisa avec transport et sortit si fier et si joyeux qu’il en paraissait grandi de deux pouces. En passant, il jeta une poignée de baisers à Satin-Bleu, puis il prit sa course, léger comme le vent.

Le soir de ce jour, il fut beaucoup parlé du Petit-Frisé dans le monde des poupées: les militaires disaient que c’était un vrai Français, bon, entreprenant et fier; et un vieux grenadier affirma que ce garçon-là ferait plus tard un fameux lapin.

Satin-Bleu ne comprenait pas très bien la métaphore. Elle avait justement à ses pieds un lapin blanc aux yeux rouges, et, quoiqu’elle le trouvât joli, elle ne voyait pas ce que l’enfant aux cheveux bouclés gagnerait à cette transformation. Ce fut Épaulette-d’Or, qu’on avait mis auprès d’elle depuis quelques jours, qui lui expliqua qu’en langage militaire être un fameux lapin signifiait être un soldat remarquable.

Ailleurs, on jugeait le petit Jacques moins rondement, mais avec la même faveur. Il avait eu un grand succès auprès d’une société de misses en petits bonnets toutes fraîches débarquées de Londres. Elles s’accordaient pour déclarer que cette petite gaarçonne avait très bocop de dignité, et qu’il voulait être, quand il serait grande, ioune perfecte gentleman.

Quant à Satin-Bleu, elle n’était qu’à moitié contente; Jacques et Rose ne lui déplaisaient pas comme passants, comme admirateurs; mais comme propriétaires, c’était autre chose. Ils étaient fort jolis, sans doute, mais d’une mise par trop simple: ce n’étaient pas là des gens avec qui une poupée de sa sorte pouvait aller vivre. Elle trouvait Mlle Charmotte un peu toquée d’avoir conclu un pareil marché, et elle ne doutait pas qu’avant le jour marqué il se présenterait un acheteur digne d’elle. On le voit, l’ancienne mam’selle Gargantua n’était pas tant corrigée qu’elle se l’imaginait.

Rose et Rosette : odyssée d'une trop belle poupée

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